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08/12/2022 | FRANCE | N°20/00757

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 08 décembre 2022, 20/00757


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



15e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 08 DÉCEMBRE 2022



N° RG 20/00757 - N° Portalis DBV3-V-B7E-TZZU



AFFAIRE :



[T] [Y]



C/



S.A. ALSTOM TRANSPORT









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Février 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NANTERRE

N° Section : I

N° RG : 16/02957



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me François LAFFORGUE de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES



Me Thomas HUMBERT de la SELAFA B.R.L. Avocats







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPL...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 08 DÉCEMBRE 2022

N° RG 20/00757 - N° Portalis DBV3-V-B7E-TZZU

AFFAIRE :

[T] [Y]

C/

S.A. ALSTOM TRANSPORT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Février 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NANTERRE

N° Section : I

N° RG : 16/02957

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me François LAFFORGUE de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES

Me Thomas HUMBERT de la SELAFA B.R.L. Avocats

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT DÉCEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, initialement fixé au 27 octobre 2022, puis prorogé au 17 novembre 2022, puis prorogé au 08 décembre 2022, les parties ayant été avisées dans l'affaire entre :

Monsieur [T] [Y]

né le 17 Juillet 1955 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 4]

Représentant : Me François LAFFORGUE de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0268, substitué par Me Guillaume BERNARD, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.A. ALSTOM TRANSPORT

N° SIRET : 389 191 982

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentant : Me Thomas HUMBERT de la SELAFA B.R.L. Avocats, Constitué/Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0305 - Représentant : Me Florence RICHARD de la SELARL KERSUS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0224, substitué par Me Xavier CLAVEL, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Septembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,

EXPOSE DU LITIGE

M. [T] [Y], né le 17 juillet 1955, a été engagé à compter du 12 septembre 1977 en qualité de monteur par la société Saxby. Son contrat de travail a été transféré de plein droit à la société Jeumont Schneider, puis au 1er janvier 1987 à la société Alsthom, puis en novembre 1992 à la société filiale Alstom Transport, nouvellement créée. Il était affecté au département des installations fixes de la division matériels ferroviaires, au sein des chantiers signalisations. Il occupait en dernier lieu le poste de chef d'équipe, niveau IV, échelon 2, coefficient 270, sous-échelon T.A.3.

Soutenant avoir été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante dans le cadre de l'exercice de sa profession et invoquant un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, il a saisi, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception expédiée le 17 juin 2013, reçue le 18 juin 2013, le conseil de prud'hommes de Nanterre d'une requête à l'encontre des sociétés Alstom Transport et Alstom Holding aux fins d'obtenir la réparation d'un préjudice d'anxiété et d'un préjudice tenant à un bouleversement dans ses conditions d'existence.

L'affaire a été radiée par décision du bureau de jugement du 3 septembre 2014, notifiée le 14 novembre 2014 aux parties, absentes à l'audience.

M. [Y] a sollicité par courrier reçu le 5 septembre 2016 la réinscription de l'affaire au rôle.

Dans le dernier état de ses prétentions, il a demandé au conseil de prud'hommes de condamner, avec exécution provisoire, la société Alstom Transport à lui payer les sommes suivantes :

*30 000 euros à titre d'indemnité pour préjudice d'anxiété,

*30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale,

*46 834,77 euros d'indemnité pour heures de voyage,

*3 321,36 euros à titre d'indemnité de retenue de chambre,

*1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement de départage du 7 février 2020, le conseil de prud'hommes a :

- mis la société Alstom Holding hors de cause,

- rejeté l'exception de péremption d'instance soulevée par la société Alstom Transport,

- débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,

- rejeté toutes autres demandes des parties,

- dit que chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles,

- condamné M. [Y] aux dépens de l'instance.

Par déclaration au greffe du 11 mars 2020, M. [Y] a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle l'a débouté de sa demande d'indemnité pour préjudice d'anxiété et de ses demandes d'indemnités d'heures de voyage et de retenues de chambre à l'encontre de la société Alstom Transport.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 31 juillet 2020, auxquelles la cour renvoie pour l'exposé des moyens, il demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Alstom Transport à lui payer les sommes suivantes :

*30 000 euros en réparation du préjudice d'anxiété,

*46 834,77 euros d'indemnité pour heures de voyage,

*3 321,36 euros à titre d'indemnité de retenue de chambre,

*2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

et de condamner en outre l'intimée aux dépens de l'entière procédure.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 28 octobre 2020, auxquelles la cour renvoie pour l'exposé des moyens, la société Alstom Transport demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté la péremption d'instance, qu'elle a soulevée ;

- constater en conséquence la péremption de l'instance et déclarer l'instance éteinte ;

- subsidiairement :

*juger prescrites les demandes antérieures au 18 juin 2011, ou subsidiairement, au 18 juin 2010 ;

*au fond, débouter M. [Y] de l'intégralité de ses demandes,

* à titre principal, débouter M. [Y] de l'intégralité de ses demandes ;

*subsidiairement, ramener la somme réclamée au titre du préjudice d'anxiété à de plus justes proportions,

La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 29 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'extinction de l'instance par l'effet de la péremption

La société Alstom Transport soutient que l'instance est éteinte par l'effet de la péremption dès lors que M. [Y] n'a pas accompli accompli les diligences mises à sa charge par le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes dans les deux ans suivant l'expiration du délai qui lui avait été imparti à cette fin, à savoir communiquer ses pièces avant le 24 février 2014.

Selon l'article L. 1452-8 du code du travail, applicable aux instances introduites devant le conseil de prud'hommes avant le 1er août 2016, en matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.

Toutefois ne constituent pas de telles diligences les indications relatives à la fixation des délais données aux parties par le bureau de conciliation en application de l'article R. 1454-18 du code du travail dans sa rédaction antérieure au décret n°2016-660 du 20 mai 2016, pour se communiquer mutuellement les pièces à l'appui de leurs prétentions.

Le délai donné le 16 décembre 2013 par le bureau de conciliation à M. [Y] de communiquer ses pièces avant le 24 février 2014 n'étant pas de nature à faire courir le délai de péremption, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de la société Alstom Transport tendant à ce que soit constatée l'extinction de l'instance par l'effet de la péremption.

Sur le droit de M. [Y] d'obtenir la réparation du préjudice d'anxiété reconnu aux salariés ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifié

Au visa du jugement n°0606865 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 26 avril 2011 enjoignant à l'administration de procéder à l'inscription de l'établissement Alstom T&D TSO devenu Areva T&D TSO, situé à [Localité 12] (93), dans un délai d'un mois sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'arrêté ministériel du 23 décembre 2011, publié au journal officiel du 28 décembre 2011, dispose en son article 1 que la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante mentionnée à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 fixée par l'arrêté du 3 juillet 2000 est modifiée par la liste figurant en annexe à celui-ci et en son article 2 que sont réputés figurer à la liste mentionnée à l'article 1er ces mêmes établissements, lorsqu'ils ont, sous une dénomination différente, exercé la même activité. La liste complémentaire d'établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité dans la fabrication, le flocage et le calorifugeage annexée à cet arrêté mentionne : Alsthom, puis TSO (Transformateurs de [Localité 12]), puis Alsthom-Atlantique, puis GEC-Alsthom, [Adresse 1], de 1960 à 1997.

Seul l'établissement de la société Alsthom, puis TSO (Transformateurs de [Localité 12]), puis Alsthom-Atlantique, puis GEC-Alsthom, sis [Adresse 1], qui fabriquait des transformateurs électriques, qui a été repris en novembre 1992 par la société Alstom T&D et identifié sous le numéro Siret 389 191 800 00066, avant d'être fermé le 14 avril 2015 selon le répertoire Sirene, a été inscrit sur la liste des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante, mentionnée au 1° du I de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et non l'établissement de la société Alsthom, puis Alsthom-Atlantique, puis GEC-Alsthom, sis [Adresse 2], qui fabriquait du matériel d'électromécanique ferroviaire, qui a été repris en novembre 1992 par la société Alstom Transport et identifié sous le numéro Siret 389 191 982 00096, auquel les monteurs câbleurs travaillant sur les chantiers ferroviaires étaient rattachés jusqu'à sa fermeture enregistrée au répertoire Sirene le 1er octobre 2009.

Il n'est pas établi par ailleurs que ces deux établissements, juridiquement distincts, qui n'exerçaient pas la même activité, aient, au-delà d'être situés sur un même site, partagé des locaux communs entre 1960 à 1997. Il ressort au contraire des pièces produites que l'activité de fabrication du matériel d'électromécanique ferroviaire et l'activité de fabrication de transformateurs électriques étaient localisées dans des halls distincts, à l'exception du hall H, et, pour ce dernier, dans des secteurs distincts, l'activité de fabrication de transformateurs électriques étant située dans le secteur 02 du Hall H, séparé des autres secteurs du Hall H. La note du 24 mars 2014 relative à la démolition et au désamiantage de l'ancien site industriel d'Alstom situé [Adresse 1] ne permet pas non plus d'établir que les bâtiments occupés par Alstom Transport aient été amiantés.

M. [Y] n'ayant jamais travaillé au sein de l'établissement de la société Alsthom, puis TSO (Transformateurs de [Localité 12]), puis Alsthom-Atlantique, puis GEC-Alsthom, sis [Adresse 1], ni dans aucun autre établissement mentionné à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur la liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, ne peut prétendre à l'application du régime de preuve dérogatoire institué au bénéfice des salariés éligibles à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, les dispensant de justifier de leur exposition à l'amiante, de la faute de l'employeur et de leur préjudice.

Sur le droit de M. [Y] d'obtenir la réparation d'un préjudice d'anxiété en application du droit commun

Le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut être admis à agir contre son employeur, sur le fondement des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de ce dernier, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée.

Il doit toutefois justifier qu'il a été personnellement exposé dans son travail à des poussières d'amiante dans des conditions de nature à compromettre sa santé, avec une intensité et une durée suffisantes, et de rapporter la preuve de l'existence du préjudice d'anxiété qu'il a personnellement subi et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave, en lien de causalité avec le manquement dénoncé.

Il incombe dans ce cas à l'employeur de justifier qu'il a satisfait à l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en établissant qu'il a pris toutes les mesures prévues par l'article L. 230-2 ancien devenu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Il est établi que M. [Y] travaille au sein de la branche signalisation de la société Alstom Transport, où il a été chargé pendant plus d'une trentaine d'années d'installer et d'entretenir la signalisation sur les réseaux de la SNCF.

Dans le document utilisé lors de la formation de sensibilisation à l'amiante dispensée par l'employeur aux salariés au cours de la période septembre-novembre 2000, où il est exposé que l'amiante libère des fibres microscopiques qui, compte-tenu de leur légèreté, restent longtemps en suspension dans l'air et peuvent être facilement inhalées et que le délai d'apparition des lésions, notamment le cancer des poumons ou de la plèvre, peut être très long, il est fait état d'exemples ferroviaires, notamment du cas des guérites.

La publication de l'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) d'octobre 2012 répertorie, parmi les situations de travail exposant à l'amiante, les interventions sur des matériaux ou appareils susceptibles de libérer des fibres d'amiante et à ce titre les travaux ferroviaires et les interventions sur les matériels ferroviaires et cite notamment comme exemple les travaux d'entretien des guérites en amiante-ciment. Elle souligne qu'un nombre important de matériaux anciens contenant de l'amiante sont toujours présents, de sorte que de nombreux professionnels sont encore amenés à manipuler des matériaux contenant de l'amiante.

Cette publication est corroborée par des mails internes à la SNCF en date du 8 juillet 2013 énonçant que les agents du réseau doivent être formés au risque amiante et qu'il faut lancer un inventaire de tous les matériels amiantés et lancer à cette fin des visites de lignes sur les installations concernées : boîtes à feux 160/200 mm, y compris les installations antérieures à 1997, SVM/STM antérieur à 1997, tous types de commutateurs antérieurs à 1997, transmetteurs/serrures, boutons poussoir, goulotte pour desserts des poteaux BA, couvercle chambre de tirage en ciment amianté, caniveaux en amiante ciment antérieur à 1980.

Deux agents de la SNCF, M. [K] et M. [G], attestent que les monteurs de la société Alstom avec lesquels ils ont travaillé, le premier de fin 1989 à août 2000, le second sur le chantier de la gare de [Localité 9] de septembre 1989 à avril 2000, intervenaient sans équipement de protection contre l'amiante dans des guérites de signalisation et dans les postes d'aiguillages, soit en campagne pour la mise en place de caniveaux, de panneaux de canalisation, de poteaux en béton armé équipés de divers commutateurs desservis par goulotte en fibro-ciment, soit en voie pour la pose de divers matériels (moteur d'aiguillage, SVM, STM...).

M. [F], qui a travaillé comme monteur-câbleur avec des monteurs de la société Alstom sur des chantiers ferroviaires du 5 juin 1978 au 1er avril 2001, atteste lui aussi qu'ils effectuaient les travaux sans protection particulière contre l'amiante.

Il ressort des attestations de M. [L] en date du 1er février 2013 et de M. [H] en date du 2 juin 2013 :

- qu'ils ont travaillé avec M. [Y] sur les chantiers SNCF de 1980 à 2013 ;

- qu'ils ont manipulé, percé, déposé des plaques en fibrociment sur des guérites de signalisation,

- que lorsqu'ils intervenaient sur les rails ou sur le ballast, ils étaient exposés aux poussières d'amiante provenant des freins des machines;

- que lors des opérations de dépose dans les artères de caniveaux et dans les postes d'aiguillage, ils étaient en contact avec des plaques anti-feu et des séparateurs contenant de l'amiante.

Il n'est pas établi que la société Alstom Transport ait dispensé à M. [Y] une formation de sensibilisation aux risques de l'amiante avant le mois de novembre 2000.

Il n'est pas établi non plus qu'elle l'ait doté avant cette période d'équipements de protection individuelle spécifiques à l'amiante.

Il n'est pas justifié par la société Alstom Transport de mesures d'exposition à l'amiante de ses salariés avant la mission confiée à la société Veritas, qui a conduit à la réalisation, le 22 août 2002, de mesures d'exposition à l'amiante dans l'air pendant une intervention sur des matériaux amiantés lors d'une opération sur des guérites de signalisation en gare d'[Localité 6], dont les résultats ne sont pas produits et à laquelle le CHSCT n'a pas été associé.

La société Alstom Transport ne justifie pas avoir pris toutes les mesures nécessaires pour identifier les sources de danger liées à l'amiante, quantifier les risques, définir les mesures de prévention adaptées et normaliser les interventions des salariés et ne produit pas le document unique d'évaluation des risques rendu obligatoire par le décret n°2001-1016 du 5 novembre 2001 établissant qu'elle a pris en compte de manière adaptée le risque d'inhalation par les salariés de poussières d'amiante.

Le rapport établi par la société Dekra inspection pour la SNCF le 7 février 2011 concernant les prélèvements effectués le 28 janvier 2011 sur des matériaux ou produits susceptibles de contenir de l'amiante, en l'espèce sur des revêtements de sol et des revêtements de mur sur des bâtiments de voyageurs sur la ligne [Localité 8]-[Localité 7] en vue de la réalisation de travaux de passage de câbles est sans intérêt dans le cadre du présent litige.

Il est démontré que les fonctions de M. [Y] le conduisaient à intervenir sur les chantiers de la SNCF, où il effectuait des travaux le long des voies dans un environnement amianté et était en contact étroit avec des matériaux amiantés lors des travaux de montage, démontage, perçage des guérites. Il a été ainsi exposé directement durant de nombreuses années, de manière quotidienne, à l'inhalation de poussières d'amiante.

Alors que le risque résultant de cette exposition était connu, identifié et certain, notamment au vu du décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la société Alstom Transport ne justifie pas avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 230-2 ancien devenu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité et protéger la santé de M. [Y]. Elle a dès lors manqué à l'obligation légale de sécurité qui lui incombe.

Le risque avéré de développer un mésothéliome ou un cancer broncho-pulmonaire réduisant fortement son espérance de vie en raison de son exposition à l'amiante dans l'exécution de son travail a suscité chez M. [Y] une situation d'inquiétude permanente, qui a rejailli sur ses conditions d'existence, ainsi qu'en atteste son épouse.

M. [Y] a subi un préjudice d'anxiété que l'employeur doit réparer.

Au vu des éléments de la cause, la cour fixe ce préjudice la somme de 8 000 euros. Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Alstom Transport à payer ladite somme à M. [Y].

Sur la prescription de l'action en paiement d'indemnité d'heures de voyage et de retenue de chambre

M. [Y] sollicite le paiement :

- d'une part de la somme de 46 834,77 euros sous l'intitulé 'indemnités d'heures de voyage', qui correspond en réalité, selon le décompte qu'il produit en pièces 19 et 20 :

*pour 24 669,21 euros à des heures de voyage pour la période de janvier 2010 à décembre 2017, sur la base de 5 heures par semaine pour un voyage aller et retour de son domicile à [Localité 11] (49) au chantier de [Localité 12] (93) sur 44 semaines par an de 2010 à 2017, au taux de son salaire horaire (pièce 20) ;

*pour 22 165,56 euros à des indemnités de retenue de chambre pour la période de janvier 2010 à décembre 2017 sur la base de 2 indemnités journalières (samedi-dimanche) par semaine sur 45 semaines par an, au taux de 40% de l'indemnité de séjour journalière dont il a bénéficié pour l'année considérée (pièce 19) ;

- d'autre part de la somme de 3 321,36 euros sous l'intitulé 'indemnités de retenue de chambre', qui correspond à la partie des indemnités de retenue de chambre réclamées pour la période de janvier 2010 à décembre 2017 se rapportant à l'année 2017, sur la base de 2 indemnités journalières (samedi-dimanche) par semaine sur 45 semaines par an, au taux de 40% de l'indemnité de séjour journalière dont il a bénéficié pour l'année considérée (pièce 19) ;

La société Alstom Transport demande à la cour de dire les demandes prescrites depuis le 15 juin 2011 ou, subsidiairement, depuis le 15 juin 2010.

L'action par laquelle le salarié demande le paiement d'heures de voyage est une action en paiement de complément de salaire.

Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, entrée en vigueur le 16 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition de salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. Selon l'article 21-V de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, les dispositions du nouvel article L. 3245-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la promulgation de la loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans.

A la date de la citation en justice interruptive de prescription, le 17 juin 2013, il ne s'était pas écoulé plus de cinq années pour les créances salariales exigibles à compter du mois de janvier 2010, ce dont il se déduit que l'application immédiate, le 16 juin 2013, du nouveau délai de prescription de trois ans aux prescriptions en cours n'excédait pas la durée de la prescription quinquennale prévue par la loi antérieure. L'action en paiement des heures de voyage n'est donc pas prescrite.

L'action par laquelle le salarié demande paiement d'indemnités de séjour pour retenue de chambre est une action en remboursement de frais. Elle est dès lors soumise aux dispositions de l'article L. 1471-1 du code du travail, créé par l'article 21- III de la loi de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, publiée au journal officiel du 16 juin 2013. Selon l'article 21-V de cette loi, ces dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

A la date de la citation en justice interruptive de prescription, le 17 juin 2013, il ne s'était pas écoulé plus de cinq années pour les remboursements de frais exigibles à compter du mois de janvier 2010, ce dont il se déduit que l'application immédiate, le 16 juin 2013, du nouveau délai de prescription de deux ans aux prescriptions en cours n'excédait pas la durée de la prescription quinquennale prévue par la loi antérieure. L'action en paiement d'indemnités de retenue de chambre n'est donc pas prescrite.

Sur le bien-fondé des demandes d'indemnité d'heures de voyage et de retenue de chambre

Le salarié fonde ses demandes sur les dispositions de l'annexe IV de l'avenant mensuel de la convention collective de la métallurgie de la région parisienne.

Selon l'article 3.1.1, lorsque le salarié est envoyé sur un nouveau lieu de travail ou rappelé de celui-ci par l'employeur, le temps de voyage ou la partie de celui-ci qui, pour raisons de service, se situe à l'intérieur de l'horaire normal de travail n'entraîne pas de perte de salaire.

Selon l'article 3.1.2, si le temps de voyage ou une partie de celui-ci se situe hors l'horaire normal de travail, ce temps est indemnisé sur la base du salaire réel sans majoration et du temps normal de voyage par le transport public fixé, même si l'intéressé décide d'utiliser un autre mode de transport à son gré.

Selon l'article 3.5.1, le salarié en grand déplacement perçoit une indemnité de séjour qui ne peut être confondue avec ses salaires et appointements. Cette indemnité est versée pour tous les jours de la semaine, ouvrables ou non, d'exécution normale de la mission. Sa détermination, en tant qu'élément de remboursement des frais engagés par le salarié (sans que celui-ci ait à fournir une justification) est forfaitaire.

Selon l'article 3.5.2, l'indemnité de séjour ne pourra être inférieure par journée complète à 13 fois le minimum garanti légal. Elle se décompose en tant que de besoin comme suit :

- indemnité de logement : cinq fois le minimum garanti légal ;

- indemnité de repas : deux fois et demi le minimum garanti légal ;

- indemnité de petit déjeuner : une fois le minimum garanti légal ;

- indemnité pour frais inhérents à la condition d'éloignement : deux fois le minimum garanti légal.

La part d'indemnité spécifique pour frais inhérents à la condition d'éloignement, fixée ci-dessus à deux fois le minimum garanti légal, reste due intégralement dans le cas de journée incomplète par suite de départ ou de retour en cours de journée.

Selon l'article 3.5.5 la comparaison de l'indemnité de séjour existant dans l'entreprise avec cette indemnité sera faite globalement quels que soient les éléments composants : seule l'indemnité la plus avantageuse sera retenue sans cumul total ou partiel.

Selon l'article 3.6.9, pendant le voyage de détente,...l'indemnité de séjour est maintenue pour la partie des dépenses de logement qui continuent nécessairement de courir.

M. [Y] n'était pas à la disposition permanente de son employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles durant ses voyages hebdomadaires pour se rendre de son domicile sur le chantier et en revenir.

Etant resté affecté sur le même chantier à [Localité 12] (93) depuis au moins 2001, il n'a pas été affecté pour la période de janvier 2010 à décembre 2017 sur un nouveau lieu de travail ou rappelé de celui-ci par l'employeur et ne justifie donc pas remplir les conditions pour bénéficier du paiement d'heures de voyage. Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

Il est constant que l'indemnité de séjour versée par la société Alstom Transport à M. [Y] a été calculée sur 5 jours par semaine, les samedi et dimanche n'étant pas pris en compte. Il est constant également qu'en accord avec son employeur, le salarié, qui travaillait du lundi après-midi au vendredi matin, bénéficiait, aux lieu et place d'un voyage de détente toutes les six semaines, de la prise en charge de ses frais de transport pour se rendre chaque fin de semaine à son domicile et en revenir, ce qui lui était plus favorable.

M. [Y], étant régulièrement absent de son lieu de mission chaque fin de semaine sans être en voyage de détente, est mal fondé à prétendre au paiement de l'indemnité de logement, dite de retenue de chambre, qu'il revendique. Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Il sera statué sur les dépens et les frais irrépétibles dans les termes du dispositif.

PAR CES MOTIFS :

La COUR,

Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,

Infirme partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 16 mai 2018, et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

Condamne la société Alstom Transport à payer à M. [T] [Y] la somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété,

Confirme pour le surplus, dans la limite de l'appel, les dispositions non contraires du jugement entrepris ;

Y ajoutant :

Condamne la société Alstom Transport à payer à M. [T] [Y] la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société Alstom Transport de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Alstom Transport aux dépens de première instance et d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Régine CAPRA, Président et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 20/00757
Date de la décision : 08/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-08;20.00757 ?
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