COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 96D
DU 10 JANVIER 2023
N° RG 21/01493
N° Portalis DBV3-V-B7F-ULQT
AFFAIRE :
Société ETHIAS
C/
l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Janvier 2021 par le Tribunal Judiciaire de PONTOISE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 19/02897
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-Me Ghislaine DAVID-MONTIEL,
-l'AARPI JUDISIS Avocats
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Société ETHIAS
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 5]
[Localité 1] (BELGIQUE)
représentée par Me Ghislaine DAVID-MONTIEL, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 216
Me Gonzague PHELIP de la SELARL PHELIP ET ASSOCIES, avocat - barreau de PARIS
APPELANTE
****************
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, direction des affaires juridiques
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Marc FLACELIERE de l'AARPI JUDISIS Avocats, avocat - barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 7 - N° du dossier 021562
INTIMÉ
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Octobre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente et Madame Nathalie LAUER, Conseiller, chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
M. et Mme [Y] se sont mariés le 8 juin 2006 à [Localité 6].
Suite à une erreur de l'état civil de la même ville, la mention du divorce du couple a été portée à l'acte de naissance de M. [Y] à la mairie de [Localité 7] en Tunisie, alors même que le couple n'a jamais divorcé.
Le 23 juin 2017 une transaction est intervenue entre la société Ethias, assureur de la ville de [Localité 6] représenté par la société PNAS et M. et Mme [Y] à qui diverses sommes ont été payées en réparation de leur préjudice.
La ville de [Localité 6] a sollicité auprès de la préfecture du Val d'Oise le remboursement de ces sommes. Par lettre du l4 novembre 2018, le préfet du Val d'Oise a rejeté cette demande.
Par acte d'huissier de justice du 16 avril 20l9, la société Ethias a assigné l'Etat représenté par le Préfet du Val d'Oise, aux fins de le voir condamner à rembourser diverses sommes correspondant au préjudice subi par la ville de [Localité 6].
Par un jugement rendu contradictoirement le 5 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Pontoise a :
- Déclaré l'action de la société Ethias irrecevable à l'encontre de l'agent judiciaire de l'Etat,
- Condamné la société Ethias à payer l'agent judiciaire la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté la société Ethias de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la société Ethias aux dépens.
La société Ethias a interjeté appel de cette décision le 4 mars 2021.
Par d'uniques conclusions notifiées le 28 mai 2021, la société Ethias demande à la cour de :
Vu l'article L.2122-32 du Code général des collectivités territoriales,
Vu les articles 34-1, 1302 et 1346 du Code civil
Vu l'article L.141-1 du Code de l'organisation judiciaire
Vu l'article L.121-12 du Code des assurances,
- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Pontoise le 5 janvier 2021 en ce qu'il a déclaré l'action de la société Ethias irrecevable et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.
- Dire et juger la société Ethias recevable et bien fondée en ses demandes.
- Constater que la société Ethias est subrogée dans les droits de M. et Mme [Y] et de la Commune.
- Constater en tout état de cause que la compagnie Ethias qui a payé par erreur, est recevable à agir contre le véritable créancier, en l'espèce l'Etat.
- Constater que l'Etat engage sa responsabilité en raison des fautes commises par l'officier d'état-civil dans le cadre du fonctionnement du service de l'état-civil.
- Constater que la grave erreur commise par l'officier d'état-civil caractérise une faute lourde.
En conséquence,
- Condamner l'Etat, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, au paiement de la somme de 17.060 euros à la société Ethias.
- Dire que cette somme portera intérêt à compter de la mise en demeure adressée à l'Etat le 24 juillet 2018.
- Dire que les intérêts seront capitalisés, passé un délai d'un an, puis à chaque année échue.
- Condamner l'Etat au paiement d'une somme de 5.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.
Par d'uniques conclusions notifiées le 24 août 2021, l'agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de :
Vu l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire,
Vu l'article L121-12 du code des assurances
Vu les articles 32 et 122 du code de procédure civile
- Déclarer irrecevable et mal fondé l'appel interjeté par la société Ethias.
- Confirmer la décision entreprise
A titre principal,
- Déclarer irrecevable le recours subrogatoire de la société Ethias contre l'Etat.
A titre subsidiaire,
- Constater l'absence de faute lourde de l'Etat
- Débouter la société Ethias de l'ensemble de ses demandes.
- Condamner la société Ethias à verser à l'agent judiciaire de l'Etat la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner la société Ethias aux entiers dépens
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 22 septembre 2022.
SUR CE, LA COUR,
A titre liminaire
Le jugement déféré a déclaré l'action de la société Ethias irrecevable aux motifs d'une part que la société Ethias ne pouvait être subrogée à la fois dans les droits du débiteur, à savoir la mairie de [Localité 6], et dans ceux des créanciers à la même obligation, à savoir les époux [Y] et, d'autre part, que la société Ethias n'avait pas intérêt à agir à l'encontre de l'Etat dès lors que la responsabilité de celui-ci pour fonctionnement défectueux du service public de la justice ne pouvait être engagée que par les usagers de ce service public eux-mêmes, la société Ethias n'étant pas un tel usager en l'espèce.
Toutefois, à hauteur de cour, la société Ethias fonde la recevabilité de sa demande sur l'article 1302-2 du code civil. La cour doit donc se prononcer sur ce moyen nouvellement invoqué devant elle.
La recevabilité de la demande de la société Ethias
La société Ethias poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a jugé son action irrecevable. À l'appui, au fondement des articles L 121-12 du code des assurances et de l'article 1346 du code civil, elle fait valoir qu'elle est subrogée dans les droits des époux [Y] et de ceux de la commune de [Localité 6], son assurée, et qu'ayant désintéressé les époux [Y], elle dispose des droits dont bénéficiaient ces derniers pour obtenir l'indemnisation par l'Etat de leurs préjudices. Elle en déduit qu'elle a qualité et intérêt pour en demander le remboursement à l'État.
Elle se fonde également sur l'article 1302-2 du code civil puisque, d'après elle, seul l'Etat devait indemniser les époux [Y] alors que c'est elle qui les a indemnisés, en sa qualité d'assureur de la commune, laquelle n'était pourtant pas susceptible de voir sa responsabilité recherchée en l'espèce.
L'agent judiciaire de l'État demande la confirmation du jugement sur ce point. Il expose que la commune ne peut à la fois être subrogée dans les droits de son assurée et dans ceux des époux [Y]. Au fondement combiné des articles 32 et 122 du code de procédure civile, il en déduit que la société Ethias n'a pas qualité à agir dès lors que seuls les usagers du service public de la justice disposent du droit de mettre en cause la responsabilité de l'État pour le fonctionnement défectueux de ce service. En ce sens, il invoque des arrêts de la Cour de cassation première chambre civile des 25 janvier 2005 et 12 octobre 2011. Or, il rappelle que la commune de [Localité 6] n'a nullement la qualité d'usager du service public de la justice.
Appréciation de la cour
Selon l'article 1302-2 du code civil, " celui qui par erreur ou sous la contrainte a acquitté la dette d'autrui peut agir en restitution contre le créancier. Néanmoins ce droit cesse dans le cas où le créancier, par suite du paiement, a détruit son titre ou abandonné les sûretés qui garantissaient sa créance.
La restitution peut aussi être demandée à celui dont la dette a été acquittée par erreur. "
En l'espèce, la société Ethias a indemnisé M. et Mme [Y] en sa qualité d'assureur de la commune de [Localité 6] alors qu'il n'est pas contesté qu'il résulte des articles L 2122-32 du code général des collectivités territoriales, 34-1 du code civil et L 141-1 du code de l'organisation judiciaire que les actions mettant en cause le fonctionnement du service public de l'état civil sont seulement de nature à engager la responsabilité de l'État, à l'exclusion de celles des communes.
C'est donc par erreur que la société Ethias, assureur de la commune de [Localité 6], a indemnisé M. et Mme [Y] de sorte qu'elle est bien recevable à agir à l'encontre de l'État sur le fondement de l'article 1302-2 du code civil, sur l'application duquel l'agent judiciaire de l'État ne se prononce pas dans ses écritures. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré l'action irrecevable.
Reste toutefois à déterminer, si, conformément à l'alinéa 2 de l'article 1302-2 du code civil, une dette de responsabilité peut être retenue en l'espèce à l'encontre de l'État.
Le bien-fondé des demandes de la société Ethias
La société Ethias demande à la cour de condamner l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, à lui payer la somme de 17 060 euros. À l'appui, au fondement combiné des articles L 2122-32 du code général des collectivités territoriales, de l'article 34-1 du code civil et de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, elle rappelle que les actions mettant en cause le fonctionnement du service public de l'état-civil sont seulement de nature à engager la responsabilité de l'État, à l'exclusion de celles des communes si bien que seul l'État est responsable en l'espèce du préjudice des époux [Y]. Or, elle prétend que le fait d'avoir envoyé au consulat de [Localité 8] à [Localité 4] en Seine-Saint-Denis, le 23 juin 2011, un avis de mention de divorce des époux [Y] daté du 6 juin 2011, caractérise manifestement une faute d'une particulière gravité dès lors que cette situation est purement imaginative. Elle estime qu'il s'agit d'une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'État puisque qu'une simple vérification, à laquelle l'officier d'État civil, était tenu lui aurait permis de s'apercevoir de son erreur. Cette faute est, d'après elle, à l'origine d'un important préjudice matériel pour les époux [Y] qui ont dû recourir aux services d'un avocat afin de régulariser la situation, accomplir des démarches en Tunisie, outre d'un important préjudice moral du fait de tracas conséquents causés par les démarches à accomplir en raison de cette erreur. Elle souligne que les sommes qu'elle a payées correspondent à une juste indemnisation des préjudices soufferts.
Subsidiairement, l'agent judiciaire de l'État sollicite le rejet de la demande en paiement de la société Ethias. Il rappelle qu'aux termes de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, la responsabilité de l'État pour le fonctionnement défectueux du service public de la justice n'est engagée qu'en cas de faute lourde ou par un déni de justice alors que si, en l'espèce, l'officier d'état-civil a bien commis une erreur matérielle en envoyant un avis de mention de divorce erroné, cette erreur ne peut à elle seule constituer une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi. À titre encore plus subsidiaire, il soutient que la société Ethias ne démontre pas que cette erreur a causé un préjudice, la lettre de Mme [Y] versée aux débats n'étant étayée d'aucune pièce justificative. Il observe qu'il n'est pas plus démontré que les voyages effectués en Tunisie par M. et Mme [Y] et leurs deux enfants étaient uniquement dus à l'erreur commise par l'officier d'État civil.
Appréciation de la cour
Selon l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, dans sa rédaction applicable à la cause, " L'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. "
Constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.
Il n'est pas contesté en l'espèce que l'officier d'état-civil de la commune de [Localité 6] a commis une erreur en envoyant à la mairie de [Localité 7] en Tunisie où est né M. [Y] un avis de divorce alors même que les époux [Y] n'ont jamais divorcé.
Toutefois, la faute lourde en raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice s'apprécie au regard de l'importance des conséquences dommageables de cette erreur (Cass Civ 1 2 septembre 2020, pourvoi n° 19-19. 098).
Or, force est de constater que les pièces produites aux débats par la société Ethias ne permettent pas de démontrer l'importance des conséquences dommageables de cette erreur pour les époux [Y], bien que ceux-ci aient été confrontés à diverses démarches pour la rectifier.
En effet, dans le courrier qu'elle a adressé à la commune de [Localité 6] le 20 mars 2007 (pièce n° 3 de la société Ethias), Mme [Y] écrit :
" Aujourd'hui le 20 mars 2017, la situation n'a toujours pas évoluer, toujours en attente d'enlever la mention divorce de l'acte de naissance de mon mari et cela depuis six ans. Moi j'appellerai cela une faute grave et énorme, imaginez-vous, qu'il me soit arriver quelque chose de grave, a moi, mon mari ou a un de nos enfants, les conséquences qu'il y aurait pu y avoir au près de nos enfants et des membres de nos familles, sur la succession sachant que nous ne savions pas que nous étions divorcer. Nous considérons que la mairie de [Localité 6] es responsable et coupable de notre situation qui es improbable et complètement inadmissible. "
Il en résulte que Mme [Y] imagine les conséquences que l'erreur aurait pu provoquer, comme l'emploi du conditionnel le démontre, ce dont il se déduit que l'erreur a été sans conséquences dommageables de nature à traduire l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi. La faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice n'est donc pas caractérisée si bien que la société Ethias sera déboutée de sa demande de paiement par l'État d'une somme de 17 060 euros.
Les demandes accessoires
Compte tenu du sens du présent arrêt, le jugement sera confirmé en ce qu'il a exactement statué sur les dépens ainsi que sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'y a pas lieu à application des dites dispositions en cause d'appel.
Partie perdante, la société Ethias sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
INFIRME le jugement rendu le 5 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Pontoise en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de la société Ethias à l'encontre de l'agent judiciaire de l'État,
Et, statuant à nouveau de ce chef,
Vu l'article 1302-2 du code civil,
DÉCLARE recevable l'action de la société Ethias à l'encontre de l'agent judiciaire de l'État,
CONFIRME pour le surplus le jugement rendu le 5 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Pontoise,
Et, y ajoutant,
DÉBOUTE la société Ethias de sa demande de paiement d'une somme de 17 060 euros par l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Ethias aux dépens d'appel.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,