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10/01/2023 | FRANCE | N°21/00101

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 10 janvier 2023, 21/00101


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B





DU 10 JANVIER 2023





N° RG 21/00101

N° Portalis DBV3-V-B7F-UHZX





AFFAIRE :



[R], [I], [Y] [P]

C/

[D] [A]

S.A. ALLIANZ IARD





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Décembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : r>
N° RG : 18/10220



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-la SELARL RBG AVOCATS,



-Me Hervé KEROUREDAN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B

DU 10 JANVIER 2023

N° RG 21/00101

N° Portalis DBV3-V-B7F-UHZX

AFFAIRE :

[R], [I], [Y] [P]

C/

[D] [A]

S.A. ALLIANZ IARD

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Décembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/10220

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-la SELARL RBG AVOCATS,

-Me Hervé KEROUREDAN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 06 décembre 2022, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [R], [I], [Y] [P]

né le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 10]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]

représenté par Me Hélène LAUTHE substituant Me Julie GIRY de la SELARL RBG AVOCATS, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : K0042

APPELANT

****************

Maître [D] [A]

né le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 4]

S.A. ALLIANZ IARD

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

N° SIRET : 542 110 291

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 7]

représentés par Me Hervé KEROUREDAN, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 40

Me Marine COURTAUT substituant Me Catherine EGRET de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat - barreau de PARIS

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Octobre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente et Madame Sixtine DU CREST, Conseiller, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

La société Galaxie, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société B&B Hôtels, est propriétaire d'établissements qu'elle exploite sous l'enseigne " B&B " et dont elle confie la direction à des sociétés tierces, en signant avec leurs représentants des contrats de gérance-mandat.

Co-gérant de la société La Terisse, qui deviendra par la suite l'EURL RGV, M. [P] a conclu avec elle, le 21 avril 1997, un contrat de gérance-mandat pour l'exploitation d'un hôtel à [Localité 11] (Yonne). Un second contrat était conclu, le 30 mars 1998, pour l'exploitation d'un établissement à [Localité 9] (Essonne).

Estimant que les conditions de mise en 'uvre de ces conventions caractérisaient un lien de subordination, M. [P] a engagé, avec seize autres parties, une procédure contre cette société, pour les besoins de laquelle il a confié mandat d'assistance et de représentation à M. [D] [A], ès qualités d'avocat.

Par jugement du 10 octobre 2003, le conseil de prud'hommes de Brest qualifiait la relation unissant les parties de contrat de travail.

Un contredit de compétence était formé par la société Galaxie devant la cour d'appel de Rennes qui, par arrêt du 27 avril 2004, infirmait la décision des premiers juges.

Sur pourvoi formé par M. [P] et consorts, la Cour de cassation cassait cette décision, suivant arrêt du 10 mai 2006, et renvoyait les parties devant la cour d'appel d'Angers.

Le 15 mai 2007, cette dernière confirmait le jugement du conseil de prud'hommes de Brest et ordonnait aux parties de chiffrer leurs prétentions salariales.

Statuant à nouveau par arrêt du 4 novembre 2008, elle déclarait prescrites les demandes des salariés en dommages-intérêts pour repos compensateurs non pris, pour congés non pris et à titre d'indemnité de préavis, fixait à deux heures par nuit la durée du travail effectif réalisé par les intéressés, considérait que la totalité des autres heures astreintes de nuit avaient été compensées par l'attribution d'un logement de fonction, condamnait la société B&B à verser diverses sommes aux salariés et ordonnait un sursis et une expertise sur les sommes pouvant être dues au titre des rappels de salaires, indemnité de préavis et indemnité de licenciement.

La société B&B Hôtels formait des pourvois contre ces deux arrêts, le second faisant concurremment l'objet d'un pourvoi à l'initiative des salariés.

Statuant sur ces recours par deux arrêts du 8 juin 2010, la Cour de cassation cassait l'arrêt du 4 novembre 2008 :

- en ce qu'il avait déclaré prescrites les demandes des salariés en dommages-intérêts pour repos compensateurs non pris, pour congés non pris et à titre d'indemnité de préavis, et en ce qu'il avait dit que la totalité des astreintes de nuit se trouvaient compensées par l'attribution d'un logement de fonction (arrêt rendu sur le pourvoi n° 08-45.269 formé par les salariés) ;

- en ce qu'il avait fait application de la convention collective des hôtels, cafés, restaurant dès l'entrée en fonction des salariés dans les hôtels B&B sur une période antérieure à son entrée en vigueur et en ce qu'il a fixé à deux heures par nuit la durée du travail effectif réalisé au titre des astreintes de nuit (arrêt rendu sur le pourvoi n° 08-44.965 formé par la société Galaxie).

À l'exception de la question relative à l'application de la convention collective, elle renvoyait l'examen de ces points à la cour d'appel de Caen, celle d'Angers restant saisie du litige sur le reste.

Par ordonnance du 4 octobre 2012, la cour d'appel de Caen, après avoir constaté l'absence des appelants, qui n'étaient pas représentés, et le non-accomplissement des diligences nécessaires à la tenue de l'audience, ordonnait la radiation de l'affaire et son retrait du rôle.

Les demandes de M. [P] étaient réinscrites au rôle de cette cour, par dépôt de conclusions, le 27 octobre 2014.

Par arrêt du 27 février 2015, la cour constatait la péremption d'instance, relevant que plus de deux ans s'étaient écoulés entre la notification de l'ordonnance de radiation et l'accomplissement par la partie des diligences mises à sa charge.

Dans un courriel adressé à M. [P] le 4 mars 2015, M. [A] reconnaissait n'avoir pas adressé ses conclusions dans les délais et indiquait se charger du pourvoi, dont il assumait les frais.

Son pourvoi était rejeté par la Cour de cassation le 12 octobre 2016.

Estimant n'avoir pu être indemnisé des heures de travail effectif de nuit et de la période d'astreinte du fait de l'inaction de son conseil, M. [P] l'a fait assigner, avec son assureur, la société Allianz IARD, devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Nanterre par acte introductif d'instance du 19 octobre 2018.

Par jugement rendu le 17 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- Condamné in solidum M. [A] et la société Allianz IARD à payer à M. [P] la somme de 42 750 euros en réparation intégrale de son préjudice,

- Rejeté la demande de M. [A] et la société Allianz IARD au titre des frais irrépétibles,

- Condamné in solidum M. [A] et la société Allianz IARD à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné in solidum M. [A] et la société Allianz IARD à supporter les entiers dépens de l'instance,

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions.

M. [P] a interjeté appel de ce jugement le 7 janvier 2021 à l'encontre de M. [A] et de la société Allianz IARD.

Par conclusions notifiées le 6 avril 2021, M. [P] demande à la cour de :

- juger son appel recevable et bien fondé,

- infirmer le jugement querellé en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à indemnisation de la perte de chance d'obtenir devant la cour d'appel de Caen une indemnisation au titre du travail de nuit effectif qu'il avait réalisé au sein des hôtels qu'il avait dirigé, et évalué sa perte de chance au titre de l'indemnisation de ses astreintes de nuit durant 9 ans, à la somme de 42.750 euros.

Ce faisant,

- condamner M. [A] à lui verser la somme de 106 084 euros au titre de la perte de chance de se voir indemniser son travail effectif de nuit,

- condamner M. [A] à lui verser la somme de 229 862 euros au titre de la perte de chance de se voir indemniser ses astreintes de nuit

- condamner la compagnie d'assurances Allianz à garantir le montant de la condamnation, - condamner solidairement M. [A] et la compagnie Allianz à lui verser la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement M. [A] et la compagnie Allianz aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions notifiées le 2 juillet 2021, M. [A] et la société Allianz IARD demandent à la cour de :

- déclarer M. [P] mal fondé en son appel.

- l'en débouter ainsi que de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- confirmer le jugement rendu le 17 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Nanterre en ce qu'il a rejeté le préjudice sollicité par M. [P] au titre du travail de nuit.

- l'infirmer pour le surplus de ses dispositions portant condamnation in solidum de M. [A] et la société Allianz IARD à indemniser M. [P] au titre de son préjudice à hauteur de 42 750 euros au titre de ses demandes d'indemnisation d'astreinte, à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre la condamnation à supporter les entiers dépens de l'instance,

Et, statuant à nouveau,

- les recevoir en leurs conclusions d'intimés contenant appel incident et y faisant droit,

- juger que les conditions de mise en 'uvre de la responsabilité civile professionnelle de M. [A] ne sont pas réunies,

- débouter M. [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

À titre " très très infiniment subsidiaire " (sic),

- réduire les préjudices allégués à leur plus simple expression,

En tout état de cause,

- condamner M. [P] à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- le condamner aux entiers dépens dont distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 17 mars 2022.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de l'appel

Il résulte des écritures susvisées que le jugement est querellé en toutes ses dispositions.

A titre liminaire

La cour rappelle que l'article 954 du code de procédure civile oblige les parties à énoncer leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions et que la cour ne statue que sur celles-ci.

Par prétention, il faut entendre, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, une demande en justice tendant à ce qu'il soit tranché un point litigieux.

Par voie de conséquence, les " juger " ne constituent pas des prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l'examen des griefs formulés contre le jugement et à la discussion des prétentions et moyens, pas dans le dispositif. La cour ne répondra de ce fait à de tels " juger " qu'à condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée en appel et énoncée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif de son arrêt, mais dans ses motifs.

Par ailleurs, la cour note que la faute de M. [A], constituée par le fait d'avoir transmis ses conclusions d'appel plus de deux ans après la notification de l'ordonnance de radiation, entraînant dès lors le prononcé de la péremption de l'instance, n'est pas contestée (pièce 9 de l'appelant et écritures des intimés). Les dispositions du jugement concluant à l'existence de cette faute sont donc désormais définitivement acquises.

Sur la responsabilité de M. [A] : sur le préjudice et le lien de causalité avec la faute alléguée

La responsabilité civile professionnelle de M. [A] suppose la démonstration d'une faute commise par lui, d'un préjudice en relation causale avec cette faute.

Le professionnel qui a manqué à son obligation de diligence sera condamné à réparer le préjudice en résultant de manière certaine. Ainsi, lorsque ses clients, dûment conseillés et assistés, auraient, de manière certaine, évité le dommage si l'avocat n'avait pas failli, ce dernier sera condamné à le réparer. Tel est le cas du préjudice moral causé à son client en raison des fautes commises par l'avocat.

En revanche, toute incertitude sur l'existence du préjudice et/ou sur le lien de causalité entre les fautes commises et les préjudices allégués, en particulier lorsque les diligences de l'avocat consistaient à mener à bien des actions en justice, ne peut donner lieu à réparation qu'au titre d'une perte de chance, entendue comme la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, qui doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

La perte de chance subie par le justiciable qui a été privé de la possibilité de faire valoir ses droits par la faute d'un auxiliaire de justice, se mesure donc à la seule probabilité de succès de la diligence omise.

Il incombe à M. [P] de démontrer que son recours devant la cour d'appel de Caen, si la péremption de l'instance n'avait pas été constatée, avait des chances certaines, mêmes faibles, de prospérer. Il est dès lors nécessaire pour ce faire de reconstituer la discussion qui aurait pu avoir lieu devant ces juridictions.

En l'espèce, M. [P] considère que l'inaction fautive de M. [A] lui a fait perdre une chance d'être indemnisé de deux postes de préjudice : d'une part, au titre de son travail effectif de nuit au cours de ses astreintes de nuit, et d'autre part, au titre des astreintes de nuit.

- Sur le travail effectif de nuit réalisé au cours des astreintes de nuit

Moyens des parties

Poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à sa demande, M. [P] demande à la cour, au fondement des articles 1217 et 1231-2 du code civil, et des articles L. 3121-1, L. 3122-20 et L. 3122-5 du code du travail, de condamner M. [A] à lui verser 106 084 euros au titre de la perte de chance de se voir indemniser son travail effectif de nuit.

En premier lieu, il soutient que son contrat de travail prévoyait un logement de fonction dans l'établissement à charge pour lui de l'occuper de façon permanente, au risque de voir mise en 'uvre la clause de résiliation insérée dans ce dernier. Selon lui, les gérants-mandataires étaient tenus de se conformer aux directives impératives définies par le livret d'exploitation annexé au contrat de gérance-mandat et la société Galaxie avait un pouvoir de contrôle et de sanction en cas d'inexécution des obligations prévues au contrat.

Il fait valoir, en second lieu, que dans ses conclusions d'appelant, M. [A] avait sollicité de la cour d'appel de Caen qu'elle reconnaisse que la totalité des heures de nuit effectuées corresponde à des heures de travail effectif et qu'elle condamne en conséquence la société défenderesse à lui verser 430 659,48 euros, outre 43 065,95 euros d'indemnité compensatrice de congés payés. Selon lui, la Cour de cassation ayant cassé l'arrêt de la cour d'appel d'Angers qui avait " fixé à deux heures par nuit la durée du travail effectif réalisée par les mandataires-gérants au titre de leurs astreintes de nuit " aux motifs qu'elle n'avait pas analysé les éléments fournis par les parties quant à la réalité de leur travail effectif de nuit (pourvoi n°08-44965), il était certain que la cour d'appel de Caen aurait dû statuer sur le nombre d'heure de travail effectif de nuit effectué par M. [P] et le montant de sa rémunération subséquente.

Se prévalant de l'article 12 de l'avenant n°2 du 5 février 2007 de la convention collective nationale de l'hôtellerie et de plusieurs arrêts de jurisprudence, il affirme que l'activité d'hôtellerie génère nécessairement l'existence du travail de nuit.

Il conteste l'analyse du tribunal selon laquelle la mise en place d'un service d'urgence pour les clients limitait à 20% les appels dont le gérant avait à se charger. Il rappelle que ses interventions durant ses astreintes de nuit étaient imprévisibles et impliquaient qu'il soit présent en permanence sur son lieu de travail. Il précise que son employeur exigeait cette présence permanente à la fois pour être disponible aux clients et pour des motifs de sécurité, de sorte qu'il ne pouvait vaquer librement à ses occupations.

Il ajoute que non seulement l'installation de bornes d'urgence avec visiophone pour être en mesure de communiquer avec le client situé à l'extérieur, quel que soit le motif même non urgent, mais également son téléphone portable professionnel, l'injonction faite par la direction de conserver dans leur logement le coffret à clés et l'obligation, en cas d'orage, de mettre l'équipement informatique en sommeil et de procéder à la réception physique des clients, l'empêchaient de vaquer librement à ses occupations.

Contestant la motivation des premiers juges, M. [P] explique n'avoir pas conservé l'intégralité des fiches de renseignements des appels d'urgence sur neuf années d'activité, mais fait valoir que l'existence même de ces fiches démontre qu'il était en permanence à la disposition de son employeur.

Il en déduit que les obligations mises à sa charge en pleine nuit ne peuvent que s'analyser en du temps de travail effectif, puisqu'il ne pouvait pas vaquer à ses occupations personnelles s'il était susceptible d'être appelé et d'intervenir à tout moment.

Estimant dès lors qu'il avait 95% de chance d'obtenir une indemnisation d'au moins 2 heures de travail de nuit, il sollicite de la cour qu'elle condamne M. [A] à lui verser 106 084 euros (comprenant sa rémunération brute au taux horaire le plus favorable et une indemnité compensatrice de congés payés) à ce titre.

Poursuivant la confirmation du jugement en ce qu'il a " rejeté le préjudice sollicité par M. [P] au titre du travail de nuit ", M. [A] et la société Allianz IARD demandent à la cour de débouter M. [P] de sa demande au motif qu'il ne démontre pas le préjudice qu'il allègue.

Ils rappellent que, dans son arrêt du 8 juin 2010 rendu à la suite du pourvoi de la société B&B (pourvoi n°08-44965), la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel d'Angers en ce qu'elle a fixé à deux heures par nuit la durée du travail effectif réalisé au cours des astreintes de nuit au motif qu'elle n'avait fourni aucune analyse des éléments produits par l'employeur ni des éléments que les gérants salariés devaient apporter quant à la réalité de leur travail effectif de nuit. Selon eux, alors même que la Haute Juridiction avait pointé cette carence probatoire, M. [P] ne démontre toujours pas, à hauteur d'appel dans la présente procédure, l'existence d'un travail effectif de nuit dont il aurait perdu une chance d'obtenir l'indemnisation.

Ils soulignent que M. [P] ne produit pas le rapport d'expertise complet du 20 novembre 2011 établi par M. [C], ni leurs dernières écritures devant la cour d'appel d'Angers ayant donné lieu aux arrêts des 15 mai 2007 et 4 novembre 2008, ni l'arrêt de la cour d'appel d'Angers rendu postérieurement au 8 juin 2010 concernant le travail de jour, ni le protocole d'accord transactionnel, ni la copie de la décision rendue dans le litige l'opposant à la société Limoges Hôtels (sous filiale du groupe B&B) avec qui M. [P] avait contracté antérieurement.

Par ailleurs, les intimés font valoir que l'arrêt du 27 février 2015 ayant constaté la péremption d'instance ne concernait que la seule fixation de la durée du travail effectif réalisé pour les astreintes de nuit, de sorte qu'il ne peut prétendre à l'indemnisation d'autres chefs de préjudice (notamment au titre du travail de nuit).

S'agissant de l'existence d'un travail effectif de nuit dans le cadre des astreintes de nuit, M. [A] et la société Allianz IARD indiquent que dans une procédure voisine concernant d'autres mandataires-gérants, les consorts [U] et [D], la cour d'appel de Caen a débouté ces derniers de leur demande d'indemnisation du travail effectif de nuit, alors même qu'ils se prévalaient du même type de pièces que M. [P] (arrêt du 31 janvier 2019).

Ils ajoutent que le relevé téléphonique de février et juin 2003, versé par l'appelant en première instance, ne fait ressortir que des appels tardifs entrants et sortants de quelques minutes, dont on ignore l'identité des interlocuteurs, et n'est plus produit à hauteur d'appel. Ils considèrent que les correspondances produites par M. [P] ne démontrent pas que la société Galaxie exigeait sa présence permanente dans les locaux de l'hôtel et précisent que M. [P] a procédé à un tri des pièces initialement produites et a évité de verser aux débats les pièces qui lui étaient défavorables.

En outre, ils déduisent des rapports d'intervention que M. [P] ne répondait pas de manière systématique aux appels et opposait également des refus aux clients. Selon eux, M. [P] bénéficiait au contraire d'une importante souplesse et sa présence continue n'était pas exigée.

Ils ajoutent que les attestations, produites par la partie adverse selon eux pour les besoins de la cause, ne sont pas probantes au regard des liens d'amitié qui unissent leurs auteurs avec M. [P].

Ils soutiennent que la détention des clés dans un coffre dans son logement et l'utilisation d'un téléphone portable professionnel sont insuffisants à démontrer un travail effectif de nuit.

Selon eux, M. [P] n'avait aucune chance n'obtenir une indemnisation au titre d'un travail effectif de nuit.

Appréciation de la cour

Selon l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut demander réparation des conséquences de l'inexécution.

En ce cas, l'article 1231-1 du même code dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

L'article 1231-2 du code civil précise que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après.

Selon l'article L. 3121-9 du code du travail, une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise.

La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif.

La période d'astreinte fait l'objet d'une contrepartie, soit sous forme financière, soit sous forme de repos.

Les salariés concernés par des périodes d'astreinte sont informés de leur programmation individuelle dans un délai raisonnable.

L'article L. 3121-1 du code du travail précise que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

S'agissant du travail de nuit, l'article 3122-2 du code du travail dispose que tout travail effectué au cours d'une période d'au moins neuf heures consécutives comprenant l'intervalle entre minuit et 5 heures est considéré comme du travail de nuit. La période de travail de nuit commence au plus tôt à 21 heures et s'achève au plus tard à 7 heures.

Selon les articles L. 3122-5 et L. 3122-23 du même code, le salarié est considéré comme travailleur de nuit dès lors que soit il accomplit, au moins deux fois par semaine, selon son horaire de travail habituel, au moins trois heures de travail de nuit quotidiennes ; soit il accomplit, au cours d'une période de référence, un nombre minimal d'heures de travail de nuit au sens de l'article L. 3122-2, dans les conditions prévues dans l'accord d'entreprise, d'établissement ou dans la convention ou accord de branche. A défaut de stipulation conventionnelle, le nombre minimal d'heures entraînant la qualification de travailleur de nuit est fixé à deux cent soixante-dix heures sur une période de référence de douze mois consécutifs.

En l'espèce, la cour observe que le périmètre de saisine de la cour d'appel de Caen qui aurait été amenée à se prononcer sur les demandes de M. [P] si la péremption de l'instance n'avait pas été constatée, est strictement délimité. En effet, l'arrêt du 27 février 2015 évoque seulement l'arrêt du 8 juin 2010 de la Cour de cassation rendu dans le cadre du pourvoi n°08-44.965 formé par la société B&B Hôtels, ayant partiellement cassé l'arrêt du 4 novembre 2008 de la cour d'appel d'Angers et ayant renvoyé " la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen pour qu'il soit statué sur la fixation de la durée du travail effectif réalisé pendant les astreintes de nuit " (pièces 7 et 8 de l'appelant). Il ressort de l'arrêt du 27 février 2015 que la cour d'appel de Caen a été saisie par une déclaration de saisine du 28 juin 2010 de Mme [J] et de seize autres salariés, dont M. [P], " pour qu'il soit statué sur la fixation de la durée du travail effectif réalisé pendant les astreintes de nuit ". Dès lors, la cour d'appel de Caen, si l'instance avait été menée à son terme, n'aurait pu se prononcer que dans les limites du périmètre de sa saisine, soit la fixation de la durée du travail effectif réalisé pendant les astreintes de nuit.

Il appartient donc à la cour de déterminer, conformément aux articles L. 3121-1 et L. 3121-5 du code du travail et après examen des pièces versées aux débats par l'ensemble des parties, si au cours de ses astreintes de nuit, M. [P] était régulièrement amené à intervenir, en étant à la disposition de l'employeur et en se conformant à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, pour accomplir un travail au service de l'entreprise, et, dans l'affirmative, la durée de ce travail effectif de nuit. A ce titre, la cour est tenue de rechercher dans quelles conditions se déroule l'astreinte et si le salarié est, pendant ce temps, en mesure ou non de vaquer à des occupations personnelles (Soc., 20 septembre 2005, Bull V n°197 ; Soc., 24 sept. 2008, n°06-41.448 ; Soc. 7 fév.2008, n° 06-44.890 ; Soc., 20 février 2013, n°11-26.404, 11-26.406, 11-26.407, 11-26.401 ; Soc., 8 septembre 2016, n°14-23.714 ; Soc., 13 octobre 2021, n°20-16.048).

Le contrat de gérance-mandat, requalifié en contrat de travail, signé le 15 avril 1998 entre l'entreprise unipersonnelle RGV, représentée par M. [P], et la société Ecomotel, propriétaire du fonds de commerce exploité sous la marque " Hôtel B&B City " par la société Galaxie, aux droits de laquelle vient la société B&B Hôtels, met à la charge du mandataire-gérant une obligation de continuité d'ouverture 365 jours par an. Il stipule en son article 2.3 que le mandataire-gérant doit administrer l'hôtel " de façon à assurer ou faire assurer sous sa responsabilité une présence permanente dans l'hôtel pour garantir surveillance et sécurité ". L'article 2.5 donne au mandataire-gérant toute latitude pour engager du personnel pour organiser les conditions du travail. En outre, le mémento de sécurité incendie prévoit que " les hôtels doivent disposer en permanence et sur place d'un personnel formé, susceptible de prévenir les secours et de faire procéder à l'évacuation des occupants " (pièce 17 de l'appelant).

L'article 10.1 stipule par ailleurs que " la société Galaxie met à la disposition du mandataire gérant un logement dit de fonction dans l'établissement (') M. [P] devra occuper ce logement de façon permanente " (pièce 1 de l'appelant).

Il résulte de l'article 10.1 que M. [P] disposait d'un logement de fonction à l'intérieur de l'hôtel dans lequel il était tenu d'habiter pendant toute la durée du contrat, sans que l'on puisse déduire de cette seule stipulation qu'il ne pouvait vaquer à ses occupations personnelles. Il était en revanche tenu d'assurer une présence constante dans l'hôtel, pour des raisons de sécurité, conformément à l'article 2.3 du contrat et au mémento de sécurité incendie annexé au contrat (pièces 1 et 17 de l'appelant). Manifestement, cette fonction de surveillance, qui ne donnait pas toujours lieu à l'embauche d'un personnel formé, n'était pas correctement assurée dans tous les hôtels (pièce 5 des intimés). M. [P] avait choisi d'assurer seul cette fonction, sans embaucher de personnel supplémentaire.

Il ressort de ses écritures qu'en pratique, la nuit, il demeurait dans son logement de fonction et devait répondre aux sollicitations des clients qui n'avaient pas déjà été réglées en amont par la borne d'urgence reliée au siège de la société. Il s'ensuit que, la nuit, M. [P], sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur, devait être en mesure d'intervenir en cas de sollicitation d'un client ou d'urgence (incendie) et était, par conséquent, en position d'astreinte.

Toutefois, contrairement à ce qu'il prétend, il ne démontre pas que les interventions qui lui incombaient au cours de ses astreintes de nuit représentaient une durée de 2 heures par nuit.

Le fait que M. [P] ait été doté d'un téléphone portable professionnel et ait l'obligation d'informer le siège d'un éventuel changement de numéro permet de caractériser une astreinte et non un travail effectif (pièce 19 de l'appelant). Il en est de même de la présence du coffre à clés dans son logement et de l'obligation de débrancher les appareils informatiques en cas d'orage (pièces 22 et 23 de l'appelant), ces éléments ne permettant pas de conclure à l'existence d'un travail effectif de nuit, chaque nuit pendant un temps déterminé.

En revanche, il résulte des attestations versées par M. [P] qu'il lui arrivait de devoir intervenir la nuit pour répondre aux sollicitations des clients. Ainsi, M. [V] atteste que " j'ai pu constater qu'il était tout le temps dérangé, que cela soit pour un code de chambre, une couverture, un gobelet à dents manquant ou bien d'autres encore " (pièce 14) ; M. [T] indique que " Toutes les soirées, qui ne pouvaient se faire que dans le local de garde, ne se faisait sans dérangements, que ce soit pour une alarme, un appel d'un client ayant déjà sa chambre ou un client qui voulait prendre une chambre en dehors des ouvertures de la réception " (sic) (pièce 15) ; Mme [T] précise : " je peux attester qu'il n'y avait pas une seule soirée sans demandes de clients des plus variées et aux heures les plus inappropriées " (pièce 16).

La cour note qu'une borne d'urgence a été mise en place dans chaque hôtel par la direction de la société B&B Hôtels afin qu'une partie des appels soit traitée, en première ligne, par un centre d'urgence de sorte que les gérants n'avaient plus qu'à traiter environ 20 % des appels. Ces réceptionnistes étaient là " pour rendre service aux clients et soulager les exploitants " ainsi que l'écrit M. [W] [K], directeur d'exploitation du groupe B&B, dans un courriel du 28 juin 2001 (pièce 12 et pièce 18 de l'appelant).

Pour mesurer l'amplitude de ces interventions, la cour dispose des fiches de liaison remplies par le centre d'urgence et versées aux débats par l'appelant. Ces fiches font état d'interventions entre 22 heures et 3 heures du matin dont le nombre moyen ne dépassent pas une par semaine. Deux déplacements du gérant sont dénombrés en 1999, trois en 2000, vingt-deux en 2001 ainsi que huit refus d'intervention, douze en 2002 ainsi que trois refus. Les années suivantes sont marquées par un nombre inférieur d'interventions (pièce 24 de l'appelant). M. [P] précise n'avoir pu produire l'intégralité de ses fiches d'intervention. Il lui appartient cependant, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, d'apporter la preuve de ce qu'il avance, d'autant qu'en l'espèce, les clients étaient d'abord en lien avec le siège avant d'être renvoyé, le cas échéant, au gérant. Par conséquent, sur neufs années, il est démontré un rythme d'interventions inférieur à une par semaine, de sorte que, la nuit, M. [P] pouvait vaquer à ses occupations personnelles.

Force est de constater que la jurisprudence citée par l'appelant concerne des cas d'espèce différents de la situation de M. [P]. Ainsi ont été considérés comme du travail effectif le temps de chargement pour des ouvriers présents sur un chantier (Soc. 31 mars 1993, n°89-40.865), des cas de surveillance de nuit " en raison des organes de sécurité situés dans la loge de surveillance et du fait même de l'organisation du système de gardiennage et de sécurité " (Soc., 1er mars 1995, n°91-42.162), la présence d'un agent de surveillance dans une chambre de veille pour assurer la surveillance nocturne de pensionnaires sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles (Soc., 24 avril 2001, n°98-45.366), le cas de médecins psychiatres tenus pendant leur permanence de nuit de rester dans un local imposé par l'employeur sur le lieu de travail afin de répondre sans délai à toute demande d'intervention (Soc., 27 juin 2012, n°10.27-726).

Quant à la dernière affaire, la Cour de cassation a considéré que la cour d'appel avait, dans le cadre de son pouvoir souverain d'appréciation, examiner les preuves tendant à démontrer un travail effectif et en avait conclu que ce dernier était constitué. La Cour de cassation n'érige pas ici en principe ce qu'a considéré la cour d'appel, mais laisse aux juges du fond le pouvoir d'apprécier les pièces au soutien de la démonstration d'un travail effectif : " Mais attendu, d'abord, qu'appréciant les faits et les preuves, la cour d'appel a fait ressortir que l'importance de la tâche consistant, pour la salariée, à assumer seule, toutes les nuits depuis le studio mis à sa disposition, la permanence de sécurité de l'hôtel considéré, qui pouvait accueillir 105 personnes, ne lui permettait pas de vaquer à des occupations personnelles et caractérisait ainsi un temps de travail effectif " (Soc., 31 mai 2011, 08-45292). Aucun parallèle ne peut être effectué avec le cas de M. [P] dans la mesure où ce dernier n'apporte aucun élément permettant de conclure à l'exercice effectif d'un travail de surveillance de nuit comme par exemple le fait d'effectuer des rondes régulières au sein de l'établissement ou de surveiller des écrans de contrôle reliés à des caméras de vidéo-surveillance.

Enfin, il résulte de l'arrêt du 31 janvier 2019, qui a concerné d'autres salariés (mandataires-gérants) de la société B&B Hôtels placés dans la même situation que M. [P], que la cour d'appel de Caen, saisie sur déclaration de saisine des salariés après le même arrêt de la Cour de cassation (arrêt du 8 juin 2010, pourvoi n°08-44.965), a considéré que " en l'état des seuls éléments produits, il s'avère que, en dehors des seuls moments d'intervention à raison d'appels d'urgence (dont le nombre, la fréquence et la durée ne sont pas justifiés), les salariés pouvaient vaquer à des occupations personnelles, de sorte qu'il n'apportent pas la preuve de la réalité d'un travail effectif ". En l'espèce, à l'instar de ce qu'avait initialement demandé M. [P], les deux salariés concernés sollicitaient à la fois que l'intégralité de leur temps d'astreinte de nuit soit considérée comme du travail effectif mais également une compensation financière au titre de leur astreinte de nuit. La cour a retenu qu'il leur était fait obligation d'assurer une " présence " en permanence dans leur logement, sans que cela puisse être assimilée à une obligation de surveillance permanente dans l'hôtel. Elle en a conclu que la preuve d'un travail effectif de nuit n'était pas rapportée mais que seule était due une contrepartie au titre de l'astreinte de nuit (pièce 11 de l'appelant).

Ainsi, par ses productions, M. [P] ne démontre pas l'existence d'un travail effectif de nuit de sorte qu'il n'avait aucune chance d'en obtenir l'indemnisation devant la cour d'appel de Caen. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il n'a pas fait droit à sa demande d'indemnisation au titre d'un travail effectif de nuit.

- Sur la compensation des astreintes de nuit

Moyens des parties

M. [P] demande à la cour, au fondement de l'article L. 3121-9 du code du travail, de confirmer le jugement en ce qu'il a considéré qu'il était d'astreinte chaque nuit, en considération de l'obligation qui lui était faite d'occuper en permanence son logement, mais il sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il ne lui a alloué que la somme de 42 750 euros en réparation de la perte de chance de pouvoir obtenir l'indemnisation de ses astreintes de nuit. Il demande à la cour de condamner M. [A] à lui verser 229 862 euros à ce titre.

Il fait valoir, en premier lieu, que dans ses conclusions d'appelant, M. [A] avait sollicité de la cour d'appel de Caen, à titre subsidiaire, qu'elle constate qu'indépendamment du travail effectif réalisé, M. [P] était d'astreinte toute les nuits de 22 heures à 6 heures 30 pendant toute la durée de son contrat de travail, et qu'elle lui accorde par conséquent une compensation financière correspondant à son plein salaire (soit 287 106,33 euros, outre 28 710,63 euros d'indemnité compensatrice de congés payés). Selon lui, la Cour de cassation ayant cassé l'arrêt de la cour d'appel d'Angers en ce qu'elle a considéré que " la totalité des autres heures astreintes de nuit ont été compensées par l'attribution aux intéressés d'un logement de fonction ", aux motifs qu'aucune stipulation du contrat ne le prévoyait expressément (pourvoi n°08-45269), la cour d'appel de Caen aurait dû chiffrer sa période d'astreinte de nuit et l'aurait indemnisé en conséquence.

S'appuyant sur la jurisprudence, il soutient que les heures d'astreinte peuvent être indemnisées au taux plein du salaire horaire avec une indemnité compensatrice de congés payés.

Il évalue à 95% ses chances d'obtenir de la cour d'appel de Caen une indemnisation à ce titre. Il explique avoir été d'astreinte 3 heures 25 par nuit - car il partageait les astreintes de nuit avec sa compagne co-gérante - lorsqu'il était mandataire-gérant de l'hôtel de [Localité 11] (70 chambres) du 21 avril 1997 au 29 mars 1998, puis 6 heures 30 par nuit lorsqu'il était mandataire-gérant de l'hôtel de [Localité 9] (60 chambres) du 30 mars 1998 au 6 juillet 2006. Après avoir appliqué un taux horaire " simple sans majoration ", calculé son indemnité compensatrice de congés payés et estimé sa chance à 95%, M. [P] demande à la cour de condamner M. [A] à lui verser 229 862 euros.

Poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il a accordé une indemnisation à M. [P] à hauteur de 42 750 euros en réparation de sa perte de chance d'avoir pu obtenir une contrepartie au titre de ses astreintes de nuit, M. [A] et la société Allianz IARD forment un appel incident et demandent à la cour de débouter M. [P] de sa demande. A titre très infiniment subsidiaire, ils sollicitent que la cour réduise les préjudices allégués à leur plus simple expression.

Ils font valoir tout d'abord que la péremption d'instance ne concernait que la seule fixation de la durée du travail effectif réalisé pendant les astreintes de nuit, et non l'indemnisation de la période d'astreinte.

" A titre superfétatoire ", ils soutiennent que la demande de M. [P] sur ce point n'est justifiée ni dans son principe ni dans son quantum et que ce dernier est mal fondé à solliciter une indemnisation alors qu'il " ne répondait la nuit que selon son bon vouloir " et qu'il a " à de nombreuses reprises, refusé d'intervenir ".

A titre très subsidiaire, sur le quantum, les intimés rappellent que dans son arrêt du 31 janvier 2019, la cour d'appel de Caen a alloué respectivement 10 460 euros et 7 677 euros pour deux années d'astreintes de nuit aux consorts [D] et [U]. Ainsi, selon eux, si l'on retient une fourchette haute, M. [P] ne pourrait prétendre qu'à 45 000 euros maximum pour neuf années d'exercice. S'agissant cependant d'une perte de chance incertaine, puisque selon eux le périmètre de saisine de la cour ne comprenait pas l'indemnisation d'une astreinte, l'indemnisation de M. [P] doit être réduite à sa plus simple expression.

Appréciation de la cour

Comme indiqué ci-dessus, le périmètre de saisine de la cour d'appel de Caen qui aurait été amenée à se prononcer sur les demandes de M. [P] si la péremption de l'instance n'avait pas été constatée, était strictement délimité à la seule fixation de la durée du travail effectif réalisé pendant les astreintes de nuit (correspondant au pourvoi n°08-44.965), et non à la compensation des astreintes de nuit (pourvoi n° 08-45.269).

Par ailleurs, M. [P] ne fait pas état de ce que M. [A] aurait commis une faute en ne saisissant pas la cour d'appel de renvoi à la suite de l'arrêt du 8 juin 2010 rendu dans le cadre du pourvoi n°08-45.269 formé par les salariés, ayant cassé les dispositions de l'arrêt du 4 novembre 2008 de la cour d'appel d'Angers relatives à la compensation de l'astreinte par le logement de fonction et renvoyant la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen " pour être fait droit " (pièce 6 de l'appelant).

Par conséquent, il ne peut se prévaloir d'une perte de chance de pouvoir obtenir devant la cour d'appel de Caen l'indemnisation de ses astreintes.

Dès lors le jugement sera infirmé et M. [P] sera débouté de sa demande d'indemnisation au titre de la perte de chance de se voir indemniser ses astreintes de nuit.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

M. [P] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera de ce fait rejetée.

Il n'apparaît cependant pas équitable de faire droit à la demande de M. [A] et de la société Allianz IARD fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

INFIRME le jugement ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉBOUTE M. [P] de ses demandes ;

CONDAMNE M. [P] aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

DIT n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toutes autres demandes.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 21/00101
Date de la décision : 10/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-10;21.00101 ?
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