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14/03/2023 | FRANCE | N°21/01914

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 14 mars 2023, 21/01914


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B





DU 14 MARS 2023





N° RG 21/01914

N° Portalis DBV3-V-B7F-UMS7





AFFAIRE :



[F] [O]

C/

[U] [J]

...





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Décembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/07681<

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Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-Me Gwladys SALGADO,



-Me Christophe DEBRAY,





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a ren...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B

DU 14 MARS 2023

N° RG 21/01914

N° Portalis DBV3-V-B7F-UMS7

AFFAIRE :

[F] [O]

C/

[U] [J]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Décembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/07681

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-Me Gwladys SALGADO,

-Me Christophe DEBRAY,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [F] [O]

né le [Date naissance 4] 1955 à [Localité 10] (TUNISIE)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 8]

représenté par Me Gwladys SALGADO, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 748

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/001855 du 20/05/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de VERSAILLES)

APPELANT

****************

Madame [U] [J]

née le [Date naissance 5] 1972 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 7]

S.A. MMA IARD - MUTUELLE DU MANS ASSURANCE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

N° SIRET : 440 04 8 8 82

[Adresse 3]

[Localité 6]

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

N° SIRET : 775 65 2 1 26

[Adresse 3]

[Localité 6]

représentés par Me Christophe DEBRAY, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 21132

INTIMÉES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Décembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sixtine DU CREST, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

M. [O] a été engagé sous contrat à durée indéterminée le 13 octobre 2008 par la société Nicollin en qualité de conducteur de matériels de collecte.

En 2013, il a été victime d'un accident du travail et le médecin du travail a conclu à son inaptitude totale au poste de conducteur de matériel de nettoiement avec proposition de reclassement, à la suite à deux visites médicales en date des 4 et 19 novembre 2013.

Par courrier du 23 octobre 2013, la société Nicollin lui a proposé plusieurs postes disponibles dans différents sites du groupe. Aucun poste n'ayant été accepté, compte tenu de sa qualité de salarié protégé, elle a sollicité l'autorisation de le licencier auprès des services de l'inspection du travail.

Par décision du 24 février 2014 notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception, l'inspection du travail a autorisé son licenciement. Par lettre du 5 mars 2014, la société Nicollin a licencié M. [O] pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement.

Le 25 avril 2014, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles aux fins d'obtenir une indemnité de 20.000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le 14 mai 2014 il a été convoqué à l'audience du bureau de conciliation du 25 septembre 2014.

Le 2 juin 2014, il a sollicité l'aide juridictionnelle et par décision du 3 juillet 2014, le bureau d'aide juridictionnelle de Versailles a désigné Mme [J] pour l'assister dans le litige prud'homal l'opposant à la société Nicollin.

A l'audience du 21 janvier 2016, le bureau de jugement a ordonné la radiation de l'affaire pour défaut de diligence des parties, à savoir que la partie demanderesse, en l'espèce M. [O], représenté par Mme [J], n'ayant pas mis en l'état le dossier pour l'audience. Le bureau de jugement a dit qu'elle ne pourrait être rétablie que sur dépôt au greffe du bordereau de communication de pièces au défendeur et d'un exposé écrit des demandes avec ses moyens de fait et de droit tels qu'ils seront développés à l'oral.

Le 31 mars 2015 (en réalité 31 mars 2016), Mme [G], qui avait été sollicitée par Mme [J], a adressé un courrier à M. [O] pour l`informer que l'action devant le conseil de prud'hommes était vouée à l'échec dans la mesure où cette juridiction estimerait certainement n'être pas compétente pour statuer sur la contestation relative à la rupture du contrat de travail. Elle lui déconseillait de solliciter le ré-enrôlement de l'affaire. Elle indiquait que les voies de recours contre la décision de l'inspection du travail, à savoir le ministre du travail et le tribunal administratif étaient mentionnées à la fin de la décision, qu'aucun recours devant le tribunal administratif, seul compétent pour contester la décision de l'inspection du travail, n'avait été formé et que le délai pour le faire était expiré. Elle ajoutait que le fait qu'il indique être analphabète n'avait pour effet de lui rendre le délai inopposable.

M. [O] s'est adressé à la compagnie d'assurances AON au titre de la responsabilité professionnelle du barreau de Versailles en invoquant une faute de Mme [J]. Il lui a été répondu par courrier du 19 septembre 2017 que lorsqu'elle a été désignée, il avait déjà saisi le conseil de prud'hommes et le délai de saisine du tribunal administratif était déjà expiré de sorte qu'aucune faute ne pouvait être retenue à son encontre et que, en sa qualité d'assureur, il ne pouvait donner une suite favorable à sa réclamation.

Par acte d'huissier de justice délivré le 25 octobre 2018, il a fait assigner Mme [J], la société MMA Iard et la société MMA Iard Assurances Mutuelles devant le tribunal judiciaire de Versailles aux fins de voir engager la responsabilité civile professionnelle de celle-ci. Il les a fait réassigner par acte 28 mars 2019 ayant donné lieu à une ordonnance de jonction du juge de la mise en état le 8 avril 2019.

Par un jugement contradictoire rendu le 31 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Versailles a rejeté la totalité des demandes de M. [O] ainsi que de Mme [J] et son assureur, et a condamné M. [O] aux dépens.

M. [O] a interjeté appel de ce jugement le 22 mars 2021 à l'encontre de Mme [J], de la société MMA Iard, et de la société MMA Iard Assurances Mutuelles.

Par conclusions notifiées le 4 octobre 2022, M. [O] demande à la cour, au fondement des articles 1231-1 et 1240 du code civil, de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

Y faisant droit,

- infirmer la décision entreprise,

Et statuant à nouveau,

- dire qu'il est bien fondé en ses prétentions,

- débouter Mme [J] et son assureur de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

En conséquence,

- dire que Mme [J] a commis une faute,

- dire que Mme [J] est responsable du préjudice subi par lui,

- dire que les condamnations pécuniaires de Mme [J] sont garanties par la société d'Assurance MMA Iard Assurances Mutuelles et la société anonyme MMA Iard,

- condamner Mme [J] à lui verser la somme de 25 000 euros au titre des dommages et intérêts,

En tout état de cause,

- condamner Mme [J] à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 14 septembre 2022, la société anonyme MMA Iard, la société MMA Iard Assurances Mutuelles et Mme [J] demandent à la cour de :

- à titre liminaire, sous réserve de la saisine régulière et effective de la cour en l'absence de demande d'infirmation du jugement entrepris dans la déclaration d'appel, statuer sur l'absence de saisine de la cour en l'absence d'effet dévolutif, la déclaration d'appel constituant l'acte saisissant la juridiction du second degré,

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et débouter M. [O] de l'intégralité de ses demandes.

Y ajoutant

- condamner M. [O] à payer à Mme [J] la somme de 2000 euros à titre de dommages-intérêts,

- le condamner à payer aux sociétés MMA la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 3 novembre 2022.

SUR CE, LA COUR,

A titre liminaire

Il résulte des écritures susvisées que le jugement est querellé en toutes ses dispositions.

La cour rappelle que l'article 954 du code de procédure civile oblige les parties à énoncer leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions et que la cour ne statue que sur celles-ci.

Par prétention, il faut entendre, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, une demande en justice tendant à ce qu'il soit tranché un point litigieux.

Par voie de conséquence, les « dire » ou « dire et juger » ne constituent pas des prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l'examen des griefs formulés contre le jugement et à la discussion des prétentions et moyens, pas dans le dispositif. La cour ne répondra de ce fait à de tels « dire » ou « dire et juger » qu'à condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée en appel et énoncée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif de son arrêt, mais dans ses motifs.

Sur la demande reconventionnelle formée à titre liminaire relative à la saisine de la cour d'appel

Moyens des parties

Mme [J], ainsi que la société anonyme MMA Iard et la société MMA Iard Assurances Mutuelles, demande à la cour « à titre liminaire, sous réserve de la saisine régulière et effective de la cour en l'absence de demande d'infirmation du jugement entrepris dans la déclaration d'appel, statuer sur l'absence de saisine de la cour en l'absence d'effet dévolutif, la déclaration d'appel constituant l'acte saisissant la juridiction du second degré ».

La cour comprend que les intimées soutiennent que la cour ne serait pas saisie au motif que la déclaration d'appel ne mentionne pas expressément une demande d'infirmation du jugement.

M. [O] réplique que cette demande n'a pas été sollicitée dès les premières conclusions des intimées ni même par le conseiller de la mise en état, de sorte qu'elle n'est pas recevable.

Il souligne qu'à l'inverse, il a formé une demande d'infirmation du jugement dès ses premières conclusions d'appelant, au dispositif de ses écritures. Il en déduit que la cour est valablement saisie de sorte qu'elle doit déclarer l'appel de M. [O] recevable et bien fondé.

Appréciation de la cour

L'article 910-4 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

La cour constate que dans leurs premières conclusions d'intimées notifiées le 1er septembre 2021, elles n'ont pas formulé de demande reconventionnelle relative à l'absence de saisine de la cour.

Elles ont formulé ainsi le dispositif de leurs écritures :

« À titre liminaire, sous réserve de la saisine régulière et effective de la Cour en l'absence de demande d'infirmation du jugement entrepris dans la déclaration d'appel,

- CONFIRMER le jugement déféré en toutes ses dispositions et DEBOUTER Monsieur [O] de l'intégralité de ses demandes ».

Il en résulte qu'elles émettent l'hypothèse que la cour ne serait pas dûment saisie, mais n'en tirent aucune conséquence et ne formulent aucune prétention en conséquence de cette hypothèse.

Dès lors, leur demande reconventionnelle, qui n'est au demeurant fondée sur aucun moyen de fait ni de droit développé dans leurs écritures, est irrecevable.

Sur la faute

Au fondement de l'article 1241du code civil, le jugement a considéré qu'aucun manquement fautif de la part de Mme [J] n'était démontré.

Moyens des parties

Poursuivant l'infirmation du jugement, M. [O] fait valoir, au fondement de l'article 1231-1 du code civil, que d'une part, en ne lui conseillant pas en urgence de saisir le tribunal administratif d'un recours contre la décision de l'inspection du travail ayant autorisé son licenciement, et que d'autre part, en ne se présentant pas à l'audience du bureau de jugement, en ne déposant pas d'écriture et en ne l'informant pas du suivi de la procédure, Mme [J] a commis une faute.

Il soutient que Mme [J] a été saisie, au titre de l'aide juridictionnelle, dans un délai suffisant pour contester l'autorisation de l'inspection du travail du 25 février 2014 devant le tribunal administratif, puisqu'elle a saisi le conseil de prud'hommes le 25 avril 2014.

Il ajoute qu'elle est spécialisée en droit du travail et que, sans en avertir M. [O], elle a confié son dossier à Mme [G], sa collaboratrice, de sorte qu'elle avait connaissance de la décision de l'inspection du travail.

Il insiste sur le fait que le courrier de Mme [G] du 31 mars 2015 évoque le caractère inapproprié d'une saisine de la juridiction prud'homale au détriment d'une saisine du tribunal administratif.

Il précise que Mme [J] n'était pas présente pour le représenter à l'audience du bureau de jugement le 21 janvier 2016, qu'elle n'a versé aucune écriture ni aucune pièce, et qu'elle n'a pas informé son client du suivi de la procédure.

Il en déduit que Mme [J] a manqué à son obligation de compétence, de conseil et d'information et, se faisant, a commis une faute qui lui a directement causé préjudice.

En réplique, poursuivant la confirmation du jugement, Mme [J], ainsi que la société anonyme MMA Iard et la société MMA Iard Assurances Mutuelles, contestent avoir commis une faute.

Elles font valoir que M. [O] n'a sollicité l'aide juridictionnelle que le 2 juin 2014, que Mme [J] n'a été désignée à ce titre que le 3 juillet 2014, de sorte qu'à l'expiration du délai de deux mois pour saisir le juge administratif pour contester la lettre de l'inspection du travail autorisant le licenciement, soit le 28 février 2014 (en comptant le délai d'acheminement de la lettre recommandé avec accusé réception de l'inspection du travail).

Elle précise avoir reçu en rendez-vous M. [O], en présence d'un interprète, et lui avoir expliqué qu'il était trop tard pour saisir le tribunal administratif.

Selon elles, M. [O] ne peut imputer l'absence de saisine du tribunal administratif dans le délai à la faute de Mme [J], dès lors qu'elle n'était pas encore désignée et n'avait aucune connaissance du dossier.

Le moyen selon lequel elle aurait été en mesure de saisir le tribunal administratif dans le délai puisque le conseil de prud'homme a été saisi le dernier jour du délai est, selon elles, inopérant. Selon elles, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes seul, sans être assisté d'un avocat (convocation CPH pièce 7 M. [O]).

Elles ajoutent que M. [O] aurait dû saisir le bureau d'aide juridictionnelle dès le prononcé de la décision de l'inspection du travail, d'autant que le délai de recours de deux mois pour saisir le juge administratif était expressément indiqué sur sa décision.

Par ailleurs, Mme [J] indique avoir sollicité en vain des pièces visant à soutenir des demandes annexes, tels que le rappel de salaires ou des heures supplémentaires, devant le conseil de prud'hommes. Faute de les avoir obtenues, elle dit s'être présentée devant le bureau de jugement et avoir sollicité un renvoi dans l'attente des pièces de son client, demande qui n'a pas été satisfaite puisque ce dernier a ordonné la radiation de l'affaire.

Elle conteste ne pas avoir informé M. [O] du suivi de la procédure et précise l'avoir immédiatement informé de la radiation prononcée, puis l'avoir reçu en mars 2016 à son cabinet avec sa collaboratrice Mme [G], avocat.

Appréciation de la cour

Selon l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

L'article 1231-1 du code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

La responsabilité civile professionnelle de Mme [J] suppose la démonstration d'une faute commise par elle, et d'un préjudice en relation causale avec cette faute.

Pèse sur l'avocat une obligation de conseil qui s'entend comme l'assistance, l'accompagnement de son client auquel il doit proposer une stratégie adaptée à sa situation et conforme au droit positif, ce qui suppose de s'informer de cette situation. Il est en outre tenu d'éclairer son client sur la portée exacte et les conséquences de ses engagements. Il lui appartient par ailleurs d'informer son client des chances de succès de l'action et de faire preuve de diligence et de prudence dans l'accomplissement des actes de procédure qui sont mis à sa charge.

Le professionnel qui a manqué à son obligation de diligence sera condamné à réparer le préjudice en résultant de manière certaine. Ainsi, lorsque ses clients, dûment conseillés et assistés, auraient, de manière certaine, évité le dommage si l'avocat n'avait pas failli, ce dernier sera condamné à le réparer.

En revanche, toute incertitude sur l'existence du préjudice et/ou sur le lien de causalité entre les fautes commises et les préjudices allégués, en particulier lorsque les diligences de l'avocat consistaient à mener à bien des actions en justice, ne peut donner lieu à réparation qu'au titre d'une perte de chance, entendue comme la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, qui doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

La perte de chance subie par le justiciable qui a été privé de la possibilité de faire valoir ses droits par la faute d'un auxiliaire de justice, se mesure donc à la seule probabilité de succès de la diligence omise.

En l'espèce, il incombe à M. [O] de démontrer au préalable une faute commise par Mme [J].

Par lettre recommandée avec avis de réception du 25 février 2014, l'inspection du travail a, au vu du respect de la procédure d'inaptitude professionnelle et de la réalité des efforts de reclassement, autorisé le licenciement de M. [O] (pièce 7 appelant).

Pour contester cette décision, M. [O] disposait d'un délai de deux mois à compter de la notification de la lettre, donc jusqu'au 25 avril 2014, pour intenter un recours. Il ne pouvait pas ignorer ce délai puisqu'il en était expressément fait mention au bas de la lettre de l'inspection du travail qu'il ne conteste pas avoir reçue.

Il ressort de la décision du bureau d'aide juridictionnelle qu'il a saisi ce dernier d'une demande d'aide juridictionnelle dans le cadre d'un litige prud'homal le 2 juin 2014, et que Mme [J] a été désignée à ce titre le 3 juillet 2014 (pièce 14 appelant), soit postérieurement à l'expiration du délai de recours contre la décision de l'inspection du travail.

Il ne peut donc pas être reproché à Mme [J] de ne pas avoir saisi la juridiction administrative contre la décision de l'inspection du travail, puisqu'elle n'a été saisie qu'après l'expiration du délai de deux mois, alors même que M. [O] avait connaissance de ce délai.

M. [O] dit être analphabète. Il lui appartenait à réception de la lettre de solliciter l'aide de tiers pour en connaître le contenu. Il n'a d'ailleurs pas manqué de le faire en d'autres occasions puisqu'il a eu connaissance de sa lettre de licenciement du 8 mars 2014 (pièce 8) et que le 25 avril 2014 il a saisi le conseil de prud'hommes pour contester son licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'en atteste la convocation devant le bureau de conciliation (pièce 9 appelant).

Il ressort de cette convocation que M. [O] a saisi seul le conseil de prud'hommes (pièce 9 : aucune représentation d'avocat n'est évoquée) et qu'il n'était assisté de Mme [J] que plus tard, ainsi qu'en atteste la notification de la décision de radiation du 21 janvier 2016 qui mentionne expressément « représenté par Me [U] [J] (avocat au barreau de Versailles) » (pièce 10 appelant).

Il résulte de ces éléments que M. [O] échoue à démontrer une faute commise par Mme [J] en ce qu'elle n'aurait pas saisie dans le délai légal la juridiction administrative pour contester l'autorisation donnée par l'inspection du travail.

Enfin, s'agissant de l'audience devant le bureau de jugement du 21 janvier 2016, la décision de radiation du 21 janvier 2016 est motivée par « le défaut de diligences des parties à l'audience de ce jour, à savoir : la partie demanderesse n'a pas pu mettre en état le dossier pour l'audience de ce jour » (pièce 10 appelant).

Mme [J] indique avoir reçu en son cabinet M. [O] le 23 juillet 2014, avec un interprète, et lui avoir expliqué que la contestation de son licenciement, autorisé par l'inspection du travail, devant le conseil de prud'hommes était vouée à l'échec et que, compte tenu de la volonté de ce dernier de poursuivre le recours, elle a sollicité des pièces pour soutenir une demande d'indemnisation d'une autre nature ou sur un autre fondement (pièce 1 des intimées : lettre de Mme [J] au bâtonnier de Versailles le 26 mai 2016).

Elle précise que M. [O] ne lui a remis aucune pièce idoine de sorte qu'elle s'est trouvée dépourvue lors de l'audience devant le bureau de jugement, ce que M. [O] ne conteste pas.

En outre, par lettre du 31 mars 2015 (cette date semble être une erreur matérielle puisque la lettre fait référence à la radiation prononcée le 21 janvier 2016, de sorte, ainsi que le laisse entendre la chronologie rappelée dans les écritures des intimées, la lettre a probablement due être rédigée le 31 mars 2016 : pièce 11 de l'appelant), Mme [G], avocate collaboratrice de Mme [J], a indiqué à M. [O] qu' « après examen des pièces de votre dossier, je n'ai pas relevé de demandes susceptibles d'être formulées au titre de l'exécution du contrat de travail. Compte tenu de ces éléments, il ne me semble pas qu'il soit dans votre intérêt de solliciter le réenrôlement de votre affaire » et que s'il souhaitait réenrôler l'affaire, il disposait d'un délai de deux ans à compter du 21 mars 2016 et s'exposait à une condamnation au titre des frais irrépétibles (pièce 11).

M. [O] ne conteste pas avoir été destinataire de ce courrier pas plus qu'il ne soutient y avoir apporté une réponse. Il n'indique ni ne justifie avoir transmis une quelconque instruction quant au réenrôlement de son affaire à Mme [J] ni à Mme [G].

Il en résulte qu'aucun manquement à ses obligations de compétences, d'information et de conseil n'est démontré à l'encontre de Mme [J].

Dès lors, en l'absence de faute démontrée, la demande de dommages et intérêts de M. [O] sera rejetée, sans qu'il soit besoin d'examiner l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité, et le jugement sur ce point sera confirmé.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts de Mme [J]

Moyens des parties

Au soutien de sa demande de condamnation de M. [O] à lui verser 2000 euros à titre de dommages et intérêts, Mme [J] fait valoir qu'elle a subi un préjudice moral par le fait d'avoir dû s'expliquer à plusieurs reprises devant le bâtonnier et d'avoir été confrontée à un procès mettant en cause son professionnalisme, après 19 ans de pratique du barreau. Elle ajoute que la persistance de M. [O] à vouloir poursuivre une action vouée à l'échec, alors qu'il a été à plusieurs reprises prévenu de ce risque depuis 2014, confine selon elle au harcèlement et doit être sanctionné par l'octroi de dommages et intérêts.

M. [O] ne développe aucun moyen de fait ni de droit sur ce point.

Appréciation de la cour

L'article 32-1 du code de procédure civile dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Toute faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice ouvre droit à réparation.

Par ailleurs, selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l'espèce, il appartient à Mme [J] de démontrer une faute de la part de M. [O] ayant fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice dont découlerait directement un préjudice qu'elle aurait subi. Force est de constater qu'elle ne démontre pas l'existence d'une telle faute commise l'appelant qui a usé des voies de droit pour faire valoir ses prétentions, sans que soit caractérisé l'usage abusif de ce droit.

La demande de dommages et intérêts de Mme [J] sera donc rejetée et le jugement, sur ce point, sera confirmé.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement qui a exactement statué sur les dépens et les frais irrépétibles sera confirmé de ces chefs.

M. [O], partie perdante, sera condamné aux dépens d'appel. Sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera de ce fait rejetée.

L'équité commande de rejeter les demandes de la société MMA Iard et de la société MMA Iard Assurances Mutuelles au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

DÉCLARE irrecevable la demande formée à titre liminaire par Mme [J] relative à la saisine de la cour d'appel ;

REJETTE les demandes de la société MMA Iard et de la société MMA Iard Assurances Mutuelles au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [O] aux dépens d'appel ;

REJETTE toutes autres demandes.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 21/01914
Date de la décision : 14/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-14;21.01914 ?
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