COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 50Z
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 14 MARS 2023
N° RG 21/03842
N° Portalis DBV3-V-B7F-USNC
AFFAIRE :
S.A.R.L. SAN MARCO FRANCE
C/
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL VAL DE FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Avril 2021 par le Tribunal de Commerce de CHARTRES
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 2020J00047
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Sabine LAMIRAND
Me Séverine DUCHESNE
TC CHARTRES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.R.L. SAN MARCO FRANCE
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentant : Me Sabine LAMIRAND, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.455
Représentant : Me Carlo RICCI de la SELAS FIDAL, Plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000049
APPELANTE
****************
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL VAL DE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Séverine DUCHESNE de la SELAFA CHAINTRIER AVOCATS, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 48 - N° du dossier 02.059
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique MULLER, Magistrat honoraire chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
Madame Véronique MULLER, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN,
La SARL San Marco France (société San Marco) exerce une activité de vente d'ouvrages à caractère encyclopédique auprès d'une clientèle de particuliers et de professionnels.
Pour les besoins de son activité, elle a ouvert, dès sa création en 1990, un compte courant auprès de la Caisse régionale du Crédit agricole Val de France (le Crédit agricole).
A partir de septembre 2018, elle a constaté une évolution dans sa facturation, avec des services devenus payants, outre d'importantes augmentations tarifaires.
La société San Marco a fait plusieurs démarches, notamment par courriels des 8 septembre, 6 octobre et 26 novembre 2018 puis par lettre recommandée du 12 juin 2019 pour contester la nouvelle tarification qui lui était appliquée. Elle enjoignait alors le Crédit agricole de rétablir les conditions tarifaires antérieures à septembre 2018 et demandait le remboursement des frais qu'elle estimait indus, soit 5520,78 euros.
Par acte d'huissier du 18 juin 2020, la société San Marco a fait assigner le Crédit agricole devant le tribunal de commerce de Chartres, lequel, par jugement contradictoire assorti de l'exécution provisoire du 28 avril 2021, a :
- débouté la société San Marco de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné la société San Marco à payer au Crédit agricole la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société San Marco aux entiers dépens.
Par déclaration du 17 juin 2021, la société San Marco a interjeté appel du jugement.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 1er juin 2022, elle demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement en ce qu'il :
* l'a déboutée de l'ensemble des demandes suivantes :
- condamner le Crédit agricole à lui payer une indemnité d'un montant de 7 439,80 euros, selon décompte arrêté au 30 novembre 2020, en remboursement des intérêts, frais et commissions prélevés à tort sur son compte ;
- condamner le Crédit agricole à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et de jouissance subi ;
- condamner le Crédit agricole à lui payer une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le Crédit agricole aux entiers dépens d'instance ;
* l'a condamnée à payer au Crédit agricole la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
* l'a condamnée aux entiers dépens
Et statuant à nouveau,
- condamner le Crédit agricole à lui payer une indemnité d'un montant de la somme de 9 947,86 euros selon décompte arrêté au 31 mars 2022, en remboursement des frais et commissions prélevés à tort sur son compte ;
- condamner le Crédit agricole à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et de jouissance subi ;
- condamner le Crédit agricole à lui payer une somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le Crédit agricole aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le Crédit agricole, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 5 octobre 2021, demande à la cour de :
- dire la société San Marco recevable mais mal fondée en son appel ;
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;
- débouter la société San Marco de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société San Marco à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 juin 2022.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Aucun moyen n'étant soulevé ou susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer recevable l'appel formé par la société San Marco.
La société San Marco agit sur le fondement de l'article 1193 du code civil ( et non pas 1192 comme indiqué par erreur dans ses conclusions) qui énonce le principe de l'intangibilité des contrats. Elle soutient qu'il n'existe aucune règle permettant à une banque de changer ses tarifs 'selon son bon vouloir' même si elle informe son client dans un délai suffisant pour lui permettre de s'adresser éventuellement à la concurrence. Elle fait valoir qu'elle disposait d'un accord avec le Crédit agricole, tel que cela ressort de ses anciens relevés de compte, démontrant que la banque lui facturait les tarifs publics, avant toutefois d'appliquer des remises systématiques, dont les montants variaient annuellement, en fonction des négociations périodiques avec la banque. Elle soutient que les accords ainsi pris ne pouvaient être modifiés, ajoutant qu'elle n'a jamais été informée qu'ils deviendraient caducs. Elle fait valoir que les remboursements partiels effectués par le Crédit agricole confirment que ce dernier a manqué à ses obligations en modifiant les accords, au surplus sans lui fournir la moindre information et sans respecter un préavis. Elle sollicite donc le remboursement des sommes indûment perçues par la banque.
Le Crédit agricole soutient que les banques sont libres de fixer le prix qu'elles entendent pratiquer pour les services liés au fonctionnement des comptes, le client devant simplement être tenu informé du changement de politique tarifaire dans un délai lui laissant le temps pour s'adresser à la concurrence. Il fait valoir qu'il a transmis sa nouvelle politique tarifaire à la société San Marco en octobre 2017, de sorte qu'il était parfaitement fondé à l'appliquer à compter de septembre 2018, ajoutant avoir toutefois consenti un geste commercial en 2019 en accordant une réduction des frais à hauteur de 2 302,90 euros. Il observe que la société San Marco admet elle-même que ses conditions tarifaires étaient négociées et variaient chaque année, de sorte qu'elle ne pouvait prétendre à aucun droit acquis à des tarifs préférentiels, et qu'elle était libre de conclure avec d'autres banques. Il précise enfin n'avoir jamais nié l'existence de tarifs particuliers appliqués à la société San Marco jusqu'en septembre 2018, soutenant toutefois que la preuve d'un engagement de sa part à déroger de manière 'éternelle' aux conditions tarifaires générales n'est pas rapportée, ajoutant qu'il pouvait modifier ces conditions sous réserve d'un délai de prévenance suffisant. Il sollicite donc la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société San Marco.
Les parties admettent que leurs relations contractuelles ont débuté en 1990, de sorte que les dispositions légales applicables sont celles antérieures au 1er octobre 2016, l'article 1193 nouveau du code civil étant inapplicable en l'espèce.
Il résulte de l'article 1134 du même code, dans sa version applicable au présent litige, que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise.
Les parties admettent toutes deux qu'il existait entre elles une convention d'ouverture de compte datant de 1990, qu'elles n'ont cependant pas été en mesure de retrouver, de sorte que leurs relations contractuelles ne sont régies par aucune disposition écrite.
Les parties admettent encore que la société San Marco disposait, jusqu'en septembre 2018, d'une tarification particulière, dérogatoire des tarifs publics appliqués par la banque, cette tarification particulière faisant toutefois l'objet de négociations annuelles. La société San Marco indique elle-même dans ses conclusions : ' le chiffre annuel dépendait en réalité de négociations qui prenaient place périodiquement entre le gérant de la société San Marco et le Crédit agricole'. La société San Marco fournit notamment l'exemple de la facturation des impayés, passée de 1,20 euros en 2013 à 1,26 euros en 2014 (alors que le tarif public passait dans le même temps de 15,58 euros à 15,81 euros).
Ainsi que le fait observer la société San Marco, ses relevés bancaires mentionnent, pour chaque ligne de frais, d'une part le tarif public, d'autre part la remise accordée par le Crédit agricole correspondant au tarif négocié, faisant ainsi clairement apparaître l'existence d'une tarification particulière dérogeant au tarif public.
Force est toutefois de constater qu'il n'existait aucune convention ou accord écrit permettant de pérenniser l'existence de tarifs préférentiels, les parties admettant au contraire que les tarifs étaient annuellement revus et soumis à un accord réciproque, la société San Marco ne pouvant donc prétendre à un tarif intangible.
Les accords tarifaires préférentiels étant négociés chaque année entre les parties, ils ne pouvaient être reconduits qu'avec leur accord réciproque, faute de quoi le régime tarifaire général (tarif public) pouvait seul être appliqué, sans que la banque ait alors à justifier d'une information spécifique quant à ce retour au régime général, sa seule obligation étant de fournir l'information quant à ce tarif public.
Le Crédit agricole produit à cet effet trois attestations de Maître [B], huissier de justice, selon lesquelles la société San Marco a bien été destinataire, en octobre 2017, octobre 2018 et octobre 2019, des nouvelles tarifications publiques pour les années 2018, 2019 et 2020, ces attestations, et la transmission régulière de l'information sur les tarifs habituels, n'étant pas discutées par cette société.
En l'absence d'une part de dispositions contractuelles écrites, d'autre part de nouveaux accords tarifaires négociés pour les années 2018 à 2020, la société San Marco ne pouvait prétendre au maintien des conditions tarifaires antérieures dérogatoires, alors même qu'elle admet expressément qu'elles étaient à durée déterminée, et renégociées chaque année.
Le seul fait que le Crédit agricole lui ait accordé, en 2019, une remise exceptionnelle à titre commercial, est en outre insuffisant à caractériser une reconnaissance de la banque d'un manquement à ses obligations contractuelles.
La société San Marco ne peut enfin soutenir qu'aucun préavis ne lui a été octroyé pour la modification des conditions tarifaires alors même qu'elle était informée dès le mois d'octobre 2017 de la modification qui n'est intervenue que 11 mois plus tard, en septembre 2018.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la société San Marco n'est pas fondée en sa demande de remboursement des frais prélevés par le Crédit agricole à compter de septembre 2018. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Aucun manquement n'étant imputé au Crédit agricole, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée par la société San Marco au titre du préjudice moral et du préjudice de jouissance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Déclare la société San Marco recevable en son appel,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Chartres du 28 avril 2021 en toutes ses dispositions,
Et y ajoutant,
Condamne la société San Marco France à payer au Crédit agricole la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société San Marco France aux dépens de la procédure d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Conseiller faisant fonction de Président,