COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 02 FEVRIER 2023
N° RG 22/00513 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VAKK
AFFAIRE :
[Y] [C] veuve [K] agissant en sa qualité d'ayant droit de Monsieur [O] [K]
C/
SAS THALES SIX GTS FRANCE anciennement dénommée S.A. THALES COMMUNICATIONS & SECURITY
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Décembre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : 13/03659
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Stephanie FALZONE-SOLER de la SELAS CIRCE
Me Valérie GUICHARD de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DEUX FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, initialement fixé au 01 décembre 2022, puis prorogé au 12 janvier 2023, puis prorogé au 02 février 2023, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Madame [Y] [C] veuve [K] agissant en sa qualité d'ayant droit de Monsieur [O] [K]
née le 09 Novembre 1942 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentant : Me Stephanie FALZONE-SOLER de la SELAS CIRCE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau d'AVIGNON, vestiaire : C25
APPELANTE
****************
S.A.S THALES SIX GTS FRANCE anciennement dénommée S.A. THALES COMMUNICATIONS & SECURITY
N° SIRET : 383 470 937
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Valérie GUICHARD de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0097, substituée par Me Mégane ROMEYER, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 04 Octobre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [O] [K] a été engagé à compter du 15 décembre 1986, selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d'ingénieur par la société Cimsa Sintra.
Son contrat de travail a pris fin le 31 mars 2002, à l'expiration du préavis suivant son licenciement, par la société Thales Communications, le 28 mai 2001. Le certificat de travail qui lui a été délivré le 31 mars 2002 par la société Thales Communications mentionne que son ancienneté a été reprise au 1er mars 1973 et que son contrat s'est déroulé, par suite de fusions et de reprises d'activités, comme suit : au sein de Thomson-CSF DCS (Division Cimsa Sintra, du 15/12/1986 au 30/06/1990, de Thomson-CSF DOI (Division Outils Informatiques) du 1/07/1990 au 30/06/1995, de Thomson-CSF RUPTURE CONVENTIONNELLE DU CONTRAT DE TRAVAIL du 1/07/1995 au 30/11/1995, de Thomson-CSF TCC du 01/12/1995 au 31/12/2000 et de Thales Communications du 01/01/2001 au 31/03/2002.
Les relations entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
Contestant son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits, M. [K] a saisi le 14 novembre 2002 le conseil de prud'hommes de Nanterre afin de solliciter la condamnation de la société Thales Communication SA à lui payer diverses indemnités au titre de la rupture de son contrat de travail ainsi que les indemnités suivantes au titre de l'exécution du contrat de travail :
*26 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manque à gagner sur le régime complémentaire de retraite de 1972 à 1986 ;
*110 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manque à gagner sur le régime général de retraite de 1993 à 1995 ;
*32 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait du comportement fautif de l'employeur.
Par jugement du 26 octobre 2004, le conseil de prud'hommes de Nanterre a condamné la société Thales Communication SA à verser à M. [K] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et a débouté le salarié de ses autres demandes.
M. [K] a interjeté appel de cette décision.
Devant la cour d'appel, il a sollicité la condamnation de la société Thales Communication SA à lui payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant supérieur à celle allouée ainsi que la somme de 120 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des manquements de l'employeur à ses obligations lors de l'exécution du contrat de travail qu'il invoquait, à savoir la non-revalorisation par l'employeur des points de retraite Arrco obtenus de 1972 à 1986 contrairement à l'engagement pris en 1991, le non-paiement des cotisations au régime général de l'assurance vieillesse de 1993 à 1995 et la modification unilatérale de son contrat de travail par l'employeur.
Par arrêt du 6 décembre 2005, la cour d'appel de Versailles a condamné la société Thales Communication SA à payer au salarié la somme de 110 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle sérieuse, a confirmé le jugement en ses autres dispositions et débouté les parties du surplus de leurs demandes.
M. [K], né le 26 septembre 1945, a fait valoir ses droits à la retraite en octobre 2010, à l'âge de 65 ans.
Par requête reçue au greffe le 17 avril 2012, il a saisi le conseil de prud'hommes de Nice, qui, par jugement du 29 novembre 2012, s'est déclaré incompétent au profit du conseil de prud'hommes de Nanterre.
Par requête reçue au greffe le 12 novembre 2013, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre afin de solliciter la condamnation, avec exécution provisoire, de la société Thales Communication SA à lui payer les sommes suivantes :
*5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour mauvaise application de l'accord de 1991;
*34 688,77 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de cotisations CNAV durant le congé de conversion ;
*5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour mauvaise foi de l'employeur ;
*5 000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 16 décembre 2016, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Nanterre, a :
- débouté M. [K] de l'intégralité de ses prétentions ;
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire des parties ;
- laissé les éventuels dépens à la charge de M. [K].
M. [K] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 1er février 2017.
Il est décédé le 11 août 2019.
Mme [Y] [C], sa veuve, a adressé à la cour par RPVA le 15 octobre 2019 l'acte de notoriété justifiant qu'elle est bénéficiaire de la toute propriété de l'intégralité de sa succession, puis, le 20 janvier 2020, sa constitution ainsi que des conclusions de reprise d'instance.
En l'absence de conclusions au fond de Mme [Y] [C], veuve [K], ayant droit de M. [K], l'affaire a été radiée par ordonnance du magistrat chargé de la mise en état en date du 10 novembre 2020. L'affaire a été réinscrite au rôle après conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 19 janvier 2022 par Mme [Y] [C] veuve M. [K], en sa qualité d'ayant-droit.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 30 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, Mme [C] veuve [K], demande à la cour de la recevoir, en sa qualité d'ayant droit de feu M. [K], en son appel et l'en déclarer bien fondée, et, en conséquence, de réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
- constater l'absence d'identité des causes entre la procédure devant la cour d'appel de Versailles ayant donné lieu à la décision du 6 décembre 2005 et la présente procédure ;
- constater que l'accord de 1991 prévoyait la revalorisation des points de retraite complémentaire Arrco de 4% à 6% de manière rétroactive, que l'employeur n'a appliqué ledit accord qu'à compter du 15 décembre 1986, date de signature du contrat entre M. [K] et la société Cimsa Sintra, alors que le salarié faisait l'objet d'une reprise d'ancienneté à compter du 1er mars 1973, que les points n'ont été doublés qu'à compter du 15 novembre 1986, sans que la période antérieure ne soit prise en compte, que l'employeur n'a rien fait pour régulariser la situation et que le salarié a été contraint de multiplier les démarches auprès de la caisse de retraite complémentaire pour qu'il soit enfin fait droit à sa demande ;
- constater que du mois de mai 1993 à la fin du mois de février 1994, le salarié a bénéficié d'un congé de conversion auquel participait l'Etat et que du mois de mars 1995 à la fin du mois de juin 1995, l'employeur a poursuivi le dispositif de congé de conversion par le biais d'une modification du contrat de travail du salarié, que durant cette période, les salaires perçus et les périodes travaillées n'ont pas été prises en compte par la caisse nationale d'assurance vieillesse en raison du défaut de cotisation imputable à l'employeur, que ce manquement a occasionné à M. [K] un préjudice financier, outre le fait qu'il a dû attendre une année supplémentaire pour pouvoir bénéficier de sa retraite à taux plein, que l'employeur a indemnisé des salariés en activité et donc dans la même situation que lui, mais qu'il a été exclu de ces négociations en raison de la procédure prud'homale qu'il avait engagée ;
- constater que l'employeur a tout fait pour retarder le moment où il devrait réparer le préjudice causé à M. [K] du fait de ses manquements,
En conséquence :
- déclarer que ses demandes, en sa qualité d'ayant droit de feu M. [K], sont recevables ;
- condamner la société Thales communication à lui verser, en sa qualité d'ayant droit de feu M. [K], les sommes suivantes :
*5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour mauvaise application de l'accord de 1991;
*33 132 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de cotisations durant le congé de conversion sans convention avec l'Etat ;
*5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour mauvaise foi de l'employeur ;
*10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 2 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Thales communications & security devenue Thales Six GTS France, intimée, demande à la cour :
¿ à titre principal :
- d'infirmer le jugement intervenu en ce qu'il fait droit à la demande de M. [K] tendant au rejet de l'application de l'autorité de la chose jugée aux faits de l'espèce ;
Et, statuant à nouveau de bien vouloir :
- juger irrecevables les demandes formulées par l'ayant-droit de M. [K] en application du principe de l'autorité de la chose jugée ;
- juger irrecevables les demandes formulées par l'ayant-droit de M. [K] en raison de l'absence de respect des dispositions de l'article 54 du code de procédure civile ;
En conséquence, de :
- débouter l'ayant-droit de M. [K] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner l'ayant-droit de M. [K] au paiement d'une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- condamner l'ayant-droit de M. [K] au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner l'ayant-droit de M. [K] aux entiers dépens de l'instance, au titre des procédures de première instance et d'appel ;
¿ à titre subsidiaire, si, par extraordinaire, la cour venait à confirmer la recevabilité des demandes formulées par l'ayant-droit de Monsieur [O] [K], de :
- confirmer le jugement intervenu en ce qu'il rejette l'ensemble des demandes indemnitaires formulées par M. [K], à savoir la demande de dommages-intérêts pour mauvaise application de l'accord de 1991 et la demande de dommages-intérêts pour défaut de cotisation Cnav durant le congé de conversion et pour mauvaise foi de l'employeur ;
- réformer le jugement intervenu en ce qu'il rejette l'ensemble des demandes indemnitaires reconventionnelles formulées par la société, à savoir la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et la demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En conséquence :
- débouter l'ayant-droit de M. [K] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner l'ayant-droit de M. [K] au paiement d'une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- condamner l'ayant-droit de M. [K] au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'ayant-droit de M. [K] aux entiers dépens de l'instance, au titre des procédures de première instance et d'appel ;
¿ à titre très subsidiaire, si la cour venait à confirmer la recevabilité des demandes formulées par l'ayant-droit de M. [K] et à juger que la société a manqué à ses obligations de déclaration et de paiement des cotisations retraite, elle devrait :
- réformer le jugement intervenu sur le montant de la condamnation au titre du défaut de cotisation Cnav durant le congé de conversion et pour mauvaise foi de l'employeur, et fixer le montant des dommages-intérêts à une plus juste valeur en condamnant la société à verser à l'ayant-droit de M. [K] la somme de 9 402 euros bruts ;
- confirmer le jugement intervenu en ce qu'il rejette la demande indemnitaire formulée par M. [K] au titre de la mauvaise application de l'accord de 1991 ;
¿ en conséquence et en tout état de cause :
-débouter l'ayant-droit de M. [K] au titre de sa demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile en sa faveur,
-condamner l'ayant-droit de M. [K] aux entiers dépens de l'instance, au titre des procédures de première instance et d'appel.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée
La société Thales Six GTS France soutient que les demandes de dommages-intérêts pour mauvaise application de l'accord de 1991, de dommages-intérêts pour défaut de cotisations durant le congé de conversion sans convention avec l'Etat et de dommages-intérêts pour mauvaise foi de l'employeur sont irrecevables comme se heurtant à l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 26 octobre 2004 et à l'arrêt du 6 décembre 2005.
Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit fait valoir que l'autorité de chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice, qu'en l'espèce, la cour d'appel n'a débouté M. [K] de ses demandes qu'en raison de l'absence de liquidation de sa pension de retraite, qu'à la date de la décision de la cour d'appel M. [K] était dans l'impossibilité de liquider sa retraite puisqu'il ne répondait ni à la condition d'âge, ni à la condition de nombre de trimestres cotisés et que la liquidation de ses droits à la retraite en 2010 constitue un événement nouveau survenu postérieurement à la situation antérieurement reconnue tant par le conseil de prud'hommes de Nanterre que par la cour d'appel de Versailles. Elle souligne en outre que M. [K] a vainement sollicité à plusieurs reprises son employeur de régulariser sa situation et, qu'en l'état, le montant de la retraite de celui-ci a été calculé sur des années moins favorables, de sorte que son préjudice est né et actuel.
Le jugement du conseil de prud'hommes du 26 octobre 2004 a débouté le salarié de ses demandes en paiement des sommes suivantes :
*26 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manque à gagner sur le régime complémentaire de retraite de 1972 à 1986 ;
*110 000 euros de dommages-intérêts pour manque à gagner sur le régime général de retraite de 1993 à 1995 ;
*32 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait du comportement fautif de l'employeur, au motif que celui-ci a tout mis en oeuvre pour le mettre dans un placard ou le pousser vers la sortie.
Pour débouter M. [K] de ses demandes de dommages-intérêts, le conseil de prud'hommes retient dans les motifs du jugement :
-pour la demande pour manque à gagner sur le régime complémentaire de retraite de 1972 à 1986, que le salarié ne justifie pas du bien-fondé de cette demande ;
-pour la demande pour manque à gagner sur le régime général de retraite de 1993 à 1995, qu'il ne dispose pas en l'état d'éléments certains et probants permettant d'accueillir la demande ;
-pour la demande pour préjudice subi du fait du comportement fautif de l'employeur, que le salarié ne verse pas d'éléments aux débats permettant d'établir un comportement déloyal de son employeur, le fait de lui proposer plusieurs postes ne pouvant être assimilé à un tel comportement.
L'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 6 décembre 2005, a débouté M. [K] de la demande en paiement de la somme de 120 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait des manquements de l'employeur à ses obligations lors de l'exécution du contrat de travail, à l'appui de laquelle il invoquait la non-revalorisation par l'employeur des points de retraite Arrco obtenus de 1972 à 1986, contrairement à l'engagement pris en 1991, le non-paiement des cotisations au régime général de l'assurance vieillesse de 1993 à 1995 et le comportement déloyal de l'employeur, qui a modifié unilatéralement son contrat de travail.
Pour débouter M. [K] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait des manquements de l'employeur à ses obligations lors de l'exécution du contrat de travail, la cour d'appel de Versailles retient :
- en ce qui concerne la non-revalorisation par l'employeur des points de retraite Arrco obtenus de 1972 à 1986, contrairement à l'engagement pris en 1991, et le non-paiement des cotisations au régime général de l'assurance vieillesse de 1993 à 1995, que M. [K], qui n'allègue pas avoir demandé la liquidation de sa pension de retraite, ne justifie pas d'un préjudice né et actuel; -en ce qui concerne la modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur, qu'il ne justifie d'aucun préjudice spécifique, distinct de celui résultant de son licenciement.
Selon l'article 1351, devenu l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement et il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité.
Attachée au seul dispositif de la décision, l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice.
L'objet de la demande de dommages-intérêts pour mauvaise application de l'accord de 1991 de Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit, qui porte sur la réparation du préjudice subi par M. [K] du fait des démarches qu'il a dû entreprendre pour régulariser sa situation, diffère de celui de la demande de dommages-intérêts pour manque à gagner sur le régime complémentaire de retraite de 1972 à 1986 rejetée par le conseil de prud'hommes dans le jugement du 26 octobre 2004 et par la cour d'appel de Versailles dans l'arrêt du 6 décembre 2005.
L'objet de la demande de dommages-intérêts pour mauvaise foi de l'employeur de Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit, qui est de réparer le préjudice subi du fait que l'employeur a tenté de reporter au maximum l'exécution de ses obligations, diffère de la demande de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait du comportement fautif ou déloyal de l'employeur rejetée par le conseil de prud'hommes dans le jugement du 26 octobre 2004 et par la cour d'appel dans l'arrêt du 6 décembre 2005, qui statuent sur des manquements invoqués différents.
Si la demande de dommages-intérêts pour défaut de cotisations durant le congé de conversion sans convention avec l'Etat ne diffère pas par son objet et par son fondement de la demande de dommages-intérêts pour manque à gagner sur le régime général de retraite de 1993 à 1995 qui a déjà fait l'objet d'une décision rendue entre les mêmes parties en la même qualité par jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 26 octobre 2004 et par arrêt de la cour d'appel de Versailles du 6 décembre 2005, déboutant le salarié de cette demande pour absence de préjudice né et actuel, il est établi que postérieurement à ces décisions, un événement est venu modifier la situation antérieurement reconnue en justice, en l'espèce la liquidation des droits à retraite du salarié.
Il convient en conséquence de rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée opposée par la société Thales Six GTS France à Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur la fin de non-recevoir tirée du non-respect des dispositions de l'article 54 du code de procédure civile
La société Thales Six GTS France, qui demande à la cour de juger les demandes de Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit de M. [K] irrecevables en l'absence de respect des dispositions de l'article 54 du code de procédure civile, fait valoir que les demandes ne sont pas correctement récapitulées dans le dispositif des écritures de la partie appelante au sens de l'article 54 du code de procédure civile et de la jurisprudence, laquelle rappelle que les demandes de 'constater' ne sont pas des prétentions et n'ont pas à être examinées par les cours d'appel (Cass. 2e civ., 9 janv.2020, n° 18-18.778).
Selon l'article 954 du code de procédure civile (et non l'article 54), dans les procédures d'appel avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée ; les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
En l'espèce, Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit ne se borne pas, dans le dispositif de ses conclusions, à formuler des demandes de 'constater', qui ne constituent pas des prétentions mais des rappels de moyens, sur lesquelles la cour n'a pas à statuer, mais énonce également des prétentions, dont la cour est saisie.
Il convient en conséquence de débouter la société Thales Six GTS France de sa demande tendant à ce que les demandes de Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit de M. [K] soient jugées irrecevables en l'absence de respect des dispositions de l'article '54" du code de procédure civile.
Sur la demande de dommages-intérêts pour mauvaise application de l'accord de 1991
Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit soutient qu'en 1991 la société Thomson CSF a signé un accord d'entreprise applicable au 1er janvier 1992 portant le taux de cotisation Arrco d'un certain nombre de salariés de 4% à 6%, afin de corriger des disparités nées des regroupements successifs, que cet accord prévoyait une application rétroactive, que la société n'a appliqué cette revalorisation à M. [K] qu'à compter du 15 décembre 1986, alors même qu'elle avait repris son ancienneté à compter du 1er mars 1973, qu'elle n'a pas régularisé sa situation malgré ses demandes et qu'il a dû effectuer des démarches lui-même directement auprès de la caisse de retraite complémentaire, par de nombreux appels téléphoniques et des courriers, pour parvenir en 2011 à obtenir la régularisation par cette dernière de sa situation.
La société Thales Six GTS France fait valoir, d'une part, que M. [K] n'a subi aucune perte financière, sa situation ayant été régularisée rétroactivement avant même qu'il ne liquide ses droits à la retraite en octobre 2010, et, d'autre part, que la preuve de démarches entreprises par l'intéressé à cette fin n'est pas rapportée.
A l'appui de sa demande de dommages-intérêts, Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit, qui ne conteste pas que la situation de M. [K] auprès de l'Arrco a été régularisée, se borne à produire deux courriers relatifs à la revalorisation des points acquis auprès de l'Anep, adressés à cette dernière le 26 juillet 2004 et le 25 octobre 2004, et la réponse reçue le 27 octobre 2004 lui précisant que les points acquis auprès de l'Aprice-Anep intégrée à l'Irpelec, institution de retraite Arrco, au titre de son activité pour la société Thomson CSF ne bénéficient pas d'une revalorisation. Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit ne rapportant pas la preuve du préjudice subi par M. [K] qu'elle allègue, il convient de confirmer le jugement entrepris l'ayant déboutée de sa demande de dommages-intérêts de ce chef.
Sur la demande de dommages-intérêts pour défaut de cotisation durant le congé de conversion sans convention avec l'Etat
Il est établi que :
- que M. [K] a bénéficié d'un congé de conversion :
*du 1er mai au 31 octobre 1993, dans le cadre d'un contrat individuel de congé de conversion d'une durée initiale de six mois, conclu dans le cadre d'une convention de congés de conversion du Fonds National de l'Emploi signée par la société avec l'Etat prévoyant une durée de congé maximale de 10 mois ;
*du 1er novembre 1993 au 28 février 2014, dans le cadre d'une prolongation de ce congé de congé de conversion pour une durée de quatre mois, dans le cadre de la convention de congés de conversion du Fonds National de l'Emploi signée par la société avec l'Etat ;
*du 1er mars 1994 au 30 juin 1995, dans le cadre d'un avenant reconduisant le congé de conversion de M. [K], hors la convention de congés de conversion signée par la société avec l'Etat.
Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit fait valoir :
- que l'employeur n'a pas cotisé au régime général d'assurances vieillesse alors qu'il s'y était engagé contractuellement;
- que la société a engagé des négociations en 2003 et 2004 avec la CGT et les salariés ayant bénéficié d'un congé de conversion concernés par cette irrégularité et a conclu en avril 2014 des accords transactionnels avec 10 salariés toujours en poste pour régulariser leur situation mais qu'elle n'a pas voulu examiner le cas de M. [K] car il avait introduit une action en justice pour son licenciement ;
- que la société n'a jamais régularisé sa situation, malgré plusieurs courriers de M. [K] de février, mai et juin 2010, qu'elle lui a fait en mai 2011, après de nombreuses relances téléphoniques, une proposition téléphonique qu'il n'a pas acceptée comme étant sans rapport avec son préjudice.
Elle fait valoir que les trimestres pour lesquels l'employeur n'a pas cotisé à l'assurance vieillesse n'ont pas été validés et que les sommes perçues au titre de cette période n'ont pas été pris en compte, ce qui a causé un préjudice à M. [K], contraint de repousser d'un an son départ à la retraite et lui a causé une perte de droits à retraite.
La société Thales Six GTS France fait valoir :
- que la partie appelante, qui sollicite des dommages-intérêts uniquement pour la période du congé de conversion à l'initiative de la société, prend à tort en compte, dans le calcul des dommages-intérêts qu'elle sollicite, la période de congé du conversion entrant dans le cadre de la convention de conversion conclue par la société avec l'Etat ;
- qu'il résultait de l'accord qu'elle a trouvé en avril 2004 avec la CGT pour régulariser la situation de 10 salariés ayant rencontré des préjudices financiers lors de leur congé de conversion au cours de la période 1993-1995, plus avantageux que la loi pour ces salariés, que le préjudice de tous les salariés concernés était estimé de la même manière et qu'en effectuant un calcul identique pour M. [K], son préjudice serait estimé à 9 402 euros brut ;
- que M. [K] n'a pas subi de préjudice financier du fait qu'il ait travaillé une année supplémentaire pour obtenir le nombre de trimestres nécessaire à l'obtention d'une retraire à taux plein, puisqu'il a cotisé une année supplémentaire, qui est nécessairement entrée dans les 25 meilleures années pour le calcul de sa pension de retraite.
Il est établi qu'aux termes du contrat individuel de congé de conversion à effet au 1er mai 1993 d'une durée de six mois, prolongé pour une durée de quatre mois, et de l'avenant au contrat de travail à effet au 1er mars 1994, l'employeur s'était engagé, concernant les régimes de prévoyances obligatoires ou facultatifs, à continuer à prendre en charge les cotisations calculées sur l'allocation perçue par le salarié selon le pourcentage de la participation patronale existant sur les salaires et à prendre à sa charge la totalité des cotisations salariales et patronales sur le différentiel entre l'ancien salaire et le montant de l'allocation de congé de conversion pour tous les régimes de prévoyance, qu'ils comportent ou non une participation de l'employeur.
Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit produit les bulletins de paie ainsi que le relevé de carrière de M. [K] établi par la CNAV mentionnant la validation de 4 trimestres pour l'année 1993 et de 4 trimestres pour l'année 1995, mais aucun trimestre, ni aucun salaire pour l'année 1994 et mentionnant comme assiette de cotisation pour les années 1993 et 1995, des salaires ne prenant pas en compte le différentiel entre l'ancien salaire et le montant de l'allocation de congé de conversion.
Il est ainsi établi que, contrairement aux engagements souscrits par contrat individuel de congé de conversion à effet au 1er mai 1993 d'une durée de six mois, prolongé pour une durée de quatre mois, et par avenant au contrat de travail à effet au 1er mars 1994, la société Thales Six GTS France n'a pas cotisé, durant le congé de conversion du salarié, auprès du régime général d'assurance vieillesse dans les conditions convenues.
Dans le dispositif de ses conclusions, Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit sollicite cependant l'allocation de dommages-intérêts uniquement pour défaut de cotisations 'durant le congé de conversion sans convention avec l'Etat', soit la période de seize mois du 1er mars 1994 au 30 juin 1995.
Le manquement de l'employeur à ses obligations durant cette période a causé à M. [K] un préjudice financier ainsi qu'un préjudice moral caractérisé par le fait qu'il a dû travailler une année supplémentaire pour pouvoir bénéficier de sa retraite à taux plein.
Au vu du préjudice de perte de droits à la retraite et du préjudice moral subi par M. [K] du fait de ce manquement de l'employeur à ses obligations contractuelles, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Thales Six GTS France à payer à Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de cotisations durant le congé de conversion sans convention avec l'Etat.
Sur la demande de dommages-intérêts pour mauvaise foi de l'employeur
Il est établi par l'attestation de M. [E] du 23 décembre 2011 que l'employeur, qui a indemnisé des salariés en activité placé dans la même situation que M. [K], a exclu le dossier de celui-ci des négociations en raison de la procédure prud'homale qu'il avait engagée.
Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit rapporte ainsi la preuve que M. [K] a subi, du fait d'un comportement de l'employeur portant atteinte à la liberté du salarié d'ester en justice, un préjudice moral distinct du préjudice pour défaut de cotisations durant le congé de conversion sans convention avec l'Etat ci-dessus réparé. La cour fixe ce préjudice à la somme de 5 000 euros. Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Thales Six GTS France à payer à Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour mauvaise foi de l'employeur.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit étant partiellement accueillie en ses prétentions, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Thales Six GTS France de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Sur les dépens et l'indemnité de procédure
La société Thales Six GTS France, qui succombe partiellement, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Il convient de la condamner, en application de l'article 700 du code de procédure civile, à payer à Mme [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit la somme de 4 000 euros pour les frais irrépétibles exposés.
PAR CES MOTIFS :
La COUR,
Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,
Infirme partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 16 décembre 2016 et, statuant à nouveau sur le chef infirmé :
Condamne la société Thales Six GTS France à payer à Mme [Y] [C] veuve [K] en qualité d'ayant droit de M. [O] [K] les sommes suivantes :
*10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de cotisations durant le congé de conversion sans convention avec l'Etat ;
*5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour mauvaise foi ;
Confirme pour le surplus les dispositions non contraires du jugement entrepris ;
Y ajoutant :
Déboute la société Thales Six GTS France de sa demande tendant à voir déclarer les demandes de M. [K] irrecevables pour non-respect des dispositions de l'article '54" du code de procédure civile ;
Déboute la société Thales Six GTS France de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Thales Six GTS France à payer à Mme [Y] [C] veuve [K], agissant en qualité d'ayant droit de M. [O] [K], la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Thales Six GTS France aux dépens de première instance et d'appel.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, La PRÉSIDENTE,