COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 30B
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 17 JANVIER 2023
N° RG 21/07416 - N° Portalis DBV3-V-B7F-U4OO
AFFAIRE :
S.C.I. ABONDANCE - J.B CLEMENT BOULOGNE
C/
S.A.S. ALLIANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Décembre 2021 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 2021L02290
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Martine DUPUIS
Me Oriane DONTOT
MP
TC NANTERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX SEPT JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.C.I. ABONDANCE - J.B CLEMENT BOULOGNE
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2167701
Représentant : Me Jean-Yves MARQUET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J031
APPELANTE
****************
S.A.S. ALLIANCE
[Adresse 3]
[Localité 8]
Représentant : Me Oriane DONTOT de l'AARPI JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20211105
Représentant : Me Stéphane CATHELY de l'AARPI CATHELY & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0986
INTIMEE
en la présence de M. LE PROCUREUR GENERAL
POLE ECOFI - COUR D'APPEL DE VERSAILLES
[Adresse 5]
[Localité 7]
qui a donné son avis oralement
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Novembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller chargé du rapport et Madame Delphine BONNET, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
Madame Florence MICHON, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN,
La SCI Abondance-JB Clément Boulogne (la SCI Abondance) est propriétaire d'un ensemble immobilier situé [Adresse 1] et [Adresse 2] à [Localité 9].
Par acte notarié en date du 17 février 2005, elle a consenti un bail commercial à la société Le Pain des abondances pour y exercer une activité de boulangerie pâtisserie ; elle lui a aussi consenti, par acte du 24 mai 2005, un second bail commercial sur un local à usage de parking.
Dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Le Pain des abondances, décidée par jugement du 27 juillet 2017 qui a résolu le plan de redressement, M. [I] [M] s'est porté acquéreur du fonds de commerce de la société Le Pain des abondances au prix de 200 000 euros avec faculté de substitution, le juge-commissaire désigné dans la procédure collective ayant autorisé cette cession comportant cession du droit au bail portant tant sur le local commercial que le parking, par ordonnance du 8 août 2017 rectifiée le 26 octobre 2017.
La SARL Solal s'est substituée à M. [M] dans l'exécution des baux ainsi repris.
Des difficultés sont survenues pour la signature de l'acte de cession du fonds de commerce et dans l'exécution du contrat de bail.
Par jugement du 4 mai 2021, le tribunal de commerce de Nanterre, saisi sur déclaration de cessation des paiements de son dirigeant, a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Solal, désigné la SAS Alliance, prise en la personne de maître [D] [T], en qualité de liquidateur judiciaire et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 5 novembre 2019.
Par lettre recommandée du 6 mai 2021, la SCI Abondance a déclaré une créance d'un montant global de 192 053,56 euros puis par lettre recommandée du 8 juillet 2021, elle a porté à la connaissance du liquidateur judiciaire sa créance correspondant aux loyers restés impayés depuis l'ouverture de la procédure collective, d'un montant de 69 905,75 euros.
Par acte authentique signé le 15 juin 2021, maître [S] [W], ès qualités, a cédé le fonds de commerce dépendant de la liquidation judiciaire de la société Le Pain des abondances à la société Solal, représentée par son liquidateur judiciaire, la SAS Alliance.
Par acte d'huissier du 23 juillet 2021, la société Alliance, ès qualités, a saisi le tribunal de commerce de Nanterre d'une demande de nullité des deux saisies conservatoires pratiquées à la requête de la SCI Abondance et des quatre virements intervenus au profit de cette dernière durant la période suspecte de la société Solal et sa condamnation au paiement de la somme totale de 94 026,66 euros.
Par lettre recommandée du 27 juillet 2021, le liquidateur judiciaire de la société Solal a résilié les deux contrats de bail.
Par jugement contradictoire assorti de l'exécution provisoire du 8 décembre 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- prononcé la nullité des deux saisies conservatoires pratiquées le 28 mai 2020 à la requête de la SCI Abondance et la nullité des quatre virements intervenus entre le 28 septembre 2020 et Ie 29 avril 2021;
- condamné la SCI Abondance à payer à la société Alliance, ès qualités, la somme de 94 044,66 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2021 ;
- ordonné la capitalisation des intérêts échus, conformément aux dispositions de l'article 'L.1343-3' du code civil ;
- condamné la SCI Abondance à payer à la société Alliance, ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que les dépens seront employés en frais de procédure collective.
Par déclaration en date du 15 décembre 2021, la SCI Abondance a interjeté appel du jugement.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 18 octobre 2022, elle demande à la cour de :
- déclarer recevable et fondé son appel ;
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
- juger que les conditions requises pour l'application de l'article L.632-2 du code de commerce ne sont pas remplies ;
- juger qu'il n'est pas démontré qu'elle avait connaissance de l'état de cessation des paiements de la société Solal ;
- dire et juger que les paiements intervenus sont parfaitement réguliers dès lors qu'elle n'avait pas connaissance de l'état de cessation des paiements de la société Solal ;
En conséquence,
A titre principal,
- condamner la société Alliance, ès qualités, à lui restituer la somme de 97 409,24 euros avec intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2021, date de son versement entre les mains
de cette dernière ;
- ordonner la capitalisation des intérêts pour une année entière en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
A titre subsidiaire
- ordonner la compensation entre la somme de 97 409,24 euros versée entre les mains de la société Alliance au titre de l'exécution du jugement dont appel et celle de 69 905,57 euros due au titre des dispositions de l'article L.641-13 du code de commerce et par voie de conséquence la restitution de la différence, soit la somme de 27 503,67 euros ;
En tout état de cause,
- condamner la société Alliance, ès qualités, à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La société Alliance, ès qualités, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 19 octobre 2022, demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;
- débouter la SCI Abondance de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la SCI Abondance à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SCI Abondance aux entiers dépens de l'instance et autoriser maître Oriane Dontot, avocat au barreau de Versailles, à en recouvrer le montant, pour ceux la concernant, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 octobre 2022.
Le ministère public, présent à l'audience, a oralement donné son avis et demandé à la cour de confirmer le jugement, observant qu'il existe un faisceau d'indices concordants pour établir que la SCI Abondance avait connaissance de la cessation des paiements.
Le conseil de l'appelante qui a plaidé n'a pas entendu faire d'observations complémentaires à la suite de l'avis du parquet.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Aucun moyen n'étant soulevé ou susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer l'appel de la SCI Abondance recevable.
Sur la contestation des annulations opérées par le tribunal :
La société appelante qui souligne que la jurisprudence se montre très exigeante sur la démonstration, par le demandeur qui agit sur le fondement de l'article L.632-2 du code de commerce, de la connaissance personnelle de l'état de cessation des paiements par celui qui est assigné en nullité des paiements, reproche aux premiers juges comme au liquidateur judiciaire de procéder par voie d'affirmation et sans aucune démonstration de sa connaissance de l'état de cessation des paiements de la société Solal. Elle soutient que l'accumulation des éléments avancés par le liquidateur judiciaire ne prouve pas cette connaissance alors même que l'existence d'inscriptions établit tout au plus l'existence de difficultés financières, notion très différente de la cessation des paiements, que la lecture d'un bilan ne permet pas davantage de déterminer un état de cessation des paiements s'agissant d'une notion de trésorerie et qu'il en est de même en l'espèce du retard dans le paiement des loyers dans la mesure où elle a dû constamment faire face à un locataire d'une incroyable mauvaise foi qui a tenté par tous moyens, dès le début de son activité d'ailleurs, d'échapper à ses obligations dans le cadre de l'exécution des baux commerciaux en exploitant notamment le prétexte de la crise sanitaire pour tenter de s'exonérer du paiement de ses loyers; elle observe que la jurisprudence considère que les défauts de paiement et le non respect d'un échéancier ne peuvent pas caractériser la connaissance par le créancier de l'état de cessation des paiements et que les virements opérés par la société locataire en septembre et décembre 2020 pour obtenir l'accord du juge des référés sur l'échéancier proposé, n'ont fait que confirmer que le débiteur disposait de fonds et était réellement de mauvaise foi, soutenant qu'elle était persuadée, au regard de l'activité de boulangerie-pâtisserie de sa locataire, que celle-ci n'était pas affectée par la crise sanitaire et qu'elle 'tentait de se faire de la trésorerie sur son dos'. Elle ajoute enfin, s'agissant des saisies opérées, que même si les montants bloqués n'étaient pas importants, il ne pouvait être exclu que la société disposait d'autres comptes bancaires ou de réserve de trésorerie.
La société Alliance, ès qualités, qui a rappelé en première partie de ses écritures notamment l'historique de la société Solal, les difficultés intervenues dans la cession du fonds de commerce et les modalités d'exécution des baux par la société liquidée, soutient à l'appui de sa demande de confirmation du jugement, que l'appelante a eu connaissance de la fragilité de la situation financière de la société Solal depuis l'origine, celle-ci ayant toujours été dans l'incapacité de présenter la garantie bancaire à première demande stipulée dans le contrat de bail et de payer de manière régulière les loyers et charges appelés au titre de l'occupation du local commercial et du parking. Elle expose que l'accumulation de l'ensemble des éléments dont elle fait état, à savoir l'inscription du privilège d'un créancier social en date du 11 février 2019, la demande de régler mensuellement les loyers à compter du mois de juillet 2019, l'augmentation constante des arriérés de loyers et charges à compter du 1er juillet 2019, l'inscription d'un second privilège du même créancier le 12 août 2019, le caractère déficitaire de l'exploitation de la société et l'importance de ses fonds propres négatifs au vu de son bilan accessible à tous dès le 9 septembre 2019, établit la connaissance par le créancier de l'état de cessation des paiements de sa débitrice quand bien même chacun de ces éléments pris isolément ne caractérise pas cette connaissance. Elle ajoute, à propos du rejet du chèque d'un montant de 14 200,52 daté du 15 février 2020, qu'il ne peut être assimilé à un simple défaut de respect d'une échéance dans la mesure où le locataire ne respectait déjà plus les échéances du bail depuis plusieurs mois, qu'il était débiteur de montants très conséquents et qu'il devait faire face à une difficulté de trésorerie d'autant plus grave qu'en émettant le chèque il pensait disposer d'une trésorerie permettant d'en constituer la provision ; elle relève que la société Solal n'a d'ailleurs pas invité sa bailleresse à représenter le chèque et qu'elle n'a pas procédé au règlement des acomptes mensuels de loyers et charges en mai et juin 2020, affirmant qu'ainsi l'appelante avait connaissance de l'état de cessation des paiements à compter de l'échéance de mars 2020 et que sa connaissance est incontestablement établie à la date du 28 mai 2020 lorsqu'elle a constaté que les saisies conservatoires qu'elle a fait pratiquer en vue de recouvrer une créance de près de 112 000 euros n'ont permis de rendre indisponible qu'une somme inférieure à 7 000 euros, les faits postérieurs au 28 mai 2020 et le montant de l'arriéré, de 155 283,40 euros au 16 septembre 2020 et correspondant à un an de loyers et charges au 30 décembre 2020, ne le contredisant pas.
Elle observe enfin qu'il ressort de l'ordonnance de référé du 3 mars 2021 que la SCI Abondance n'a entendu accorder aucun délai de paiement à sa locataire et s'est opposée à cette demande, démontrant ainsi qu'elle avait parfaitement connaissance de son incapacité à les respecter et que le prononcé de cette décision n'a pas emporté suspension rétroactive de l'exigibilité de la créance locative dès lors que les délais, qui étaient conditionnés au paiement des loyers et charges courants et du règlement échelonné de l'arriéré, n'ont pas été respectés.
Selon l'article L.632-2 du code de commerce, 'les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements.
Toute saisie administrative, toute saisie attribution ou toute opposition peut également être annulée lorsqu'elle a été délivrée ou pratiquée par un créancier à compter de la date de la cessation des paiements et en connaissance de celle-ci.'
La connaissance de la cessation des paiements, dont la preuve incombe à celui qui invoque la nullité de l'opération contestée, doit être certaine, étant souligné que la conscience des difficultés du débiteur et d'une situation financière obérée ne peut suffire à démontrer la connaissance de l'état de cessation des paiements qui se caractérise par l'impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.
En l'espèce, le tribunal de commerce, dans son jugement du 4 mai 2021, a fixé la date de cessation des paiements de la société Solal au 5 novembre 2019 ; cette date n'a pas fait l'objet d'une contestation ou d'une action en report dans le délai d'un an prévu à l'article L.631-8 du code de commerce ; elle s'impose ainsi à toutes les parties ainsi qu'aux juridictions saisies d'une action en nullité sur le fondement des articles L.632-1 et L.632-2 du même code.
La SCI Abondance a fait pratiquer le 28 mai 2020 deux saisies conservatoires converties en saisie-attribution, lesquelles ont donné lieu au règlement, par l'intermédiaire de l'huissier, des sommes de 3 939,33 euros et 139,74 euros le 18 janvier 2021 ; elle a en outre bénéficié des règlements suivants par la société Solal :
- 11 000 euros par virement du 28 septembre 2020, après délivrance, le 16 septembre 2020, d'une assignation en référé aux fins notamment de constater l'acquisition de la clause résolutoire et ordonner l'expulsion de la locataire ;
- 50 000 euros par virement du 30 décembre 2020 ;
- 5 047,59 euros par virement du 26 avril 2021 ;
- 23 900 euros par virement du 28 avril 2021.
Ces saisies conservatoires et ces paiements sont donc intervenus durant la période suspecte.
Il ressort des éléments communiqués, en particulier du décompte établi par la société appelante pour les deux baux repris par la société Solal que :
- après une période de paiement régulier des loyers trimestriels dus pour le local commercial et le parking, la société Solal ne les a plus réglés conformément aux accords contractuels à compter du 1er juillet 2019 ;
-S'agissant du local commercial,
* seule la somme de 14 100,51 euros a été réglée au titre du loyer trimestriel du 1er juillet 2019 d'un montant de 41 724,98 euros,
* le loyer du 1er octobre 2019 (41 724,98 euros) a été payé en majeure partie mais pas totalement et en trois versements effectués les 2 et 31 octobre 2019, à hauteur de 41 148,43 euros,
* une somme de 14 100,52 euros a été réglée le 4 décembre 2019,
* sur le loyer du 1er janvier 2020 de 46 579,74 euros, trois chèques ont été adressés entre le 1er janvier et le 13 mars 2020 ; seuls deux ont pu être encaissés pour un montant de 27 624,48 euros, le troisième chèque, d'un montant de 14 100,52 euros étant revenu impayé le 31 mars 2020 ;
* les loyers des 1er avril et 1er juillet 2020, chacun d'un montant de 42 819,47 euros, n'ont fait l'objet d'aucun règlement à leur échéance et avant la délivrance de l'assignation en référé aux fins de résiliation de bail et d'expulsion de la société locataire ; 11 000 euros ont été réglés postérieurement à cette assignation ;
* le loyer du 1er octobre 2020, du même montant que les deux précédents, n'a pas été réglé à l'échéance, un des règlements litigieux, de 50 000 euros, étant intervenu le 31 décembre 2020 ;
* le paiement du loyer du 1er janvier 2021 d'un montant de 43 377 euros n'a pas été assuré, seuls les versements litigieux étant intervenus à hauteur de 3 939,33 euros le 18 janvier 2021, 4 835,03 euros le 27 avril 2021 et 23 305,92 euros le 29 avril 2021 ;
- S'agissant du loyer du parking, le loyer du 1er juillet 2019 d'un montant de 576,56 euros n'a été réglé que le 7 janvier 2020 puis ceux des 1er octobre 2019, 1er janvier, 1er avril, 1er juillet et 1er octobre 2020 puis 1er janvier 2021 sont demeurés impayés ; aucun règlement n'est intervenu avant le 18 janvier 2021, date à laquelle a été réglée la somme de 139,74 euros à la suite de la saisie conservatoire, avant que ne soient versées, les 27 et 29 avril 2021, les sommes de 212,56 et 594,08 euros ;
- à la date à laquelle les loyers ont commencé à ne plus être régulièrement payés, l'état relatif aux inscriptions des privilèges et publications, aisément consultable quand bien même il n'est pas notifié aux créanciers non inscrits du débiteur concerné, faisait état de deux inscriptions pour un créancier social, l'AG2R Agirc-Arrco, la première en date du 11 février 2019 à hauteur de 26 351,74 euros et la seconde pour le même créancier, à hauteur de 2 566,45 euros en date du 12 août 2019 ;
- d'après le bilan de la société Solal, déposé au greffe du tribunal de commerce de Nanterre le 9 septembre 2019, également consultable par la société appelante, sa locataire présentait des capitaux propres négatifs à hauteur de 93 838 euros et un résultat déficitaire de 161 770 euros ; l'année suivante, le bilan déposé le 11 août 2020 révélait des capitaux propres toujours négatifs à hauteur de 139 998 euros et un résultat toujours déficitaire de 46 159 euros ;
- les deux commandements de payer visant la clause résolutoire délivrés le 12 mai 2020 à hauteur notamment de la somme de 108 166,83 euros pour le local commercial et 3 871,59 euros au titre des impayés du parking n'ont fait l'objet d'aucun règlement dans le délai de deux mois, la SCI Abondance ayant souligné dans son assignation aux fins de résiliation des contrats de bail que depuis le chèque revenu impayé et malgré l'envoi de relances, aucun règlement n'était intervenu et ce, alors même que la société Solal n'était pas contrainte à la fermeture par les textes liés à la crise sanitaire ; à l'expiration du délai de deux mois prévu dans ces commandements, trois termes de loyers relatifs au local commercial, lesquels ont fait l'objet uniquement de règlements mensuels, restaient partiellement impayés et deux étaient intégralement impayés ; s'agissant du bail relatif aux parkings, quatre termes trimestriels demeuraient impayés ;
- à la date du 28 mai 2020 à laquelle les saisies conservatoires ont été délivrées pour un montant total de 111 872,11 euros pour le local commercial, le compte bancaire de la société Solal ne présentait qu'un solde créditeur de 15 302,14 euros ;
- à l'audience du 16 décembre 2020 devant le juge des référés, la SCI Abondance a maintenu ses demandes aux fins notamment de résiliation des contrats de bail, telles que développées dans son assignation du 16 septembre 2020, et s'est opposée aux délais de paiement sollicités subsidiairement par sa locataire qui proposait, en plus du règlement de 11 000 euros intervenu le 28 septembre 2020 et de 50 000 euros à verser au plus tard le 30 décembre 2020, d'apurer le surplus des sommes dues par mensualités à compter du 30 janvier 2021 ; le juge des référés a condamné en deniers ou quittances la société Solal au paiement des sommes de 161 205,77 euros et 4 888,92 euros au titre de l'arriéré locatif au 15 décembre 2020 en exécution des deux baux.
Compte tenu de ces éléments pris dans leur ensemble, au regard tant de la situation financière de la société locataire qui ne disposait pas d'une trésorerie disponible suffisante pour payer les sommes conséquentes exigibles au titre des baux, ce qui a été révélé à la SCI Abondance à l'occasion du retour du chèque impayé le 31 mars 2020 que la société Solal ne lui a pas demandé de représenter, puis des saisies conservatoires entreprises en mai 2020, que de la persistance des incidents de paiement des loyers qui n'ont plus été réglés en un versement trimestriel à compter du mois de juillet 2019 puis qui ont fait l'objet de défauts de paiement répétés, partiels puis complets, à compter de cette date, les commandements de payer visant la clause résolutoire étant restés infructueux, il est suffisamment démontré que la société appelante, à tout le moins postérieurement aux saisies conservatoires, avait connaissance de l'état de cessation des paiements de sa locataire qui ne pouvait faire face au passif exigible avec son actif disponible.
La connaissance de cet état de cessation des paiements est devenue certaine pour la SCI Abondance après la poursuite des saisies conservatoires sans qu'il puisse être affirmé qu'elle en avait une connaissance
parfaite avant la réalisation de ces mesures de sorte que le jugement sera infirmé en ce qu'il a annulé les saisies conservatoires et condamné la SCI Abondance au remboursement de la somme totale de 94 044,66 euros, laquelle correspond à hauteur de 4 079,07 euros aux sommes versées en exécution de ces saisies mais confirmé en ce qui concerne les quatre virements intervenus entre le 28 septembre 2020 et le 28 avril 2021 à hauteur des sommes de 11 000 euros, 50 000 euros, 5 047,59 euros et 23 900 euros soit un montant total de 89 947,59 euros au paiement duquel la SCI Abondance sera condamnée à l'égard de la société Alliance ès qualités avec intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2021, date à laquelle l'appelante a signé l'avis de réception de la lettre valant mise en demeure du liquidateur judiciaire et capitalisation de ces intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.
Le présent arrêt partiellement infirmatif constitue le titre ouvrant droit à la restitution d'une partie de la somme versée en exécution du jugement, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer ni sur la demande de la SCI Abondance tendant à la restitution des sommes versées à la société Alliance, ès qualités, en exécution du jugement dont elle a relevé appel ni sur ses demandes au titre des intérêts.
Sur la demande de compensation :
La SCI Abondance sollicite subsidiairement la compensation entre la créance de nature contractuelle d'un montant de 69 905,57 euros qu'elle a déclarée au passif de la liquidation judiciaire au titre des dispositions de l'article L.641-13 du code de commerce et qui est née régulièrement après le prononcé de la liquidation judiciaire et la somme versée entre les mains du liquidateur judiciaire en exécution du jugement dont appel.
Elle conteste avoir renoncé à la compensation en exécutant le jugement comme le prétend le liquidateur alors qu'elle n'avait pas d'autre choix sauf à se voir opposer la radiation de son appel et souligne que la créance avec laquelle elle sollicite la compensation est une créance mentionnée au I de l'article L.622-17 dont le paiement devait intervenir à l'échéance et est de facto exigible, soulignant que la notion de connexité visée par les dispositions de l'article L.622-7 et la jurisprudence de la Cour de cassation visée par le liquidateur 'n'ont rien à voir' avec le cas d'espèce.
La société Alliance, ès qualités, soutient en premier lieu que la SCI Abondance, qui depuis le 8 juillet 2021, affirme détenir une créance de loyers et charges née postérieurement au jugement d'ouverture, a renoncé, en exécutant le jugement critiqué, à une quelconque compensation.
Elle fait valoir en second lieu et en toute hypothèse que la compensation invoquée est interdite par la loi et la jurisprudence dès lors que d'une part l'article L.622-7 du code de commerce applicable à la procédure de liquidation judiciaire interdit expressément le paiement des créances nées après le jugement, non mentionnées au I de l'article L.622-17 et que tel est le cas de la créance alléguée puisque si elle avait été payée à l'échéance, la SCI Abondance ne tenterait pas d'en obtenir le paiement par compensation. Elle expose que d'autre part la nature de la créance de restitution que la SCI Abondance a déjà payée interdit toute compensation avec quelque créance que ce soit en raison de son absence de connexité et que la jurisprudence rappelle que le régime de la nullité des paiements s'inscrit dans l'objectif de reconstituer le patrimoine de l'entreprise dans l'intérêt de l'ensemble des créanciers, ce qui interdit à l'un d'eux, quelle que soit la créance qu'il allègue, de prétendre s'avantager au détriment des autres au moyen du paiement préférentiel qu'il poursuit au moyen d'une prétendue compensation, l'intimée évoquant notamment deux arrêts de la Cour de cassation du 31 mars 1998 (Com.96-12252) et du13 avril 2022 (Com. 20-22389) dont elle indique que l'interdiction de principe ainsi édictée s'applique tant à la compensation légale qu'à la compensation judiciaire.
La renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d'actes de son titulaire manifestant sans équivoque la volonté de renoncer.
Dans ces circonstances, au regard de la radiation de l'appel encourue, expressément visée par le conseil du liquidateur judiciaire dans un courriel du 16 décembre 2021, il ne peut être déduit de l'exécution du jugement assorti de l'exécution provisoire, la volonté sans équivoque de la SCI Abondance de renoncer à solliciter la compensation.
La nullité des paiements prononcée en application de l'article L.632-2 du code de commerce a pour objet de reconstituer l'actif du débiteur et tend aussi, en particulier dans les procédures de liquidation judiciaire, à reconstituer le gage commun des créanciers.
Si la créance pour laquelle la société appelante sollicite la compensation n'est pas une créance antérieure au jugement ouvrant la procédure collective relevant des dispositions de l'article L.622-7 du code de commerce qui prévoit en son paragraphe I, applicable à la procédure de liquidation judiciaire, que le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes, il n'en demeure pas moins que la compensation ne peut jouer lorsque l'une des créances est indisponible, c'est à dire notamment lorsqu'elle est affectée au profit de la collectivité des créanciers de la procédure collective.
Dans ces circonstances, il ne peut y avoir lieu, sans porter atteinte au principe d'égalité de traitement entre les créanciers, à compensation entre les sommes correspondant aux virements annulés et au paiement desquelles la SCI Abondance est condamnée et la créance dont elle entend se prévaloir ; sa demande de compensation sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire
Déclare l'appel de la SCI Abondance-J.B Clément Boulogne recevable ;
Confirme le jugement du 8 décembre 2021 en ce qu'il a prononcé la nullité des quatre virements intervenus entre le 28 septembre 2020 et le 29 avril 2021 et condamné la SCI Abondance-J.B Clément Boulogne à payer à la société Alliance, ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
Déboute la société Alliance, ès qualités, de sa demande d'annulation des deux saisies conservatoires pratiquées le 28 mai 2020 à la requête de la SCI Abondance-J.B Clément Boulogne ;
Condamne la SCI Abondance-J.B Clément Boulogne à payer à la société Alliance, ès qualités, la somme de 89 947,59 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2021 et capitalisation de ces intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
Y ajoutant,
Déboute la SCI Abondance-J.B Clément Boulogne de sa demande de compensation ;
Condamne la SCI Abondance-J.B Clément Boulogne à payer à la société Alliance, ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SCI Abondance-J.B Clément Boulogne aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés par maître Oriane Dontot, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le conseiller faisant fonction de président,