COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 70A
DU 28 MARS 2023
N° RG 20/03158
N° Portalis DBV3-V-B7E-T55B
AFFAIRE :
S.A.S. SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE ET AGRICOLE MANTAISE SIAM
C/
Commune de [Localité 6]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Mai 2020 par le Tribunal Judiciaire de VERSAILLES
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 17/05661
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-Me Nadia CHEHAT,
-l'AARPI SCOTTI- PIQUET AVOCATS ASSOCIES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT HUIT MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 21 mars 2023, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :
S.A.S. SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE ET AGRICOLE MANTAISE SIAM
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
N° SIRET : 689 802 965
[Adresse 10]
[Localité 6]
représentée par Me Jérôme NALET substituant Me Nadia CHEHAT, avocat -barreau de VERSAILLES, vestiaire : 88
APPELANTE
****************
Commune de [Localité 6]
représentée par son maire en exercice, M [J] [F], dûment habilité par délibération du conseil municipal en date du 28 mai 2020
[Adresse 9]
[Localité 6]
représentée par Me Véronique PIQUET de l'AARPI SCOTTI-PIQUET AVOCATS ASSOCIES, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 634
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 Janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente et Madame Sixtine DU CREST, Conseiller chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant délibération du 23 septembre 2014, le conseil municipal de la commune de [Localité 6] a décidé de mettre en 'uvre la procédure instituée par les articles L. 1123-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques, tendant au transfert de la propriété des biens sans maître à son profit, concernant la parcelle cadastrée E[Cadastre 3] sis lieu-dit [Localité 7] d'une surface de 1 200 mètres carrés.
Par délibération du 19 février 2015, cette procédure a été étendue à la parcelle cadastrée E136 sis lieu-dit [Localité 7], d'une surface de 640 mètres carrés.
Suite aux mesures de publicité effectuées, personne ne s'est manifesté pour revendiquer la propriété de ces parcelles dans le délai de six mois de l'arrêté n°2015.09 pris le 10 mars 2015.
C'est dans ce contexte que les parcelles cadastrées E[Cadastre 2] et E137 ont été incorporées, avec 87 autres biens, dans le domaine privé de la commune de [Localité 6] aux termes d'une délibération du conseil municipal du 8 décembre 2015. Le transfert de propriété a ensuite été régularisé par acte notarié du 14 avril 2016, publié le 17 mai 2016 au service de la publicité foncière.
Estimant que la procédure d'appréhension des biens sans maître avait été mise en 'uvre au mépris de ses droits sur les parcelles cadastrées E136 et E137, et la recherche d'une solution amiable n'ayant pas abouti, la Société Industrielle et Agricole Mantaise (ci-après dénommée la SIAM) a assigné la commune de [Localité 6] devant le tribunal judiciaire de Versailles par exploit du 11 août 2017, pour se voir reconnaître la qualité de propriétaire de ces parcelles qu'elle déclare occuper comme tel depuis 1970.
Par un jugement contradictoire rendue le 28 mai 2020, le tribunal judiciaire de Versailles a :
- Débouté la SIAM de sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture,
- Débouté la SIAM de sa demande tendant à se voir déclarer propriétaire par l'effet de la prescription acquisitive trentenaire des parcelles cadastrées [Localité 7] section E[Cadastre 2] et [Cadastre 3] situées sur le territoire de la commune de [Localité 6],
- Enjoint à la SIAM, occupante sans droit ni titre des parcelles cadastrées [Localité 7] section E136 et [Cadastre 3] situées sur le territoire de la commune de [Localité 6], dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent jugement :
* de libérer lesdites parcelles E136 et E137 de tous occupants de son chef et de tous meubles et notamment des véhicules et matériels agricoles qui y seraient entreposés,
* de déposer la clôture empêchant d'accéder aux parcelles E136 et E137 ;
- Ordonner, à défaut de départ volontaire dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent jugement, avec le concours de la force publique si besoin est :
* l'expulsion de la SIAM et de tous occupants de son chef des parcelles cadastrées [Localité 7] section E[Cadastre 2] et [Cadastre 3] situées sur le territoire de la commune de [Localité 6],
* le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux, aux frais, risques et périls de la SIAM,
- Rejeter la demande de publication du présent jugement,
- Condamner la SIAM à payer à la commune de [Localité 6] la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Ordonner l'exécution provisoire,
- Condamner la SIAM aux dépens de l'instance,
- Débouter les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
La SIAM a interjeté appel de ce jugement le 9 juillet 2020 à l'encontre de la commune de [Localité 6].
Par conclusions notifiées le 19 mai 2021, la SIAM demande à la cour, au fondement des articles 2256, 2258, 2261 et 2272 du code civil, de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel du jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 28 mai 2020,
- infirmer la décision rendue le 28 mai 2020 en toutes des dispositions,
Ce faisant et statuant à nouveau,
- la déclarer propriétaire, par l'effet de la possession trentenaire, des parcelles cadastrées [Localité 7] section E, n° [Cadastre 2] et n° [Cadastre 3] situées sur le territoire de la commune de [Localité 6],
- ordonner la publication du jugement à intervenir, valant titre de propriété au bureau du service de la publicité foncière de [Localité 8], au titre des parcelles cadastrées [Localité 7] section E, n° [Cadastre 2] et n° [Cadastre 3] situées sur le territoire de la commune de [Localité 6] et ce au profit de la Société Industrielle et Agricole Mantaise (SIAM), société par actions simplifiée immatriculée au RCS de Versailles sous le SIREN n° 689 802 965, dont le siège est sis [Adresse 10],
- débouter la commune de [Localité 6] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner la commune de [Localité 6] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la commune de [Localité 6] en tous les dépens qui comprendront le coût de l'assignation, de la signification et de l'exécution du jugement à intervenir.
Par conclusions notifiées le 14 juin 2021, la commune de [Localité 6] représentée par son maire en exercice, M. [F], demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 28 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Versailles,
En tout état de cause,
- débouter la SIAM de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- dire et juger que la commune de [Localité 6] est propriétaire des parcelles cadastrées section E n°[Cadastre 2] et n°[Cadastre 3],
- enjoindre à la SIAM de quitter les deux parcelles cadastrées Section E n°[Cadastre 2] et n°[Cadastre 3] situées sur le territoire de la commune de [Localité 6], qu'elle occupe sans droit ni titre, avec tous occupants de son chef, et de libérer intégralement les lieux de tous meubles et notamment des véhicules et matériels agricoles qui y sont entreposés dans un délai de deux mois suivant signification de l'Arrêt à intervenir,
- enjoindre à la SIAM de déposer la clôture empêchant d'accéder aux deux parcelles cadastrées Section E n°[Cadastre 2] et n°[Cadastre 3] situées sur le territoire de la commune de [Localité 6], dans un délai de deux mois suivant signification de l'arrêt à intervenir,
Passé ce délai de deux mois et à défaut pour la SIAM et tous occupants de son chef de s'être exécutés volontairement, ordonner l'expulsion avec le concours de la force publique de la SIAM ainsi que de tous occupants de son chef et le transport et la séquestration de l'ensemble des biens meubles leur appartenant (y compris la clôture) et entreposés sur les deux parcelles concernées cadastrées Section E n°[Cadastre 2] et n°[Cadastre 3] situées sur le territoire de la commune de [Localité 6], et ce aux frais, risques et périls de la SIAM,
- Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir au service de la publicité foncière de Mantes-la-Jolie, sis [Adresse 1] compte tenu du fait que la SIAM a publié audit service le 21 décembre 2018 l'assignation délivrée à la commune de [Localité 6],
- Condamner la SIAM à lui verser la somme de 4 600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel, et aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 1er juillet 2021.
SUR CE, LA COUR,
A titre liminaire
La cour rappelle que l'article 954 du code de procédure civile oblige les parties à énoncer leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions et que la cour ne statue que sur celles-ci.
Par prétention, il faut entendre, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, une demande en justice tendant à ce qu'il soit tranché un point litigieux.
Par voie de conséquence, les « dire et juger » ne constituent pas des prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l'examen des griefs formulés contre le jugement et à la discussion des prétentions et moyens, pas dans le dispositif. La cour ne répondra de ce fait à de tels « dire et juger » qu'à condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée en appel et énoncée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif de son arrêt, mais dans ses motifs.
Sur les limites de l'appel
Il résulte des écritures susvisées que le jugement est querellé en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la SIAM de sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture.
Sur la prescription acquisitive
Moyens des parties
Poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à se voir déclarer propriétaire par l'effet de la prescription acquisitive trentenaire des parcelles E136 et [Cadastre 3], la SIAM fait valoir, au fondement des articles 2258, 2261 et 2272 du code civil, qu'elle occupe de manière continue, publique, paisible et non équivoque ces parcelles depuis 1970 a minima.
Au soutien de sa demande, elle verse aux débats vingt-huit attestations de voisins ou clients et plusieurs photographies aériennes prises entre 1975 et 2020. Elle fait valoir que les personnes ayant attesté ne peuvent se méprendre sur la localisation des parcelles litigieuses puisqu'est annexée à chaque attestation une photographie IGN sur laquelle ont été dessinées les parcelles litigieuses.
Elle précise que les parcelles E136 et [Cadastre 3] ont été utilisées pour entreposer du matériel, stationner des véhicules et qu'en 1997, elles ont été clôturées. Elle ajoute qu'à compter de 2000, des aménagements ont été effectués sur ces parcelles (pose d'une bâche géotextiles, plantation d'un talus bâché de végétaux, pose de balast sec et, en 2008, dépôt d'un enrobé de 200 mètres carrés pour aménager une plate-forme).
Elle estime avoir fait preuve de bonne foi en tentant d'approcher les véritables propriétaires, en 1985, afin d'acquérir les parcelles.
Elle conteste avoir voulu dissimuler à la commune la clôture des deux parcelles litigieuses aux motifs d'une part, que la mairie était parfaitement informée de cet état de fait puisqu'elle a convoqué la SIAM le 4 octobre 2016 et le 17 juillet 2017 pour tenter de solutionner ce différend, et d'autre part, que, n'étant pas propriétaire des parcelles, elle ne pouvait valablement les inclure dans sa déclaration de clôture.
Répliquant à la commune, elle considère que le rapport de M. [D], géomètre-expert, établit de manière non équivoque une occupation par elle des parcelles E136 et E137 depuis les années 1970.
Poursuivant la confirmation du jugement, la commune de [Localité 6] demande à la cour, au fondement des articles 2261 et 2272 du code civil, de débouter la SIAM de sa demande et, à titre reconventionnel, de confirmer le jugement en ce qu'il a enjoint à cette dernière de libérer les lieux.
Elle fait valoir tout d'abord que postérieurement à l'incorporation des parcelles E136 et E137 dans son domaine privé en 2015, elle a eu la surprise de constater que la SIAM les avait clôturées. Elle précise que le dossier de déclaration de clôture de cette dernière déposé le 2 mai 1997 comportait un plan de masse qui ne concernait pas les parcelles litigieuses, mais les parcelles E149 et E150 dont la SIAM était propriétaire et dont elle est, depuis 2006, locataire. Elle en conclut que la SIAM a dissimulé à la commune l'occupation des parcelles E136 et E137 qui n'était, de ce fait, ni publique ni dépourvue d'équivoque. La commune considère qu'elle a également dissimulé cette occupation au public, à destination de qui était affiché, sur le terrain et en mairie, l'arrêté de non-opposition du maire.
S'appuyant sur les photographies versées aux débats, elle soutient que ce n'est qu'après la construction du deuxième bâtiment, en 1987, que la SIAM, ayant perdu sur ses propres parcelles de la place pour entreposer du matériel, a commencé à occuper les parcelles litigieuses. Elle ajoute que ce n'est qu'à compter de 1988 que la parcelle E136, auparavant cultivée, a été occupée. Elle en déduit qu'entre 1987 et l'incorporation des parcelles au domaine privé de la commune par la délibération du 8 décembre 2015, un délai inférieur à 30 ans s'est écoulé de sorte que la SIAM ne peut se prévaloir de la prescription acquisitive.
En outre, elle considère que les attestations produites par l'appelante ne sont pas probantes car les personnes ayant attesté ont été influencées et induites en erreur par la photographie IGN, sur laquelle ont été dessiné les parcelles E136 et E137, jointe à l'attestation. Selon elle, en l'absence de bornes, il est impossible à l''il nu de distinguer la parcelle E[Cadastre 5] de la parcelle E136 qui lui est contigüe. Elle ajoute que l'échelle de la photographie (1/20798) ne permet pas de représenter les deux parcelles, qui font respectivement 8 et 14 mètres de large, puisqu'une telle échelle reviendrait à les représenter avec une largeur respective de 0,38 mm et 0.67 mm.
Par ailleurs, elle fait valoir que l'entrepôt ponctuel de matériel et de véhicules constituent des actes de pure faculté, et non des actes de propriété.
Elle conteste le rapport de M. [D], géomètre expert, aux motifs d'une part, qu'il n'est pas contradictoire, et d'autre part, qu'il n'est pas probant car il contient des reproductions de vue aériennes « sans échelle » et sans source, sur lesquelles ont été dessinées les parcelles litigieuses ce qui n'est pas possible sans établir une échelle de correspondance. Elle répond à l'expert, qui indique avoir travaillé à partir d'un plan de remembrement approuvé en 1953 et depuis lors intangible, que cette donnée est sans incidence sur le présent litige.
Elle ajoute que cette transposition est contredite par le cabinet EGETO, géomètre expert, requis par la commune, qui a travaillé sur des photographies à l'échelle 1/1000.
Elle en déduit que la possession utile de la SIAM n'est pas établie, qu'elle n'est ni publique ni dépourvue d'équivoque, et que la prescription trentenaire n'est pas acquise. Au fondement de l'article 544 du code civil, elle demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a enjoint à la SIAM de libérer les lieux et de déposer la clôture dans un délai de deux mois et, à défaut, ordonner son expulsion avec, si besoin, le concours de la force publique, ainsi que le transport et la séquestration des meubles aux risques et périls de cette dernière.
Appréciation de la cour
L'article 2258 du code civil dispose que la prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.
Selon l'article 2261 du même code, pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.
L'article 2272, alinéa 1er, du code civil précise que le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans.
L'usucapion est un mode d'acquisition de la propriété, par l'effet d'une possession trentenaire utile. Une possession n'est utile que si elle est véritable, impliquant le corpus et l'animus domini, qu'elle se fait à titre de véritable propriétaire, et qu'elle est exempte de vices (ni violente, ni clandestine, ni discontinue, ni équivoque).
Le corpus est l'élément fondamental de la possession et il appartient à celui qui invoque la prescription acquisitive de faire état d'actes matériels desquels on puisse déduire, de sa part, une prise de possession et l'intention d'exercer la possession conforme au droit invoqué.
Il revient donc au demandeur qui l'invoque de caractériser l'existence d'actes matériels de possession pour pouvoir utilement se prévaloir d'un usucapion, l'absence de vices ne suffisant pas. Ces actes de jouissance matériels invoqués doivent être suffisants dans leur intensité ou dans leur étendue.
Les faits de possession doivent également révéler, de façon explicite et certaine, que celui qui les accomplit se considère comme propriétaire. Les tiers ne doivent pas pouvoir se tromper et se demander à quel titre le possesseur agit.
Il sera ajouté que la preuve du droit de propriété est libre et que n'existe aucune hiérarchie entre les différentes preuves, bien qu'une possession trentenaire utile d'un fonds immobilier emporte généralement la conviction face à un titre contesté.
En l'espèce, ainsi que l'ont considéré les premiers juges, force est de constater qu'il résulte de l'analyse des pièces produites au soutien de l'existence de faits matériels de possession que ces derniers sont insuffisants.
En effet, le 29 juin 1985, la SIAM propose, par l'intermédiaire de son notaire, d'acquérir les parcelles litigieuses et s'adresse, par deux courriers notariés, aux anciens propriétaires en ces termes : « Vous êtes propriétaires sur la commune de [Localité 6] d'une parcelle de terre lieudit « [Localité 7] » cadastrée sous le numéro [Cadastre 2]/[Cadastre 3] pour une superficie de 640/1200 mètres carrés. Le propriétaire voisin, la société SIAM, marchand de matériel agricole, ayant l'intention d'agrandir ses bâtiments serait acquéreur de votre parcelle non pas pour construire mais pour servir à usage de parking. Je vous serai donc obligé de bien vouloir prendre contact avec moi le plus rapidement possible afin que nous puissions vous faire une proposition si vous êtes vendeur de votre parcelle » (pièce 5 SIAM). Cette démarche n'a pu aboutir car les courriers sont revenus « inconnu à l'adresse indiquée ». Il n'en demeure pas moins que les termes de ces courriers sont sans équivoque sur le fait que la SIAM a parfaitement conscience de n'être pas propriétaires de ces parcelles, de sorte que l'animus domini, condition de la prescription acquisitive, fait défaut.
Surabondamment, la cour constate que, dans sa déclaration de clôture déposée à la mairie le 2 mai 1997, la SIAM ne fait pas état des parcelles E136 et E137 qu'elle va pourtant clôturer avec ses propres parcelles E[Cadastre 4] et E150 (pièces 6 et 6bis de la commune). Dans ses conclusions (p.13), elle tire d'ailleurs argument du fait que n'étant pas propriétaire, elle ne pouvait inclure les parcelles litigieuses dans le plan de masse annexé à sa déclaration de clôture. Il s'ensuit que la SIAM a dissimulé à la mairie l'occupation des parcelles litigieuses, de sorte que sa possession n'est ni publique ni dépourvue d'équivoque.
Les capture d'écrans extraites des photographies IGN versées aux débats par la SIAM sont d'échelles variables et les parcelles litigieuses ne sont pas identifiées de sorte qu'elles ne permettent pas une appréciation rigoureuse de leur occupation (pièce 14 SIAM). L'examen de ces photographies permet toutefois de constater que, sur la zone qui semble correspondre aux parcelles litigieuses, le premier cliché sur lequel apparaît la présence de matériel et/ou de véhicules datent du 10 juillet 1987 (pièce 14-7). Cette date correspond à la construction d'un deuxième hangar par la SIAM sur sa parcelle E150, de sorte qu'il est très probable que la SIAM a souhaité compenser cette perte d'espace de stockage extérieur en occupant la parcelle E136 contigüe. C'est ce cliché qui est joint à l'ensemble des attestations produites par la SIAM. Ainsi que l'a exactement constaté le tribunal, la portée de ces témoignages doit être relativisée puisqu'aucune attestation, à l'exception de cette de M. [Z] (pièce 13-9), ne précise comment son auteur pouvait savoir, lors de son passage sur le site de la SIAM ou à proximité, que le matériel agricole stocké l'était sur les parcelles litigieuses (pièces 13-1 à 13-28). Cette seule attestation n'apparaît donc pas suffisante, compte tenu en outre des autres éléments antérieurement analysés, pour emporter la conviction de la cour sur l'existence d'une possession acquisitive utile.
Au surplus, le rapport de M. [D], géomètre expert mandaté par la SIAM, conclut qu'« il est évident que l'occupation des parcelles E136 et E137 par la SIAM est permanent depuis au moins 38 ans ». Cependant, force est de constater que les agrandissements de photographies IGN sur lesquels il a travaillé sont « sans échelle », les parcelles de la SIAM y sont à peine visibles et sont totalement inexploitables (pièces 19-1 et 24 SIAM). Les photographies produites par M. [D] en pièce 20 sont inopérantes puisqu'elles datent de 2019 et 2020 et sont postérieures à l'incorporation des parcelles par la commune (pièces 20 et 23 SIAM). Il résulte de ces éléments que ce rapport n'est pas probant.
Les photographies datées de 1990, 2008, 2011 et 2012 produites par la SIAM ne permettent pas d'identifier les parcelles litigieuses et ne sont, de ce fait, pas davantage probantes (pièces 22-2 et 22-3, 23-1 à 23-4 SIAM).
A l'inverse, il résulte de la superposition du plan cadastral et des deux photographies aériennes datant du 18 janvier 1982 et du 24 avril 1984 effectuée à l'échelle 1/1000 par le cabinet EGETO, géomètre expert mandaté par la commune, qu'à ces dates, la parcelle E137 est totalement inoccupée et que la parcelle E136 semble être partiellement recouverte d'arbres avec quelques véhicules stationnés, sans que ce stationnement ne constitue un acte matériel de propriété (pièces 9, 10 et 11 commune).
Il est donc établi que ce n'est qu'à compter de 1987 que la SIAM a commencé à y entreposer du matériel et des véhicules. Ses productions démontrent en outre qu'à compter de 1997, elle a clôturé les parcelles et procédé à des aménagements, constitutifs d'actes matériels de propriété (pièces 21 à 21-19).
Cependant, comme démontré précédemment, la SIAM savait qu'elle n'était pas propriétaire des parcelles litigieuses de sorte qu'en l'absence d'animus domini la prescription acquisitive ne peut être constituée.
Au surplus, il s'est écoulé un délai inférieur à 30 ans entre le 10 juillet 1987 et la publication au service de la publicité foncière le 17 mai 2016 de la délibération du conseil municipal ayant autorisé l'incorporation des parcelles au domaine privé de la commune.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande de la SIAM et, par voie de conséquence, l'a enjointe de libérer les lieux et de déposer la clôture dans un délai de deux mois et, à défaut, ordonné son expulsion avec, si besoin, le concours de la force publique, ainsi que le transport et la séquestration des meubles aux risques et périls de cette dernière.
Le jugement sera dès lors confirmé sur ces points.
Sur la publication de l'arrêt
Il appartient à la commune de [Localité 6], le cas échéant, de faire publier la présente décision auprès du service de la publicité foncière si elle l'estime utile. Sa demande sur ce point sera rejetée.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement qui a exactement statué sur les frais irrépétibles et les dépens sera confirmé.
Partie perdante, la SIAM sera condamnée aux dépens d'appel. Sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera par conséquent rejetée.
Elle sera en outre condamné à verser à la commune de [Localité 6] la somme de 4600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la Société Industrielle et Agricole Mantaise à verser à la commune de [Localité 6] la somme de 4600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la Société Industrielle et Agricole Mantaise aux dépens d'appel ;
REJETTE toutes autres demandes.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,