COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
Code nac : 26F
DU 14 MARS 2023
N° RG 22/02261
N° Portalis DBV3-V-B7G-VDPY
AFFAIRE :
[E], [A] [X]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Février 2022 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 21/05202
Expéditions exécutoires
Expéditions
délivrées le :
à :
-[E], [A] [X],
-Me Cindy FOUTEL,
-[P] [I],
-Parquet
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 07 mars 2023, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Madame [E], [A] [X]
née le 18 Avril 1968 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Cindy FOUTEL, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 754
Me Pascal POLERE, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : C 1548
APPELANTE
***
En la présence de :
Monsieur [P] [I]
[Adresse 1]
[Localité 5]
***
LE PROCUREUR GENERAL
COUR D'APPEL DE VERSAILLES
[Adresse 3]
[Localité 4]
pris en la personne de Mme MOREAU, Avocat Général
PARTIE JOINTE
*********************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, en présence du ministère public, l'affaire a été débattue le 28 Novembre 2022 en chambre du conseil, l'avocat de la partie ne s'y étant pas opposé, devant Madame Anna MANES, Présidente et Madame Sixtine DU CREST, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
M. [P] [I] est né le 3 février 1979 de [S] [I]. Il a été reconnu par [L] [U], compagnon de sa mère, le 11 septembre 1990. Ses deux parents sont aujourd'hui décédés.
Par requête reçue le 15 juin 2021, Mme [E] [X], née le 18 avril 1968, demande que soit prononcée à son profit l'adoption simple de M. [P] [I]. Au soutien de sa demande, elle expose que M. [I] est le fils biologique de M. [O] [X], qui se trouve être son demi-frère, issu d'une première union de son père, M. [K] [X]. Elle ajoute que son demi-frère n'a jamais reconnu M. [I], mais que ce dernier était régulièrement accueilli, en sa présence, chez M. [K] [X] qui le considérait comme son petit-fils. Elle précise avoir profondément inscrit dans sa mémoire la peine et la blessure de son père, voyant que M. [I] ne portait pas son nom de famille. Elle indique avoir toujours été très proche de son neveu et avoir tissé avec lui des liens forts. Elle explique avoir envisagé l'adoption de M. [I] au décès de sa mère, et ajoute que celui-ci a accueilli avec joie et émotion ce projet.
Les parties ont consenti devant notaire à cette adoption le 29 décembre 2020.
Par jugement contradictoire rendu le 15 février 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a rejeté la requête aux fins d'adoption simple de M. [P] [I] par Mme [X], et laissé les dépens à la charge de la requérante.
Mme [X] a interjeté appel de ce jugement le 3 mars 2022.
Par conclusions notifiées le 14 novembre 2022, Mme [X] demande à la cour, au fondement des articles 360 et suivants du code civil, de :
- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- Prononcer, avec toutes ses conséquences de droit, l'adoption simple de M. [P] [I] né le 3 février 1979 à [Localité 7] (Haute-Vienne) par elle,
- Conférer son nom à l'adopté et dire qu'en conséquence l'adopté s'appellera désormais [P] [H] [X],
- Ordonner la mention de la décision à intervenir prononçant l'adoption simple en marge de l'acte de naissance de l'adopté sur les registres de l'état civil, à la requête du procureur de la République en application de l'article 362 du code civil,
- Ordonner également la mention du jugement à intervenir en marge de l'acte de naissance des
enfants de l'adopté et de son épouse, sur les registres de l'état civil,
- Laisser les dépens à la charge du trésor public.
Par un unique avis notifié le 10 novembre 2022, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement entrepris.
A l'audience, Mme [E] [X] indique être célibataire et sans enfant et confirme entretenir des liens forts, en dépit de la distance géographique, avec M. [P] [I] et ses filles.
M. [P] [I] a précisé avoir été très touché de cette démarche et a fait état de liens anciens, expliquant avoir partagé des choses avec ses grands-parents et avec Mme [E] [X] qu'il n'a pas partagées avec d'autres. Il a précisé que, de son vivant, il parlait moins à sa mère et a fait état de liens très distants avec son père biologique (" un mail par an "). Il a ajouté que Mme [E] [X] avait joué le rôle que sa mère n'avait pas eu, et le rôle de son père. Il a précisé qu'il n'avait pas connaissance avant la procédure de ce que M. [U] l'avait reconnu.
SUR CE, LA COUR,
Sur la demande d'adoption simple
Moyens des parties
Poursuivant l'infirmation du jugement et le prononcé de l'adoption de M. [P] [I], Mme [E] [X] fait valoir, au fondement de l'article 344 du code civil, que de justes motifs expliquent sa volonté d'adopter son neveu.
Reprenant les termes de l'article 364 du code civil, elle conteste les motifs du jugement selon lesquels l'adoption simple entraînerait une rupture avec la famille biologique, et précise que M. [O] [X], son demi-frère, n'a pas reconnu [P] et qu'ils n'entretiennent que peu de rapports. Elle ajoute qu'il n'a gardé que des liens très distendus, voire absents, avec la famille de sa défunte mère depuis son décès.
Elle fait valoir que sa démarche a pour but de protéger un adulte envers lequel elle nourrit un lien d'affection particulière, par l'instauration d'un lien de filiation. Elle ajoute que le tribunal s'est mépris en ne recherchant pas si cette adoption avait un intérêt conforme à la finalité de l'institution.
Selon elle, le jugement a ajouté à la loi en motivant sa décision de rejet par le fait que sa démarche d'adoption n'aurait pas été portée à la connaissance de M. [O] [X] et par le fait qu'elle n'assurait pas la prise en charge matérielle de l'adopté. Elle ajoute que le fait que M. [P] [I] l'appelle par son prénom ne signifie pas qu'il n'y aurait pas de rapport filial.
Contestant l'existence d'un détournement de procédure, elle soutient que le fait que l'adopté prenne le nom de [X] est une conséquence de l'adoption et non sa motivation et qu'il s'agit d'officialiser des liens affectifs réels et anciens. Elle verse aux débats plusieurs attestations visant à caractériser les liens étroits entre l'adoptant et l'adopté.
Enfin, elle affirme qu'un changement de nom n'est pas contraire à l'intérêt des enfants de M. [P] [I].
Poursuivant la confirmation du jugement, le ministère public réplique que les justes motifs exigés par l'article 344 du code civil lorsque l'adoptant et l'adopté ont moins de 15 ans d'écart, ne sont pas démontrés.
Il fait valoir que le projet de Mme [X] a pour objet de faire entrer l'adopté dans sa supposée famille paternelle et à lui donner sa place que son géniteur aurait toujours refusé de lui donner, sans que ni l'adoptante ni l'adopté n'aient tenu à informer les membres de leur famille respective de leur démarche.
Le ministère public soutient que Mme [X] n'établit pas avoir créé un lien de nature filiale avec [P] [I], même après le décès de la mère de ce dernier.
Il ajoute enfin qu'il n'apparaît pas de l'intérêt des filles mineurs de [P] [I], nées en 2010 et 2014, de se voir imposer un changement de nom.
Appréciation de la cour
L'article 344 du code civil dans sa version applicable au litige (devenu article 347 depuis le 1er janvier 2023), dispose que les adoptants doivent avoir quinze ans de plus que les enfants qu'ils se proposent d'adopter. Si ces derniers sont les enfants de leur conjoint, la différence d'âge exigée n'est que de dix ans.
Toutefois, le tribunal peut, s'il y a de justes motifs, prononcer l'adoption lorsque la différence d'âge est inférieure à celles que prévoit l'alinéa précédent.
Selon l'article 361 du code civil, dans sa version applicable au litige, les dispositions des articles 343 à 344, du dernier alinéa de l'article 345, des articles 346 à 350, 353, 353-1, 353-2, 355 et du dernier alinéa de l'article 357 sont applicables à l'adoption simple.
L'article 364 du même code, dans sa version applicable au litige, précise que l'adopté reste dans sa famille d'origine et y conserve tous ses droits, notamment ses droits héréditaires. Les prohibitions au mariage prévues aux articles 161 à 164 du présent code s'appliquent entre l'adopté et sa famille d'origine.
En l'espèce, s'il est incontestable que des liens d'affection forts et particuliers unissent Mme [E] [X] et M. [P] [I] ainsi qu'en attestent notamment les amies de cette dernière (pièces 26, 27, 32 et 33), force est de constater que les conditions de l'adoption simple ne sont pas réunies.
Il est établi par les photographies versées aux débats et les attestations de la famille que M. [P] [I] a entretenu des liens, depuis son enfance, avec M. [K] [X] - père de M. [O] [X] qui serait son père biologique, et de Mme [E] [X] l'appelante - et avec son épouse (pièce 16).
Cette situation est particulière au sens où M. [P] [I] a entretenu des liens d'affection forts et réguliers depuis son enfance avec les parents et la demi-soeur de celui qui serait son père biologique. En d'autres termes, selon ses déclarations à l'audience, il a entretenu des liens forts avec " ses grands-parents de [Localité 8] " et " [E] ".
Toutefois, il résulte des productions et de l'audience que la démarche de Mme [E] [X] vise à réparer une situation de souffrance et d'absence, et non à officialiser une relation de filiation mère/enfant déjà existante. Si cette démarche est louable et légitime, elle ne peut juridiquement revêtir la forme d'une adoption simple.
En effet, dans la pièce 15, Mme [E] [X] écrit : " Cet acte [le fait que M. [O] [X] n'est pas reconnu M. [P] [I]] a profondément blessé mon père [K] [X] qui était un homme de devoir. [P] est son premier petit-fils et mon premier neveu ". Elle ajoute qu'après le décès de [S] [I], la mère de M. [P] [I], " j'ai immédiatement pensé adopter [P] car ce fut comme une évidence de lui offrir cette reconnaissance pour qu'il porte le nom [X] " (pièce 15).
Il en résulte que sa démarche a bien pour objet de pallier à une absence de filiation paternelle biologique.
Cette volonté de réparation ressort également de plusieurs attestations des amis et de la famille (pièce 22 attestation de Mme [G] épouse [J] " [E] a toujours été là pour [P] et a joué, en quelque sorte, ce rôle de père qu'il n'a jamais eu malgré la distance " ; pièce 24 attestation de M. [M] " elle souhaite adopter [P] pour lui transmettre son nom et ainsi lui redonner sa légitimité " ; pièce 25 Mme [Z] " C'est pour elle une façon de concrétiser le lien fort qu'elle a avec lui tout en réparant le fait que son demi-frère [O] n'a pas souhaité le reconnaître " ; pièce 26 Mme [C] " Elle souhaite le reconnaître pour qu'il puisse porter son nom et réparer le fait que son demi-frère [O] ne l'a pas reconnu ").
Ces quatre témoins ont rédigé de nouvelles attestations, postérieurement au jugement, qui insistent sur les liens d'affection forts entre Mme [E] [X] et M. [P] [I] mais ne reviennent pas sur leurs déclarations précédentes (pièces 30, 31, 32 et 33).
L'épouse de M. [P] [I] et Mme [G] épouse [J] (belle-mère de ce dernier) attestent d'une relation mère/enfant (pièces 29 et 31) mais ces attestations, rédigées postérieurement au jugement, ont pu avoir été orientées par les motifs de ce dernier de sorte que leur force probante est relative.
C'est donc bien une volonté de réparation de la souffrance de son père qui sous-tend la démarche de Mme [E] [X].
En outre, celle-ci justifie de liens d'affection forts, étroits et réguliers depuis l'enfance, qui ne sont cependant pas des liens d'affection filiale.
En effet, il résulte des déclarations de l'appelante et de M. [P] [I] à l'audience, des attestations et des photographies versées aux débats, que ces liens ont été forgés depuis plusieurs années par des vacances partagées, des évènements familiaux ou des SMS échangés régulièrement. Mais ils se distinguent d'une relation filiale de mère à enfant. D'ailleurs, à l'audience, M. [P] [I] a indiqué qu'il serait " difficile d'appeler [E] " maman " ".
Par ailleurs, Mme [E] [X] conteste le jugement en ce qu'il s'interroge sur le fait que le projet d'adoption ne soit pas porté à la connaissance du père biologique - avec qui les relations ne sont pas totalement inexistantes - ni de l'ensemble de la famille de l'adoptante. Elle soutient que l'accord du père biologique n'est pas une condition de l'adoption simple.
L'absence d'accord de M. [O] [X], qui serait le père biologique qui n'aurait pas reconnu M. [P] [I], n'est en effet pas un obstacle juridique à la requête de Mme [E] [X].
Il n'en demeure pas moins que cette absence de transparence au sein de la famille interroge sur les motivations implicites de cette démarche.
En tout état de cause, la volonté de réparer une blessure née de l'absence d'établissement d'une filiation paternelle biologique et la volonté de transmettre un nom ne permettent pas de justifier une adoption entre une tante et son neveu, en l'absence de liens filiaux démontrés.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont rejeté la requête de Mme [X].
Le jugement sera par conséquent confirmé et les demandes de Mme [E] [X] rejetées.
Sur les dépens
Partie perdante, Mme [E] [X] sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
CONFIRME le jugement,
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [E] [X] aux dépens,
REJETTE toutes autres demandes.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,