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24/11/2022 | FRANCE | N°20/01405

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 24 novembre 2022, 20/01405


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



15e chambre



ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE





DU 24 NOVEMBRE 2022





N° RG 20/01405



N° Portalis DBV3-V-B7E-T56C





AFFAIRE :





SELARL [X][Z] mission conduite par Me [X] [Z] ès qualité de co-mandataire liquidateur de la société MAJENCIA

...



C/





[S] [U]

...



Décision déférée à la cour : Jugement

rendu le 30 Avril 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de Chartres

N° Section : Industrie

N° RG : 18/00320



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :





Me Aldjia BENKECHIDA



Me Mathilde PUYENCHET



Me Claude-Marc BENOIT



...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 24 NOVEMBRE 2022

N° RG 20/01405

N° Portalis DBV3-V-B7E-T56C

AFFAIRE :

SELARL [X][Z] mission conduite par Me [X] [Z] ès qualité de co-mandataire liquidateur de la société MAJENCIA

...

C/

[S] [U]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Avril 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de Chartres

N° Section : Industrie

N° RG : 18/00320

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Aldjia BENKECHIDA

Me Mathilde PUYENCHET

Me Claude-Marc BENOIT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT-QUATRE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, initialement fixé au 21 septembre 2022, différé au 22 septembre 2022, puis prorogé au 27 octobre 2022, puis prorogé au 17 novembre 2022, puis prorogé au 24 novembre 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :

SELARL [X][Z], mission conduite par Me [X] [Z] ès qualité de co-mandataire liquidateur de la société MAJENCIA

N° SIRET : 505 012 385

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentant : Me Aldjia BENKECHIDA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0556 substitué par Me Christel ROSSE, avocat au barreau de VERSAILLES

SELAS ALLIANCE, mission conduite par Me [W] [N] ès qualité de co-mandataire liquidateur de la société MAJENCIA

N° SIRET : 830 051 512

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentant : Me Aldjia BENKECHIDA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0556 substitué par Me Christel ROSSE, avocat au barreau de VERSAILLES

APPELANTES

****************

Monsieur [S] [U]

né le 17 Novembre 1959 à [Localité 11] (28)

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 9]

Représentant : Me Mathilde PUYENCHET, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000034

L'UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF OUEST

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Claude-Marc BENOIT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1953

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 juin 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,

Madame Perrine ROBERT, Vice-présidente placée,

Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,

EXPOSE DU LITIGE :

A compter du 20 février 1976, Monsieur [S] [U] a été engagé par la société Noritube en qualité de soudeur-brasseur, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.

Son contrat de travail a par la suite été transféré à la société anonyme Majencia, auprès de laquelle il a exercé des fonctions de chauffeur / livreur.

La relation de travail entre les parties est régie par la convention collective de la métallurgie d'Eure-et-Loir. La société employait habituellement au moins onze salariés.

Le 3 mai 2018, la société a conclu avec les organisations syndicales un accord de performance collective.

Par courrier du 23 mai 2018, la société a proposé au salarié une mobilité interne dans le cadre de l'accord précité, consistant en un déplacement de son lieu de travail de [Localité 9] (département de l'Eure-et-Loir) vers [Localité 10] (département de l'Oise).

Consécutivement à l'envoi par le salarié d'un courrier du 18 juin 2018 par lequel il sollicitait des explications quant au transfert de son poste de travail, différents échanges sont intervenus entre les parties concernant la proposition qui lui a été adressée et l'application de l'accord de performance collective.

Par la suite, le salarié a été convoqué à un entretien préalable de licenciement, lequel s'est tenu le 29 août 2018.

Par courrier du 4 septembre 2018, il s'est vu notifié son licenciement pour le motif suivant : 'conformément à l'article L. 2254-2 du code du travail et aux dispositions de l'accord de performance collective du 3 mai 2018".

Par requête reçue au greffe le 1er octobre 2018, Monsieur [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Chartres, afin notamment de contester la légitimité de son licenciement et d'obtenir le paiement de diverses sommes, à titre d'indemnités.

En parallèle, par jugements des 29 novembre 2018 et 17 avril 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Majencia puis a converti cette dernière en liquidation judiciaire.

Par jugement de départage du 30 avril 2020, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes a :

- Rejeté l'exception d'incompétence matérielle ;

- Déclaré nul le licenciement du salarié ;

- Fixé dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société la créance du salarié aux sommes suivantes :

- 27.684 euros à titre d'indemnité de licenciement nul, avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande, soit à compter du 1er octobre 2018 ;

- 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Ordonné aux liquidateurs judiciaires de la société de remettre au salarié un bulletin de salaire conforme et une attestation Pôle emploi conforme ;

- Dit que le jugement serait opposable au CGEA d'Orléans dans la limite de sa garantie légale ;

- Dit que les dépens feraient partie des frais privilégiés de la procédure de liquidation judiciaire de la société ;

- Débouté Maître [W] [N] et la SELARL [X] [Z] de l'ensemble de leurs demandes.

Par déclaration au greffe du 9 juillet 2020, la SELAS Alliance (mission conduite par Maître [W] [N]) et la SELARL [X] [Z] (mission conduite par Maître [X] [Z]), en leur qualité de co-mandataires liquidateurs de la société Majencia, ont interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 13 mai 2022 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, les mandataires liquidateurs exposent notamment que :

- même si la demande n'est expressément formulée comme telle, l'action formée par le salarié tend à solliciter la nullité de l'accord de performance collective, de sorte qu'elle relève exclusivement de la compétence du tribunal judiciaire et devait intervenir dans un délai de deux mois suivant sa notification aux organisations syndicales le 4 mai 2018, en application de l'article L. 2262-14 du code du travail ;

- le juge départiteur a apprécié la validité de l'accord de performance collective alors que cela ne relevait pas de sa compétence mais de celle du juge judiciaire ;

- dès lors qu'il s'inscrit dans le cadre de l'accord de performance collective négocié avec les instances syndicales représentatives devenu définitif en l'absence de contestation, le licenciement du salarié en raison du refus de la modification de son contrat de travail pouvait valablement être fondé sur le motif spécifique prévu par l'article L. 2254-2 du code du travail et ne nécessitait pas la mise en oeuvre d'une procédure de rupture pour motif personnel ou économique ;

- la contestation du motif spécifique de licenciement prévue par l'article L. 2254-2 du code du travail est impossible, celui-ci étant assorti d'une présomption irréfragable de cause réelle et sérieuse, comme l'a indiqué le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018 ;

- l'accord de performance collective négocié était applicable au salarié dès lors qu'il était affecté à l'établissement de [Localité 9], alors que ses fonctions de chauffeur avaient été maintenues ;

- la demande de nullité de son licenciement formée par le salariée est infondée en droit, outre le fait que ses demandes indemnitaires sont disproportionnées et qu'il omet de rappeler qu'il a perçu une indemnité de licenciement supra-légale d'un montant de 10.000 euros.

Ils demandent donc à la cour de :

- Réformer le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

1° In limine litis

- Juger en application des dispositions de l'article L. 2262-14 du code du travail que la cour est incompétente à connaître de la demande en contestation des termes de l'accord de performance collective du 3 mai 2018 ;

- Juger que la contestation des termes d'un accord de performance collective relève de la compétence du tribunal judiciaire et qu'en l'espèce l'action est prescrite ;

- Débouter le salarié de toutes ses demandes ;

- Condamner le salarié à leur verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

2° A titre principal

- Débouter le salarié de toutes ses demandes ;

- Condamner le salarié à leur verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

3° A titre subsidiaire

- Débouter le salarié de sa demande indemnitaire eu égard à l'absence de tout préjudice ou à tout le moins la ramener à une juste et réelle proportion en tenant compte du versement d'une indemnité supra-légale de 10.000 euros correspondant à plus de cinq mois de salaire ;

- Et à défaut de tenir compte de l'indemnité supra légale de de 10.000 euros qui a été versée au salarié en application de l'accord de performance collective, le condamner à leur verser la somme de 10.000 euros à titre de remboursement de l'indemnité supra légale versée ;

- Ordonner la compensation des sommes dues entre les parties ;

- Juger irrecevable la demande de remise sous astreinte en application des dispositions de l'article L 622-21 du code de commerce ;

- Fixer le salaire mensuel moyen du salarié à 2.122,17 euros ;

- Juger que les sommes seront inscrites au passif de la société Majencia ;

- Juger que les sommes seront opposables au CGEA ' AGS au titre de sa garantie ;

- Employer les dépens en frais privilégiés.

En réplique, par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 17 mai 2022 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, le salarié, intimé, soutient en substance que :

- il ne conteste pas la validité de l'accord de performance collective mais le licenciement qui lui a été notifié, en soutenant que la véritable cause de son licenciement est due aux difficultés économiques de la société de sorte qu'il aurait dû être licencié selon la procédure de licenciement pour motif économique ;

- l'intention de la société n'a jamais été de pérenniser son poste de travail, puisque ce dernier a été purement et simplement supprimé dans la mesure où la modification contractuelle qui lui a été proposée ne pouvait s'appliquer, eu égard à son activité de chauffeur / livreur ;

- son licenciement est nul en ce qu'il est intervenu en violation, notamment, de l'article L. 1233-61 du code du travail qui impose la mise en place d'un plan de sauvergarde de l'emploi lorsqu'un projet de licenciement concerne au mois dix salariés dans une même période de trente jours dans une entreprise d'au moins cinquante salariés ;

- le Conseil constitutionnel n'a aucunement évoqué une présomption irréfragable de cause réelle et sérieuse du licenciement intervenu dans le cadre de l'article L. 2254-2 du code du travail, ce dernier s'étant borné à constater la conformité de cette disposition à la Constitution ;

- à titre subsidiaire, son licenciement pour motif spécifique est dépourvu de cause réelle et sérieuse, en ce que la proposition de mobilité géographique qui lui a été adressée ne pouvait être mise en oeuvre en raison de la suppression de son poste de travail qui consistait à réaliser des trajets entre deux sites dont l'un avait été fermé, en ce que la société n'a pas attendu de recueillir son refus qui ne pouvait se déduire tacitement, alors que la lettre de licenciement ne fait nullement mention de la nécessité de rompre son contrat de travail en raison des nécessités de fonctionnement de l'entreprise ;

- en application de l'article 4 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail sur le licenciement tel qu'il a été interprété par un rapport de cette dernière publié le 25 mars 2022, il appartient au juge national de déterminer si la notion de nécessité de fonctionnement de l'entreprise (pouvant motiver un licenciement) a été valablement respectée.

Par conséquent, il demande à la cour de :

- Confirmer le jugement, sauf en ce qu'il a fixé sa créance à la somme de 27.684 euros ;

Ce faisant,

A titre principal,

- Dire nul son licenciement pour motif économique ;

- Fixer au passif de la société la condamnation d'avoir à lui verser la somme de 55.369,44 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité de licenciement ;

A titre subsidiaire,

- Dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement ;

- Fixer au passif de la société la condamnation d'avoir à lui verser la somme de 46.141,20 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause,

- Fixer au passif de la société la condamnation d'avoir à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

- Dire que la décision à intervenir est opposable aux AGS ;

- Ordonner la remise des documents sociaux conformes sous astreinte de 50 euros par jour de retard, la cour se réservant la faculté de liquider l'astreinte ;

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 9 octobre 2020 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, l'UNEDIC Délégation AGS CGEA Ile de France Ouest, intimée, argue notamment de ce que :

- la contestation de l'accord de performance collective ne peut intervenir que devant le 'tribunal de grande instance' ;

- il appartenait au salarié de contester l'accord dans le délai de deux mois faisant prévu par l'article L. 2262-14 du code du travail ;

- à titre subsidiaire, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse versée au salarié doit être réduit à trois mois, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans la mesure où il ne démontre pas un préjudice supérieur.

Par conséquent, elle demande à la cour de :

A titre principal,

- Réformer le jugement en toutes ses dispositions ;

- Déclarer le conseil de prud'hommes incompétent au profit du tribunal de grande instance de Nanterre ;

A défaut,

- Déclarer l'action prescrite ;

A titre subsidiaire,

- Débouter le salarié de ses demandes indemnitaires ;

- Réduire à trois mois le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

- Fixer au passif de la liquidation les créances retenues ;

- Dire le jugement opposable à l'AGS dans les termes et conditions de l'article L. 3253-19 du code du travail ;

- Exclure l'astreinte de la garantie de l'AGS ;

- Exclure de l'opposabilité à l'AGS la créance éventuellement fixée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dire le jugement opposable dans la limite du plafond 6 toutes créances brutes confondues ;

- Rejeter la demande d'intérêts légaux ;

- Dire ce que de droit quant aux dépens sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 18 mai 2022.

MOTIFS :

Sur la compétence de la cour et la prescription :

Selon l'article L. 2262-14 du code du travail, toute action en nullité de tout ou partie d'une convention ou d'un accord collectif doit, à peine d'irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois à compter :

1° De la notification de l'accord d'entreprise prévue à l'article L. 2231-5, pour les organisations disposant d'une section syndicale dans l'entreprise ;

2° De la publication de l'accord prévue à l'article L. 2231-5-1 dans tous les autres cas.

Par ailleurs, selon l'article L. 1411-4 du code du travail, le conseil de prud'hommes est seul compétent, quel que soit le montant de la demande, pour connaître des différends mentionnés au chapitre premier du titre premier du livre IV de la première partie du code du travail.

Dans ce cadre, aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

En l'espèce, il ressort des écritures et des demandes du salarié que ce dernier conteste la validité du licenciement qui lui a été notifié en application de l'accord de performance collective.

Ainsi, il sollicite, à titre principal, que son licenciement soit dit nul et, à titre subsidiaire, qu'il soit dit dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En revanche, bien que la demande ainsi formulée par le salarié amène à évoquer le contenu de l'accord de performance collective, le salarié ne forme aucune demande au titre de la nullité de l'accord de performance collectif.

Il en résulte que les appelants ne sauraient valablement soutenir qu'il appartenait au salarié de se conformer au régime de contestation de l'accord collectif, dès lors que ce dernier entend remette en cause la rupture de son contrat de travail.

Par conséquent, l'action en contestation de son licenciement du 4 septembre 2018 formé par le salarié devant la juridiction prud'homale le 1er octobre suivant était recevable, en application des articles L. 1411-4 et L. 1471-1 du code du travail.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il rejette l'exception d'incompétence.

Sur la nullité du licenciement et ses conséquences financières :

Selon l'article 4 de la convention de l'Organisation internationale du travail (OIT) n° 158 sur le licenciement, qui est d'application directe en droit interne, un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service. Selon l'article 9.1 du même texte, le tribunal auquel est soumis un recours devra être habilité à examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas et à décider si le licenciement était justifié. Aux termes de son article 9.3, en cas de licenciement motivé par les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service, le tribunal devra être habilité à déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour ces motifs, et l'étendue de ses pouvoirs éventuels pour décider si ces motifs sont suffisants pour justifier ce licenciement sera définie par voie de conventions collectives, de sentences arbitrales ou de décisions judiciaires, ou de toute autre manière conforme à la pratique nationale, ou par voie de législation nationale.

Par ailleurs, selon l'article L. 2254-2, I du code du travail, afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l'emploi, un accord de performance collective peut :

- aménager la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition ;

- aménager la rémunération au sens de l'article L. 3221-3 dans le respect des salaires minima hiérarchiques mentionnés au 1° du I de l'article L. 2253-1 ;

- déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise.

En outre, l'article L. 1233-3 du code du travail dispose notamment que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

L'article L. 1233-2 du code du travail prévoit que tout licenciement pour motif économique est motivé dans les conditions définies par le chapitre III du titre III du livre II de la première partie du code du travail. Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.

L'article L. 1233-61, alinéa 1er du code du travail énonce que dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre.

Enfin, selon l'article L. 1235-10 du code du travail, dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, le licenciement intervenu en l'absence de toute décision relative à la validation ou à l'homologation ou alors qu'une décision négative a été rendue est nul.

En l'espèce, le salarié s'est vu notifier son licenciement dans les termes suivants :

'Par la présente, nous vous notifions votre licenciement pour le motif spécifique suivant, conformément à l'article L. 2254-2 du Code du travail et aux dispositions de l'Accord de Performance collective du 3 mai 2018 :

Comme nous l'avons exposé, un Accord de Performance collective a été signé le 3 mai 2018 par les organisations syndicales représentatives de l'entreprise après la mise en oeuvre d'une procédure d'information-consultation des représentants du personnel et du recueil de leurs avis sur ce projet.

Dans le cadre de la mise en oeuvre de cet accord, nous vous avons reçu le 22 mai 2018 pour un entretien en vue de vous proposer une mobilité géographique. Cet entretien était destiné à nous permettre de faire le point sur votre situation personnelle afin d'identifier d'éventuelles contraintes liées, entre autres, à la vie personnelle et familiale et, le cas, échéant, d'adapter la proposition de mobilité interne.

Outre la problématique liée au fait que vous ne souhaitez pas déménager pour convenance personnelle, aucune contrainte n'a été identifiée aux termes de nos échanges.

Par courrier remis en mains propres le 23 mai 2018, nous vous avons alors notifié une proposition de mobilité géographique, à savoir : 'Votre lieu de travail est actuellement situé à [Localité 9]. Votre nouveau lieu de travail dans le cadre de la mobilité interne proposée sera fixé à [Localité 10]'.

Par courrier recommandé daté du 18 juin 2018, vous nous avez fait part de votre refus de la proposition de mobilité interne effectuée dans le cadre de la mise en oeuvre de l'Accord de performance collective du 3 mai 2018.

En conséquence, par la présente, nous vous informons que votre contrat de travail prendra fin à l'issue de votre préavis d'une durée de 2 mois qui court à compter de la date de première présentation de la présente lettre à votre domicile.'

Les appelants ne sauraient valablement faire valoir que, dans sa décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018 portant sur la Loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social consacre une présomption irréfragable de cause réelle et sérieuse du licenciement du salarié s'opposant à un accord de performance collective.

A l'inverse, le Conseil constitutionnel a rappelé que 'le fait que la loi ait réputé le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse n'interdit pas au salarié de contester ce licenciement devant le juge afin que ce dernier examine si les conditions prévues aux paragraphes III à V de l'article L. 2254-2 du code du travail sont réunies'.

Alors qu'il appartient à la cour de céans de déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour le motif lié aux nécessités de fonctionnement de l'entreprise tel qu'il résulte du licenciement motivé par le refus de modification du contrat de travail découlant de l'accord de performance collective, le salarié soutient que 'le véritable motif de [son] licenciement réside dans les difficultés économiques rencontrées par la société conduisant à la suppression pure et simple de son poste de travail'.

Sur ce point, il y lieu de relever que l'accord de performance collective indique, d'une part, qu'il 'a pour objectif de développer l'employabilité et préserver les emplois des salariés de [la société] au regard des évolutions économiques et stratégiques de l'entreprise' et, d'autre part, qu'il 'vise à déterminer les conditions de la mobilité professionnelle et géographique interne à la Société', concernant les 95 salariés concernés par le projet de restructuration.

Ainsi, la cour relève que la modification contractuelle proposée au salarié consistait en une affectation sur le site de [Localité 10], afin de poursuivre l'exécution de ses missions de chauffeur / livreur (comme le montrent les courriers des 23 mai et 20 juin 2018 que lui a adressés la société).

Pour autant, les appelants reconnaissent, aux termes de leurs écritures, que, le 10 janvier 2018, la société a présenté aux instances représentatives du personnel le projet Janus, qui prévoyait notamment le transfert de l'activité Assises du site de [Localité 9] vers le site de [Localité 10].

Plus généralement, la conclusion de l'accord de performance collective et la proposition de modification contractuelle litigieuse sont intervenues dans un contexte de restructuration et de plan d'économies pour la société, dont a notamment résulté la fermeture du site de [Localité 9] auquel était affecté le salarié.

La cour observe ainsi que le licenciement du salarié est intervenu le 4 septembre 2018, alors qu'un accord de conciliation a été conclu et homologué par le tribunal de commerce de Nanterre dès le 19 décembre 2017 afin de permettre à la société de faire face à ses difficultés économiques, que la société a effectué une déclaration de cessation de paiement dès le 23 novembre 2018 et qu'elle a consulté son comité central d'entreprise dès le 13 décembre 2018 s'agissant d'un projet de licenciement collectif pour motif économique et qu'avant cela (les appelants ne contestent aucun des ces éléments).

Les mandataires liquidateurs ne fournissent ainsi aucun élément probant au soutien de leurs affirmations selon lesquelles 'la dégradation de la situation a eu lieu, soudainement, au cours des mois de septembre et octobre 2018".

Dans ce contexte, les appelants se bornent à faire état d'affirmations générales non étayées quant au maintien du poste de travail du salarié sur le poste de [Localité 10].

Au surplus, à l'inverse, le courrier électronique daté du 17 mai 2022 envoyé par le directeur du garage [Localité 8] poids lourds démontre que le camion conduit par le salarié a été déposé dans cet établissement le 30 août 2018, sans avoir été récupéré après cette date, ce qui illustre la suppression du poste de travail de chauffeur / livreur du salarié.

Il apparaît ainsi que la rupture du contrat de travail du salarié est ainsi intervenue en méconnaissance des règles applicables en matière de licenciement pour motif économique.

Dès lors, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que le licenciement du salarié était causé par son refus d'une modification de son contrat de travail. Ce dernier pouvait en effet légitimement s'opposer à une mise en oeuvre d'un accord de performance collective visant à éluder les règles applicables en cas de licenciement pour motif économique, sans que ce refus suffise à justifier son licenciement dans le cadre de l'article L. 2254-2 du code du travail.

Dans la mesure où le salarié figurait parmi les 95 salariés concernés par une mobilité géographique et/ou professionnelle prévue par l'accord de performance collective et où son licenciement s'inscrivait en réalité dans le cadre des difficultés économiques rencontrées par la société, lesquelles ont justifié la fermeture du site où il était affecté, ont conduit à la suppression de son poste de travail et ont justifié la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il y a lieu de dire son licenciement, intervenu en l'absence de toute décision relative à la validation ou à l'homologation d'un tel plan, nul, en application de l'article L. 1235-10 du code du travail.

Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.

Compte tenu des circonstances de la rupture, de son ancienneté de 42 ans et 8 mois au service de la société, de son salaire mensuel brut moyen de 2.307,06 euros (au vu de ses douze derniers bulletins de paie) et de son âge au moment de la rupture (59 ans), le salarié sera justement indemnisé par le versement d'une somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Le jugement sera donc infirmé sur le montant ainsi alloué au salarié.

Les appelants seront par ailleurs déboutés de leurs demandes tendant à la compensation ou au remboursement de l'indemnité supra-légale d'un montant de 10.000 euros dont a bénéficié le salarié au moment de la rupture du contrat de travail (ainsi qu'il ne le conteste pas), laquelle a été prise en compte pour la détermination des circonstances de la rupture.

Sur les autres demandes :

La remise de l'attestation Pôle emploi, d'un reçu pour solde de tout compte, d'un certificat de travail et d'un bulletin de paie rectificatif conformes au présent arrêt s'impose, sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte.

Il y a lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et d'allouer à ce titre une somme de 2.000 euros au salarié.

La rupture du contrat de travail de l'appelant étant intervenue avant le prononcé de la liquidation judiciaire, la garantie de l'AGS CGEA Ile de France Ouest est due pour l'ensemble de sa créance telle qu'elle résulte de la présente décision, dans les limites légales et réglementaires.

Il y a lieu de rappeler que le jugement d'ouverture de la procédure collective opère arrêt des intérêts légaux et conventionnels en vertu de l'article L. 622-28 du code de commerce.

Il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la décision.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement rendu le 30 avril 2020 par le conseil de prud'hommes de Chartres, sauf en ce qu'il fixe la créance de Monsieur [S] [U] dans la liquidation judiciaire de la société anonyme Majencia à la somme de 27.684 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande ;

Statuant à nouveau sur le point infirmé et y ajoutant :

Fixe la créance de Monsieur [S] [U] dans la liquidation judiciaire de la société anonyme Majencia aux sommes suivantes :

- 30.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul ;

- 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne à la SELAS Alliance (mission conduite par Maître [W] [N]) et la SELARL [X] [Z] (mission conduite par Maître [X] [Z]), ès qualités de co-mandataires liquidateurs de la société Majencia, la remise à Monsieur [S] [U] de l'attestation Pôle emploi, d'un reçu pour solde de tout compte, d'un certificat de travail et d'un bulletin de paie rectificatif conformes au présent arrêt ;

Dit que la garantie de l'AGS CGEA Ile de France Ouest doit jouer pour la créance susvisée et ce dans les limites légales et réglementaires ;

Rappelle que le jugement d'ouverture de la procédure collective opère arrêt des intérêts légaux et conventionnels en vertu de l'article L 622-28 du code de commerce ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Dit que les dépens d'appel seront compris en frais de procédure collective

- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 20/01405
Date de la décision : 24/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-24;20.01405 ?
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