COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 50B
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 14 MARS 2023
N° RG 21/02706
N° Portalis DBV3-V-B7F-UO3Z
AFFAIRE :
S.A.S.U. A. RAILLARD ET FILS
C/
S.A.S.U. SPEEDCAST FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Avril 2021 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 2020F00414
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Stéphanie TERIITEHAU
Me Martine DUPUIS
TC NANTERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.S.U. A. RAILLARD ET FILS
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire: 619 - N° du dossier 20210147
Représentant : Me Matthieu MERCIER, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
APPELANTE
****************
S.A.S.U. SPEEDCAST FRANCE
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2166149
Représentant : Me Djazia TIOURTITE de l'AARPI BIRD & BIRD AARPI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R255
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique MULLER, Magistrat honoraire chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
Madame Véronique MULLER, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN,
La SAS Speedcast France (société Speedcast), ayant pour activité les télécommunications par satellite, commandait régulièrement à la SAS A. Raillard et fils (société Raillard), exerçant une activité d'agence de voyage, des billets d'avion pour les besoins de ses collaborateurs.
Le 17 avril 2019, Mme [R] [E], 'executive assistant' de la société Speedcast a informé la société Raillard qu'un collaborateur de la société 'Speedcast Germany', en la personne d'un 'certain [W]', allait la contacter afin d'acheter des billets d'avion pour venir en France.
Le même jour, M. [W] [D], se présentant comme employé de la société Speedcast UK, a contacté la société Raillard pour l'achat de nombreux billets d'avion à destination de divers pays.
Le 18 avril 2019, la société Raillard a demandé à M. [W] [D] de payer par carte bancaire, ce qu'il a fait le lendemain par 2 paiements de 11 299,04 euros et 8 000 euros. Les paiements ultérieurs devaient intervenir par transfert bancaire.
Le 23 avril 2019, Mme [U] [A], responsable de plateau de la société Raillard, a pris connaissance du dossier. Alertée par le format inhabituel de l'adresse mail utilisée par M. [D], elle a contacté la société Speedcast UK. Comprenant que cette dernière n'avait pas commandé les billets, et que la véritable adresse de M. [D] avait été falsifiée, la société Raillard a déposé, le 24 avril 2019, une plainte pour escroquerie.
Le 26 avril 2019, Mme [A], a informé Mme [E] de la situation, laquelle a confirmé l'existence d'un [W] [D] dans le groupe Speedcast UK (en Ecosse), indiquant qu'elle ignorait tout de l'escroquerie.
Le 2 mai 2019, la banque de la société Raillard a débité son compte du montant des deux paiements par carte bancaire, au motif que celle-ci était volée.
Entre le 17 et 1e 23 avril 2019, la société Raillard indique avoir passé commande, à la demande de M. [D], de billets d'avion pour une valeur de 135 320,34 euros, dont certains ont pu être annulés pour une valeur de 33 082 euros. Elle invoque avoir ainsi subi un préjudice s'élevant à 102 237 euros.
L'assureur de la société Raillard a refusé la prise en charge du sinistre, au motif qu'il n'entrait pas dans les garanties de sa police responsabilité civile.
Par lettre recommandée du 28 mai 2019, la société Raillard a demandé à la société Speedcast des explications et lui a proposé un accord amiable impliquant qu'elle participe à l'indemnisation de son préjudice.
Par lettre recommandée du 27 juin 2019, la société Speedcast a répondu qu'elle ne disposait d'aucun élément autre que ceux déjà en possession de la société Raillard, soulignant qu'elle était surprise de l'importance de la somme engagée au regard des commandes qu'elle passait habituellement. Elle estimait que la fraude avait été rendue possible par la négligence de la société Raillard, et refusait de donner suite à la demande de prise en charge du préjudice.
Par acte d'huissier du 21 janvier 2020, la société Raillard a assigné la société Speedcast devant le tribunal de commerce de Nanterre, lequel, par jugement contradictoire assorti de l'exécution provisoire du 16 avril 2021, a :
- débouté la société Raillard de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté la société Speedcast de sa demande pour procédure abusive ;
- condamné la société Raillard à payer à la société Speedcast la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Raillard aux dépens.
Par déclaration du 26 avril 2021, la société Raillard a interjeté appel du jugement.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 21 janvier 2022, elle demande à la cour de :
- réformer le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- dire et juger que Mme [E], salariée de la société Speedcast, a commis une faute en demandant à son interlocutrice de donner suite aux demandes d'un de ses prétendus collaborateurs, sans réaliser les vérifications nécessaires, même minimales, quant à son identité ;
- dire et juger que la société Speedcast est responsable de la faute commise par sa préposée ;
En conséquence,
- condamner la société Speedcast à lui régler la somme de 102 237 euros au titre du préjudice subi, avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation ;
A titre subsidiaire, si la cour concluait à un partage de responsabilité,
- condamner la société Speedcast à contribuer à l'indemnisation de ce même préjudice, la part de responsabilité de la société Speedcast ne pouvant être inférieure à 80 % ;
- condamner la société Speedcast à lui régler la somme de 5 000 euros au titre de la résistance abusive ; A titre éminemment subsidiaire, confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Speedcast de sa demande pour procédure abusive à son encontre ;
En toute hypothèse,
- condamner la société Speedcast à lui régler la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeter les demandes de la société Speedcast ;
- condamner la société Speedcast aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Minault-Teriitehau agissant par maître Stéphanie Teriitehau, avocat, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Speedcast, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 22 octobre 2021, demande à la cour de :
- déclarer mal fondé l'appel interjeté par la société Raillard ;
En conséquence,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Raillard de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation de la société Raillard pour procédure abusive ;
Et statuant à nouveau,
- condamner la société Raillard à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive ;
En tout état de cause,
- condamner la société Raillard au paiement d'une somme de 12 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Raillard aux entiers dépens d'instance dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles agissant par maître Dupuis, avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 juin 2022.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
1 - sur la demande principale de la société Raillard, fondée sur la responsabilité extra-contractuelle de la société Speedcast
La société Raillard recherche la responsabilité extracontractuelle de la société Speedcast au motif des agissements fautifs de sa préposée, Mme [E], en ce que celle-ci lui a expressément demandé de prendre en charge la demande de M. [W] [D] relative à l'achat de billets d'avion. Elle soutient qu'en lui recommandant - sans avoir effectué aucune vérification préalable - ce M. [D] qui s'est avéré être un escroc, la société Speedcast a commis une faute qui est à l'origine du préjudice qu'elle subit à hauteur de 102 237,63 euros correspondant aux billets d'avion commandés. Elle fait valoir que la présentation de M. [D], comme étant salarié de la société Speedcast donnait toute crédibilité à la recommandation, l'appartenance au groupe mondial Speedcast justifiant également de la solvabilité de cette société, de sorte qu'elle n'avait aucune raison de s'inquiéter. Elle reproche à la société Speedcast, et à sa salariée, de n'avoir effectué aucune vérification quant à l'identité de M. [D], alors même que ce dernier l'avait appelée d'une ligne non identifiée (numéro privé), rappelant notamment que M. [D] lui a été présenté comme appartenant à la branche allemande alors que le véritable M. [D] est basé en Ecosse, ce qui confirme l'absence de toute vérification. Elle soutient également que Mme [E] a reconnu sa faute en écrivant, le 26 avril, qu'elle était ' tellement désolée' et que ses agissements n'étaient pas 'mal intentionnés'. Elle invoque enfin une défaillance fautive de la société Speedcast dans sa sécurité interne, s'étonnant qu'un tiers ait pu connaître puis usurper l'identité d'un employé du groupe Speedcast, pour se faire ensuite recommander par un collaborateur.
La société Speedcast soutient, d'une part qu'elle n'a commis aucune faute, ni directement, ni par l'intermédiaire de sa salariée, d'autre part que l'escroquerie dont la société Raillard a été victime résulte de sa seule négligence fautive. Elle soutient que sa salariée a effectué les vérifications nécessaires quant à l'identité de M. [D] puisque ce dernier est bien salarié du groupe en Ecosse. Elle conteste avoir expressément recommandé M. [D], soutenant qu'elle s'est limitée à donner à la société Raillard une information générale sur un appel à venir, en précisant que M. [D] ne pourrait faire usage du même compte client, ce qui impliquait l'ouverture d'un nouveau compte avec les justificatifs bancaires correspondant. Elle conteste en outre toute défaillance de sécurité interne, indiquant que les données utilisées par l'escroc sont publiques. Elle fait valoir que la société Raillard a fait preuve de négligences en acceptant de réserver des billets d'avion pour un montant considérable, totalement décorrélé du montant habituel de ses propres transactions, outre le fait que les billets étaient émis au bénéfice de 17 passagers distincts - sans aucune vérification de l'identité et de la solvabilité de son client ; relevant notamment les différences de présentation sur les courriels adressés par M. [D]. Elle soutient que la société Raillard 'maximise' son préjudice, qu'aucune facture n'est produite et que l'extrait de comptabilité met en lumière de nombreuses incohérences. Elle rappelle que la responsable de la société Raillard a elle-même été très surprise, à son retour de congés, du volume des ventes réalisé en son absence, en quatre jours seulement, et pour un montant considérable, remarquant immédiatement la différence de présentation des courriels, et s'alertant de l'insistance manifestée par M. [D] quant à la rapidité des transactions.
Il résulte des articles1240 et 1241 du code civil que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Il résulte de l'article 1242 du même code que l'on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. (...) Les maîtres et les commettants sont solidairement responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
Le 17 avril 2019, à 10 h20, Mme [E] a adressé à son interlocutrice habituelle dans la société Raillard (exerçant sous la dénomination Corpo Travel) un courriel - avec l'objet suivant : 'appel d'un collègue en allemagne' - rédigé en ces termes : 'Bonjour [J], j'espère que vous allez bien. J'ai un collègue de Speedcast Germany qui souhaite prends (sic) des billets d'avion pour venir en France avec vous, Corpo Travel. Il va bien évidemment régler la facture avec vous et non sur notre compte client. Je me suis permise de donner votre contact et coordonnées. Sachant que le numéro de tél ne fonctionne pas... [XXXXXXXX02] et/ou [XXXXXXXX01] impossible de vous joindre. Pouvez-vous vous occuper d'un certain [W] qui va vous appelez (sic). Merci. Best regards.'
Ce courriel de Mme [E] informe la société Raillard qu'un collègue de Speedcast Germany souhaite prendre des billets d'avion pour venir en France, et qu'il règlera sa facture directement, sans utilisation du compte client de Speedcast France. L'indication : 'pouvez-vous vous occuper d'un certain [W] qui va vous appeler' peut être considérée comme une demande de prise en charge de cette personne (dont le nom n'est toutefois pas mentionné), sans pour autant qu'elle constitue une recommandation expresse de donner suite à ses demandes, et encore moins une incitation à procéder sans aucun contrôle ni justificatifs, notamment bancaires, à l'ouverture d'un nouveau compte client.
La société Raillard n'a pas informé la société Speedcast des suites données à sa demande, excepté par son courriel du 26 avril l'informant de l'escroquerie dont elle avait été victime.
Le même 17 avril à 11 heures, un certain [W] [D], utilisant une adresse mail se terminant par '@ speedcast-uk.com' a envoyé un courriel à [J] (société Corpo Travel) en ces termes : 'Greetings from Speedcast UK, as introduced to your travel agency, we will like your agency to take charge of our flight bookings temporarily. Kindly confirm we can be grated ''granted'' 7-14 days invoicing and all invoices will be paid by bank transfer or you will prefer us to book and pay immediately by credit card. Revert ASAP to enable us email you our travel request. Regards. [W] [D]'. Ce courriel peut être traduit de la manière suivante: 'Bonjour de Speedcast UK, comme annoncé à votre agence de voyage, nous aimerions que votre agence s'occupe temporairement de nos réservations d'avion. Merci de nous confirmer que nous pouvons bénéficier d'une facturation à 7-14 jours, et toutes les factures seront payées par transfert bancaire, ou si vous préférez que nous réservions et payions comptant par carte bancaire. J'attends votre retour ASAP ''aussi vite que possible'' pour nous permettre de vous transmettre notre demande de voyage. Salutations. [W] [D].'
En réponse au reproche de la société Raillard tenant à l'absence de vérification de l'identité de M. [D], la société Speedcast soutient que ce dernier figurait bien dans l'annuaire du groupe comme travaillant pour sa filiale située en Ecosse (speedcast UK). Cette affirmation est toutefois en contradiction avec le fait que Mme [E] faisait référence à 'l'appel d'un collègue en allemagne', travaillant pour 'Speedcast Germany', ce qui suffit en fait à démontrer l'absence de toute vérification réalisée par la société Speedcast quant à la qualité de salarié de M. [D] pour Speedcast Germany.
Ce défaut de vérification peut être considéré comme une imprudence de Mme [E] lorsqu'elle informe la société Raillard qu'un certain [W], travaillant pour Speedcast Germany, va prendre contact avec elle, d'autant que l'appel de ce dernier émanait d'une ligne téléphonique non identifiée.
Il apparaît toutefois que cette imprudence n'est pas la cause de l'éventuel préjudice de la société Raillard qui a elle-même fait preuve d'une grande négligence et imprudence.
En effet, alors que la demande formulée par Mme [E] se limitait à solliciter de la société Raillard qu'elle 's'occupe d'un certain [W]' travaillant pour Speedcast Germany, pour l'achat de billets d'avion pour la France, la société Raillard va fournir à [W] [D], travaillant pour une autre société Speedcast UK, des billets d'avion à destination de différents pays d'Afrique et des Emirats arabes unis pour des montants très conséquents, ce qui est très différent de ce qui lui avait été suggéré par Mme [E]. L'absence de vérification de l'identité de [W] (supposé travailler pour Speedcast Germany) n'est donc pas la cause directe du préjudice subi par la société Raillard.
La demande formulée par Mme [E] étant de 's'occuper' d'un certain [W] travaillant pour Speedcast Germany pour l'achat de billets d'avion pour la France, la société Speedcast ne peut à l'évidence être tenue pour responsable de l'achat de billets d'avion pour divers pays lointains effectués par un [W] [D] travaillant pour la société Speedcast UK.
Le fait que Mme [E] - informée par la société Raillard de l'escroquerie dont elle venait d'être victime - ait répondu, le 26 avril 2019 'je suis tellement désolée pour vous, je ne trouve pas les mots. Crois moi, ce n'était pas mal intentionné de ma part, au contraire (...)' constitue tout au plus la reconnaissance d'une imprudence de sa part, dont il a déjà été démontré qu'elle n'était pas la cause de l'éventuel préjudice de la société Raillard.
Le seul fait que la demande d'achats de billets émane de la société Speedcast UK aurait dû conduire la société Raillard à effectuer des vérifications, ou à tout le moins à interpeller Mme [E] pour savoir s'il s'agissait de la même personne que celle recommandée.
D'autres éléments auraient également dû attirer l'attention de la société Raillard, et notamment le fait que, contrairement au courriel de Mme [E] - comprenant à la fois l'indication de son poste 'd'executive assistant', l'adresse de la société Speedcast, et une note de confidentialité en bas de page - le courriel de M. [D] ne comportait aucun de ces éléments, et notamment aucune note de confidentialité, ni même adresse de la société Speedcast en Grande Bretagne. Cette seule circonstance - ajoutée au fait que la société Raillard a reçu un courriel de Speedcast UK, alors qu'elle attendait un courriel de Speedcast Germany - aurait dû interpeller la société Raillard, sachant que le groupe Speedcast est un groupe mondial, dont les courriers et courriels répondent nécessairement à des normes de mise en page.
C'est d'ailleurs - outre le montant très conséquent des achats en quelques jours seulement - ce qui a attiré l'attention de la responsable de la société Raillard, à son retour de congés, permettant ainsi de découvrir l'escroquerie.
Contrairement à ce que soutient la société Raillard, il n'est pas établi que les coordonnées des employés de la société Speedcast soient des informations 'très confidentielles', ni que la sécurité interne de cette société soit défaillante. Les employés des différentes sociétés Speedcast - commercialisant des solutions de communication par satellite - communiquent nécessairement, par téléphone ou courriel, avec de nombreux interlocuteurs, de sorte que leurs identités et coordonnées ne sont pas confidentielles, aucune défaillance de sécurité n'étant ainsi démontrée.
Ainsi que le fait observer la société Speedcast, de nombreux éléments du dossier restent en outre inexpliqués, et notamment les conditions dans lesquelles M. [D] a pu commander pour plus de 130000 euros de billets d'avions en six jours - entre le 18 et le 23 avril 2019 - (alors même que les commandes de la société Speedcast n'excèdaient pas 20 000 euros par an les années précédentes), étant observé que la société Raillard ne produit aucune commande écrite de M. [D], ni aucune facture des billets d'avion, le seul document communiqué à l'appui de sa demande indemnitaire étant un extrait de sa comptabilité faisant apparaître un débit de 135 320,34 euros, avant imputation d'un crédit de 33082,71 euros correspondant à des avoirs (annulation de billets), soit un débit final de 102 237,63 euros. Outre les incohérences relevées par la société Speedcast, et non explicitées par la société Raillard (avoirs ne correspondant à aucune facture), ce simple extrait de comptabilité constitue une preuve que la société Raillard s'est faite à elle-même, insuffisante à caractériser l'existence de son préjudice.
L'attestation de l'expert comptable de la société Raillard ne fait en outre que justifier de la bonne application des règles et principes comptables pour aboutir à des 'opérations frauduleuses' à hauteur de 102 237 euros, ce qui ne permet pas de justifier de l'achat effectif de billets d'avion sur commande de M. [D].
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la cour constate d'une part qu'aucune défaillance de sécurité interne n'est établie dans la société Speedcast, d'autre part que l'absence de vérification de l'identité de M. [D] n'est pas en lien de causalité avec le préjudice allégué par la société Raillard, et enfin que l'existence même de ce préjudice est insuffisamment établie et ne pourrait éventuellement résulter, à le supposer établi, que de l'imprudence et de la négligence fautive de la société Raillard.
Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a rejété l'ensemble des demandes formées par la société Raillard.
2 - sur la demande reconventionnelle formée par la société Speedcast pour procédure abusive
La société Speedcast sollicite l'infirmation du jugement du tribunal de commerce en ce qu'il l'a déboutée de sa demande indemnitaire pour procédure abusive. Elle soutient que la société Raillard a agi avec une mauvaise foi évidente dès lors que son préjudice résulte de son attitude fautive et qu'elle ne pouvait 'légitimement croire au bien fondé de son action'. Elle ajoute que la société Raillard n'a pas spontanément exécuté le jugement (paiement des frais irrépétibles), et qu'elle ne critique pas substantiellement le jugement déféré.
L'exercice d'une action en justice est un droit qui ne dégénère en abus qu'à condition, pour celui qui l'invoque, de caractériser cet abus.
La seule affirmation que la société Raillard ne pouvait, au regard de son attitude fautive, légitimement croire au bien fondé de son action est insuffisante à caractériser sa mauvaise foi, ou un quelconque abus dans l'exercice de son droit d'agir en justice, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Speedcast à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 16 avril 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Raillard et Fils à payer à la société Speedcast France la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Raillard et Fils aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés directement par les avocats qui peuvent y prétendre, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Conseiller faisant fonction de Président,