COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 26F
DU 28 FÉVRIER 2023
N° RG 22/04435
N° Portalis DBV3-V-B7G-VJQ5
AFFAIRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL
C/
[I], [R] [O]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Mars 2022 par le Tribunal Judiciaire de PONTOISE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 21/00868
Expéditions exécutoires
Expéditions
délivrées le :
à :
- [I], [R] [O],
-la SELARL VP AVOCATS,
-MP
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT HUIT FÉVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL
COUR D'APPEL DE VERSAILLES
[Adresse 3]
[Localité 4]
pris en la personne de Mme MOREAU, Avocat Général
APPELANT
*********************
Monsieur [I], [R] [O]
né le 26 Juin 1970 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Béatrice VESVRES de la SELARL VP AVOCATS, avocat - barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 236 - N° du dossier 2021-030
INTIMÉ
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, en présence du ministère public, l'affaire a été débattue le 28 Novembre 2022 en chambre du conseil, l'avocat de la partie ne s'y étant pas opposé, devant Madame Anna MANES, Présidente chargée du rapport et Madame Sixtine DU CREST, Conseiller.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE,
M. [I] [O], né le 26 juin 1970 à [Localité 6] (Hauts-de-Seine), et Mme [K] [O], née le 20 décembre 1984 à [Localité 7] (Val d'Oise), de nationalité française, sans emploi, sont frère et soeur consanguins.
Mme [K] [O] a donné naissance à un premier enfant, [B] [V]-[O], né le 28 novembre 2005 à Soisy-Sous-Montmoreney (Val d'Oise), de nationalité française, écolier et demeurant chez son père au [Adresse 2] (Landes).
Mme [K] [O] a donné naissance à un second enfant, [N], [R] [O], né le 30 avril 2018 à [Localité 8] (Alpes Maritimes), sans filiation paternelle reconnue.
Il s'agit de l'adopté.
Par jugement contradictoire rendu le 8 mars 2022, le tribunal judiciaire de Pontoise, statuant en matière gracieuse, a :
Vu la requête qui précède et les pièces jointes,
Vu les articles 360, 363 et suivants du code civil et 1166 du code de procédure civile,
- Prononcé l'adoption simple de M. [N], [R] [O] né le 30 avril 2018 à [Localité 8] (Alpes-Maritimes) domicilié [Adresse 1]) par :
M. [I], [R] [O] né le 26 juin 1970 à [Localité 6] (Hauts-de-Seine) domicilié [Adresse 1]),
- Dit que l'adopté conservera son nom d'origine conformément à l'article 363 du code civil,
- Ordonné la mention du dispositif du présent jugement à la diligence du procureur de la République en marge de l'acte de naissance 0009231 de l'année 2018 de [N], [R] [O] à la mairie de [Localité 8] (Alpes-Maritimes),
- Dit que l'adoption produira ses effets à dater du 22 février 2021 jour du dépôt de la requête,
- Dit que le présent jugement sera notifié par le greffier au ministère public et par lettre recommandée avec accusé de réception aux parties en cause ou à leur avocat,
- Laissé les dépens à la charge du Trésor Public.
Le ministère public a interjeté appel de ce jugement le 22 mars 2022.
Par ordonnance rendue le 25 juillet 2022, la 1re chambre, 1re section, de la cour d'appel de Versailles, au visa des articles 808 et suivants, 950 et suivants du code de procédure civile, a fixé l'audience en chambre du conseil au 28 novembre 2022 à 9h00.
Par d'uniques écritures notifiées le 10 novembre 2022, le ministère public demande à la cour de :
- Ordonner avant dire droit une expertise génétique de nature à écarter la paternité biologique de M. [I] [O] à l'égard du mineur [N] quand bien même M. [I] et Mme [K] [O] ayant la même filiation paternelle ne pourraient adopter l'enfant de l'un ou de l'autre et en tout état de cause réformer la décision dont il a été relevé appel.
Selon le ministère public, son opposition à la requête en adoption simple présentée par [I] [O] est motivée par la privation automatique de l'autorité parentale pour la mère biologique sur son enfant et par l'impossibilité d'écarter une situation d'inceste à la simple lecture d'un acte de naissance.
A cet égard, il fait valoir, au titre de la première raison, qu'en application de l'article 365 du code civil, l'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l'adopté, à moins qu'il ne soit le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin de l'un des parents de l'adopté ; dans ce cas, selon lui, l'adoptant dispose de l'autorité parentale concurremment avec son conjoint, partenaire ou concubin, lequel en conserve seul l'exercice, sous réserve d'une déclaration conjointe avec l'adoptant aux fins d'un exercice en commun de cette autorité.
En l'espèce, il observe que M. [I] [O] n'est ni le conjoint, ni le partenaire, ni le concubin de l'un des parents de l'enfant et ne le sera jamais, étant le frère consanguin de Mme [K] [O], la mère de l'enfant, de sorte que cette dernière sera privée de son autorité parentale sur son enfant de manière irrévocable. Il prétend que dépouiller la mère biologique, qui n'a pas démérité, de tous les droits liés à l'autorité parentale sur son enfant, alors qu'elle s'est toujours occupée de lui, depuis sa naissance, sans difficulté, sans carence, ni maltraitance est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant consacré par la convention internationale des droits de l'enfant ; que cette lecture est celle de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui, depuis un arrêt du 20 février 2007, estime qu'une telle situation crée un risque de rupture définitive des liens éducatifs et affectifs entre l'enfant et sa mère en cas de mésentente avec l'adoptant et écarte également la possibilité d'utiliser dans un second temps une possible délégation partage de l'autorité parentale afin de compenser, du fait de l'adoption, la perte par la mère de toute autorité parentale.
Il observe que la requête est motivée par la santé fragile de Mme [K] [O], aujourd'hui âgée de 37 ans, sans que les pièces produites à l'appui de cette allégation ne convainquent (pièces 29 et 8) dans la mesure où les résultats des investigations complémentaires sur le plan pleuro pulmonaire annoncées ne sont pas versés aux débats, sans que l'attestation de la mère de Mme [K] [O] ne soit circonstanciée et pertinente.
S'agissant de la seconde raison, il fait valoir que certes l'acte de naissance de l'enfant ne caractérise pas une relation incestueuse, ce que la loi interdit du reste, mais les mentions figurant sur cet acte interrogent. En effet, relève-t-il, le second prénom de l'enfant est [R], comme le candidat à l'adoption ; la présence de M. [I] [O] au moment de l'accouchement est notée ; M. [I] [O] a procédé à la déclaration de naissance ; l'adresse précise de Mme [K] [O] à [Localité 8] figure sur cet acte, mais pas celle du déclarant qui se borne à indiquer qu'il demeure également à [Localité 8] sans précision particulière.
Le ministère public ajoute que les origines paternelles de cet enfant ne sont pas évoquées ; que les différentes attestations produites font état du fait que Mme [K] [O] est hébergée chez son frère depuis 2017, que l'adoptant a donc vécu avec l'enfant depuis sa naissance ; que les différentes attestations de l'entourage familial tant de l'adoptant que de la mère de l'enfant louent la façon dont M. [I] [O] s'occupe de l'enfant, avec paternalisme et amour (pièce 9) ; que la fille de M. [I] [O], née en 1997, dit être heureuse que l'enfant devienne son petit frère officiellement (pièce 19) ; que le fils aîné de Mme [K] [O] atteste être content que son frère soit adopté par 'tonton [I]' (pièce 21) sans que la situation de cet enfant, les raisons pour lesquelles il vit dans les Landes, chez son père, pas avec sa mère, ne soient explicitées.
L'appelant soutient encore que l'intérêt supérieur de l'enfant, qui doit guider ces débats, ne commande pas cette adoption qui bousculerait l'ordre générationnel naturel et entretiendrait la confusion entre les membres de la famille quant à leur place respective, les cousines germaines (filles de M. [I] [O]) devenant les soeurs de l'adopté alors que, parallèlement, le lien de parenté unissant seulement l'adoptant, l'adopté et les descendants de ce dernier, mais nullement la famille de l'adoptant, les rapports de l'adopté avec la famille de l'adoptant, notamment sur le terrain patrimonial, demeureraient limités.
S'agissant du nom de l'enfant, dans l'éventualité où la cour faisait droit à la requête de M. [I] [O], le ministère public invite cette cour à décider que l'adopté porte le nom de l'adoptant, accoler le nom de l'adoptant et celui actuel de l'enfant, donc le nom de [O], étant contraire à son intérêt, et ordonner que l'enfant ne porte pas le nom de l'adoptant n'étant pas prévu par les textes.
Le ministère public observe encore que, par application des dispositions de l'article 388-2 du code civil, la suggestion de désigner un administrateur ad hoc peut apparaître pertinente dans la mesure où les intérêts du mineur, dans la présente procédure, s'opposent à ceux de son représentant légal.
Enfin, il est d'avis que la cour ordonne une expertise génétique de nature à écarter la paternité biologique de M. [I] [O] sur l'enfant quand bien même [I] et [K] [O] ayant la même filiation paternelle ne pourraient pas adopter l'enfant de l'un ou de l'autre.
Par d'uniques conclusions notifiées le 23 novembre 2022, M. [I] [O] invite cette cour, au fondement des articles 348, alinéa 2, 360 à 370-2 du code civil, 1166 à 1176 du code de procédure civile, à :
- Le recevoir en ses demandes ;
- Confirmer le jugement ;
- Subsidiairement et y substituant, dire que l'adopté portera le seul nom de l'adoptant conformément aux dispositions de l'article 363, dernier alinéa, du code civil alors en vigueur au jour de l'introduction de la demande.
Il fait d'abord valoir que l'adoption est conforme à l'ordre public ; que le ministère public se fonde sur les dispositions de l'article 310-2 du code civil pour motiver son refus et sur une jurisprudence ancienne (1re Civ., 6 janvier 2004, pourvoi n° 01-01.600, Bulletin civil 2004, I, n° 2) aujourd'hui obsolète au regard des arrêts récents de la haute juridiction (1re Civ., 20 juin 2006, pourvoi n° 04-14.450 ; 1re Civ., 11 juillet 2006, pourvoi n° 04-10.839, Bull. 2006, I, n° 384).
Il ajoute que dans un arrêt très récent la Cour de cassation a affirmé que l'adoption d'un neveu par son oncle ou sa tante n'était pas contraire à l'ordre public si l'adopté n'était pas issu d'un inceste (1re Civ., 16 décembre 2020, pourvoi n° 19-22.101).
Il avance que l'enfant n'est nullement issu d'un inceste entre sa soeur et lui et qu'aucun élément du dossier ne vient le démontrer.
Selon lui, le ministère public n'hésite pas à inverser la charge de la preuve dès lors qu'il affirme qu'à la lecture de l'acte de naissance, l'inceste n'est pas exclu alors qu'il ne revient ni au tribunal ni à l'adoptant de rapporter la preuve de l'absence d'inceste, mais à lui de fournir la preuve positive de celui-ci ; que la présence de l'adoptant à l'accouchement et la déclaration de naissance faite par lui ne permettent nullement d'affirmer ou de suspecter une situation d'inceste, mais au contraire de démontrer que le père biologique a toujours été absent et qu'il a toujours été présent dans la vie de cet enfant ; que l'expertise n'a pas vocation à pallier la carence probatoire du ministère public.
S'agissant de l'intérêt de l'enfant, il fait valoir que :
* il a toujours été présent dans la vie de l'adopté depuis sa naissance,
* il héberge la mère depuis 2017 et l'enfant depuis sa naissance (pièce 7),
* la mère a une santé fragile (pièce 29) et il s'inquiète de ce qu'il adviendra de l'enfant en cas de problème de santé plus grave de la mère,
* il est très attaché à cet enfant avec lequel des liens forts et réciproques se sont noués comme l'attestent les témoignages de la grand-mère de l'enfant, de la mère de l'adoptant, du frère de l'adoptant, de ses amis (pièces 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14),
* de Mme [P], épousée en 2002 et avec laquelle il a divorcé en 2016 (pièces 15, 16 et 1), il a eu deux filles (pièce 17) et ce sont ses seuls enfants (attestation sur l'honneur pièce 18),
* ses filles considèrent l'adopté comme leur frère (pièces 19 et 20),
* le frère utérin de l'adopté est également favorable à cette adoption (pièce 21).
Selon lui, toutes ces attestations démontrent l'existence de liens affectifs forts et constants entre l'adoptant et l'adopté, que cette adoption simple est une évidence pour l'ensemble de son l'entourage familial et amical.
En réponse à l'argument du ministère public sur les droits de l'autorité parentale, il observe qu'il n'est pas comptable des dispositions légales et des conséquences que le législateur a entendu donner à l'adoption simple à l'égard du parent biologique qui l'accepte et qui perd ses droits à la suite. Il soutient que cet argument est inopérant et que le ministère public tente d'ajouter une condition à la loi qu'elle ne prévoit pas.
Il relève que le ministère public se borne à présumer et anticiper, sans aucun élément à l'appui, que l'ordre générationnel serait bouleversé par cette adoption, au sein de la famille. Il ajoute que la potentielle confusion n'existera pas si les choses sont exposées simplement et clairement à l'enfant.
S'agissant du patronyme, il demande la confirmation du jugement ou, subsidiairement, que l'adopté porte son nom ce qui, en pratique, ne changera rien pour lui, puisqu'il porte déjà ce nom.
En outre, il rappelle que les conditions d'âge prévues aux articles 343-1 et 344 du code civil sont remplies (l'adoptant étant âgé au moins de 28 ans et l'écart d'âge entre l'adopté et l'adoptant d'au moins 15 ans, puisqu'il a 50 ans et que la différence d'âge entre les deux est de 48 ans).
Enfin, il observe que Mme [K] [O] a consenti à l'adoption simple de son fils par acte notarié (pièce 22) et ne s'est pas rétractée dans les deux mois (pièce 23) de sorte que les dispositions des articles 347, 348-1 et 348-3 du code civil sont remplies.
SUR CE, LA COUR,
Sur le bien-fondé de la requête
Les conditions d'âge prévues aux articles 343-1 et 344 du code civil ne sont pas discutées.
Il est également constant et nullement contesté que Mme [K] [O] a consenti à l'adoption simple de son fils [N], [R] [O] par son frère consanguin M. [I] [O] devant notaire et ne s'est pas rétractée dans le délai prévu à l'article 348-3 du code civil. Il résulte du reste de l'acte notarié (pièce 20) qu'elle a été précisément informée des conséquences qui résulteront de son consentement, en particulier au regard de ses droits de l'autorité parentale.
Le ministère public avance deux moyens pour obtenir l'infirmation du jugement ; la suspicion d'inceste et l'intérêt supérieur de l'enfant.
S'agissant de l'inceste, l'article 310-2 du code civil précise que 'S'il existe entre le père et mère de l'enfant un des empêchements à mariage prévus par les articles 161 et 162 du code civil pour cause de parenté, la filiation étant déjà établie à l'égard de l'un, il est interdit d'établir la filiation à l'égard de l'autre par quelque moyen que ce soit.'
L'article 162 du même code dispose que 'En ligne collatérale, le mariage est prohibé, entre le frère et la soeur, entre frères et entre s'urs.'
Cette prohibition n'est pas une de celles que le procureur de la République puisse lever pour causes graves conformément aux dispositions de l'article 164 du code civil.
Au fondement de l'article 334-10 alors en vigueur (auquel s'est substitué l'article 310-2 du code civil, créé par l'ordonnance n 2005-759 du 4 juillet 2005), la Cour de cassation a jugé que la requête en adoption simple par le frère de la mère biologique contrevenait aux dispositions d'ordre public ainsi édictées qui interdisait l'établissement du double lien de filiation en cas d'inceste absolu (1re Civ., 6 janvier 2004, pourvoi n° 01-01.600, Bulletin civil 2004, I, n° 2).
Dans cette espèce, l'adopté avait été d'abord reconnu par sa mère, puis par son oncle, qui avait la même filiation paternelle que la mère (frère consanguin de la mère). Cette reconnaissance avait été annulée par jugement. C'est dans ces circonstances que l'oncle avait déposé une requête en adoption simple de l'enfant. Pour accueillir cette demande, la cour d'appel avait retenu que la loi n'interdisait pas l'adoption de son propre enfant et que l'adoption simple, ne manifestant pas une filiation biologique, ne pouvait être assimilée à la reconnaissance d'un enfant dont les père et mère connaissent un des empêchements à mariage prévu par les articles 161 et 162 du code civil. La Cour de cassation a cassé cet arrêt aux motifs que 'la requête en adoption présentée par M. [S] X... contrevient aux dispositions d'ordre public édictées par l'article 334-10 du code civil interdisant l'établissement du double lien de filiation en cas d'inceste absolu'.
Il est vrai qu'une telle adoption aurait eu pour objet et pour effet de contourner l'interdiction de l'établissement du double lien de filiation incestueux.
Dans un arrêt du 16 décembre 2020, la Cour de cassation a précisé sa jurisprudence et au fondement cette fois de l'article 310-2 du code civil a jugé que 'Si l'article 310-2 du code civil interdit l'établissement, par l'adoption, du double lien de filiation de l'enfant né de frère et soeur, il n'a pas pour effet d'interdire l'adoption des neveux et nièces par leur tante ou leur oncle, dès lors que les adoptés ne sont pas nés d'un inceste. L'adoption des neveux et nièces par leur tante n'est donc pas, en elle-même, contraire à l'ordre public international' (1re Civ., 16 décembre 2020, pourvoi n° 19-22.101, publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation).
Ainsi, selon la haute juridiction, les articles 310-2 et 162 du code civil ne peuvent pas être lus comme interdisant l'adoption d'un neveu ou d'une nièce par son oncle ou sa tante dès lors que les adoptés ne sont pas nés d'un inceste.
Dans la première affaire du 6 janvier 2004, le lien de filiation biologique entre l'enfant et l'adoptant, son oncle, était établi par la reconnaissance par ce dernier de l'enfant à la suite de celle de la mère, soeur consanguine du requérant à l'adoption simple de l'enfant. La cour d'appel avait ainsi retenu que l'enfant avait pour parent biologique un frère et une soeur, mais que 'la loi n'interdisant par l'adoption de son propre enfant et que l'adoption simple, ne manifestant pas une filiation biologique, ne pouvait être assimilée à la reconnaissance d'un enfant dont les père et mère connaissent un des empêchements à mariage prévu par les articles 161 et 162 du code civil'. La cour d'appel admettait ainsi que cet enfant, né d'un inceste absolu, puisse faire l'objet par le parent d'une adoption simple.
Dans la seconde affaire du 16 décembre 2020, ce lien de filiation biologique n'était pas établi.
Tirant les conséquences de ces deux situations factuelles différentes, la Cour de cassation a énoncé la même règle aux conséquences différentes puisque dans le premier cas, l'inceste était établi, pas dans le second.
En l'espèce, il revient au ministère public qui s'oppose à l'adoption simple de l'enfant [N] [O], de démontrer que l'adopté est né d'un inceste entre les frère et soeur, M. [I] [O] et Mme [K] [O].
Les éléments invoqués par le ministère public à l'appui de cette allégation n'apparaissent cependant pas probants et pourraient aussi bien être interprétés d'une manière plus favorable et positive, donc conforme au projet d'adoption tel qu'exprimé par l'adoptant et les témoignages produits.
Ainsi, le fait que M. [I] [O] se soit trouvé au chevet de sa soeur au moment de son accouchement, celui qu'il se soit rendu auprès de l'officier d'état civil pour déclarer la naissance de cet enfant pourraient aussi bien être lus comme autant d'actes altruistes et désintéressés d'un frère envers sa soeur dans le dénuement moral et financier.
La circonstance que Mme [K] [O] ne dise rien sur le père biologique ne peut pas être interprétée comme la preuve que ce père biologique devrait nécessairement être M. [I] [O] alors qu'aucun des témoignages produits ne prouvent, voire ne laissent suspecter l'existence d'un inceste ou d'une relation trouble et malsaine entre la mère et l'adoptant, voire avec l'adopté.
A cet égard, en effet, l'ensemble des témoignages fait état d'un soin, d'une bienveillance et d'une attention toute paternelle de la part de M. [I] [O] envers le jeune [N], aujourd'hui âgé de quatre ans. La grand-mère maternelle de l'enfant évoque la santé fragile de sa fille Mme [K] [O], et la joie qui est la sienne de savoir que l'enfant pourrait avoir un père qui assurerait son avenir dans l'hypothèse de la disparition de sa fille (pièce 8). La mère de M. [I] [O] décrit l'amour paternel de son fils envers cet enfant et sa joie de le voir devenir le fils de son fils, de lui apporter sécurité et amour (pièce 9). Le frère de M. [I] [O], parrain catholique des filles de son frère, souligne l'amour, la gentillesse de son frère pour cet enfant, le fait que son frère se montre un guide dans sa vie, lui offrira un avenir serein et une éducation favorable (pièce 10). Les amis de l'intimé témoignent tous de l'engagement de l'adoptant envers l'adopté, sa participation active à son éducation et à son entretien quotidien, sa droiture, son exemple (pièce 11), son sérieux, son courage, son équilibre, son sens des responsabilités (pièces 12, 14). Une amie de l'intimé fait état du soutien tant moral que financier apporté par M. [I] [O] à sa demi-soeur et sa contribution à l'éducation de l'enfant ; travaillant dans le milieu scolaire, elle relate l'implication positive de M. [I] [O] dans l'éducation de l'enfant et dans un rôle de père ; elle souligne par ailleurs que l'enfant est épanoui, éveillé, sain et joyeux (pièce 13).
Les soucis de santé de Mme [K] [O] et la sécurité qui sera celle de cet enfant dans l'hypothèse de la disparition de la mère sont évoqués par plusieurs témoins (pièces 8, 11, 13).
De même, de nombreuses attestations relèvent la joie de vivre de l'enfant, son caractère épanoui et éveillé.
Les filles de M. [I] [O] rapportent encore que leur père a toujours été très présent dans l'éducation de l'enfant, lui assurant sécurité et épanouissement personnel. Elles indiquent que cette adoption leur apparaît des plus logiques et qu'elles sont heureuses de l'accueillir officiellement comme leur petit frère, ce qui les 'comblent' et les 'complètent ' (pièces 19 et 20).
Ainsi, rien dans ces témoignages ne permet de déceler une relation malsaine, inappropriée, incestueuse entre M. [I] [O] et sa soeur.
En revanche, l'attitude paternelle, l'implication de M. [I] [O] envers l'enfant, dans un rôle de père, le désir de l'adoptant et de sa famille proche, en particulier de ses filles, de voir l'enfant devenir leur frère, le fils de leur père, sont mis en exergue. De même, les témoignages font état de la santé fragile de Mme [K] [O] et évoquent même une issue fatale et la chance que représentera pour l'enfant son adoption par M. [I] [O].
M. [I] [O] relève également pertinemment que le ministère public ne peut pas se borner à laisser entendre que l'inceste n'est pas exclu alors qu'il lui revient d'en rapporter la preuve pour que son appel prospère. Or, les éléments précédemment énumérés ne constituent ni des preuves ni même des commencements de preuve de ces allégations de sorte que l'expertise suggérée par le ministère public ne saurait être envisagée. Il convient en effet de rappeler que le caractère légitime d'une demande d'expertise et l'absence de carence du demandeur dans l'administration de la preuve se déduisent du constat que, en particulier, les allégations à l'appui de la demande sont étayées par des éléments précis et qu'elles présentent un certain intérêt.
Il n'apparaît pas que les éléments produits devant la cour soient suffisamment précis et sérieux pour justifier la nécessité d'ordonner une pareille mesure qui, en tout état de cause, ne doit pas l'être, comme en l'espèce, pour suppléer la carence probatoire du demandeur.
S'agissant de la défense de l'intérêt supérieur de l'enfant, là encore, le ministère public procède par voie d'affirmation. En effet, il n'est nullement démontré, par les pièces produites, que cette adoption bousculerait l'ordre générationnel naturel et entretiendrait la confusion entre les membres de la famille quant à leur place respective. Aucun élément de preuve versé aux débats ne vient corroborer ces assertions.
Le principe de la possibilité de l'adoption des neveux et nièces par leur tante ou par leur oncle ayant été consacré par la Cour de cassation dans les arrêts précités, la modification du statut de ces derniers, une fois l'adoption réalisée, est inéluctable ; l'oncle adoptant devient le père de l'enfant, la tante adoptante devient la mère de l'enfant. Il est donc nécessaire d'apprécier in concreto en quoi ce changement de statut, d'état, est contraire à l'intérêt de l'enfant, en quoi cette modification du statut, d'état, des différents protagonistes est bouleversée dans un sens défavorable, néfaste, nuisible pour l'enfant, pour son équilibre, pour son développement.
De même, l'affirmation selon laquelle cette adoption bousculerait l'ordre générationnel naturel doit être apprécié in concreto. C'est ainsi que dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 octobre 2001 (1ère Civ., 16 octobre 2001, pourvoi n° 00-10665, Bull. n 256) la haute juridiction a approuvé une cour d'appel qui, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, avait estimé que la requête en adoption simple, par une grand-mère, de six de ses sept petits-enfants, devait être rejetée non parce qu'elle était interdite, mais pour des motifs tirés de la poursuite d'un but essentiellement successoral et de l'absence d'intérêt des adoptés. A cette occasion, la Cour de cassation a souligné que la cour d'appel, au regard des éléments de la cause, avait pu retenir qu'une telle adoption engendrerait une confusion des générations.
Or, là encore, en l'espèce, aucun élément du dossier ne vient corroborer les assertions du ministère public sur ce point.
Au contraire, l'ensemble des témoignages démontre que l'adoption du jeune [N] par son oncle, M. [I] [O], est conforme à l'intérêt de l'adopté. Ces productions sont tout aussi suffisantes pour établir la réalité des rapports d'affection qui existent entre l'adoptant et l'adopté et des soins que M. [I] [O] prodigue à l'enfant ainsi que la conscience chez l'adoptant des effets successoraux que l'adoption ne manquera pas d'entraîner. Dès lors, la démarche de M. [I] [O] ne peut être considérée comme constitutive d'un détournement de l'institution puisque la procédure révèle l'existence d'autres motifs justifiant l'adoption, parfaitement conformes aux objectifs légitimes de celle-ci, à savoir établir un lien de filiation entre l'adopté et l'adoptant, faire de cet enfant le fils de M. [I] [O].
Il sera en outre ajouté, comme l'observe pertinemment M. [I] [O], qu'il ne peut être comptable des effets que le législateur a entendu conférer à cette institution sur les droits en matière d'autorité parentale. De telles conséquences légales ne sauraient dès lors, à elles seules, empêcher l'adoption de [N] par son oncle.
Il découle de l'ensemble des développements qui précèdent que c'est à bon droit que le tribunal judiciaire de Pontoise a accueilli la requête de M. [I] [O] pour que soit prononcée l'adoption simple de [N], [R] [O].
Le jugement déféré sera confirmé.
Sur le nom de l'adopté
L'article 363 du code civil précise que 'L'adoption simple confère le nom de l'adoptant à l'adopté en l'ajoutant au nom de ce dernier'.
C'est donc à tort que le premier juge a retenu que l'adopté conservera son nom d'origine qui est celui de sa mère.
Par l'effet de l'adoption simple, le nom de l'adoptant à savoir [O] sera conféré à l'adopté, ce qui in concreto ne changera rien pour l'enfant qui portait le nom de sa mère, lequel est identique à celui de l'adoptant, son frère consanguin.
Il n'est cependant pas dans l'intérêt de l'enfant qu'il porte le double nom '[O]'. L'adopté portera donc le seul nom de l'adoptant, soit le patronyme '[O]'.
Le jugement sera dès lors infirmé en ce qu'il dit que l'adopté conservera son nom d'origine conformément aux dispositions de l'article 363 du code civil.
Sur les dépens
Le jugement qui laisse les dépens à la charge du Trésor Public sera confirmé.
Ce dernier supportera également les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement en ce qu'il dit que l'adopté conservera son nom d'origine conformément à l'article 363 du code civil ;
Le CONFIRME pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT que l'adopté, [N], [R] [O] portera le seul patronyme de l'adoptant, soit [O] ;
LAISSE les dépens d'appel à la charge du Trésor Public.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,