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06/12/2022 | FRANCE | N°21/02265

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 06 décembre 2022, 21/02265


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE

Code nac : 93A





DU 06 DÉCEMBRE 2022





N° RG 21/02265

N° Portalis DBV3-V-B7F-UNUA





AFFAIRE :



[K] [R]

C/

Monsieur le DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE [Localité 7]





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Mars 2021 par le Tribunal Judicia

ire de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/05660



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-Me Perrine WALLOIS,



-la SELARL LEXAVOUE [Localité 7]-[Localité 8]







RÉPUBLIQUE FRANÇ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 93A

DU 06 DÉCEMBRE 2022

N° RG 21/02265

N° Portalis DBV3-V-B7F-UNUA

AFFAIRE :

[K] [R]

C/

Monsieur le DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE [Localité 7]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Mars 2021 par le Tribunal Judiciaire de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/05660

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-Me Perrine WALLOIS,

-la SELARL LEXAVOUE [Localité 7]-[Localité 8]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX DÉCEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [K] [R]

né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 5] ([Localité 5])

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté par Me Perrine WALLOIS, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 16 - N° du dossier 940

Me Audrey AVRAMO-LECHAT, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : D1143

APPELANT

****************

Monsieur le DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE [Localité 7] domicilié en ses bureaux, agissant sous l'autorité du Directeur général des Finances publiques

Pôle fiscal Parisien 1

Pôle Juridictionnel Judiciaire-11-13

[Localité 3]

représenté par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2165841

INTIMÉ

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Octobre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie LAUER, Conseiller chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCURE,

Le 14 février 2014, la direction générale des finances publiques (DGFIP), direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF), 12ème brigade de contrôle des revenus, a adressé à M. [O] [W] [R], une demande d' informations et de justifications sur des avoirs détenus ou utilisés à l'étranger et non déclarés, en application de l'article L. 23 C du livre des procédures fiscales, précisant qu'à défaut de réponse ou de réponse satisfaisante dans le délai requis, " les avoirs seront réputés constituer un patrimoine acquis à titre gratuit assujetti aux droits de mutation à titre gratuit au taux le plus élevé mentionné au tableau III de l'article 777 du CGI, soit au taux de 60 % ".

Aux termes de ce courrier, l'administration expliquait que l'exploitation de fichiers informatiques qu'elle s'était fait remettre par l'autorité judiciaire, en vertu de son droit de communication, avait fait ressortir une liste de clients auprès de la HSBC Private bank (Suisse) SA, ainsi que le montant des avoirs se rattachant à chacun d'entre eux.

Par courrier du 31 mars 2014, M. [O] [W] [R] a répondu à la direction nationale des vérifications de situations fiscales qu'il n'avait jamais été titulaire d'un compte à l'étranger, en transmettant un procès-verbal de renseignement de la gendarmerie nationale établi le 12 octobre 2004 au terme duquel il est indiqué que ce dernier est l'un des mandataires du compte HSBC REPUBLIC n°4244938 dont M. [E] [R] est le titulaire.

Par courrier du 19 mars 2015, la direction nationale des vérifications de situations fiscales a d'une part indiqué à M. [O] [W] [R] que la réponse et le procès-verbal transmis par celui-ci " ne sont pas suffisants pour établir de manière avérée qu'il ne serait pas titulaire de ce compte à compter de l'année 2005, le document précité étant antérieur à ceux obtenus par le service ", et a d'autre part mis en demeure M. [O] [W] [R] de produire des précisions complémentaires dans un délai de trente jours.

Le 22 juillet 2015, M. [O] [W] [R] a sollicité de la direction nationale des vérifications de situations fiscales, dans le cadre des accords conclus entre la République française et la Confédération helvétique, de requérir ses homologues suisses afin d'obtenir confirmation qu'il n'était titulaire d'aucun compte à la HSBC Genève.

Le 7 septembre 2015, la direction nationale des vérifications de situations fiscales a informé M. [O] [W] [R] qu'une demande renseignements le concernant avait été adressée le 10 juillet 2015 aux autorités fiscales de la Suisse, précisant qu'une réponse datée du 13 août 2015 avait été reçue des autorités fiscales suisses le 19 août 2015.

Le 14 septembre 2015, l'administration fiscale a adressé à M. [O] [W] [R] une proposition de rectification selon la procédure de taxation d'office, au visa des articles L. 23 C et L. 71 du livre des procédures fiscales, ce dernier texte renvoyant à l'article 755 du code général des impôts.

Le 1er octobre 2015, M. [O] [W] [R] a contesté la proposition de rectification et a demandé, notamment, la production des relevés des comptes dont l'administration fiscale prétend qu'il est le titulaire.

Par courrier du 27 avril 2016, l'administration fiscale a maintenu sa proposition de rectification du 14 septembre 2015.

Le 30 juin 2016, il a été notifié à M. [O] [W] [R] un avis de mise en recouvrement daté au 30 juin 2016, celui-ci portant sur le montant de 338 412 euros au titre des droits d'enregistrement et de donations.

Par lettre adressée en recommandé avec accusé de réception du 27 juillet 2016, reçue par la DNVSF le 2 août 2016, M. [O] [W] [R] a déposé une réclamation contentieuse tendant à obtenir la décharge des droits d'enregistrement exigés au titre de l'avis de mise en recouvrement assis sur la proposition de rectification litigieuse.

Le 12 octobre 2017, le pôle de recouvrement spécialisé de la DNVSF a accusé consignation au bénéfice de M. [O] [W] [R], d'une somme versée par son père, M. [E] [R], le 24 février 2017.

Par lettre du 28 juin 2018, reçue par M. [O] [W] [R] le 30 juin 2018, le directeur de la DNSF a rejeté la réclamation formée par M. [O] [W] [R].

C'est dans ce contexte que, par acte d'huissier de justice délivré le 12 juillet 2018, M. [O] [W] [R], avocat au barreau de Paris, a fait assigner le directeur général des finances publiques, poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques d'Ile de France et de Paris devant le tribunal judiciaire de Versailles.

Par jugement contradictoire rendu le 5 mars 2021, le tribunal judiciaire de Versailles a :

- Rappelé que les conclusions signifiées par M. le directeur général des finances publiques, poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et de [Localité 6], le 14 septembre 2020 sont recevables,

- Dit que l'action de M. le directeur général des finances publiques, poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et de [Localité 6] n'est pas prescrite,

- Débouté M. [R] de toutes ses demandes,

- Condamné M. [O] [W] [R] à payer au directeur général des finances publiques, poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques d'Ile de France et de [Localité 6] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement,

- Condamné M. [O] [W] [R] à payer les dépens.

M. [O] [W] [R] a interjeté appel de ce jugement le 6 avril 2021 à l'encontre de la direction générale des finances publiques.

Par dernières conclusions notifiées le 30 septembre 2022, M. [O] [W] [R] demande à la cour de :

Vu les articles 2, 1353 et 2222 du code civil,

Vu les articles L. 76, L. 180 0 A et L. 186 du livre des procédures fiscales,

Vu l'article 1649 A du code général des impôts dans sa version antérieure au 1er janvier 2019,

Vu le jugement rendu le 5 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Versailles,

- Le déclarer recevable en son appel et l'y disant bien fondé,

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de toutes ses demandes et condamné à payer au directeur général des finances publiques, poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques d'Ile de France et de [Localité 6] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Et statuant à nouveau,

In limine litis,

- Juger que l'intention du législateur telle qu'exprimée le 10 juillet 2013 par M. [G], rapporteur général de la commission des finances à l'Assemblée nationale doit primer et, en reprenant ses propos,

- Juger que les années antérieures à 2007 sont prescrites et, par conséquent,

- Juger prescrite l'année 2006 rectifiée.

Au fond,

- Juger que la proposition de rectification du 14 septembre 2015 est insuffisamment motivée, M. [O] [W] [R] n'ayant pas pu apprécier le montant et le mode de calcul de la taxation proposée,

- Juger en tout état de cause que la proposition de rectification fiscale du 14 septembre 2015, exclusivement fondée sur des " avoirs détenus " à l'étranger par M. [O] [W] [R], est illégale tandis que ce dernier n'avait pas l'obligation, pour l'année 2006 rectifiée, de déclarer des " avoirs détenus " à l'étranger au vu de la rédaction de l'article 1649 A du code général des impôts dans sa version applicable en la cause.

En conséquence,

- Juger que cette proposition de rectification du 14 septembre 2015 et l'avis de mise en recouvrement consécutif du 30 juin 2016 sont totalement infondés, sans pouvoir justifier plus avant une quelconque procédure de redressement par voie de taxation forfaitaire d'office au titre des droits d'enregistrement.

Par voie de conséquence et en toute hypothèse,

- Annuler la décision de rejet du 28 juin 2018 relative à la réclamation contentieuse de M. [O] [W] [R],

- Prononcer la décharge de la somme de 338.412 euros dont le paiement lui est demandé par la direction régionale des finances publiques,

- Ordonner la restitution de toutes sommes et consignation versées à titre de garantie au titre de ces droits d'enregistrement, augmentée des intérêts prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales,

- Condamner la direction régionale des finances publiques d'Ile de France et du département de [Localité 6] à lui payer, la somme de 15.000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la même aux entiers dépens de la procédure en application de l'article 699 du même code avec distraction au profit de Me Wallois aux offres de droit.

Par dernières conclusions notifiées le 5 octobre 2022, la direction générale des finances publiques demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du tribunal de Versailles du 5 mars 2021 (RG 18/05660),

- Débouter M. [O] [W] [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- Confirmer les rappels effectués par l'administration,

- Condamner M. [O] [W] [R] au versement d'une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [O] [W] [R] aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Lexavoue [Localité 6]-[Localité 8] en application de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 6 octobre 2022.

SUR CE, LA COUR,

Les limites de l'appel

Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d'appel se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.

La cour rappelle que l'article 954 du code de procédure civile oblige les parties à énoncer leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions et que la cour ne statue que sur celles-ci.

Par prétention, il faut entendre, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, une demande en justice tendant à ce qu'il soit tranché un point litigieux.

Par voie de conséquence, les "dire et juger" ne constituent pas des prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l'examen des griefs formulés contre le jugement et à la discussion des prétentions et moyens, pas dans le dispositif. La cour ne répondra de ce fait à de tels "dire et juger" qu'à condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée en appel et énoncée dans le dispositif des conclusions.

La prescription de l'action

M. [R] poursuit l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription qu'il avait soulevée. À l'appui, il invoque la position exprimée selon lui, le 18 juillet 2013, par le législateur par la voix du rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale du contrôle budgétaire à l'assemblée nationale dont il résulte que les années antérieures à 2007 sont prescrites. Il précise que le délai de reprise de l'administration au titre de l'année 2006 était définitivement expiré lors de l'entrée en vigueur du délai de reprise allongé de 10 ans en vigueur depuis la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificatives pour 2012 et codifié à l'article L 181-0 A du livre des procédures fiscales. Il en déduit que l'imposition supplémentaire mise à sa charge était donc prescrite lors de la notification de la proposition de rectification du 14 septembre 2015.

Il affirme qu'en 2012, la période de décembre 2005 à décembre 2006 concernée par la procédure fiscale était prescrite du fait de l'application du délai de prescription de six ans alors en vigueur en matière de droits d'enregistrement alors que la prescription décennale introduite par la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 ne peut être appliquée, la modification du délai de prescription par le législateur étant sans effet sur la prescription définitivement acquise sous peine de violation du principe de non rétroactivité de la loi.

Il se fonde également sur une espèce ayant fait l'objet d'un arrêt de la cour de de [Localité 8] du 1er octobre 2019 dont il résulte que l'administration, bien qu'ayant fait état de l'ouverture d'un compte à l'étranger depuis 2003, qui n'avait fait l'objet d'aucune déclaration au titre des années 2003 à 2012, n' a fait porter sa demande d'information et sa rectification qu'à partir du 1er janvier 2007.

L'administration fiscale conclut à la confirmation du jugement sur ce point. Elle expose que les règles de prescription applicables à la procédure prévue par l'article L 23 C du livre des procédures fiscales et à l'imposition instituée par l'article 755 du code général des impôts sont indépendantes de celles prévues aux articles L 186 et L 181-0 A du livre des procédures fiscales. Elle soutient que le législateur n'a pas conféré d'effet rétroactif aux dispositions législatives fondant l'imposition litigieuse mais qu'il a fixé le fait générateur de l'imposition et les modalités d'entrée en vigueur des nouvelles dispositions, dans le respect des principes constitutionnels applicables en la matière. Compte tenu de la mise en demeure du 30 juin 2015, le fait générateur des droits d'enregistrement mis à la charge de M. [R] est intervenu d'après elle à compter de l'expiration des délais prévus à l'article L 23 C du livre des procédures fiscales, ce fait générateur de l'impôt constituant le point de départ de la prescription sexennale prévue par l'article L 186 du livre des procédures fiscales revendiquée par l'appelant. Elle en infère que la prescription de six ans n'a donc pas expiré le 31 décembre 2012, avant l'entrée en vigueur des dispositions des articles L 23 C du livre des procédures fiscales et 755 du code général des impôts, comme le soutient l'appelant.

Quant à la prescription spéciale prévue par l'article L 181-0 A du livre des procédures fiscales, qui s'applique, selon elle, aux délais de reprise venant à expiration postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, soit postérieurement au 1er janvier 2013, elle souligne qu'elle n'était donc pas acquise au 1er janvier 2013, pas plus que lors de l'envoi de la proposition de rectification le 14 septembre 2015.

Appréciation de la cour

En application de l'article 1649 A du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 1990 n° 89-935 en vigueur du 15 juin 1990 au 1er janvier 2019, les personnes physiques, les associations, les sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger.

Il convient en premier lieu de rappeler les dispositions relatives au droit de reprise de l'administration fiscale.

En application de l'article L 186 du livre des procédures fiscales, lorsqu'il n'est pas expressément prévu de délai de prescription plus court ou plus long, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la sixième année suivant celle du fait générateur de l'impôt.

Toutefois, en application de l'article L 181-0 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 en vigueur depuis le 1er janvier 2013

" Par exception au premier alinéa de l'article L. 180 et à l'article L. 181, le droit de reprise de l'administration relatif aux impôts et droits qui y sont mentionnés peut s'exercer jusqu'à l'expiration de la dixième année suivant celle du fait générateur de ces impôts ou droits quand ils sont assis sur des biens ou droits mentionnés aux articles 1649 A, 1649 AA et 1649 AB du code général des impôts, sauf si l'exigibilité des impôts ou droits relatifs aux biens ou droits correspondants a été suffisamment révélée dans le document enregistré ou présenté à la formalité.

Il en est de même pour les redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune mentionnés au 2 du I de l'article 885 W du même code à raison de ces mêmes biens ou droits lorsque les obligations déclaratives prévues aux articles 1649 A, 1649 AA et 1649 AB dudit code n'ont pas été respectées ou que l'exigibilité des droits afférents à ces mêmes biens ou droits n'a pas été suffisamment révélée par la réponse du redevable à la demande de l'administration prévue au a de l'article L. 23 A du présent livre, sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches ultérieures. "

Il résulte de ces dispositions combinées que le droit de reprise de l'administration fiscale est normalement de six ans mais que, depuis le 1er janvier 2013, il est porté à 10 ans, s'agissant des impôts mentionnés aux articles L 180 et L 181 du livre des procédures fiscales lorsque les obligations déclaratives prévues aux articles 1649 A et suivants du code général des impôts n'ont pas été respectées.

Cependant, le droit de reprise ne peut courir qu'à compter du fait générateur de l'impôt.

Par ailleurs, le législateur a réglementé la procédure applicable lorsque les obligations déclaratives prévues aux articles 1649 A et suivants du code général des impôts n'ont pas été respectées.

Ainsi, l'article L23 C du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, en vigueur depuis le 1er janvier 2013, dispose que :

" Lorsque l'obligation prévue au deuxième alinéa de l'article 1649 A ou à l'article 1649 AA du code général des impôts n'a pas été respectée au moins une fois au titre des dix années précédentes, l'administration peut demander, indépendamment d'une procédure d'examen de situation fiscale personnelle, à la personne physique soumise à cette obligation de fournir dans un délai de soixante jours toutes informations ou justifications sur l'origine et les modalités d'acquisition des avoirs figurant sur le compte ou le contrat d'assurance-vie.

Lorsque la personne a répondu de façon insuffisante aux demandes d'informations ou de justifications, l'administration lui adresse une mise en demeure d'avoir à compléter sa réponse dans un délai de trente jours, en précisant les compléments de réponse qu'elle souhaite. "

En l'espèce, en application des dites dispositions, alors en vigueur, le 19 mars 2015, l'administration fiscale a adressé à M. [R] une demande d'information et de justification sur des avoirs détenus ou utilisés à l'étranger et non déclarés dès lors que l'exploitation des fichiers informatiques qu'elle s'était fait remettre par l'autorité judiciaire, en vertu de son droit de communication, avait fait ressortir une liste de clients auprès de la HSBC Private Bank (Suisse) dont il faisait partie ainsi que le montant des avoirs se rattachant à chacun d'eux.

Le III de l'article 8 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 précise que ces nouvelles dispositions s'appliquent aux demandes adressées par l'administration à compter du 1er janvier 2013.

M. [R] ayant répondu le 11 mai 2015 n'avoir jamais été titulaire d'un compte à l'étranger, le 30 juin 2015, l'administration, estimant cette réponse insuffisante, lui a adressé une mise en demeure de produire des précisions complémentaires dans un délai de 30 jours.

Faute d'avoir déféré à cette mise en demeure, le 14 septembre 2015, elle lui a alors fait parvenir une proposition de rectification selon la procédure de taxation d'office au visa des articles L 23 C et L 71 du livre des procédures fiscales , ce dernier texte renvoyant à l'article 755 du code général des impôts.

En effet, l'article 755 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, dispose que :

" Les avoirs figurant sur un compte ou un contrat d'assurance-vie étranger et dont l'origine et les modalités d'acquisition n'ont pas été justifiées dans le cadre de la procédure prévue à l'article L. 23 C du livre des procédures fiscales sont réputés constituer, jusqu'à preuve contraire, un patrimoine acquis à titre gratuit assujetti, à la date d'expiration des délais prévus au même article L. 23 C, aux droits de mutation à titre gratuit au taux le plus élevé mentionné au tableau III de l'article 777 du présent code.

Ces droits sont calculés sur la valeur la plus élevée connue de l'administration des avoirs figurant sur le compte ou le contrat d'assurance-vie au cours des dix années précédant l'envoi de la demande d'informations ou de justifications prévue à l'article L. 23 C du livre des procédures fiscales, diminuée de la valeur des avoirs dont l'origine et les modalités d'acquisition ont été justifiées "

Il résulte expressément de l'article 755 du code général des impôts que les avoirs figurant sur un compte sont assujettis aux droits de mutation à titre gratuit à la date d'expiration des délais prévus à l'article L 23 C du livre des procédures fiscales.

En l'espèce, le fait générateur de cet impôt doit donc être fixé au 30 juillet 2015, date d'expiration du délai donné à M. [R] par la mise en demeure du 30 mai 2015 pour apporter des précisions complémentaires.

Le délai de reprise, tant de six ans prévu à l'article L 186 du livre des procédures que celui majoré prévu à l'article L 181-0 A de ce même livre, bien en vigueur le 30 juillet 2015, a donc commencé à courir à cette date. Il n'était donc pas expiré le 14 septembre 2015, date de la proposition de rectification adressée à M. [R].

Il convient de préciser que le fait générateur de l'assujettissement des avoirs figurant sur un compte aux droits de mutation à titre gratuit au taux le plus élevé est constitué non pas par l'existence de ces avoirs mais par l'absence ou l'insuffisance des justifications apportées à la demande de l'administration mettant en 'uvre l'article L 23 C du livre des procédures fiscales, ce que semble confondre M. [R].

La teneur des propos du rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale n'est pas de nature à remettre en cause l'analyse qui résulte de la stricte application des textes susvisés.

S'agissant des faits de l'espèce ayant fait l'objet de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 1er octobre 2019, il convient de rappeler que chaque situation est unique de sorte que le traitement dont elle a fait l'objet ne saurait être transposé mécaniquement d'une espèce à une autre.

Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.

La motivation de la proposition de rectification

M. [R] poursuit l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté le moyen fondé sur le défaut de motivation de la proposition de rectification qu'il invoquait. À l'appui, il invoque l'article L 57 du livre des procédures fiscales et cite un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 1er octobre 2019 en faisant application dans une espèce similaire aux termes duquel cette juridiction a considéré que les motifs du rehaussement envisagé et de son montant devaient être explicités. Il conclut que l'avis de mise en recouvrement doit donc être annulé pour défaut de motivation.

L'administration fiscale sollicite la confirmation du jugement sur ce point. Elle invoque l'article L 71 du livre des procédures fiscales en vertu duquel en l'absence de justification de l'origine des avoirs détenus sur des comptes bancaires étrangers, elle peut mettre en 'uvre la procédure de taxation d'office régie par l'article L 71 du livre des procédures fiscales de sorte que, d'après elle, ce sont les règles gouvernant les procédures d'imposition d'office qui s'appliquent de droit, s'agissant notamment de la motivation de la proposition de rectification. Elle se fonde également sur un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 4 janvier 1994 (pourvoi n° 91-15. 601) jugeant que les énonciations de l'article L 57 du livre des procédures fiscales, relatives uniquement à la motivation de la proposition de rectification contradictoire, ne peuvent être invoquées en cas de taxation d'office. Elle soutient également que l'exigence de motivation au regard de l'article L 76 du livre des procédures fiscales est respectée en matière de taxation d'office d'avoirs bancaires lorsque l'administration fiscale établit le montant global des crédits bancaires taxés d'office et se réfère à la lettre par laquelle elle avait au préalable demandé à l'intéressé des justifications sur la liste détaillée de ces crédits. À cet égard, elle cite un arrêt du conseil d'État du 2 mars 2007, n° 268132. Quant à l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 1er octobre 2019, elle indique qu'il a été censuré par la Cour de cassation pour avoir considéré que la procédure de taxation d'office menée par le service était irrégulière au regard de l'obligation de motiver la proposition de rectification visée à l'égard de l'article L 57 du livre des procédures fiscales.

Elle conclut que la proposition de rectification litigieuse est parfaitement motivée au regard de l'article L 56 du livre des procédures fiscales.

Appréciation de la cour

Selon l'article L 71 du livre des procédures fiscales, en l'absence de réponse ou à défaut de réponse suffisante aux demandes d'information ou de justifications prévues à l'article L 23 C du livre des procédures fiscales dans les délais prévus au même article, la personne est taxée d'office dans les conditions prévues à l'article 755 du code général des impôts.

Par ailleurs, l'article L 56 du livre des procédures fiscales dispose que la procédure de rectification contradictoire n'est pas applicable notamment dans les cas de taxation ou d'évaluation d'office des bases d'imposition.

Pour un exemple d'application, il convient de se référer à l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 21 avril 2022 (pourvoi n° 20-10. 587) ayant cassé l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 1er octobre 2019 qui, au contraire, avait fait application des dispositions de l'article L 57 du livre des procédures fiscales.

En outre, l'article L 76 du livre des procédures fiscales, inséré dans un paragraphe relatif à la notification et aux suites des impositions d'office, énonce que les bases d'éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable 30 jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions.

En l'espèce, la proposition de rectification du 14 septembre 2015 (pièce n° 6 de l'appelant), après avoir rappelé l'ensemble des dispositions applicables et la procédure suivie conformément à l'article L 23 C du livre des procédures fiscales, indique que conformément à l'article 755 du code général des impôts, le montant des avoirs le plus élevé connu de l'administration sur la période de novembre 2005 à décembre 2006 tel que relevé sur les supports informatiques de la banque HSBC synthétisé dans la fiche BUP adressée à M. [R], soit la somme de 2 553 208 dollars est considérée comme un patrimoine acquis à titre gratuit imposable entre les mains de M. [R] et des trois autres titulaires du compte. Elle ajoute que pour l'application des dispositions de l'article 755 du code général des impôts, le montant du patrimoine acquis à titre gratuit s'élève à 2 553 000 200 000 dollars/4, soit 564 020 euros, soumis au droit d'enregistrement à titre gratuit au taux de 60 % conformément à ces dispositions et au tableau III de l'article 777 du code général des impôts. Enfin, elle en déduit un rappel de droits de mutation à titre gratuit de 338 412 euros, soit 564 020 euros X 60 % au titre de l'année 2015.

Il en résulte que l'assiette de l'imposition litigieuse, soit le montant des avoirs le plus élevé figurant sur le compte non déclaré sur la période de novembre 2005 à décembre 2006, a parfaitement été précisée par l'administration fiscale de même le taux de l'imposition et le montant de droits qui en résulte.

La proposition de rectification est donc motivée dans le respect des règles prévues à l'article L 76 du livre des procédures fiscales. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté ce moyen.

La preuve de l'existence de comptes étrangers ouverts, utilisés ou clos au cours de la période en litige

M. [R] sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté le moyen fondé sur l'absence de preuve de l'existence de comptes étrangers ouverts, utilisé ou clos au cours de la période en litige qu'il invoquait. À l'appui, il fait valoir que la proposition de rectification mentionne qu'il est l'un des bénéficiaires de trois comptes patrimoniaux ouverts en Suisse auprès de la banque HSBC Private Bank, que l'exploitation des données informatiques a révélé qu'il détenait un compte patrimonial sous le profil client n°" 5094244938 " alors que l'obligation de déclarer les comptes " détenus " n'a été inscrite dans la loi que par l'article 7 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Il reproche donc à l'administration fiscale de ne pas rapporter la preuve de l'existence de comptes étrangers ouverts, utilisé ou clos au cours de la période en litige comme en disposait l'article 1649 A du code général des impôts dans sa version applicable aux faits de l'espèce.

L'administration fiscale demande la confirmation du jugement sur ce point. Elle expose que la proposition de rectification fait bien référence à l'article 1649 A du code général des impôts dans sa version applicable au litige et que l'utilisation du verbe " détenir " est sans emport dès lors qu'elle a bien démontré que le compte avait été utilisé puisqu'il portait au moins une opération de crédit ou de débit pendant la période visée par la déclaration. Elle se fonde sur la variation mentionnée sur la synthèse individuelle code "BUP " qui s'élève à la somme de 319 566 euros, et qui établit d'après elle une utilisation effective du compte bancaire en cause pour cette période. Elle invoque également un arrêt de la cour d'appel de Paris du 21 janvier 2019 retenant que la simple variation numérique suffit à démontrer qu'ont été porté au débit ou au crédit des comptes des sommes ou diverses écritures.

Appréciation de la cour

En application de l'article 1649 A du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 1990 n° 89-935 en vigueur du 15 juin 1990 au 1er janvier 2019, les personnes physiques, les associations, les sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger.

Il est constant que ce texte a été modifié par la loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 - art. 7 (V) qui a ajouté l'obligation de déclarer les comptes " détenus " à l'étranger, c'est-à-dire les comptes " dormants " n'enregistrant pas de mouvements et que cette seconde version n'est pas applicable au litige.

Pour autant, la proposition de rectification du 14 septembre 2015 (pièce n° 6 de M. [R]) vise expressément l'article 1649 A du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce. De plus, elle indique que l'analyse de la structure des fichiers et l'agrégation des données recueillies montre que M. [R] est l'un des bénéficiaires de trois comptes patrimoniaux ouverts en Suisse auprès de la banque HSBC sous profil client n° " 5094244938" avec trois autres titulaires en tant que "account holder " dont le verbe " détenir " n'est que la traduction littérale. Si M. [R] fait grief à la dite proposition de rectification d'utiliser ce verbe, ce grief est inopérant dès lors qu'il est expressément précisé que le montant des avoirs sur ce compte a varié de 2 203 642 dollars en décembre 2005 à 2 553 208 dollars au mois de décembre 2006 de sorte que, contrairement à ce que soutient M. [R], le fonctionnement du compte est démontré en 2006, période de référence, et que l'administration n'a pas méconnu les dispositions de l'article 1649 A du code général des impôts dans sa seule version applicable aux faits de l'espèce.

M. [R] ne peut sérieusement reprocher à l'administration fiscale de ne pas justifier des relevés de comptes bancaires concernés alors que dans la demande d'information et de justification qui lui a été adressée le 19 mars 2015 (pièce n° 1 de l'appelant), il lui a été expressément demandé de fournir notamment " les pièces bancaires ou tout document permettant au service de vérifier le bien-fondé de vos affirmations ". Il est constant que M. [R] n'a pas déféré à cette injonction alors qu'il lui était loisible de fournir à l'administration fiscale toutes justifications lui permettant d'échapper à l'imposition litigieuse.

Le jugement déféré sera donc également confirmé de ce chef.

Les demandes accessoires

Compte tenu du sens du présent arrêt, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a exactement statué sur les dépens.

En tant que partie perdante tenue aux dépens, M. [R] ne peut qu'être débouté de sa propre demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En revanche, il versera au titre des dites dispositions à la direction générale des finances publiques la somme de 3 000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles d'appel.

Les dépens d'appel pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Versailles,

Et, y ajoutant,

DÉBOUTE M. [R] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Le CONDAMNE à payer à ce titre à la direction générale des finances publiques la somme de 3 000 euros,

CONDAMNE M. [R] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 21/02265
Date de la décision : 06/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-06;21.02265 ?
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