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06/12/2022 | FRANCE | N°20/05286

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 06 décembre 2022, 20/05286


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE

Code nac : 70O





DU 06 DECEMBRE 2022





N° RG 20/05286

N° Portalis DBV3-V-B7E-UD64





AFFAIRE :



Epoux [A]



C/

Epoux [V]





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 Septembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/025

61



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-la SELARL ASCB AVOCAT,



-la SCP PIRIOU METZ NICOLAS



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SIX DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versaill...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 70O

DU 06 DECEMBRE 2022

N° RG 20/05286

N° Portalis DBV3-V-B7E-UD64

AFFAIRE :

Epoux [A]

C/

Epoux [V]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 Septembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/02561

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-la SELARL ASCB AVOCAT,

-la SCP PIRIOU METZ NICOLAS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [Z], [P], [F], [X] [A]

né le 20 Octobre 1954 à [Localité 12]

de nationalité Française

et

Madame [J]-[I], [M], [G] [Y] épouse [A]

née le 29 Septembre 1954 à [Localité 9]

de nationalité Française

demeurant tous deux [Adresse 5]

[Localité 8]

représentés par Me Anne-sophie CHEVILLARD-BUISSON de la SELARL ASCB AVOCAT, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 441

APPELANTS

****************

Monsieur [D], [R], [S] [V]

né le 05 Novembre 1959 à [Localité 11]

de nationalité Française

et

Madame [N], [K] [L] épouse [V]

née le 29 Août 1966 à [Localité 7]

de nationalité Française

demeurant tous deux [Adresse 1]

[Localité 8]

représentés par Me Guillaume NICOLAS de la SCP PIRIOU METZ NICOLAS, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 255 - N° du dossier 180293

Me Gaëlle DADEZ de l'AARPI LMT AVOCATS, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : J100

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Octobre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente, chargée du rapport et Madame Sixtine DU CREST, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

Selon acte notarié du 21 décembre 1995, M. et Mme [A] ont acquis de M. [C] une propriété située [Adresse 5] commune de [Localité 8] (Yvelines), cadastrée section F n° [Cadastre 3] et section F n° [Cadastre 4], lieu-dit '[Adresse 10]', comprenant une maison principale à usage d'habitation, une grange avec une cave voûtée et un garage.

Le 8 septembre 2010, M. et Mme [V] ont acquis de M. [B] le fonds voisin, situé [Adresse 1] à [Localité 8], cadastré section F n° [Cadastre 2] comprenant une maison sur laquelle des travaux d'extension ont été réalisés par les précédents propriétaires.

M. et Mme [V] ont, après obtention d'un arrêté du 28 septembre 2015 accordant l'autorisation de déclaration préalable de travaux, remplacé la fenêtre existante dans le mur pignon Nord de leur maison par deux fenêtres.

Se plaignant de troubles anormaux de voisinage en lien avec les travaux réalisés dans la propriété de M. et Mme [V], M. et Mme [A] ont saisi, par actes d'huissier de justice du 25 juillet 2016, le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles afin de voir, en particulier :

- Dire et juger que :

* la terrasse édifiée par les époux [V] a été édifiée sans autorisation d'urbanisme,

* cette terrasse viole les prescriptions de distance de l'article 678 du code civil,

En conséquence,

- Condamner les époux [V] à procéder à la démolition de la terrasse litigieuse, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,

Subsidiairement sur ce point,

- Désigner tel expert qu'il plaira au tribunal avec pour mission de déterminer si la terrasse litigieuse est conforme aux prescriptions de l'article 678 du code civil.

Par ordonnance rendue le 17 novembre 2016, le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles a désigné un expert judiciaire et désigné Mme [T] en cette qualité.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 1er janvier 2018.

Par actes d'huissier de justice délivrés le 10 avril 2018, M. et Mme [A] ont fait assigner, en ouverture de rapport, M. et Mme [V] devant le tribunal judiciaire de Versailles aux fins, en particulier, d'obtenir la condamnation de ces derniers à réparer les troubles anormaux de voisinage dont ils se plaignent.

Par jugement contradictoire rendu le 24 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Versailles a :

- Débouté M. et Mme [A] de leur demande avant dire-droit relative à la question préjudicielle ;

- Déclaré irrecevables les demandes de M. et Mme [A] tendant à la démolition de l'extension du bien sis [Adresse 1] au [Localité 8], de la terrasse et de l'intégralité de la rehausse du terrain ;

- Débouté M. et Mme [A] de toutes leurs autres demandes ;

- Condamné M. et Mme [A] à payer à M. et Mme [V] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- Condamné M. et Mme [A] à payer à M. et Mme [V] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;

- Condamné M. et Mme [A] aux dépens comprenant les frais d'expertise.

M. et Mme [A] ont interjeté appel de ce jugement le 28 octobre 2020 à l'encontre de M. et Mme [V].

Par leurs dernières conclusions notifiées le 20 septembre 2022, M. et Mme [A] demandent à la cour, au fondement des articles 544, 678 et 679 du code civil ainsi que de la théorie des troubles anormaux de voisinage, de :

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* Déclaré irrecevables leurs demandes tendant à la démolition de la terrasse du bien sis [Adresse 1] au [Localité 8],

* Débouté les concluants de toutes leurs autres demandes,

* Condamné les concluants à payer à M. et Mme [V] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

* Condamné les concluants à payer à M. et Mme [V] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* Condamné les concluants aux dépens comprenant les frais d'expertise.

Statuant à nouveau :

- Condamner M. et Mme [V] à :

1) Faire procéder, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, aux travaux suivants :

*Au droit de leur terrasse, du côté de la limite des parcelles n° [Cadastre 3] et [Cadastre 6] :

' mise en 'uvre d'une balustrade en retrait de 1,90 mètres de la limite de propriété,

' retrait de la partie minérale de la terrasse dans la zone tampon et plantation d'arbustes denses avec un système racinaire vertical,

' pose d'un grillage sur la limite séparative

* Entre la parcelle n° [Cadastre 3] et [Cadastre 2] :

' pose d'un pare-vue opaque d'une hauteur de 2 mètres par rapport au niveau du terrain, ne s'appuyant pas sur les ouvrages existants.

2) Opacifier définitivement les deux fenêtres litigieuses ou à les remplacer par des 'Velux' sur les pans Est et/ou Ouest de la toiture ;

- Condamner M. et Mme [V] à leur verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Les condamner aux entiers dépens de l'instance, comprenant les frais d'expertise judiciaire, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 14 septembre 2022, M. et Mme [V] demandent à la cour, au fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, des articles 2224 du code civil, 564 à 566 du code de procédure civile, de :

- Dire et juger irrecevable comme nouvelle les demandes de M. et Mme [A], en tant qu'elles tendent à les faire condamner à faire réaliser les travaux suivants :

*Au droit de leur terrasse, du côté de la limite des parcelles n° [Cadastre 3] et [Cadastre 6] :

' mise en 'uvre d'une balustrade en retrait de 1,90 mètres de la limite de propriété,

' retrait de la partie minérale de la terrasse dans la zone tampon et plantation d'arbustes denses avec un système racinaire vertical,

' pose d'un grillage sur la limite séparative

*Entre la parcelle n° [Cadastre 3] et [Cadastre 2] :

' Pose d'un pare-vue opaque d'une hauteur de 2 mètres par rapport au niveau du terrain, ne s'appuyant pas sur les ouvrages existants.

En toute hypothèse,

- Dire et juger que M. et Mme [A] ne démontrent ni l'existence d'un trouble anormal de voisinage ni son éventuelle aggravation,

En conséquence :

- Débouter M. et Mme [A] de toutes leurs demandes,

- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

- Condamner M. et Mme [A] à leur payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif,

- Condamner M. et Mme [A] au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. et Mme [A] en tous les dépens d'appel en ce compris les dépens de l'incident.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 22 septembre 2022.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de l'appel et à titre liminaire

La cour rappelle que, conformément aux dispositions de l'article 954,alinéa 3, du code de procédure civile, les prétentions sont récapitulées au dispositif des dernières conclusions et la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Il s'ensuit que dès qu'une partie se borne, dans le dispositif de ses conclusions, à demander l'infirmation d'un chef du jugement sans formuler de prétention sur la demande tranchée par ce chef de la décision de première instance, la cour d'appel n'est pas saisie de prétention relative à cette demande (2e Civ., 5 décembre 2013, pourvoi n° 12-23.611, Bull. 2013, II, n° 230 ; 2e Civ, 30 janvier 2020, n° 18-12.747 ; 2e Civ., 16 novembre 2017, pourvoi n° 16-21.885 ; 1re Civ., 12 janvier 2022, pourvoi n° 20-17.346).

Force est de constater que les appelants sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il les déclare irrecevables en leurs demandes tendant à la démolition de l'extension, de la terrasse et de l'intégralité de la rehausse du terrain, sans pour autant formuler de prétentions sur ces demandes tranchées par ce chef de la décision de première instance. Ainsi, il est incontestable qu'ils ne demandent pas de les déclarer recevables en ces demandes. Il s'ensuit que la cour n'est pas saisie de prétentions relatives à ces demandes.

Les intimés sollicitent quant à eux la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.

Il découle de ce qui précède que le jugement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de M. et Mme [A] tendant à la démolition de l'extension du bien sis [Adresse 1] au [Localité 8], de la terrasse et de l'intégralité de la rehausse du terrain, qui n'est pas querellé, est devenu irrévocable.

De même, alors qu'ils sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il les condamne à verser des sommes à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ils ne forment aucune prétention sur les demandes tranchées par ces chefs de la décision de première instance (aucune prétention de rejet de ces demandes au dispositif de leurs dernières conclusions). Il s'ensuit que la cour n'est pas saisie de prétentions relatives à ces demandes.

Le jugement en ce qu'il condamne M. et Mme [A] à payer à M. et Mme [V] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile est dès lors devenu irrévocable.

De leur côté, il est patent que les intimés développent des critiques contre l'expertise judiciaire, mais ne sollicitent ni l'annulation du rapport, ni ne forment aucune demande particulière relativement à ces conclusions expertales de sorte que leurs moyens qui ne viennent au soutien d'aucune prétention sont inopérants. Ils sollicitent cependant la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.

En tout état de cause, la cour rappelle qu'elle n'est pas liée par les conclusions de l'expert judiciaire.

La cour relève encore que la disposition du jugement qui rejette la demande de M. et Mme [A] relative à une question préjudicielle n'est pas querellée. Elle est dès lors devenue irrévocable.

En définitive, hormis les dépens et les frais irrépétibles, la cour n'est saisie que de deux demandes formées par M. et Mme [A], la première tendant à la condamnation de M. et Mme [V] à faire procéder à des travaux au droit de leur terrasse du côté de la limite des parcelles n° [Cadastre 3] et [Cadastre 6] et entre la parcelle n° [Cadastre 3] et [Cadastre 2] ; la seconde destinée à la condamnation de leurs adversaires à opacifier définitivement ou à remplacer les deux fenêtres litigieuses.

Sur les demandes des appelants

1) Les travaux sollicités par M. et Mme [A] au droit de la terrasse de M. et Mme [V], du côté de la limite des parcelles n° [Cadastre 3] et [Cadastre 6] et entre la parcelle n° [Cadastre 3] et [Cadastre 2]

' Moyens des parties

M. et Mme [A] sollicitent :

I. La réalisation des travaux suivants :

1) au droit de la terrasse, du côté de la limite des parcelles n° [Cadastre 3] et [Cadastre 6] :

* 'la mise en oeuvre d'une balustrade en retrait de 1,90 mètres de la limite de propriété,

* le retrait de la partie minérale de la terrasse dans la zone tampon et plantation d'arbustes denses avec un système racinaire vertical,

* la pose d'un grillage sur la limite séparative ;

2) entre la parcelle n° [Cadastre 3] et [Cadastre 2] :

* la pose d'un pare-vue opaque d'une hauteur de 2 mètres par rapport au niveau du terrain ne s'appuyant pas sur les ouvrages existants ;

II. L'opacification définitivement des deux fenêtres litigieuses ou leur remplacement par des 'Velux' sur les pans Est et/ou Ouest de la toiture.

Ils rétorquent à la fin de non recevoir opposée par leurs adversaires tirée de l'irrecevabilité des demandes figurant au I. 1) et 2) ci-dessus, fondée sur les articles 564 et suivants du code de procédure civile, que ces demandes poursuivent les mêmes fins que les demandes initiales au titre de la démolition de l'extension, de la terrasse et de l'intégralité de la rehausse du terrain, à savoir faire cesser le trouble anormal de voisinage subi par eux en raison des vues dont bénéficient leurs adversaires sur leur fonds.

M. et Mme [V] demandent l'irrecevabilité de ces demandes nouvelles en cause d'appel. Selon eux, c'est sans fondement que M. et Mme [A] soutiennent que ces demandes poursuivent les mêmes fins que les demandes initiales.

' Appréciation de la cour

Comme indiqué précédemment, les demandes initiales de M. et Mme [A] ont été déclarées irrecevables par le premier juge et, pour les motifs énoncés précédemment, ces chefs du jugement sont devenus irrévocables. Il s'ensuit que, peu important que les demandes nouvelles de M. et Mme [A] soient la conséquence, l'accessoire, le complément de ces demandes initiales, peu important qu'elles tendent aux mêmes fins, l'irrévocabilité des décisions prononcées au titre des prétentions initiales privent les demandeurs de tout fondement à former pareilles prétentions nouvellement à hauteur d'appel.

Il s'ensuit que ces demandes nouvelles sont irrecevables.

2) L'opacification des deux fenêtres litigieuses

Le premier juge a rejeté la demande de M. et Mme [A], fondée sur la théorie du trouble anormal de voisinage, tendant à obtenir la condamnation de M. et Mme [V] à démolir les fenêtres percées en façade Nord sous astreinte aux motifs qu'ils ne caractérisaient pas en quoi la pose de deux fenêtres au lieu de celle préexistante leur causait une nuisance constitutive d'un trouble anormal.

Il soulignait en outre que les vues découlant de ces fenêtres créées en 2015 respectaient les exigences de l'article 678 du code civil qui dispose 'On ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.'

' Moyens des parties

M. et Mme [A] poursuivent l'infirmation du jugement de ce chef et soutiennent que les fenêtres litigieuses, situées à hauteur du sol du 1er étage de la maison de M. et Mme [V] offrent une vue complète sur leur fonds. Selon eux, ces vues directes sur leur propriété, par-dessus le mur de clôture séparant les deux fonds 'provoquent une gêne considérable'.

Pour démontrer l'existence de cette gêne, ils produisent l'attestation de leur amie de longue date, Mme [O] (pièce 26) ainsi que les trois lettres qu'ils ont écrites au maire du village aux fins de faire constater sur place les infractions et 'la gêne causée' par la création des deux fenêtres (pièces 3 et 5).

Ils affirment ensuite que ces inconvénients ainsi soulignés excédent largement les inconvénients normaux de voisinage dans un village dont les deux biens sont situés dans la zone dite 'coeur de village' et hameau qui n'a pas vocation à connaître une densification ou des modifications particulières.

Ils admettent en outre que ces fenêtres respectent les distances prescrites par les articles 678 et 679 du code civil.

M. et Mme [V] sollicitent la confirmation du jugement de ce chef et font valoir que, à hauteur d'appel, leurs adversaires ne démontrent toujours pas en quoi la création de ces deux fenêtres constitue une nuisance constitutive d'un trouble anormal.

' Appréciation de la cour

La théorie des troubles anormaux de voisinage, création prétorienne, qui repose sur les dispositions de l'article 544 du code civil et sur le principe selon lequel 'nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage', met en oeuvre une responsabilité sans faute qui repose sur la considération que les relations de voisinage génèrent des inconvénients que chacun doit supporter sauf s'ils dépassent les limites de ce qu'il est habituel de supporter entre voisins.

La mise en oeuvre de cette responsabilité nécessite seulement la démonstration d'une relation de voisinage et la preuve d'un lien de causalité entre un fait et une nuisance constitutive d'un trouble anormal.

En l'espèce, ni les constatations ni les énonciations du rapport d'expertise judiciaire, ni les éléments de preuve versée aux débats par M. et Mme [A] n'établissent l'existence du trouble anormal allégué. Il n'est pas plus démontré l'existence d'un préjudice et, a fortiori, pas plus caractérisé le lien de causalité entre le trouble anormal allégué et un préjudice quelconque.

Ainsi les photographies reproduites dans les conclusions des appelants mentionnent 'gêne de la présence des fenêtres, à droite du magnolia, plongeant sur la terrasse, lieu de déjeuners conviviaux', 'gêne à gauche du magnolia' (pages 24 de leurs conclusions). Il s'agit bien de 'gêne' aux dires des appelants eux-mêmes, ce qui est bien différent de la notion de trouble anormal de voisinage. Au reste, les photographies reproduites montrent que la vue depuis la maison de M. et Mme [V] ne porte que sur le jardin de M. et Mme [A] et la cour a bien du mal à comprendre en quoi ces fenêtres sont à l'origine d'une trouble anormal de voisinage.

L'attestation de Mme [O] (pièce 26) évoque une vue 'omniprésente et dérangeante' ce qui ne caractérise pas plus l'existence d'un trouble anormal de voisinage.

Les lettres adressées par M. et Mme [A] au maire du village évoquent encore 'la situation de gêne' créée que provoquait la création de ces deux fenêtres (pièce 5).

Il convient encore de souligner que, dans une configuration des lieux comme celle du présent litige, à savoir le fait d'habiter, en centre de village, une maison à proximité d'une autre maison, implantée sur un terrain voisin, et non en rase campagne, sans vis-à-vis, expose à devoir supporter que les voisins puissent se voir mutuellement, soit lorsque tous deux jouissent de leur jardin respectif, soit lorsqu'ils se penchent à leurs fenêtres lesquelles respectent les prescriptions des articles 678 et 679 du code civil. Une telle situation, même si elle génère des inconvénients, ou, aux dires des appelants, une 'gêne', ne dépasse pas les limites de ce qu'il est habituel de supporter entre voisins dans les circonstances de l'espèce.

Il s'ensuit que M. et Mme [A] sont défaillants dans l'administration de la preuve, qui leur incombe, de l'existence des inconvénients anormaux de voisinage générés par la création des deux fenêtres litigieuses.

Le jugement sera par voie de conséquence confirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour appel abusif formée par M. et Mme [V]

' Moyens des parties

M. et Mme [V] sollicitent la condamnation de leurs adversaires à leur payer la somme de 3 000 euros pour appel abusif. Ils font valoir que l'appel de M. et Mme [A] est manifestement infondé ; qu'ils ne pouvaient ignorer l'inanité de leurs prétentions ; que leurs affirmations sont dépourvues de preuve ; que le jugement les avait suffisamment éclairés sur le caractère infondé de leurs demandes. Ils maintiennent que cette procédure, manifestement infondée, leur a nui. Ils soulignent que leurs adversaires, contrairement à leurs affirmations, ont saisi le juge judiciaire sans tenter de se rapprocher d'eux pour trouver une solution amiable, contrairement à eux qui ont sollicité les maires, actuel et précédent, à cette fin.

M. et Mme [A] ne concluent pas sur cette demande se bornant à demander l'infirmation du jugement qui les condamne à payer 1 000 euros pour procédure abusive et, comme indiqué précédemment, sans former de prétention à la suite.

' Appréciation de la cour

Il résulte des écritures de M. et Mme [A] qu'ils ont interjeté appel aux fins de demander uniquement l'opacification définitive des deux fenêtres litigieuses, sans caractériser l'existence du trouble anormal de voisinage qu'ils invoquent alors que le premier juge avait clairement et expressément motivé sa décision sur ce point. Au reste, les écritures des appelants reprennent la notion et explicitent les conditions à remplir pour espérer emporter la conviction des juges sur ce fondement. C'est ainsi que, en page 21 de leurs écritures, il est expressément indiqué qu'il revient au demandeur de démontrer l'existence d'un trouble dépassant les inconvénients normaux de voisinage, lequel est apprécié in concreto.

Or, force est de constater que tant leurs écritures que les preuves versées par eux aux débats ne font état que d'une 'gêne' occasionnée par les deux fenêtres en litige, notion très éloignée, ainsi qu'il l'a été indiqué précédemment, du trouble qui dépasse les inconvénients normaux du voisinage. Force est également de souligner que M. et Mme [A] n'explicitent pas en quoi consiste leur préjudice.

Il ressort en outre des écritures de M. et Mme [V] que ce contentieux, manifestement sans fondement, ni preuve, qu'ils ont dû subir depuis plus de six années maintenant, leur a causé un préjudice moral certain qui sera réparé par l'allocation de la somme de 2 000 euros.

Sur l'amende civile

En application de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros.

Selon l'article 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.

En l'espèce, l'absence de toute discussion sérieuse des motifs du jugement déféré, dont il n'est au demeurant strictement tenu aucun compte, entache d'un grave abus l'appel interjeté par M. et Mme [A], lequel se trouve privé de tout caractère sérieux.

En conséquence, M. et Mme [A] seront condamnés à une amende civile de 3 000 euros.

Sur les demandes accessoires

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement, pertinemment motivé, en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

M. et Mme [A], parties perdantes, supporteront les dépens d'appel, en ce compris les dépens de l'incident. Par voie de conséquence, leur demande au titre des frais engagés en appel pour assurer leur défense sera rejetée.

Il apparaît équitable d'allouer la somme de 5 000 euros à M. et Mme [V] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition,

Dans les limites de l'appel,

DÉCLARE irrecevables les demandes de M. et Mme [A] aux fins de faire procéder, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, aux travaux suivants :

*Au droit de leur terrasse, du côté de la limite des parcelles n° [Cadastre 3] et [Cadastre 6] :

' mise en 'uvre d'une balustrade en retrait de 1,90 mètres de la limite de propriété,

' retrait de la partie minérale de la terrasse dans la zone tampon et plantation d'arbustes denses avec un système racinaire vertical,

' pose d'un grillage sur la limite séparative

* Entre la parcelle n° [Cadastre 3] et [Cadastre 2] :

' pose d'un pare-vue opaque d'une hauteur de 2 mètres par rapport au niveau du terrain, ne s'appuyant pas sur les ouvrages existants ;

CONFIRME le jugement ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. et Mme [A] aux dépens d'appel en ce compris les dépens de l'incident ;

REJETTE la demande de M. et Mme [A] fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. et Mme [A] à verser à M. et Mme [V] les sommes suivantes :

* 2 000 euros en réparation de leur préjudice moral résultant de l'appel abusif ;

* 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu l'article 32-1 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. et Mme [A] à une amende civile de 3 000 euros.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 20/05286
Date de la décision : 06/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-06;20.05286 ?
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