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14/11/2022 | FRANCE | N°20/04831

France | France, Cour d'appel de Versailles, 4e chambre, 14 novembre 2022, 20/04831


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 54Z



4e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 14 NOVEMBRE 2022



N° RG 20/04831

- N° Portalis DBV3-V-B7E-UCWP



AFFAIRE :



SAS SPIE BATIGNOLLES ENERGIE





C/

Société DREAMVIEW et autre





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Septembre 2020 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 2019F0

0349



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :





Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA





Me Laurence HERMAN-GLANGEAUD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATORZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 54Z

4e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 NOVEMBRE 2022

N° RG 20/04831

- N° Portalis DBV3-V-B7E-UCWP

AFFAIRE :

SAS SPIE BATIGNOLLES ENERGIE

C/

Société DREAMVIEW et autre

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Septembre 2020 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 2019F00349

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA

Me Laurence HERMAN-GLANGEAUD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SAS SPIE BATIGNOLLES ENERGIE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 et Me Lucie DU HAYS de l'AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0205

APPELANTE

****************

Société DREAMVIEW

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Laurence HERMAN-GLANGEAUD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 253 et Me Caroline KUNZ, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1524 substituant à l'audience Me Florence DUBOSCQ de la SELARL PARETO AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0233

S.A.S. ARTEPROM

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Laurence HERMAN-GLANGEAUD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 253 et Me Caroline KUNZ, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1524 substituant à l'audience Me Florence DUBOSCQ de la SELARL PARETO AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0233

INTIMÉES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 26 Septembre 2022, Madame Séverine ROMI, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Emmanuel ROBIN, Président,

Madame Pascale CARIOU, Conseiller,

Madame Séverine ROMI, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT

FAITS ET PROCÉDURE

Courant 2017, la société Dreamview, maître de l'ouvrage a entrepris la restructuration de bureaux dans un immeuble sis à [Adresse 5]. La société Arteprom est intervenue en qualité de maître de l'ouvrage délégué.

La société SPIE Batignolles énergie (ci-après la société SPIE) s'est vue confier les lots techniques, soit chauffage, ventilation, climatisation, plomberie, GTB (gestion technique du bâtiment) et électricité suivant actes d'engagement du 2 octobre 2017 et du 16 mars 2018, celui-ci visant les mêmes lots pour la création d'un restaurant d'entreprise.

Le 23 mai 2018 les parties ont fixé la fin des travaux de restructuration au 15 septembre 2018 et ceux du restaurant d'entreprise au 15 octobre 2018.

Le 5 juin 2018 la société Dreamview a conclu un bail en l'état futur d'achèvement avec Groupama et le 12 juin 2018 elle a cédé l'immeuble en l'état futur d'achèvement a la SNC Allianz investpierre.

Les sociétés Dreamview et Arteprom ont assigné en référé la société SPIE devant le président du tribunal de grande instance de Paris, qui par ordonnance du 4 janvier 2019, l'a condamnée à achever les travaux sous astreinte de 38 000 euros par jour ; appel en a été interjeté et, le 26 juin 2019, la cour d'appel de Paris a dit que le juge des référés de Paris était territorialement incompétent et a renvoyé l'affaire en l'état devant la cour de Versailles pour compétence.

Le 14 janvier 2019, la société Dreamview a signifié à la société SPIE la résiliation à effet immédiat du marché à ses torts exclusifs en application de l'article 4.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP).

La société SPIE a fait assigner les sociétés Dreamview et Arteprom devant le tribunal de commerce de Versailles.

Par jugement du 25 septembre 2020 le tribunal de commerce de Versailles a :

- dit que la résolution intervenue le 14 janvier 2019 à l'initiative de la société Dreamview représentée par son mandataire la société Arteprom était abusive et prononcé la résolution du marché aux torts réciproques de la société SPIE et de la société Dreamview,

- condamné la société Dreamview à payer en deniers et quittances à la société SPIE la somme de 1 278 115,33 euros,

- ordonné la conversion en saisie attribution de la saisie conservatoire du 27 mars 2019 à hauteur de 1 013 169,86 euros autorisée par l'ordonnance du 22 mars 2019 au titre du règlement des situations n°12 et 13,

- condamné la société Dreamview à verser à la société SPIE la somme de 7 704,09 euros au titre des frais annexes,

- condamné la société SPIE à verser à la société Dreamview les sommes de 743 071,03 euros au titre des travaux réalisés en substitution de la société SPIE, 337 617,48 euros au titre des pénalités de retard et, 26 724,72 euros au titre des frais annexes,

le tout avec exécution provisoire sans faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

*

Appel de ce jugement a été interjeté par la société SPIE Batignolles énergie par déclaration du 6 octobre 2020.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 6 septembre 2022 pour l'affaire être plaidée le 27 septembre 2022.

*

Par ses dernières conclusions du 5 septembre 2022, la société SPIE demande la confirmation partielle du jugement en ce qu'il a considéré abusive la résolution intervenue le 14 janvier 2019 à l'initiative de la société Dreamview, mais son infirmation en ce qu'il a prononcé la résolution judiciaire du marché aux torts partagés et condamné la société Dreamview à lui payer 1 278 115,33 et non 1 418 703,70 euros au titre du règlement des travaux (situations 12, 13 et 14), la confirmation du jugement en ce qu'il a ordonné la conversion en saisie attribution de la saisie conservatoire pratiquée le 27 mars 2019 à hauteur de 1 013 169,86 euros, l'infirmation du jugement en ce qu'il n'a pas condamné la société Dreamview à lui payer 133 581,48 euros au titre de son manque à gagner et 200 000 euros au titre de son préjudice d'image et moral, en ce qu'il a condamné la société Dreamview à lui payer 7 704,09 euros au titre des frais annexes et en ce qu'il ne retient aucune condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; elle demande à la cour de dire abusive la résolution intervenue le 14 janvier 2019 à l'initiative de la société Dreamview et de prononcer la résolution judiciaire du marché signé le 2 octobre 2017 aux torts de la société Dreamview, de la condamner à lui payer la somme de 1 418 703,70 euros au titre du règlement des travaux visés aux situations 12, 13 et 14, avec intérêts au taux de l'article L.441-6 du code de commerce et d'ordonner la conversion en saisie attribution de la saisie conservatoire pratiquée le 27 mars 2019 à hauteur de 1 013 169,86 euros, de condamner la société Dreamview à lui payer la somme de 133 581,48 euros au titre de son manque à gagner, avec intérêts au taux de l'article L.441-6 du code de commerce et capitalisation des intérêts, ainsi que les sommes de 200 000 euros au titre de son préjudice d'image et moral, 7 704,09 euros au titre des frais annexes et 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. À défaut, dans l'hypothèse où la cour retiendrait que le retard lui est imputable, elle demande de faire application du plafond de pénalités de retard à hauteur de 337 617,48 euros et de revoir à hauteur de 500 801,72 euros le montant des travaux susceptibles d'être mis à sa charge, et réclame une indemnité de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 5 septembre 2022, les sociétés Dreamview et Arteprom demandent à la cour de confirmer partiellement le jugement en ce qu'il a débouté la société SPIE de ses demandes relatives au manque à gagner et au préjudice moral et d'image, dit que la société SPIE a réalisé ses travaux sans respecter les délais contractuellement impartis et qu'elle est à ce titre redevable de pénalités de retard contractuelles, qu'elle n'a pas réalisé ses travaux dans les règles de l'art et doit prendre en charge le coût des travaux réalisés en ses lieux et place et en ce qu'il l'a condamnée à verser à la société Dreamview la somme de 26 724,72 euros au titre des frais annexes ; elles demandent d'infirmer ce jugement en ce qu'il a dit que la résolution du 14 janvier 2019 à l'initiative de la société Dreamview est abusive et prononcé la résolution du marché signé le 2 octobre 2017 aux torts réciproques de la société SPIE et de la société Dreamview, condamné cette société à verser la somme de 1 278 115,33 euros et ordonné la conversion en saisie attribution de la saisie pratiquée à concurrence de 1 013 169,86 euros, condamné cette même société à payer 7 704,09 euros au titre des frais annexes et limité le préjudice subi par elle à 743 071,03 euros au titre des travaux réalisés en lieu et place de la société SPIE au lieu de 1 028 265,73 euros, limité le préjudice subi par la société Dreamview à 337 617,48 euros au titre des pénalités de retard au lieu de la somme de 1 742 102 euros et dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile. Elles demandent de dire que la résolution du marché litigieux a été prononcée aux torts exclusifs de la société SPIE en raison des graves défaillances constatées et du retard démontré dans l'exécution de ses obligations contractuelles, de la débouter de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à verser à la société Dreamview, avec la capitalisation des intérêts les sommes de 1 028 265,73 euros avec intérêts au taux prévu par l'article L.441-6 du code de commerce, au titre des travaux réalisés en lieux et place de la société SPIE, 1 742 102 euros au titre des pénalités de retard, avec intérêts au taux prévu par l'article L.441-6 du code de commerce, 63 594,02 euros en raison de l'absence de certification environnementale, avec les mêmes intérêts ; elles demandent également une indemnité de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par note en délibéré reçue le 27 septembre 2022, l'avocat des intimées précise que les sociétés Dreamview et Arteprom forment leurs demandes de condamnation à l'encontre de la société SPIE Batignolles énergie et non la société SPIE Batignolles nord comme indiqué par erreur dans le dispositif de leurs dernières conclusions signifiées le 5 septembre 2022.

MOTIFS

Sur la résiliation du contrat liant les parties

En application de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation

- obtenir une réduction du prix

- provoquer la résolution du contrat

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.

L'article 1224 du code civil précise que la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.

L'article suivant dispose que la clause résolutoire précise les engagements dont l'inexécution entraînera la résolution du contrat. La résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s'il n'a pas été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l'inexécution. La mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire.

En l'espèce, le cahier des charges prévoit dans ses articles 4 et suivants des causes de résiliation du marché aux torts de l'entrepreneur, sans mise en demeure, notamment :

- en cas de retard de l'entrepreneur lorsque celui-ci est tel que les pénalités pour retard excèdent 10 % du montant du marché,

- dans tous les cas où l'entrepreneur ne s'est pas conformé aux stipulations du marché ou aux ordres écrits qui lui ont été donnés.

Ce sont ces deux motifs qui sont allégués par la société Dreamview dans sa lettre de résiliation du 14 janvier 2019.

La société Dreamview ayant pris l'initiative de la résiliation qu'elle impute aux fautes de la société SPIE, c'est à elle qu'il appartient de prouver ces fautes l'ayant obligée à rompre le contrat.

Sur le premier motif de résiliation, le retard de chantier entraînant des pénalités supérieures à 10 % du montant du marché, ce montant avenant inclus est de 3 376 174,84 euros hors taxes le taux des pénalités définitives par jour de retard varie de 6/1000 à 8/1000 en fonction du montant du marché par rapport au montant total des marchés.

Les pénalités de retard prévues au CCAP (article 3-6) sont appliquées sur chaque lot, constatées à titre provisoire par le maître d''uvre, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce, elles sont calculées à titre définitif à l'achèvement des travaux.

Il n'est pas contestable que les travaux ont pris du retard, selon l'acte d'engagement signé des parties, le délai global de l'ensemble de travaux allotis de la tranche ferme est de douze mois, le délai d'exécution des travaux est fixé au sein du délai global dans un calendrier prévisionnel qui précise les dates d'intervention pour chaque lot. Le maître de l'ouvrage délivre pour chaque marché un ordre de service (OS) de démarrage de l'exécution des travaux. L'OS n°2 du 23 mai 2018 donne connaissance à la société SPIE de la date de réception du bâtiment qui est décalée au 15 septembre 2018 et du restaurant d'entreprise au 15 octobre suivant. Un planning détaillé est joint.

Il est constant que la réception des travaux ne l'a pas été aux délais fixés, mais avec réserves le 14 février 2019.

À la lecture des documents produits, le retard dans l'exécution a plusieurs causes.

En premier lieu, comme l'affirme elle-même la société Dreamview dans un courrier envoyé le 9 janvier 2019 à Groupama, le retard de livraison du chantier provient notamment des intempéries (62 jours) et d'un accident grave sur le chantier le 27 juillet 2018 suite à l'effondrement d'un bi-mât ayant entraîné un arrêt du chantier avec mise sous scellés de la zone par la Gendarmerie (44 jours), c'est-à-dire, comme comptabilisé par le maître de l'ouvrage, un retard de presque six mois en jours ouvrés.

De plus, dans deux instances de référé la société Dreamview a réclamé à la société Groven, titulaire du lot façade, et à la société Atelier de compagnons, titulaire du lot démolition ' gros 'uvre ' charpente métallique, des pénalités de retard importantes pour refuser de payer le solde de leurs travaux. Le 5 mars 2021, le tribunal de commerce de Versailles a retenu que le retard imputable à la société Groven était de 36 jours. De telle sorte que, comme l'a relevé le premier juge, il est difficile de savoir quelle part de retard est imputable à la société SPIE, sachant que le retard pris pour l'exécution du lot gros 'uvre a forcément impacté les lots dont elle avait la charge.

La société Dreamview produit de très nombreux constats d'huissier sur l'avancement des travaux de juin à décembre 2018, constats non contradictoires et n'émanant pas d'un technicien du bâtiment, ces constats ont une valeur probante faible dans la mesure où ils reprennent les allégations du requérant, l'huissier indiquant qu'il est requis « afin de constater le retard de la société SPIE ».

La même remarque peut être faite pour l'affirmation de l'huissier dans son constat dressé le 15 janvier 2019 à la demande de la société SPIE « les travaux mis à la charge de SPIE ' sont globalement terminés ' les constatations n'ont porté que sur les finitions en fin de chantier ... » sauf que ce constat est contradictoire, les deux parties étant présentes. Le même jour la société Dreamview a fait réaliser un constat d'huissier avec des constatations différentes.

Un « compte-rendu des opérations préalables à l'achèvement des l'immeuble » du 17 décembre 2018 réunissant les sociétés Dreamview, SIPEC BE fluides, Groupama et Allianz investpierre, hors la présence de la société SPIE, indique que le stade d'avancement des travaux est insuffisant pour procéder à la constatation des opérations préalables à l'achèvement.

La société Dreamview produit également des courriers de relance adressés à la société SPIE, notamment une mise en demeure pour une convocation à une réunion d'urgence le 18 décembre 2018.

Ainsi, de l'ensemble de ces documents, s'il peut être affirmé que le chantier avait pris du retard et qu'il n'a pas été livré dans les délais, toutefois il ne peut être constaté que la société SPIE a eu un retard tel que les pénalités excèdent 10 % du montant du marché, car, au jour de la résiliation, faute d'achèvement des travaux, les parties ignoraient le nombre de jours de retard et donc le montant des pénalités, aucun décompte de la part du maître de l'ouvrage n'est produit, alors qu'invoquant ce motif de résiliation, il était nécessaire qu'elle chiffre précisément ce retard à la date de la résiliation.

S'agissant du second motif de résiliation visé et prévu à l'article 4.1 « l'entrepreneur ne se serait pas conformé aux stipulations du marché ou aux ordres écrits donnés », cette clause imprécise doit être interprétée dans le sens qu'il faut considérer que le maître de l'ouvrage qui s'en prévaut doit invoquer un manquement suffisamment grave l'empêchant de poursuivre les relations contractuelles.

Par lettre recommandée datée du 10 janvier 2019, quatre jours avant la lettre de résiliation, la société Dreamview a accusé son cocontractant la société SPIE d'abandon de chantier. Dans ce courrier elle lui rappelle sa condamnation le 4 janvier 2019 en référé à effectuer des travaux sous astreinte et prétend que, depuis, la société SPIE a réduit le nombre d'intervenants sur le chantier, intervenants dont les horaires de travail sont restreints, que ses représentants présents sur le chantier ont pour ordre de ne plus répondre au maître de l'ouvrage ce qui ne lui permet pas de savoir où en est l'avancement des travaux.

En effet, le 4 janvier 2019, une ordonnance de référé a été rendue sur la demande de la société Dreamview condamnant la société SPIE à effectuer une liste de travaux dans un délai de 15 jours et sous astreinte de 38 000 euros par jour passé ce délai.

Il ne peut être reproché à la société Dreamview de n'avoir pas attendu le délai de 15 jours puisque sa demande de résiliation est fondée sur l'application du contrat et que l'ordonnance n'écartait pas une telle possibilité.

Cet abandon de chantier est selon elle prouvé par des retards importants dans l'exécution de ses obligations par la société SPIE, retards qui lui ont causé un préjudice financier important puisqu'elle s'était engagée à livrer les locaux à une date précise sous peine de pénalités, selon le bail en l'état futur d'achèvement avec Groupama et la vente en l'état futur d'achèvement avec Allianz investpierre.

Cette relation contractuelle à laquelle la société SPIE est tiers ne peut interférer dans le champ contractuel des parties.

En outre, l'abandon du chantier n'est en rien prouvé, la société SPIE démontrant que ses équipes étaient présentes en nombre sur le chantier.

De tout cela il ressort que la société Dreamview ne démontre pas qu'elle a fait une application justifiée de la clause contractuelle précitée pour résilier le 14 janvier 2019 le marché les liant, aux torts de la société SPIE.

Ce faisant la résiliation de sa part est fautive et la demande de résiliation judiciaire de la société SPIE ' et non de résolution comme retenue dans le jugement critiqué puisque la rupture contractuelle n'a d'effet que pour l'avenir ' de ce fait sera constatée aux torts de la société Dreamview.

Sur les sommes dues par la société Dreamview

Le solde du prix des travaux

En application de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l'espèce, les situations 12 et 13 d'un montant toutes taxes comprises de 742 855,90 euros et 324 376,75 euros ont été approuvées par le maître d''uvre, et ont fait par suite l'objet de deux factures les 27 octobre et 27 novembre 2018 et d'une mise en demeure le 21 février 2019. Ces sommes sont dues avec intérêts au taux de l'article L.441-6 du code de commerce comme réclamé et avec capitalisation dans les conditions édictées par l'article 1343-2 du code civil.

Concernant la situation de travaux 14 du 20 décembre 2018, d'un montant toutes taxes comprises de 351 471,14 euros, elle n'a pas été validée par le maître d''uvre et concerne des travaux réalisés du 26 novembre au 19 décembre 2018 ; le compte rendu de chantier n°66 du 12 décembre 2018 fait état d'un report des opérations préalables à réception (OPR) pour le lot de la société SPIE, les installations n'étant pas fonctionnelles selon le rapport du bureau d'études fluides SIPEC ; le compte rendu de chantier n° 67 du 19 décembre 2018 signale que les opérations préalables à la livraison ont été refusées par le client Groupama en raison d'insuffisances. La société SPIE ne démontre pas que sa créance est fondée ; la demande au titre de la situation de travaux n°14 sera rejetée, le rapport non contradictoire qu'elle a fait effectuer par Maître [C] n'étant pas suffisant à établir cette preuve.

La conversion en saisie attribution de la saisie conservatoire du 27 mars 2019 de 1 013 169,86 euros autorisée par l'ordonnance du 22 mars 2019 sera confirmée.

Les gains manqués

En application de l'article 1794 du code civil, le maître peut résilier, par sa seule volonté, le marché à forfait, quoique l'ouvrage soit déjà commencé, en dédommageant l'entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu'il aurait pu gagner dans cette entreprise.

La jurisprudence considère qu'il faut rechercher le gain qu'aurait procuré le marché s'il avait été exécuté à son terme.

En l'espèce, la société SPIE, dont les travaux exécutés seront entièrement payés, ne peut réclamer un quelconque manque à gagner car si elle avait été mise en mesure de finir les travaux, il lui aurait été imputé des pénalités de retard, puisqu'il est incontestable que les travaux ont pris du retard, qui aurait diminué sa créance, ainsi aucune certitude n'existe sur le gain qu'elle a perdu du fait de la résiliation prématurée du contrat. Cette demande sera rejetée.

Le préjudice d'image

La demande étant fondée sur la responsabilité contractuelle, c'est à celui qui s'en prévaut de prouver la faute et le préjudice en découlant.

En l'espèce, aucune preuve n'est versée aux débats permettant de constater que la résiliation opérée par la partie adverse a nui à l'image et la réputation de la société SPIE dans la mesure où la société Dreamview n'a pas donné une publicité particulière à cette rupture. La demande sera rejetée.

Les autres frais

Les frais dont le remboursement est réclamé, constitués de 3 024,09 euros de frais d'huissier au titre du constat réalisé le 14 janvier 2019 et 4 680 euros au titre d'un rapport établi par un expert à l'initiative de la société SPIE, seront intégralement laissés à sa charge puisqu'elle a pris seule l'initiative de ces mesures afin de se constituer des preuves, et ces frais ne sont pas une conséquence directe de la résiliation reprochée à la société Dreamview.

Sur les pénalités de retard

L'article 3.6.4 du CCAP invoqué par la société Dreamview stipule « Si des retards sont constatés à l'achèvement des travaux, qu'il ait ou non été constaté des retards intermédiaires et qu'il ait ou non été comptabilisé des pénalités provisoires, il sera appliqué aux entreprises responsables, sans que des mises en demeure préalables aient été nécessaires en cours de travaux, une pénalité définitive par jour calendaire de retard. Le taux de la pénalité journalière calendaire de retard sera

- Pour l'entreprise du lot « Gros 'uvre '' ou toute entreprise dont le montant de marché est supérieur à 30 % du montant total des marchés tous corps d'état, de 4/1000e' du montant de son marché

- Pour les entreprises dont le marché est compris entre moins de 30% et plus de 10% du montant total des marchés tous corps d'état, de 6/1000èmes du montant de leur marché

- Pour les entreprises dont le marché est d'un montant inférieur à 10% du montant total des marchés tous corps d'état, de 8/1000èmes du montant de leur marché... »

En l'espèce, la société SPIE ayant été évincée du chantier à la date du 14 janvier 2019, cette clause ne peut être appliquée en l'absence d'achèvement des travaux de sa part.

En conséquence, la demande de la société Dreamview sera rejetée.

Sur les dépens et les autres frais de procédure

La société Dreamview et la société Arteprom seront condamnées aux dépens de première instance et d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile. Les dépens pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du même code.

Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Les circonstances de l'espèce justifient de condamner les sociétés Dreamview et Arteprom à payer à la société SPIE une indemnité de 10 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés à l'occasion du présent procès ; elles seront elles-mêmes déboutées de leur demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :

1) Dit que la résiliation intervenue le 14 janvier 2019 à l'initiative de la société Dreamview représentée par son mandataire la société Arteprom est abusive,

2) Ordonné la conversion en saisie attribution de la saisie conservatoire du 27 mars 2019 à hauteur de 1 013 169,86 euros autorisée par l'ordonnance du 22 mars 2019,

3) Débouté la société SPIE Batignolles énergie de sa demande au titre du préjudice d'image,

INFIRME le jugement déféré pour le surplus ;

Et, statuant à nouveau,

DIT que le contrat liant les parties est résilié aux torts exclusifs de la société Dreamview et la déboute de toutes ses demandes ;

CONDAMNE la société Dreamview à payer à la société SPIE Batignolles énergie les sommes de 742 855,90 euros et 324 376,75 euros pour les travaux effectués au titre des situations 12 et 13, avec intérêts au taux de l'article L.441-6 du code de commerce à compter de la mise en demeure du 21 février 2019 et avec capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;

DÉBOUTE la société SPIE Batignolles énergie et la société Dreamview pour le surplus ;

CONDAMNE la société Dreamview et la société Arteprom aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société SPIE Batignolles énergie une indemnité de 10 000 euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile, et les déboute de leur demande à ce titre.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Emmanuel ROBIN, Président et par Madame Kalliopi CAPO-CHICHI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 4e chambre
Numéro d'arrêt : 20/04831
Date de la décision : 14/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-14;20.04831 ?
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