COUR D'APPEL
DE VERSAILLES
Code nac : 96E
N°
N° RG 20/05146 - N° Portalis DBV3-V-B7E-UDT5
(Décret n° 2000-1204 du 12 décembre 2000 relatif à l'indemnisation à raison d'une détention provisoire
Copies délivrées le :
à :
[I] [Y]
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Me Daria VERALLO-BORIVANT
Me Cécile FLECHEUX
MIN. PUBLIC
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX HUIT JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS
a été rendue, par mise à disposition au greffe, l'ordonnance dont la teneur suit après débats et audition des parties à l'audience publique du 19 OCTOBRE 2022 où nous, Nathalie BOURGEOIS-DE RYCK, première présidente de chambre de la cour d'appel, étions assistée par Céline KOC, greffier, le prononcé de la décision a été renvoyée à ce jour ;
ENTRE :
Monsieur [I] [Y]
né le [Date naissance 2] 1997 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Comparant et assisté de Me Daria VERALLO-BORIVANT, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 45
DEMANDEUR
ET :
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Cécile FLECHEUX, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 241
Le ministère public pris en la personne de Mme GULPHE-BERBAIN, avocat général
Nous, Nathalie BOURGEOIS-DE RYCK, première présidente de chambre de la cour d'appel de Versailles, assistée de Céline KOC, Greffier,
Vu arrêt rendu par la 8ème chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Versailles en date du 18 mars 2020, confirmant le jugement du tribunal correctionnel du 10 décembre 2019 monsieur [I] [Y] a été relaxé, cet arrêt étant devenu définitif selon certificat de non-pourvoi du 10 novembre 2020';
Vu la requête de Monsieur [I] [Y], né le [Date naissance 2] 1997, reçue au greffe de la cour d'appel de Versailles le 22 octobre 2020';
Vu les pièces jointes à cette requête, le dossier de la procédure';
Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat reçue au greffe le 30 septembre 2021';
Vu les conclusions du procureur général reçues au greffe le 26 novembre 2021';
Vu les conclusions en réponse de Monsieur [I] [Y] reçues au greffe de la cour d'appel de Versailles le 8 juin 2022';
Vu les conclusions récapitulatives aux fins d'indemnisation de Monsieur [I] [Y] reçues au greffe de la cour d'appel de Versailles le 19 octobre 2022';
Vu les décisions de renvoi en dates des 16 février 2022 et 8 juin 2022';
Vu les lettres simples et la lettre recommandée en date du 9 juin 2022 notifiant aux parties la date de l'audience du 19 octobre 2022';
EXPOSE DE LA CAUSE
Monsieur [I] [Y] sollicite la réparation de sa détention provisoire du 21 septembre 2018 jusqu'au 14 novembre 2019, soit 420 jours, à maison d'arrêt d'[Localité 7]. Néanmoins, il ressort des pièces du dossier, que le requérant était détenu pour autres causes du 21 septembre 2018 au 18 juin 2019. La période indemnisable correspond donc à la période du 19 juin 2019 au 14 novembre 2019, soit 149 jours.
Au titre du préjudice moral, monsieur [Y] sollicite la somme de 10'000 euros. Il expose avoir souffert de l'éloignement d'avec ses proches et d'avoir laissé sa compagne, madame [Z] [H], dans une situation financière dramatique. Il énonce ensuite avoir été contraint de vivre chez la mère de sa compagne à la sortie de sa détention. Il produit à cet effet une attestation signée de la mère de sa compagne, en date du 22 avril 2020, dans laquelle elle certifie que monsieur [Y] s'acquitte des charges relatives au foyer, telles que loyer, facture de gaz et d'électricité.
Au titre de son préjudice matériel, monsieur [I] [Y] sollicite la somme de 33'072,70 euros, composée des sommes suivantes':
- 20'979 euros au titre de la perte des salaires. Il expose qu'avant son incarcération il percevait un salaire brut mensuel de 1'480,30 euros.
- 6'293',70 euros au titre de la perte de chance liée aux points retraite.
- 5'800 euros au titre des frais de justice.
Au titre du préjudice moral, l'agent judiciaire de l'Etat expose que le requérant était âgé de 21 ans au moment de sa détention provisoire, était père de deux jeunes enfants et vivait avec sa compagne. L'enquête sociale a en outre démontré que monsieur [Y] était auto entrepreneur depuis le mois de juillet 2018 et travaillait en tant que technicien télécom dans le secteur de la fibre optique. Néanmoins, son casier judiciaire mentionne plusieurs condamnations à des peines d'emprisonnement ferme, prononcées par le tribunal pour enfants. Concernant les conditions de détentions, l'agent Judiciaire de l'Etat fait valoir que le rapport de détention de la maison d'arrêt du Val d'Oise établit que le requérant a participé à des activités socio-culturelles et sportives, qu'il était détenteur de 4 permis de visite et que son comportement en détention était décrit comme correct. L'agent judiciaire de l'Etat fait enfin observer que monsieur [Y] résidait déjà chez sa belle-mère avant son incarcération. L'agent judiciaire de l'Etat sollicite donc une réparation du préjudice moral à hauteur de 8'000 euros.
Au titre du préjudice matériel, l'agent judiciaire de l'Etat conclut au débouté au titre de la perte de salaires et de la perte de chance de percevoir des points de retraite en ce que l'existence d'une contradiction entre les déclarations faites lors de l'instruction ou de l'enquête et les pièces communiquées dans le cadre de le procédure prévue à l'article 149 du code de procédure pénale, justifie le rejet de la demande d'indemnisation pour perte de salaires. L'agent judiciaire de l'Etat souligne à cet effet que le requérant ne produit aucun bulletin de salaire postérieur au 31 juillet 2018. Concernant enfin la demande de réparation au titre des frais de justice, l'agent judiciaire de l'Etat fait valoir que la facture d'honoraires versée au dossier n'est pas détaillée, ne permettant pas l'indemnisation.
Le procureur général conclut à la recevabilité de la requête et au versement de la somme de 8'000 euros au titre du préjudice moral avec comme critère de minoration du préjudice le passé carcéral de monsieur [I] [Y]. Il conclut au débouté au titre du préjudice matériel faisant valoir que le requérant ne fournit aucun justificatif permettant d'apprécier la perte de revenus ou des points de retraites. Concernant enfin la demande de réparation au titre des frais de justice, le procureur général expose que la facture d'honoraires versée au dossier n'est pas détaillée, ne permettant pas l'indemnisation.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de la requête
Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
En application de l'article R 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R 27, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.
La requête, respectant en tous points les conditions posées par ces articles, est recevable.
Sur le préjudice moral
Monsieur [I] [Y] a été incarcéré cent-quarante-neuf jours alors qu'il était âgé de 21 ans. Il ressort des pièces du dossier qu'il ne s'agit pas de sa première incarcération.
La séparation d'avec ses proches, inhérente à la détention, ne sera pas retenue en tant que facteur d'aggravation du préjudice moral. L'argument avancé selon lequel le requérant aurait été contraint de vivre chez la mère de sa compagne après sa détention n'est pas de nature à justifier une majoration du préjudice moral.
Néanmoins la somme de 10'000 euros paraît proportionnée eu égard à la période de détention injustifiée effectuée. Il convient donc d'allouer à monsieur [I] [Y] la somme de 10'000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur le préjudice matériel
Sur la perte de revenus
En cas de suspension du versement de salaires, il appartient au requérant qui en demande l'indemnisation d'en établir l'existence et l'étendue par des pièces probantes et de démontrer que ce préjudice est en lien direct et certain avec la détention provisoire dont il est sollicité la réparation.
En l'espèce, le requérant joint à l'appui de sa requête un contrat à durée indéterminée en date du 5 mars 2018 ainsi que des bulletins de salaire de mai, juin et juillet 2018.
Néanmoins, monsieur [Y] était incarcéré pour autre cause sur la période du 21 septembre 2018 au 18 juin 2019. Il n'apporte en conséquence aucune pièce justifiant une rémunération au moment de la période indemnisable.
Le requérant sera débouté de ce chef.
Sur la perte de chance concernant les points retraite
L'impossibilité dans laquelle s'est trouvée une personne placée en détention de pouvoir cotiser pour sa retraite de base et ses retraites complémentaires s'analyse en une perte de chance d'obtenir les points retraite qu'elle était en droit d'escompter si, n'étant pas incarcérée, elle aurait pu normalement cotiser. Néanmoins, il revient au requérant d'en établir le lien direct et certain avec la détention provisoire.
En l'espèce, monsieur [I] [Y] ne justifie d'aucun salaire au moment de son incarcération.
La requérant sera débouté de ce chef.
Sur les frais de justice
Sont indemnisés tous frais en lien direct avec la détention dès lors qu'ils sont à la charge du requérant et à la condition qu'il fournisse une facture d'honoraires énumérant de façon détaillée les prestations effectuées pour obtenir sa libération, ainsi que leur coût.
En l'espèce, la facture d'honoraires et le reçu joint fournis par le requérant ne permettent pas d'apprécier quels frais ont été engagés au titre de la détention.
Le requérant sera débouté de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
Statuant sur ordonnance contradictoire,
DECLARE recevable la requête de monsieur [I] [Y]';
ALLOUE à monsieur [I] [Y]':
La somme de DIX-MILLE EUROS (10'000 euros) en réparation de son préjudice moral';
LE DEBOUTE pour le surplus';
LAISSE les dépens de la présente procédure à la charge de l'agent judiciaire de l'Etat.
Prononcé par mise à disposition de notre ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées selon les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
ET ONT SIGNE LA PRESENTE ORDONNANCE
Nathalie BOURGEOIS-DE RYCK, première présidente de chambre de la cour d'appel de Versailles
CELINE KOC, greffière
LA GREFFIERE LA PREMIERE PRESIDENTE DE CHAMBRE