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16/03/2023 | FRANCE | N°22/05305

France | France, Cour d'appel de Versailles, 14e chambre, 16 mars 2023, 22/05305


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 54Z



14e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 16 MARS 2023



N° RG 22/05305 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VL6A



AFFAIRE :



S.A.S. LA TRILOGIE





C/

S.A.S. CRIABAT 28

...







Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 15 Décembre 2021 par le Tribunal de Commerce de Chartres

N° RG : 2021R00046



Expéditions exécutoires

Exp

éditions

Copies

délivrées le : 16.03.2023

à :



Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES



Me Véronique BUQUET-ROUSSEL, avocat au barreau de VERSAILLES,



Me Virginie COYAC GERBET, avocat au barreau de CHARTRES



RÉPUBLIQUE FRANÇA...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 54Z

14e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 MARS 2023

N° RG 22/05305 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VL6A

AFFAIRE :

S.A.S. LA TRILOGIE

C/

S.A.S. CRIABAT 28

...

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 15 Décembre 2021 par le Tribunal de Commerce de Chartres

N° RG : 2021R00046

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 16.03.2023

à :

Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Véronique BUQUET-ROUSSEL, avocat au barreau de VERSAILLES,

Me Virginie COYAC GERBET, avocat au barreau de CHARTRES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. LA TRILOGIE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 8]

[Localité 2]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627

Ayant pour avocat plaidant Me Karim CHAHINE, au barreau de Paris

APPELANTE

****************

S.A.S. CRIABAT 28

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

N° SIRET : 844 14 8 5 85 (rcs Evry)

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentant : Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462

Ayant pour avocat plaidant Me Stéphane BULTEZ, au barreau de Paris

S.A.S. MAITRIZ & CO

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

N° SIRET : 810 38 2 9 11

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Virginie COYAC GERBET de la SCP CABINET GERBET AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000018

Ayant pour avocat plaidant Me Alexis LEGENS, au barreau de Paris

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 25 Janvier 2023, Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de président,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

Madame Marietta CHAUMET, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI

EXPOSE DU LITIGE

La société La Trilogie a été immatriculée le 1er février 2017 par Mme [G] [W], qui en est l'associée unique.

Mme [W] a constitué la société La Trilogie en vue d'exercer une activité de gestion hôtelière et d'exploitation du gîte touristique dans un bien situé à [Adresse 9] (ci-après le « Domaine du Parc ») dont elle est devenue propriétaire par l'effet d'un partage successoral intervenu en 2016.

L'immeuble nécessitant d'importants travaux de rénovation, la société La Trilogie a signé avec la société Maitriz&Co un contrat de maîtrise d''uvre le 22 novembre 2019.

Pour la réalisation des travaux de démolition-gros 'uvre et « aménagement » du gîte touristique, la société Maitriz&Co a recommandé à la société La Trilogie la société Criabat 28. Un marché de travaux a été signé le 2 décembre 2019 entre la société La Trilogie et la société Criabat 28.

Par acte d'huissier de justice délivré le 19 août 2021, la société Criabat 28 a fait assigner en référé la société La Trilogie et la société Maitriz&Co aux fins d'obtenir principalement de :

- condamner la société La Trilogie à lui payer la somme de 522 678,45 euros HT soit 627 214,14 euros TTC,

- condamner la société La Trilogie à fournir à la société Criabat 28 une caution bancaire du montant de ladite somme en attendant le paiement effectif de celle-ci et ce sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour à compter de l'ordonnance à intervenir et ce, pendant 100 jours,

- déclarer commune 1'ordonnance à intervenir à la société Maitriz&Co,

- enjoindre à la société Maitriz&Co à communiquer la vérification de la situation de la société Criabat 28 de mars 2021,

- condamner la société La Trilogie à lui payer la somme de 7 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société La Trilogie aux entiers dépens.

Par ordonnance contradictoire rendue le 15 décembre 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Chartres a :

- condamné la société La Trilogie à payer par provision à la société Criabat 28 la somme de 788 886,44 euros TTC au titre des factures impayées,

- condamné la société La Trilogie à fournir à la société Criabat 28 une caution financière d'un montant de 788 886,44 euros en attendant le paiement effectif de la condamnation par provision sus-énoncée, sous astreinte de 500 euros par jour à compter de la signification de la décision, et ce pour les 100 jours qui suivront,

- s'est réservé la liquidation de ladite astreinte,

- désigné Mme [J] [K], expert judiciaire demeurant [Adresse 4], avec pour mission de :

- se rendre sur les lieux,

- se faire communiquer tous documents et pièces utiles à l'accomplissement de sa mission,

- entendre tout sachant,

- décrire précisément les désordres et malfaçons allégués, les éventuelles non-conformités et inachèvements,

- déterminer l'origine, l'étendue et la cause des désordres allégués,

- dire si les désordres constatés atteignent la solidité, l'habilité, l'esthétique de l'ouvrage et le rendent impropre à sa destination,

- rechercher si les désordres proviennent soit d'une non-conformité aux documents contractuels ou aux règles de l'art, soit d'une exécution défectueuse,

- déterminer les responsabilités de chacun des intervenants sur l'apparition des désordres,

- fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer les responsabilités encourues et d'évaluer s'il y a lieu les préjudices et coûts induits par les désordres, malfaçons, inachèvements et non-conformités,

- préconiser les travaux nécessaires pour remédier aux désordres, en chiffrer les coûts et leur délai d'exécution,

- en cas d'urgence reconnue par l'expert, autoriser le maître d'ouvrage à faire exécuter à ses frais avancés, pour le compte de qui il appartiendra, les travaux estimés indispensables par l'expert, ces travaux étant dirigés par le maître d'oeuvre du choix du demandeur et par les entreprises qualifiées de son choix, sous le constat de bonne fin de l'expert, lequel dans ce cas déposera un pré-rapport précisant la nature et l'importance de ces travaux, lequel sera soumis à toutes les parties en leur impartissant un délai pour présenter leurs dires et y répondre,

- faire le compte entre les parties,

- faire toutes les observations utiles pour le règlement du litige,

- dit que l'expert devra, lors de l'établissement de sa première note aux parties, indiquer les pièces nécessaires à sa mission, fixer le calendrier de ses opérations et le coût prévisionnel de sa mission,

- dit que l'expert devra déposer sa note de synthèse au plus tard le 31 mai 2021 et que les parties devront adresser leurs dires récapitulatifs au plus tard le 15 juillet 2022,

- dit que l'expert devra déposer au greffe du tribunal le rapport de ses opérations au plus tard le 30 septembre 2022,

- dit qu'avant d'accepter sa mission, l'expert désigné pourra consulter au greffe du tribunal les dossiers des parties par application des dispositions de l'article 268, alinéa 1 du code de procédure civile,

- dit que par application des dispositions de l'article 278 du code de procédure civile, l'expert désigné pourra s'adjoindre tel spécialiste de son choix, dans une discipline distincte de la sienne, si besoin est,

- dit que l'expert devra commencer ses opérations à compter du jour où il aura fait connaître au greffe l'acceptation de sa mission, et dès que la consignation de la provision à valoir sur sa rémunération aura été versée entre les mains de M. le greffier du tribunal, conformément aux dispositions de l'article 267 du code de procédure civile,

- dit que l'expert devra informer ce tribunal de l'avancement de ses opérations,

- dit qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert désigné, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur simple requête,

- fixé à 6 000 euros, le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, que la société La Trilogie, demanderesse à l'expertise, devra consigner au greffe au plus tard le 15 janvier 2022,

- dit qu'il pourra être ordonné la consignation d'une provision complémentaire si la provision initiale devient insuffisante conformément aux dispositions de l'article 280, alinéa 2 du code de procédure civile,

- dit qu'à défaut de consignation dans le délai imparti, le tribunal invitera les parties à fournir leurs explications et s'il y a lieu ordonnera la poursuite de l'instance, ce par application des dispositions de l'article 271 du code de procédure civile,

- dit que par application des dispositions de l'article 240 du code de procédure civile, l'expert n'a pas pour mission de concilier les parties,

- dit que par application des dispositions de l'article 281 du code de procédure civile, si en cours d'expertise, les parties viennent à se concilier d'elles-mêmes, l'expert constatera que sa mission est devenue sans objet et il en fera rapport au tribunal,

- condamné la société La Trilogie à payer à la société Maitriz&Co la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société La Trilogie à payer à la société Criabat 28 la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné la société La Trilogie aux entiers dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 27 décembre 2021, la société La Trilogie a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 19 décembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société La Trilogie demande à la cour, au visa des articles 16, 455, 563, 564 et 873 du code de procédure civile, 1128, 1137, 1139, 1145, 1156, 1162 et 1178 du code civil, 434-30-1 du code pénal et L. 653-8 et L. 654-15 du code de commerce, de :

'- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le tribunal de commerce de Chartres en date du 15 décembre 2021 ;

et, statuant à nouveau :

- juger n'y avoir lieu à référé ;

en tout état de cause :

- débouter la société Criabat 28 et la société Maitriz&Co de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- relever d'office l'irrecevabilité des demandes d'expertise formées par la société Criabat 28 et la société Maitriz&Co ;

- condamner solidairement la société Criabat 28 et la société Maitriz&Co à payer à la société La Trilogie 5 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens'.

Dans ses dernières conclusions déposées le 25 novembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Criabat 28 demande à la cour, au visa des articles 145, 272 et 873 alinéa 2 du code de procédure civile, de :

'- confirmer en tous points l'ordonnance rendue le 15 décembre 2021 par le tribunal de commerce de Chartres ;

- ordonner une nouvelle expertise confiée à tel expert au choix de la cour, voire également à nouveau à Mme [J] [K], avec mission identique à celle qui lui a été confiée par le président du tribunal de commerce de Chartres à charge de consignation pour la société Criabat 28 et la société Maitriz&Co ;

- condamner la société La Trilogie à payer à la société Criabat 28 la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société La Trilogie aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés par Maître Véronique Buquet-Roussel, Avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile'.

Dans ses dernières conclusions déposées le 24 novembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Maitriz&Co demande à la cour, au visa des articles 145, 271, 280 et 873 du code de procédure civile, de :

'- juger la société Maitriz&Co recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;

- juger la société La Trilogie irrecevable et mal fondée en sa demande tendant à l'infirmation de l'expertise judiciaire ordonnée par le premier juge ;

- à titre subsidiaire, ordonner une nouvelle expertise confiée à tel expert au choix de la cour voire également à nouveau à Madame [K], avec une mission identique à celle qui lui était confiée par le tribunal de commerce de Chartres, à charge de consignation pour la société Criabat 28 et la société Maitriz&Co ;

- statuer ce que de droit sur les contestations de la société La Trilogie concernant les condamnations provisionnelles de l'ordonnance de référé du 15 décembre 2021 au profit de la

société Criabat 28 ;

- juger la société La Trilogie mal fondée en sa demande de condamnation dirigée contre la société Maitriz&Co au titre de l'article 700 du code de procédure civile, notamment en ce qu'elle a finalement refusé d'entrer en médiation suite au jugement du tribunal de commerce de Chartres du 5 octobre 2022 ;

- condamner la société La Trilogie à verser à la société Maitriz&Co la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens'.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de provision

La société La Trilogie expose au soutien de son appel que la demande de provision formée par la société Criabat 28 se heurte à plusieurs contestations sérieuses.

Elle indique en premier lieu que l'obligation de paiement invoquée est fondée sur un contrat et 8 avenants conclus entre le 2 décembre 2019 et le 6 octobre 2020, qui sont entachés de nullité puisque conclus par M. [P] [H] qui était sous le coup d'une interdiction de gérer.

Faisant valoir sur ce point que M. [P] [H] et la société Criabat 28 lui ont menti en déclarant dans le contrat du 2 décembre 2019 que le signataire n'avait jamais fait l'objet d'une interdiction de gérer, l'appelante qualifie cette circonstance de dol puisque c'est selon elle au moyen de mensonges et de manoeuvres que son consentement a été obtenu.

La société La Trilogie invoque ensuite le défaut de capacité de la société Criabat 28 à contracter le marché de travaux, dès lors qu'elle était représentée par une personne frappée d'une interdiction de gérer qui n'avait ni la capacité ni le pouvoir d'engager et de représenter la société.

Enfin, elle soutient qu'est illicite et déroge à l'ordre public le marché de travaux conclu et dirigé par une personne frappée d'une interdiction de gérer.

En deuxième lieu, la société La Trilogie fait valoir que l'obligation de paiement dont se prévaut la société Criabat 28 est fondée sur des avenants dont l'authenticité est sérieusement contestée puisqu'elle verse aux débats un rapport d'expertise qui démontre qu'au moins 2 avenants sont des faux, exposant avoir déposé plainte pour faux et usage de faux le 10 novembre 2021.

Elle conteste également l'authenticité de l'attestation du 3 janvier 2021 produite par la société Criabat 28 et indique avoir déposé un complément de plainte de ce chef.

Comme troisième contestation sérieuse, la société La Trilogie soutient que la société Criabat se prévaut d'une parfaite réalisation du marché alors que la date de livraison mentionnée sur les factures est postérieure à la date d'abandon des travaux par celle-ci et que plusieurs éléments démontrent l'existence de malfaçons et de désordres dans les travaux.

La société La Trilogie conclut ensuite à l'infirmation de la décision querellée pour deux motifs tenant au déroulement de la procédure en première instance : elle soutient d'abord que le premier juge a statué sans disposer de ses pièces alors qu'elles avaient été régulièrement communiquées, et sans inviter les parties à s'expliquer sur l'absence de ces pièces, au mépris des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile.

Elle expose ensuite que le juge des référés a violé l'article 455 du code de procédure civile en n'exposant pas ses prétentions et moyens et en ne visant pas ses dernières conclusions.

La société Criabat 28 soutient en réponse que les éléments contractuels démontrent l'évidence de la facturation et que ces factures ont été intégrées au sein du bilan de la société La Trilogie.

Elle conteste les arguments liés à l'authenticité des avenants, affirmant que le premier juge a sollicité les originaux des avenants et que l'intervention du graphologue concerne un autre contrat.

Arguant de la reconnaissance par l'expert de la réalité des travaux réalisés et de la quasi-absence de désordres, l'intimée fait valoir qu'est inopérante la problématique de l'interdiction de gérer de M. [P] [H], qui est salarié de la société Criabat 28, missionné par le dirigeant de la société, outre que cette interdiction de gérer est aujourd'hui levée.

Elle conclut à la confirmation de l'ordonnance déférée en ce qu'elle a condamné la société La Trilogie à lui verser une provision de 788 886, 44 euros.

La société Maitriz & Co expose s'en remettre sur cette demande puisque les sommes ne lui sont pas destinées mais confirme l'importance des travaux réalisés sur place par la société Criabat 28 et l'accord de la société La Trilogie sur l'augmentation importante du marché initial et la réalisation de prestations complémentaires.

Sur ce,

A titre préalable, il convient de dire que les moyens de la société La Trilogie tirés de l'irrégularité de la procédure de première instance seraient de nature, à les supposer établis, à justifier l'annulation de la décision, ce qui n'est pas sollicité dans le dispositif des conclusions de l'appelante, seule l'infirmation étant demandée.

Aux termes de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce, statuant en référé, peut dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.

Ce texte impose donc au juge une condition essentielle avant de pouvoir accorder une provision, celle de rechercher si l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

Il sera retenu qu'une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

À l'inverse, sera écartée une contestation qui serait à l'évidence superficielle ou artificielle et la cour est tenue d'appliquer les clauses claires du contrat qui lui est soumis, si aucune interprétation n'en est nécessaire. Le montant de la provision allouée n'a alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

En application des dispositions de l'article 1156 du code civil 'l'acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté. Lorsqu'il ignorait que l'acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité'.

L'article 1160 du même code dispose que 'les pouvoirs du représentant cessent s'il est atteint d'une incapacité ou frappé d'une interdiction'.

En l'espèce, la société La Trilogie justifie que, en vertu d'un jugement du tribunal de commerce de Chartres rendu le 10 février 2009, M. [P] [H] a été interdit de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commercial ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pendant 15 ans, cette interdiction ayant été publiée au BODACC le 5 mars 2009.

Or le marché de travaux conclu entre la société La Trilogie et la société Criabat 28 le 2 décembre 2019 mentionne que l'entrepreneur est représenté par M. [P] [H] 'dûment habilité à signer les documents contractuels agissant en qualité de représentant légal'. Tous les avenants postérieurs comportent la même mention.

La société Criabat 28 verse aux débats un 'pouvoir' daté du 18 novembre 2019 qui indique que le président de la société donne pouvoir à M. [H] 'en qualité de directeur de l'agence de [Localité 7], afin de prendre part, au nom et pour le compte de la société Criabat 28 à toutes soumissions et toutes délibérations ainsi qu'à prendre toutes décisions concernant lesdites soumissions engageant la société Criabat 28 pour la réalisation des travaux de notre ressort dans le cadre du marché de travaux du Domaine du parc à [Localité 10]'.

Outre que le contrat de travail de M. [H] n'est pas produit et qu'il n'est donc pas démontré qu'il aurait été salarié de l'intimée, il convient de rappeler qu'une personne qui fait l'objet d'une mesure d'interdiction de gérer ne peut, ni statutairement ni par délégation de pouvoirs, accomplir des actes de gestion d'une société (Crim. 22 août 2018, 17-83.966).

Dès lors il convient de dire que la contestation par la société La Trilogie de la validité du contrat du 2 décembre 2019, motif pris de l'impossibilité pour la société Criabat 28 de donner une délégation de pouvoirs à M. [H], est sérieuse et, partant, doit également être qualifiée de sérieuse la contestation relative au paiement des sommes dues en vertu de ce contrat.

Il sera donc dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision formée par la société Criabat 28 et l'ordonnance querellée sera infirmée de ce chef.

Sur la demande d'expertise

La société Criabat 28 expose que la société La Trilogie, qui était demanderesse à l'expertise, est donc irrecevable à interjeter appel de cette mesure.

Elle sollicite en conséquence la confirmation de la désignation de l'expert et, au regard du dépôt en l'état pour défaut de consignation par l'appelante, demande que soit ordonnée une nouvelle expertise avec une mission identique à la précédente, à la charge de la société La Trilogie ou à défaut des sociétés Maitriz& Co et Criabat 28.

La société Maitriz & Co expose que la société La Trilogie est mal fondée à contester cette mesure puisque l'expert a déposé son rapport en l'état.

Elle rappelle que l'expertise avait été demandée par la société La Trilogie, qui a ensuite fait obstacle à sa réalisation en refusant de verser la provision complémentaire demandée par l'expert et en l'empêchant de se rendre sur les lieux lors de la 2ème réunion.

Elle indique qu'il serait opportun d'organiser une nouvelle expertise pour compléter et terminer celle initialement ordonnée, fait valoir qu'une autre expertise a été décidée parallèlement par le tribunal judiciaire de Chartres sur un autre point litigieux du dossier.

Sur cette demande d'expertise, la société La Trilogie affirme qu'elle est irrecevable comme nouvelle en appel, qu'elle est contradictoire puisqu'elle implique que l'intimée reconnaît elle-même qu'il existe une contestation sérieuse quant à sa demande de provision et qu'elle est infondée, l'expert désigné par l'ordonnance querellée ayant déposé son rapport le 29 juin 2022.

Elle conclut à l'infirmation totale de l'ordonnance attaquée.

Sur ce,

Sur la recevabilité de la demande d'infirmation formée par la société La Trilogie

En vertu des dispositions de l'article 546 du code de procédure civile, le droit d'appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n'y a pas renoncé.

En application des articles 561 et 562 du même code, l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit et défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

Dès lors que la société La Trilogie avait intérêt à interjeter appel de l'ordonnance querellée en ce qu'elle l'avait condamnée au paiement d'une provision, elle doit également être déclarée recevable, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, à contester la désignation de l'expert dès lors qu'elle a précisé dans sa déclaration d'appel que ce chef de jugement était critiqué.

Sur l'infirmation de la demande d'expertise ordonnée par le premier juge

Selon l'article 145 du code de procédure civile, 's'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.

L'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constaté qu'il existe un procès non manifestement voué à l'échec au regard des moyens soulevés par les défendeurs, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée.

Il résulte de l'article 145 que le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est destinée à les établir, mais qu'il doit justifier d'éléments rendant crédibles les griefs allégués.

En l'espèce, il convient de constater que, si la société La trilogie sollicite dans le dispositif de ses conclusions l'infirmation totale de la décision attaquée, elle n'indique pas dans leur motivation en quoi cette mesure d'expertise était injustifiée, indiquant 'l'expertise ordonnée par le juge des référés est clôturée et a donné lieu au dépôt d'un rapport le 29 juin 2022.'

En application du 3e alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion, de sorte qu'à défaut de moyens en l'espèce, la cour n'est pas valablement saisie de la demande d'infirmation.

Aucune autre partie ne sollicitant l'infirmation de l'ordonnance litigieuse en ce qu'elle avait ordonné une expertise, celle-ci sera confirmée de ce chef.

Sur les demandes d'expertise formées par les société Criabat 28 et Maitriz & Co

Dès lors d'une part que l'expertise a eu lieu, au moins en partie, et d'autre part que la société Maitriz & Co indique qu'une autre expertise est actuellement en cours entre les parties , il y a lieu de dire que les sociétés Criabat 28 et Maitriz & Co ne justifient pas en l'état d'un motif légitime à ordonner une nouvelle expertise. Leurs demandes en ce sens seront donc rejetées.

sur les demandes accessoires

L'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Criabat 28 ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens de première instance et d'appel avec application au profit des avocats qui le demandent des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dès lors qu'elle ne forme une demande que contre la société La Trilogies, il n'est pas inéquitable de laisser à la société Maitriz & Co les frais irrépétibles qu'elle a engagés.

Il est en revanche inéquitable de laisser à la charge de la société La Trilogie la charge des frais irrépétibles exposés. La société Criabat 28 sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a ordonné une expertise judiciaire ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision formée par la société Criabat 28 ;

Rejette la demande de nouvelle expertise formée par les sociétés Criabat 28 et Maitriz & Co ;

Rejette le surplus des demandes ;

Condamne la société Criabat 28 à verser à la société La Trilogie la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Criabat 28 aux dépens de première instance et d'appel avec application au profit des avocats qui le demandent des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de président, et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 14e chambre
Numéro d'arrêt : 22/05305
Date de la décision : 16/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-16;22.05305 ?
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