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14/03/2023 | FRANCE | N°21/05988

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 14 mars 2023, 21/05988


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE

Code nac : 10A





DU 14 MARS 2023



N° RG 21/05988

N° Portalis DBV3-V-B7F-UYIG





AFFAIRE :



[Z], [W] [O]

C/

LE PROCUREUR GENERAL





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Mai 2016 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS

N° Chambre : 1

N° Section :

N° RG : 14/08941




Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :





- Me Dimitri DEBORD,



-MP



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arr...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 10A

DU 14 MARS 2023

N° RG 21/05988

N° Portalis DBV3-V-B7F-UYIG

AFFAIRE :

[Z], [W] [O]

C/

LE PROCUREUR GENERAL

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Mai 2016 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS

N° Chambre : 1

N° Section :

N° RG : 14/08941

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

- Me Dimitri DEBORD,

-MP

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 07 mars 2023, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

DEMANDERESSE devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation (CIV.1) du 07 juillet 2021 cassant et annulant l'arrêt rendu par la cour d'appel de PARIS Pôle 1- Chambre 1 le 19 mars 2019

Madame [Z], [W] [O]

née le 16 Septembre 1980 à [Localité 7] (CAMEROUN)

de nationalité Britannique

[Adresse 2]

[Localité 10]

[Localité 5]

représentée par Me Dimitri DEBORD, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 331

Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P0480

****************

DÉFENDEUR DEVANT LA COUR DE RENVOI

LE PROCUREUR GENERAL

COUR D'APPEL DE VERSAILLES

[Adresse 1]

[Localité 3]

pris en la personne de Mme MOREAU, Avocat Général

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue en chambre du conseil le 28 Novembre 2022, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente et Madame Sixtine DU CREST, Conseiller chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte du 19 mai 2014, Mme [O], née le 16 septembre 1980 à [Localité 7] (Cameroun), qui s'est vue refuser la délivrance d'un certificat de nationalité française par le greffier en chef du service de la nationalité des français nés et établis hors de France le 8 avril 2011, refus confirmé par le bureau de la nationalité les 8 juin et 12 septembre 2011, a assigné le procureur de la République devant le tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement contradictoire rendu le 13 mai 2016, le tribunal de grande instance de Paris a :

- Dit que l'action est régulière,

- Dit que Mme [O], se disant née le 16 septembre 1980 à [Localité 7] (Cameroun), n'est pas de nationalité française,

- Ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil,

- Laissé les dépens à la charge de Mme [O].

Par arrêt rendu le 19 mars 2019, la cour d'appel de Paris a :

- Confirmé le jugement,

- Ordonné la mention prévue à l'article 28 du code civil,

- Condamné Mme [O] aux dépens.

Par arrêt rendu le 7 juillet 2021, la Cour de cassation a :

- Cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris,

- Remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles,

- Laissé les dépens à la charge du Trésor public,

- En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande,

- Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé.

Mme [O] a saisi la cour d'appel de Versailles par déclaration du 30 septembre 2021.

Par ordonnance de jonction rendue le 21 octobre 2021, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Versailles a joint, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, les procédures inscrites au répertoire général sous les N° RG 21/05982 et 21/5988, qui sont connexes, et dit qu'elles seront suivies sous le n° 21/5988.

Par conclusions notifiées le 24 mars 2022, Mme [O] demande à la cour, au fondement des articles 18, 47 et suivants du code civil, de l'article 37 et de l'article 84 de l'ordonnance de 45/2447 du 19 octobre 1945, et de l'article 1043 et suivants du code de procédure civile, de :

- Déclarer l'appel recevable,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris,

- Constater qu'il n'y a eu aucune fraude ou mensonge,

- Dire que Mme [O] est française.

Par conclusions notifiées le 6 septembre 2022, le ministère public demande à la cour de :

- Dire la procédure régulière au sens de l'article 1043 du code de procédure civile,

- Confirmer le jugement de première instance,

- Juger que Mme [O], se disant née le 16 septembre 1980 à [Localité 7] (Cameroun), n'est pas de nationalité française,

- Ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil,

- Statuer ce que de droit sur les dépens.

SUR CE, LA COUR,

Sur la portée de la cassation et les limites de la saisine

L'article 34 de l'accord de coopération en matière de justice entre la France et le Cameroun du 21 février 1974 stipule que les décisions contentieuses ou gracieuses rendues en matière civile, sociale ou commerciale, par une juridiction siégeant en France ou au Cameroun, sont reconnues de plein droit sur le territoire de l'autre Etat si elles réunissent diverses conditions, notamment celle de ne rien contenir de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans cet Etat.

L'article 38 de cet accord stipule en outre que le président se borne à vérifier si la décision dont l'exequatur est demandé remplit les conditions prévues à l'article 34 pour avoir de plein droit l'autorité de la chose jugée, qu'il procède d'office à cet examen et doit en constater les résultats dans sa décision.

Dans son arrêt du 7 juillet 2021, la Cour de cassation a, au visa des articles 34 et 38 de l'accord de coopération en matière de justice entre la France et le Cameroun du 21 février 1974, considéré que pour constater l'extranéité de Mme [O], l'arrêt de la cour d'appel de Paris a relevé que le jugement rectificatif rendu le 2 avril 2012 par le tribunal de première instance de [Localité 7] Bonanjo (Cameroun) ne résultait que des man'uvres de celle-ci, qui n'ont eu d'autre objet que de tenter de régulariser la fraude commise par elle, et en a déduit qu'il ne pouvait être reconnu en France ; la haute juridiction a, par suite, considéré qu'en statuant ainsi, sans procéder d'office, comme elle y était tenue, à l'examen des conditions de régularité de la décision camerounaise telles que prévues à l'accord de coopération en matière de justice susvisé et au constat des résultats de cet examen dans sa décision, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Par voie de conséquence, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 mars 2019 par la cour d'appel de Paris et a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles.

La cour est de ce fait saisi de l'appel du jugement rendu le 13 mai 2016 par le tribunal de grande instance de Paris.

Sur la question du lien de filiation de Mme [O] à l'égard de [R] [O]

Moyens de parties

Au soutien de sa demande d'infirmation du jugement et de constatation d'une nationalité française, Mme [O] fait valoir en premier lieu que l'acte rectifié 980/80bis établissant sa filiation à l'égard de [R] [O] (pièces n° 1 et 36) ainsi que le jugement porté en mention dudit acte sont probants au sens de l'article 47 du code civil, et en second lieu que sa filiation à l'égard de [R] [O] et la nationalité française de ce dernier est établie.

En premier lieu, elle rappelle que lorsqu'elle a saisi le Service de la nationalité des Français nés et établis hors de France à [Localité 9] en 2011 en vue de la délivrance de certificat de nationalité française, il a été constaté qu'une erreur relative à son acte de naissance avait été faite par les services de l'état civil à [Localité 7] (pièces n° 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 et pièces adverses n° 3, 4). Cependant, Mme [O] assure n'avoir pas eu connaissance de cette erreur « de fait » de sorte qu'elle ne devrait pas en être tenue pour responsable.

L'appelante indique par ailleurs avoir saisi le tribunal de première instance de [Localité 7] d'une requête en rectification d'erreur matérielle et d'une reconstitution d'acte par jugement (pièces n° 17 et 18) de sorte que celui-ci a, par jugement du 2 août 2012, ordonné la rectification de l'erreur matérielle de l'acte de naissance et dit que l'acte de naissance de Mme [O] porterait désormais le numéro « 980/80 bis » du 16 septembre 1980 (pièce n° 19).

Ainsi, l'appelante soutient que ce jugement rectifie l'erreur commise par les services de l'état civil à [Localité 7] puisqu'il reconnaît expressément que « c'est par erreur que son secrétaire a attribué aux deux individus le même numéro » (pièce n° 19) et démontre par conséquent l'absence de caractère apocryphe de l'acte de naissance produit au départ.

Mme [O] fait valoir, au fondement des articles 21 et 22 de l'accord de coopération en matière de justice entre le gouvernement de la République Française et le gouvernement de la République du Cameroun du 21 février 1974, que ce jugement, revêtu de l'autorité de la chose jugée, produit effet en France et qu'il établit sa filiation à l'égard de [R] [O], puisque ce jugement du 2 août 2012 a été transmis à la mairie de [Localité 7] en vue de la rectification de son acte de naissance (pièce n° 21) et que la mention du jugement a été portée sur l'acte de naissance 980/80 bis (pièce n° 24). L'appelante précise que le jugement rendu a été notifié et a fait l'objet d'un certificat de non appel (pièces n° 20, 21 et 22).

En conséquence, l'appelante fait valoir que l'acte de naissance portant transcription du jugement fait foi au sens de l'article 47 du code civil (pièce n° 44).

Elle ajoute que le 25 mai 2016, la mairie de [Localité 7] a délivré un certificat de conformité confirmant le caractère probant de l'acte au sens de l'article 47 du code civil (pièce n° 38).

En outre, Mme [O] considère que l'acte n° 980/80bis rectifiant son acte de naissance initial n° 980/80 est authentique.

D'une part, l'appelante justifie les anomalies constatées par le consulat de France le 2 octobre 2014, telles que des signatures et tampons différents, par des changements résultant nécessairement de l'écoulement du temps entre les années 1980 et 2012 (pièces adverses n° 1, 3 et 4).

D'autre part, elle conteste que les ratures sur l'acte rectifié soient une preuve de faux puisqu'il est indiqué sur l'acte rectifié, à côté de celles-ci, la mention « 1 chiffre rayé nul 1 ajouté et approuvé » suivie du tampon et de la signature du maire adjoint M. [K].

Mme [O] atteste également que le certificat de conformité de l'acte de naissance n°980 et d'existence de souche (pièce n° 52), l'acte de naissance amendé d'une mention sur l'erreur matérielle (pièce n° 53) ainsi que l'acte de naissance certifié conforme et signé de l'officier d'état civil (original) (pièce n° 54) lui ont été remis à personne.

Elle soutient par conséquent que sa filiation est bien établie à l'égard de son père et que l'acte de naissance dressé le 2 août 2012 est opposable en France.

En second lieu, elle produit en pièce n°3 la copie d'un acte de mariage n°191/79 entre [R] [O] et [Y] [I] le 11 avril 1979. Selon elle, le jugement de notoriété rendu en 2006 par le juge ivoirien, sur la foi du serment de deux témoins et comme seule pièce l'acte de décès de [R] [O], a commis une erreur sur le lien entre [R] [O] et [Y] [I] mais atteste qu'a été remis l'acte de naissance de leurs quatre enfants dont celui de Mme [O].

Le ministère public réplique que l'acte de naissance n° 980/80bis en exécution du jugement du 2 août 2012 est inopposable en France et non probant au sens de l'article 47 du code civil en ce qu'il constitue un acte frauduleux résultant des man'uvres de Mme [O] (pièce n° 9).

Il se fonde sur les articles 34 et 38 de l'accord de coopération en matière de justice entre la France et le Cameroun du 21 février 1974 ainsi que sur la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle un acte obtenu par fraude porte atteinte à l'ordre public dans des hypothèses similaires où il existe des conventions bilatérales, permettant d'écarter une décision de justice contraire à l'ordre public sur le territoire duquel les parties entendent faire produire des effets à cette décision (1ère Civ., 4 mai 2017, pourvoi n° 16-12.884) et sur le principe selon laquelle la fraude corrompt tout (1ère Civ., 19 septembre 2007 - pièce n° 6 ; CE, 10 juin 2013 - pièce n° 7 et 1ère Civ., 17 novembre 2010).

Il fait valoir que l'acte de naissance n° 980/80 dressé le 20 septembre 1980 dont se prévaut Mme [O] est apocryphe, le consulat général de France ayant informé le directeur des services de greffe du tribunal d'instance que cet acte correspond à un tiers.

Il conteste qu'il s'agisse d'une simple erreur matérielle compte tenu de l'existence de l'acte de naissance n°979/80, contredisant ainsi l'argumentation de l'appelante selon laquelle cette erreur résulterait d'une simple omission de ce numéro.

S'agissant du jugement rendu le 2 août 2012, le ministère public soutient que Mme [O] n'a pas loyalement informé le tribunal sur la réalité de l'acte de naissance n°980/80, et indique que le 14 août 2014, le consulat général de France à [Localité 7] a conclu que les tampons et la signature apposés sur l'acte de naissance de Mme [O] et sur celui du tiers [U] [E] [C] comportant la même numérotation, différaient.

Le ministère public ajoute que la copie produite par Mme [O] de la souche détenue par le centre d'état civil de [Localité 4]-[Localité 7] concernant la naissance de cette dernière n'a pas été dressée conformément à la loi camerounaise n° 68 LF-2 du 11 juin 1968 portant organisation de l'état civil, notamment en ses articles 12, 13 et 28 puisqu'en l'espèce, la copie de l'acte de naissance n° 980/80 bis ne comporte pas la signature du déclarant.

Sur ce point, le ministère public fait valoir que même s'il est authentique, un acte de l'état civil étranger qui n'a pas été établi conformément à la loi de son pays d'établissement ne fait pas foi au sens de l'article 47 du code civil (1ère Civ., 11 octobre 2017, pourvoi n°16-50.052; 1ère Civ., 29 novembre 2017, pourvoi n°17-50.004; 1ère Civ., 10 janvier 2018, pourvoi n°17-50.005; Civ. 1ère, 15 mai 2019, pourvoi n°17-50.066 et 067).

Il en déduit que Mme [O] n'a aucun état civil certain de sorte qu'elle n'a pas de filiation paternelle légalement établie à l'égard d'un Français.

Sur la prétendue filiation légitime de Mme [O], le ministère public souligne qu'un acte de notoriété dressé le 24 avril 2006 par le juge des tutelles du tribunal de première instance d'Abidjan (Côte d'Ivoire) indiquerait que [R] [O] « n'avait pas contracté mariage légal », de sorte que l'acte de mariage du 11 août 1979 ne fait pas foi au regard de l'article 47 du code civil.

Appréciation de la cour

Sur l'acte de naissance produit par Mme [O]

L'article 47 du code civil dispose que tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

En l'espèce, au soutien de sa demande, Mme [O] a d'abord produit un acte de naissance n°980/80 du centre d'état civil de [Localité 4] [Localité 7]. Interrogé sur l'authenticité de ce document, le consulat général de France au Cameroun a indiqué que ce numéro correspondait à un acte de naissance au nom de [U] [N] [E] [C] né le 7 septembre 1980, acte dressé le 15 septembre 1980, et que l'acte produit par Mme [O] était par conséquent apocryphe (pièces 1, 2 et 3 du parquet général).

Arguant qu'il s'agissait d'une erreur matérielle d'enregistrement, Mme [O] a, par le biais d'une procédure judiciaire au Cameroun et d'un jugement du 2 août 2012, versé un acte de naissance dont le numéro n°980/80 a été barré et remplacé par la mention n°980/80bis (pièce 1 Mme [O]). Elle prétend que cet acte est authentique.

Pourtant force est de constater que la lecture des motifs du jugement du 2 août 2012 établit que la décision a été fondée sur les seuls dires de Mme [O] et sur les dires de « témoins » non identifiés dont les liens avec la requérante ne sont pas explicités. Il en ressort également que la requête de Mme [O] n'était pas datée et qu'elle a indiqué s'être rendue compte d'une « erreur » sur son acte de naissance à l'occasion de l'introduction « d'un dossier relatif à un voyage » au consulat de France au Cameroun (pièce 19 appelante). Il s'ensuit que le tribunal n'a pas été informé de l'acte de naissance produit par Mme [O] auprès des autorités françaises ni de ses démarches destinées à obtenir un certificat de nationalité française.

Par conséquent, la modification du numéro en « n°980/80bis » a été obtenue par fraude.

Par ailleurs, l'acte de naissance n°980/80bis, soi-disant rectifié, produit par Mme [O] (pièce 1 Mme [O]) comporte des différences notables avec celui qu'elle a produit lors de son recours gracieux devant le bureau de la nationalité (pièce 1 parquet général), en ce qu'il n'est pas signé par le déclarant - contrairement à l'article 13 de la loi camerounaise n°68 LF-2 du 11 juin 1968 portant organisation de l'état civil (pièce 11 ministère public) - , ne comporte pas le même tampon, n'est pas signé par la même autorité et ne présente pas la même mise en page.

Par ailleurs, interrogé sur cet acte n°980/80bis le consul général de France à [Localité 7] précise :

Que l'acte n°980/80 présente un numéro de feuillet surchargé et aucune référence quant à l'année au cours de laquelle il a été dressé (contrairement aux deux actes précédents dans le registre n°978/80 et 979/80) ;

Que l'acte n°980/80bis présente une signature différente que celle des autres actes présents dans le registre et que le tampon est différent de celui présent sur les autres actes du registre du centre d'état civil de [Localité 4] [Localité 7].

Mme [O] prétend qu'entre 1980 et 2012 ces éléments ont probablement changé.

Il est constant que Mme [O] ne démontre pas le changement entre 1980 et 2012 qu'elle allègue. En outre, cette affirmation est en contradiction avec le fait même d'avoir procédé à une rectification d'un acte pré-existant et démontre qu'en réalité elle a obtenu en 2012 un nouvel acte de naissance dont le numéro a été barré et réécrit sous le n°980/80bis et inséré dans les registres d'état civil. Le consulat général de France conclut d'ailleurs que « l'acte de naissance de [O] [Z], [W] n°980/80bis est un acte de complaisance inséré dans les registres d'état civil de [Localité 4] » (pièce 5 parquet général).

C'est donc par fraude que l'acte de naissance n°980/80bis a été obtenu. Par conséquent, faire droit au recours de Mme [O] porte atteinte à l'ordre public international français (1ère Civ. 4 mai 2017, n°16-12.884 ; 1ère Civ. 19 septembre 2007, pièce 6 ministère public ; CE 10 juin 2013, pièce 7 ministère public ; 1ère Civ. 17 novembre 2010, pièce 8 ministère public). Dès lors, conformément l'article 34 de l'accord de coopération en matière de justice entre la France et le Cameroun du 21 février 1974 et à l'article 47 du code civil, l'acte de naissance produit par Mme [O] ne doit pas être considéré comme probant.

Mme [O] verse en outre aux débats trois nouvelles copies de son acte de naissance et un certificat de conformité de l'acte de naissance n°980/80bis et d'existence de souche au centre d'état civil de [Localité 4]-[Localité 7] (pièces 44, 52, 53 et 54). Or, force est de constater que la copie de la souche précitée n'a pas été dressée conformément aux articles 28 et 30 de la loi camerounaise n°68 LF-2 du 11 juin 1968 portant organisation de l'état civil (pièce 11 ministère public). Le certificat de conformité de l'acte de naissance n°980/80bis et d'existence de souche au centre d'état civil de [Localité 4]-[Localité 7] (pièce 52 appelante) énonce que la déclaration de naissance a été faite par « la polyclinique de [Localité 6] », sans autre précision, alors que l'article 28 précité dispose que « la naissance doit être déclarée (') par le père, le chef de famille, la personne ayant la charge de l'enfant ou un proche parent ayant connu la naissance, en présence d'un témoin choisi de préférence dans l'entourage familiale. Lorsque la mère est accouchée dans un hôpital, une clinique ou une maternité, le médecin ou la sage-femme qui l'a assistée, est tenue de déclarer la naissance dans les huit jours qui suivent ».

Dès lors, ces pièces, qui n'ont pas été établies conformément à la loi du pays d'établissement, ne sont pas probantes au sens de l'article 47 du code civil (1ère Civ. 11 octobre 2017, n°16-50.052 ; 1ère Civ. 15 mai 2019, n°17-50.066 et 067).

Il s'ensuit que Mme [O] n'établit pas son état civil.

Sur le lien de filiation supposé avec [R] [O]

Mme [O] prétend être issue de la filiation légitime de [R] [O] et de [Y] [I] dont l'union aurait été célébrée le 11 août 1979. Elle produit un acte de mariage en pièce n°3.

Cependant, l'acte de naissance de [R] [O] qu'elle produit en pièce 2, ne porte aucune mention de ce mariage. Il en est de même de l'acte de décès produit en pièce 6. En outre, l'acte de notoriété dressé le 24 avril 2006 par le juge des tutelles du tribunal de première instance d'Abidjan (Côte d'Ivoire) énonce que [R] [O] « n'avait pas contracté mariage légal » (pièce 49 appelante). En arguant que cette mention serait une erreur, Mme [O] procède par affirmation et ne démontre aucunement ce qu'elle avance.

Dès lors, ces actes ne sont pas probants au sens de l'article 47 du code civil et le mariage de [R] [O] et de [Y] [I], pas plus que la filiation légitime de Mme [O] à l'égard de [R] [O] ne sont établis.

Sur la possession d'état

Moyens de parties

Poursuivant l'infirmation du jugement et la constatation d'une nationalité française, Mme [O] soutient que sa filiation à l'égard de [R] [O] est établie par la possession d'état pendant sa minorité, au fondement des articles 310-1 et 311-1 du code civil.

Elle affirme que la possession d'état est établie par le jugement du 2 août 2012 et par plusieurs pièces, photos et attestations de tiers.

Le ministère public considère que des éléments isolés, épisodiques ou ayant disparu de longue date ne permettent pas de fonder utilement une possession d'état.

Il ajoute que l'article 337 ancien du code civil disposait pour sa part que l'acte de naissance portant l'indication du nom de la mère valait reconnaissance lorsqu'il était corroboré par la possession d'état, l'arrêt du 20 novembre 1992 de l'assemblée plénière de la Cour de cassation (pièce n° 11) mentionnant à cet égard que l'acte constatant cette possession devait être intervenu pendant la minorité de l'enfant pour avoir un effet en matière de nationalité.

Or en l'espèce, le ministère public fait valoir que les pièces versées au débat par Mme [O], à savoir des photographies diverses correspondants à des tiers et un livret de baptême dressé en 1982, ne permettent pas de caractériser une possession d'état continue à l'égard de [R] [O].

Il en déduit que la preuve d'une filiation paternelle légalement établie de Mme [O] n'est pas rapportée.

Appréciation de la cour

L'article 311-1 du code civil dispose que la possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir.

Les principaux de ces faits sont :

1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ;

2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ;

3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ;

4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ;

5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue.

Selon l'article 311-2 du même code, la possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque.

Au soutien de sa demande, Mme [O] produit les pièces n° 36, 37, 42, 48 et 49.

La pièce 36 (carnet de baptême établi le 24 décembre 1982) n'est pas suffisante à établir une possession d'état laquelle doit être continue, paisible, publique et non équivoque.

La pièce 37 (passeport de Mme [O] établi en 1994) ne comporte pas l'identité des parents de Mme [O] (pas plus que la pièce 38 : passeport de Mme [O] établi en 1999) de sorte que sa production est inopérante.

Le courrier de Mme [B] [F] n'apporte aucun élément quant à l'existence d'une possession d'état (pièce 42).

Les photographies versées ne sont pas probantes en ce qu'à aucun moment Mme [O] n'y apparaît avec [R] [O] (pièces 45 à 48). La photographie en pièce 50 portant la mention manuscrite « papa et moi » et signée « [H] » n'est pas probante.

Dès lors Mme [O] ne démontre aucun acte de possession d'état continue, paisible, publique et non équivoque à l'égard de [R] [O].

Surabondamment sur la question de la nationalité française de [R] [O] par filiation établie pendant sa minorité à l'égard de sa mère française

Moyens de parties

Mme [O] expose que [R] [O] est né le 27 avril 1941 de [T] [M] et [D] [O] par filiation légitime. Après son divorce, [T] [M] a épousé le 31 août 1960 [X] [J], né le 5 mai 1925 de nationalité française.

Au fondement des dispositions de l'article 37 de l'ordonnance de 45/2447 du 19 octobre 1945, elle fait valoir qu'[T] [M] a acquis la nationalité française par son mariage avec [X] [J] en secondes noces le 31 août 1960.

Au fondement de l'article 84 de cette même ordonnance, elle prétend que cette nationalité française a été transmise à son fils mineur [R] [O].

L'appelante précise qu'[T] [M] s'est vue délivrer une carte d'identité et un passeport français (pièces n° 27 et 28).

Mme [O], au fondement de l'article 18 du code civil, revendique par conséquent la nationalité française par filiation comme étant née le 16 septembre 1980 de [R] [O], français, et d'[Y] [I], mariés depuis le 11 avril 1979 (pièces n° 1 et 36).

Poursuivant la confirmation du jugement, le ministère public énonce que le fait de détenir un acte de naissance dressé sur les registres de l'état civil du service central de l'état civil du ministère des affaires étrangères ne constitue pas la preuve de la nationalité de son titulaire, pas plus que la détention de documents d'état civil français.

Il ajoute que la preuve d'une filiation légalement établie entre [R] [O] et [T] [M] n'est pas rapportée par l'inscription du mariage de cette dernière avec [D] [O] sur les actes de naissance du frère aîné et de la s'ur de [R] [O].

Le ministère public rappelle également qu'un acte de décès ne peut se substituer à un acte de naissance comme preuve de la filiation ou de l'état civil de sorte qu'il fait valoir que Mme [O] ne justifie pas d'un état civil fiable et probant concernant sa grand-mère paternelle en produisant son acte de décès (pièce adverse n° 45).

Aussi, l'intimé conclut que la preuve de l'acquisition de la nationalité française par [T] [M] à la suite de son mariage avec [X] [J] n'est pas rapportée puisque la qualité de français de ce dernier n'est pas démontrée, la seule naissance en France ne permettant pas de se voir attribuer la nationalité française.

En tout état de cause, le ministère public se fonde sur les conditions posées par l'article 84 de l'ordonnance de 45/2447 du 19 octobre 1945, qu'il n'estime pas remplies en l'espèce, et soutient que [R] [O] n'a pas pu bénéficier de l'éventuelle acquisition de la nationalité française par sa mère revendiquée à la suite de son mariage avec [X] [J], cette dernière ayant été divorcée et non pas veuve au jour de cette acquisition.

Il en déduit que les pièces produites par Mme [O] ne démontrent pas la nationalité française de [R] [O].

Appréciation de la cour

Au fondement des dispositions de l'article 37 de l'ordonnance de 45/2447 du 19 octobre 1945, Mme [O] considère que [R] [O], né le 27 avril 1941 de [T] [M] et [D] [O] par filiation légitime, aurait acquis la nationalité française par sa mère, qui l'aurait elle-même acquise par son mariage, après son divorce, le 31 août 1960 avec [X] [J], né le 5 mai 1925 qui serait de nationalité française.

Pour démontrer la nationalité française présumée de [R] [O], elle produit un acte de naissance dressé par les services de l'état civil de [Localité 8].

Cet acte de naissance a été enregistré avec la mention « col », en référence aux actes dits coloniaux, le service ne délivrant copie de ces actes qu'en sa qualité de dépositaire des registres des Etats anciennement placés sous autorité française. Il ne constitue donc pas une preuve de nationalité française.

Mme [O] verse aux débats des pièces d'identité au nom de [T] [M] (pièces 27 et 28) et un acte de naissance au nom de [P] [O] (pièce 30), de [V] [O] (pièces 31 et 32), de [A] [O] (pièce 33), la copie de la carte d'identité de ce dernier (pièce 35) et la copie d'un passeport au nom de [V] [O] (pièce 34). Ces documents dont seuls peuvent se prévaloir leur titulaire ne démontrent pas leur nationalité française.

Par ailleurs, Mme [O] ne produit pas un acte d'état civil établissant le mariage de [T] [M] avec [D] [O]. L'acte de naissance de [R] [O] précise qu'il est né de [D] [O] « âgé de vingt-neuf ans dont la date exacte de naissance ne nous est pas connue » et de [T] [M] [G] « âgée de dix-neuf ans dont la date de naissance ne nous est pas connue », et n'indique pas s'ils étaient mariés (pièce 2).

Dès lors, un lien de filiation légitime entre [R] [O] et [T] [M] [G] n'est pas démontré.

Par ailleurs, à supposer que [R] [O] ait été le fils légitime de [T] [M] [O], Mme [O] échoue à démontrer qu'il aurait acquis, par elle, la nationalité française.

En effet, la preuve de l'acquisition de la nationalité française par [T] [M] [G] à la suite de son mariage avec [X] [J] n'est pas rapportée.

Mme [O] prétend que [T] [M] [G] a transmis la nationalité française à ses enfants mineurs en application de l'article 84 de l'ordonnance n°45/2447 du 19 octobre 1945.

L'article 84 de l'ordonnance n°45/2447 du 19 octobre 1945 prévoit :

« Devient de plein droit français au même titre que ses parents, à condition que sa filiation soit établie conformément à la loi civile française :

1° L'enfant mineur légitime ou légitimé dont le père ou la mère, si elle est veuve, acquiert la nationalité française ;

2° L'enfant mineur naturel dont celui des parents à l'égard duquel la filiation a été établie en premier lieu ou, le cas échéant, dont le parent survivant acquiert la nationalité française » (souligné par la cour).

Or, ainsi que le démontre l'acte de mariage versé aux débats (pièce 4 appelante), [T] [M] [G] était divorcée, pas veuve, lors de son mariage avec [X] [J] de sorte qu'elle n'a pu acquérir la nationalité française. Elle n'a pu, par voie de conséquence, la transmettre à ses enfants en application de l'article 84 de l'ordonnance n°45/2447 du 19 octobre 1945.

*

Il s'ensuit que Mme [O] ne verse pas d'éléments probants, au sens de l'article 47 du code civil, permettant de justifier de son état civil. Elle ne démontre pas un lien de filiation légitime à l'égard de [R] [O] et à supposer qu'il existe, elle échoue à démontrer qu'il a acquis par sa mère la nationalité française. Il en résulte que le jugement sera confirmé et les demandes de Mme [O] rejetée.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Selon l'article 639 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée.

Le tribunal, qui a laissé les dépens à la charge de Mme [O], a exactement statué sur ce point et sera confirmé de ce chef.

Mme [O], partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel de l'instance cassée et de la présente instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

Dans les limites de la cassation prononcée le 7 juillet 2021 (pourvoi n°20-15.316),

CONFIRME le jugement,

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [O] aux dépens de l'instance cassée et de la présente instance.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 21/05988
Date de la décision : 14/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-14;21.05988 ?
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