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10/11/2022 | FRANCE | N°20/00342

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 10 novembre 2022, 20/00342


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



15e chambre



ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE





DU 10 NOVEMBRE 2022





N° RG 20/00342



N° Portalis DBV3-V-B7E-TXPL





AFFAIRE :





[Z] [F]



C/



Société EBS LE RELAIS EURE ET LOIR





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Janvier 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Dreux

N° Sec

tion : Activités Diverses

N° RG : F19/00028



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :





Me Sandrine BEZARD-JOUANNEAU de l'AARPI BEZARD GALY COUZINET



Me Franck LAFON





le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX NO...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 10 NOVEMBRE 2022

N° RG 20/00342

N° Portalis DBV3-V-B7E-TXPL

AFFAIRE :

[Z] [F]

C/

Société EBS LE RELAIS EURE ET LOIR

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Janvier 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Dreux

N° Section : Activités Diverses

N° RG : F19/00028

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Sandrine BEZARD-JOUANNEAU de l'AARPI BEZARD GALY COUZINET

Me Franck LAFON

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, initialement fixé au 12 octobre 2022, puis différé au 13 octobre 2022, puis prorogé au 10 novembre 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Madame [Z] [F]

née le 23 Juin 1980 à [Localité 4] (28)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentant : Me Sandrine BEZARD-JOUANNEAU de l'AARPI BEZARD GALY COUZINET, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000002

APPELANTE

****************

Société EBS LE RELAIS EURE ET LOIR

N° SIRET : 392 612 131

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentant : Me Franck LAFON, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - Représentant : Me Anne ROBERT-CASANOVA, Plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000043

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 juin 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,

Madame Perrine ROBERT, Vice-présidente placée,

Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,

EXPOSE DU LITIGE

Mme [Z] [F] a été engagée par la société Ebs Le Relais Eure et Loir, selon contrat de travail à durée déterminée du 15 février 2013 à effet du 25 février 2013 au 24 septembre 2013, en qualité de conseillère en insertion, moyennant un salaire mensuel brut de 1 662 euros pour 35 heures de travail en moyenne sur l'année, puis selon contrat de travail à durée indéterminée du 25 septembre 2013, en qualité de chargée d'insertion socio-professionnelle moyennant un salaire mensuel brut de 1 915 euros pour 35 heures de travail en moyenne sur l'année, porté à compter du 1er janvier 2015 à 1 927,64 euros.

Il lui a été délivré le 31 août 2015 par son médecin traitant un arrêt de travail pour accident du travail qui a été prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 27 novembre 2015.

Par décision notifiée le 24 novembre 2015, la Cpam a refusé de reconnaître le caractère professionnel de l'accident du travail invoqué par la salariée, en l'absence de présomptions favorables précises et concordantes d'un accident qui se soit produit par le fait ou à l'occasion du travail.

Par lettre remise en pain propre contre décharge le 27 novembre 2015, Mme [F] a informé la société Ebs Le Relais Eure et Loir qu'elle démissionnait de son emploi et a demandé à être dispensée de l'exécution du préavis, ce qui lui a été accordé.

Par requête reçue au greffe le 30 mai 2016, Mme [Z] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Dreux afin d'obtenir la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et celle de sa démission en licenciement abusif ainsi que le paiement de diverses sommes au titre du harcèlement moral et de la rupture de son contrat de travail.

L'affaire a fait l'objet le 10 février 2017 d'un jugement de sursis à statuer dans l'attente de la suite donnée à la plainte pour harcèlement moral déposée par la salariée, puis le 12 octobre 2018 d'une décision de radiation. Elle a été réinscrite au rôle sur demande de Mme [F] du 21 mars 2019.

Par jugement du 13 janvier 2020, auquel la cour renvoie pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Dreux a :

- dit qu'il n'y a pas lieu de requalifier le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,

- déclaré que les faits de harcèlement moral ne sont pas caractérisés,

- dit que la rupture du contrat de travail s'analyse en une démission,

- débouté Mme [F] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la société Ebs Le Relais de ses demandes reconventionnelles,

- rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties,

- condamné Mme [F] aux éventuels dépens.

Mme [F] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 6 février 2020.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 5 août 2020, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, Mme [F] demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en son appel, y faisant droit, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes et de :

- prononcer la requalification du contrat de travail à durée déterminée en date du 25 février 2013 en contrat de travail à durée indéterminée ;

- condamner en conséquence la société Le Relais Eure et Loir à lui payer la somme de 1 927,64 euros à titre d'indemnité de requalification ;

- prononcer la requalification de la démission en date du 27 novembre 2015 en licenciement abusif,

- condamner en conséquence la société Le Relais Eure et Loir à lui payer les sommes suivantes :

*3 855,28 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

*385,52 euros au titre des congés payés afférents,

*706,81 euros à titre d'indemnité de licenciement,

*25 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

*2 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner la remise, sous astreinte de 75 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, des bulletins de salaire afférents au préavis, ainsi que des documents afférents à la rupture du contrat de travail rectifiés (certificat de travail, attestation destinée à Pôle Emploi), le Conseil se réservant expressément le droit de liquider l'astreinte ;

- voir dire que l'intégralité des sommes sus énoncées sera augmentée des intérêts au taux légal et ce, à compter du jour de 1'introduction de la demande en application des articles 1146 et 1153 du code civil ;

- condamner la société Le Relais Eure et Loir aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 11 août 2020, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Ebs Le Relais Eure et Loir demande à la cour de :

- confirmer purement et simplement le jugement entrepris,

- constater que Mme [F] n'a subi aucun acte de harcèlement,

- dire que la rupture du contrat de travail s'analyse en une démission,

- en conséquence, débouter Mme [F] de l'ensemble de ses demandes,

Y ajoutant :

- condamner Mme [F] à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 18 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée

Mme [F], qui a été engagée par la société Ebs Le Relais Eure et Loir par contrat de travail à durée déterminée à effet du 25 février 2013 au 24 septembre 2013, mentionnant comme motif de recours un accroissement temporaire d'activité, avant de signer le 25 septembre 2013 un contrat de travail à durée indéterminée à effet à compter de cette date, sollicite la requalification de ce contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et le paiement d'une indemnité de requalification.

A l'appui de sa demande, elle fait valoir que la société Ebs Le Relais Eure et Loir ne rapporte pas la preuve de la réalité du motif de recours mentionné au contrat de travail à durée déterminée et que ce contrat avait en réalité pour objet et pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

Le fait qu'un contrat de travail à durée indéterminée ait été conclu par les parties à l'arrivée du terme du contrat de travail à durée déterminée ne fait pas échec à la demande de requalification fondée sur une irrégularité du contrat de travail à durée déterminée initialement conclu.

La société Ebs Le Relais Eure et Loir n'oppose aucun moyen de défense à cette demande.

Aux termes de l'article L. 1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. Si l'article L. 1242-2 prévoit qu'un contrat de travail à durée déterminée peut être conclu en cas d'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif d'accroissement temporaire de l'activité énoncé dans le contrat.

La société Ebs Le Relais Eure et Loir ne produisant aucun élément justifiant de la réalité de l'accroissement temporaire d'activité mentionné comme motif de recours dans le contrat de travail à durée déterminée conclu avec Mme [F], il convient d'infirmer le jugement entrepris et de requalifier ce contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée.

Il résulte de l'article L.1245-2 du code du travail que lorsqu'il est fait droit à la demande du salarié tendant à voir requalifier un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, il est alloué à ce dernier une indemnité, à la charge de l'employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.

La base de calcul de cette indemnité étant celle du dernier salaire mensuel perçu par le salarié, avant la saisine de la juridiction, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Ebs Le Relais Eure et Loir à payer à Mme [F] la somme de 1 927,64 euros à titre d'indemnité de requalification, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l'appui du harcèlement moral dont elle prétend avoir été victime, Mme [F] fait valoir qu'elle a rencontré, comme plusieurs autres salariés, d'importantes difficultés en raison du comportement de son supérieur hiérarchique, M. [A] [B], directeur de la société Ebs Le Relais Eure et Loir, dès l'arrivée de celui-ci, en novembre 2014 et que la situation a atteint son paroxysme le 31 août 2015, lorsqu'elle s'est vue contrainte de quitter précipitamment son travail, en larmes et en état de choc émotionnel, après un incident avec M. [B], qui l'a choquée par la violence des propos qu'il lui a tenus et lui a fait craindre pour son intégrité physique, à la suite duquel elle a été immédiatement placée en arrêt de travail en raison d'un important syndrome anxio-dépressif réactionnel.

Une décision de classement sans suite n'ayant pas autorité de chose jugée, la décision du procureur de la République de Chartres du 24 novembre 2016 de classer sans suite, pour infraction insuffisamment caractérisée, la plainte pour harcèlement moral déposée par Mme [F] le 2 novembre 2015 ne s'impose pas à la cour.

Lors de son audition par les gendarmes, le 2 novembre 2015, Mme [F] a déclaré :

- qu'à compter de la mi-février 2015, après qu'elle lui ait fait part de plaintes de plusieurs salariés concernant son attitude à leur égard, M. [B] a changé de comportement vis-à-vis d'elle, lui a ôté des tâches comme sa participation au recrutement des salariés et l'octroi des acomptes aux employés en difficulté, qu'il ne lui disait plus rien, qu'il l'a discrédité auprès du président et du directeur général à propos des documents relatifs au plan de sécurité et au règlement intérieur et qu'il l'a discrédité auprès de certains salariés, comme M. [N] à propos de la contestation des loyers réclamés à celui-ci par Chartres Habitat ;

- que le 31 août 2015, M. [B], qui a crié sur elle et a tapé du poing sur son bureau, lui a fait très peur.

Elle produit les documents médicaux suivants :

- un certificat médical du Dr [Y], médecin généraliste, qui mentionne qu'il l'a reçu en urgence le 31 août 2015 à 18h30, qu'elle est dans un état de choc émotionnel et lui déclare avoir dû quitter son travail en courant à 17h00 ce jour par peur de son responsable qui aurait des réactions violentes d'après ses dires, et qu'il lui a prescrit un arrêt de travail pour une durée de 10 jours pour accident du travail ;

- l'avis d'arrêt de travail initial pour accident du travail délivré par le Dr [Y] le 31 août 2015 pour syndrome dépressif réactionnel ainsi que les avis de prolongation de cet arrêt de travail, qui a pris fin le 27 novembre 2015.

M. [G], inspecteur du travail, entendu par les gendarmes dans le cadre de l'enquête préliminaire, le 16 décembre 2015, à la question 'Pensez-vous que les salariés sont victimes de harcèlement '', a répondu : 'Je n'ai pas échangé suffisamment avec eux pour me prononcer. Pour l'instant, je ne crois pas. Mais pour le savoir, il faudrait que j'entende tout le monde individuellement.'

Dans son attestation, Mme [O] [J], qui ayant travaillé de juillet 2014 à décembre 2014 sur le site de [Localité 5], a été présente un peu plus d'un mois à compter de l'arrivée de M. [B] pour faire le point avec lui pour qu'il puisse prendre le relais, se borne à affirmer que dès son arrivée, celui-ci a pris Mme [F] en grippe, sans préciser sur quels éléments elle se fonde, et à affirmer qu'il a retiré à celle-ci les tâches pour lesquelles elle avait été embauchée, sans préciser lesquelles, n'est pas suffisamment circonstanciée pour emporter la conviction de la cour.

Au vu des témoignages de salariés recueillis dans le cadre de l'enquête préliminaire et des attestations versées aux débats, qui se bornent à se faire l'écho des propos de Mme [F] ou de ouï-dire sur le comportement de M. [B] à l'égard de celle-ci sans y avoir personnellement assisté, et à exprimer une appréciation subjective sur la vraisemblance du comportement prêté à M. [B] envers elle au regard de la perception qu'ils ont de la personnalité des deux protagonistes, sur lesquels les avis sont totalement contradictoires, le seul fait précis matériellement établi par la salariée, est qu'un incident a eu lieu entre M. [B] et elle le 31 août 2015.

Le harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail supposant l'existence d'agissements répétés, le seul fait matériellement établi ne permet pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral dont Mme [F] aurait été victime. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Sur la requalification de la démission

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.

La lettre remise en main propre par Mme [F] à son employeur le 27 novembre 2015, mentionnant en objet 'démission', est rédigée comme suit :

'En date du 31 août 2015, j'ai été victime d'agissements violents de la part de M. [B]. Je suis depuis cette date en arrêt maladie car je suis dans l'incapacité de reprendre mes fonctions. En effet cet incident a déclenché l'angoisse de me rendre au travail dans ces conditions.

Par cette lettre je vous informe donc de ma décision de quitter le poste de chargée d'insertion professionnelle que j'occupe depuis le 25 février 2013.

Au vu de la situation, je souhaite être dispensée de mon préavis. Je vous remercie de prendre en considération ma demande afin que je puisse quitter mon emploi le 30 novembre 2015.'

Cette démission, motivée par les agissements violents que Mme [F] impute à M. [B], est équivoque. Il convient dès lors de l'analyser en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail par la salariée aux torts de l'employeur et de rechercher si l'intéressée rapporte la preuve, qui lui incombe, d'un manquement de l'employeur suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Il a été ci-dessus retenu que Mme [F] n'a pas été victime d'agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

S'agissant de l'incident qui a opposée la salariée à M. [B] le 31 août 2015, il est établi :

- que le 31 août 2015 à 15h11, Mme [F] a adressé à M. [B], présent comme elle dans les locaux de l'entreprise, le mail suivant :

'[A],

Je suis surprise d'apprendre par des salariés que [S] n'est pas présente ce jour. Comme vous le savez je suis en relation avec les travailleurs sociaux en charge du suivi de [S] et doit les avertir de tout changement ou problèmes. Hors si je ne suis pas informée de son absence je ne peux pas faire remonter l'information. Serait-il possible qu'il y ait une meilleure communication pour le bien des salariés' Merci par avance. Cordialement.';

- que lors de son audition dans le cadre de l'enquête préliminaire, le 2 novembre 2015, Mme [F] a déclaré :

'Suite à ces problèmes de communication entre moi et mon supérieur, le 31 août 2015 je lui ai envoyé un mail en lui faisant part que pour le bien de tout le monde, il serait bien qu'il y ait une meilleure communication entre nous. J'ai préféré la voie du mail pour me couvrir car les paroles s'envolent et les écrits restent et aussi pour éviter une altercation verbale. Car toutes discussions étaient devenues très difficiles.

A la réception de ce mail, il m'a convoqué dans son bureau le jour même, en fin de journée. Il m'a dit que ce mail était n'importe quoi. J'ai profité de cet entretien pour lui exposer calmement tout ce que j'avais à lui reprocher. J'ai dit que cette situation commençait à me gonfler et il s'est immédiatement énervé contre moi. Il m'a crié dessus et il a tapé du poing sur son bureau, ce qui m'a fait très peur. Il s'est levé d'un coup en me fixant et en me criant dessus. J'ai eu peur de cette violence verbale et gestuelle, c'est pourquoi j'ai pris la fuite en courant. Quand je suis sortie du bureau, un chauffeur se trouvait dans le couloir, il s'agit de M. [H]. Je lui ait demandé de rester à côté de moi car je craignais le pire. M. [B] est sorti dans ma lancée et il m'a crié à deux reprises de revenir immédiatement. J'étais toute tremblante et j'ai accepté à condition que le chauffeur m'accompagne, ce qu'il a accepté. On est retourné deux minutes dans le bureau. Il m'a fait passer pour une folle aux yeux du chauffeur. Je lui ai alors expliqué que si j'avais eu peur c'est parce qu'il était violent dans ses mots et dans ses gestes. Voyant que la discussion était impossible, j'ai préféré partir. Dès la fin de l'entretien, je suis partie voir mon médecin traitant. Il a fait une attestation de l'état dans lequel j'étais...'

- que si Mme [F] allègue devant la cour que M. [B] a eu des propos violents à son égard, elle ne précise pas la teneur de ces propos ;

- que M. [B] a contesté la version des faits données par Mme [F] ;

- que dans son attestation M. [H] relate que le 31 août 2015, il est passé devant le bureau de [A], qu'il a vu surgir [Z] lui criant que [A] lui fait peur, qu'il a vu [A] sortir de son bureau et appeler [Z] pour lui dire que leur conversation n'est pas finie, que [Z] lui a dit de venir avec elle et qu'il l'a suivie dans le bureau de [A], qui a demandé à [Z] si c'était bien qu'il (M. [H]) soit là, que cela ne le regardait pas, qu'elle a dit si, qu'alors [A] lui a demandé ce qu'elle a à dire, qu'elle a dit à [A] qu'il cherche quelqu'un derrière son dos, qu'il est 17 heures et qu'elle s'en va, que [A] lui a répondu qu'ils en reparleront demain et qu'elle est partie ;

- que lors de son audition dans le cadre de l'enquête préliminaire, le 17 mars 2016, M. [M] [I], agent d'exploitation au sein de la société Ebs Le Relais Eure et Loir de mars 2013 à décembre 2015, à qui il était demandé s'il avait déjà été témoin d'altercation entre M. [B] et d'autres collègues, a répondu :

'Témoin direct non. Un jour, oui, j'ai fini le travail, c'était presque la fin de la journée. Ma voiture était garée près de la fenêtre de son bureau. Et je l'entendais hurler et taper sur quelque chose.

Et le lendemain j'ai appris que c'était M. [B] qui se disputait avec [Z] [F].

Mais je n'ai rien vu. Et puis je comprenais (pas) ce qu'il disait, ni les paroles qu'il utilisait.';

- que dans l'attestation qu'il a établie ensuite, M. [M] [I] a indiqué que le 31 août 2015 vers 17 heures, en allant récupérer sa voiture sur le parking, stationné sur une place en bas de la fenêtre du bureau de M. [B], il a entendu ce dernier hurler et taper sur son bureau, qu'il ne savait pas après qui il en avait, qu'il n'a pas très (bien) compris (après) qui il hurlait ; que le lendemain matin, il a appris par un chauffeur présent sur les lieux au moment du pétage de plomb de M. [B] qu'il (en) avait après [Z] [F].

- que la mère de Mme [F] atteste que celle-ci est arrivée vers 17h30 en larmes dans un état de panique et qu'elle a téléphoné à leur médecin traitant qui a reçu celle-ci sans rendez-vous ;

- que Mme [D], également en litige avec la société Ebs Le Relais Eure et Loir, atteste que lorsqu'elle a parlé avec Mme [F] au téléphone, celle-ci pleurait, avait la voix tremblante et qu'elle était en état de choc ;

- que le Dr [Y], médecin généraliste, certifie qu'il a reçu Mme [F] en urgence le 31 août 2015 à 18h30, qu'elle est dans un état de choc émotionnel et lui déclare avoir dû quitter son travail en courant à 17h00 ce jour par peur de son responsable qui aurait des réactions violentes d'après ses dires, et qu'il lui a prescrit un arrêt de travail pour une durée de 10 jours pour accident du travail ;

- que l'arrêt de travail initialement prescrit à Mme [F], qui a fait l'objet de plusieurs prolongations, a pris fin le 27 novembre 2015.

Le certificat médical et les attestations émanant de personnes qui n'ont pas été personnellement témoins des faits ne permettent pas de rapporter la preuve des faits tels qu'ils sont rapportés par Mme [F].

S'il est établi que M. [B] et Mme [F] ont effectivement eu le 31 août 2015, vers 17 heures un échange tendu suite au mail de cette dernière et que la salariée, après avoir dit à M. [B] qu'elle 'se couvrait' et que la situation la 'gonflait', a quitté brusquement le bureau, que M. [B] lui a crié de revenir, que c'était un ordre, et qu'elle est revenue accompagnée de M. [H], rencontré dans le couloir à qui elle a dit qu'elle avait peur, il n'est rapporté la preuve, ni que M. [B] ait crié sinon pour demander à Mme [F] de revenir, ni qu'il ait eu des gestes violents envers elle ou des propos, un ton ou des gestes de nature à faire impression sur elle. M. [H] qui se trouvait dans le couloir n'en atteste pas, ni aucun autre salarié qui aurait été présent dans les locaux. M. [M] [I], s'il déclare avoir entendu M. [B] hurler et taper sur quelque chose, n'a pu lors de son audition, à une date plus proche des faits que son attestation, déterminer précisément l'origine du bruit entendu et, n'ayant pas vu la scène, n'est pas en mesure d'affirmer que Mme [F] était effectivement présente dans le bureau de M. [B] à ce moment-là et que le bruit entendu provenait d'un coup porté par le directeur sur le bureau ou du claquement de la porte du bureau.

Mme [F] n'établit ni de faits matériels, qui pris en leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral, ni la violence qu'elle allègue avoir subi de la part de M. [B] le 31 août 2015.

Elle ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, d'un manquement de l'employeur suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail. Elle est dès lors mal fondée en sa demande de requalification de sa démission en un licenciement abusif.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la rupture du contrat de travail de Mme [F] s'analyse en une démission et a débouté la salariée de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés et d'indemnité de licenciement ainsi que de sa demande de remise de bulletins de salaire afférents au préavis, et d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi rectifiés.

Sur les dépens et l'indemnité de procédure

La société Ebs Le Relais Eure et Loir, qui succombe partiellement, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il convient de la condamner, en application de l'article 700 du code de procédure civile, à payer à Mme [F] la somme de 2 000 euros pour les frais irrépétibles que celle-ci a exposés.

PAR CES MOTIFS :

La COUR,

Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,

Infirme partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Dreux en date du 13 janvier 2020 et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

Requalifie le contrat de travail à durée déterminée conclu par la société Ebs Le Relais Eure et Loir avec Mme [Z] [F] à effet du 25 février 2013 au 24 septembre 2013 en contrat de travail à durée indéterminée,

Condamne la société Ebs Le Relais Eure et Loir à payer à Mme [Z] [F] la somme de 1 927,64 euros à titre d'indemnité de requalification, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Confirme pour le surplus les dispositions non contraires du jugement entrepris ;

Y ajoutant :

Déboute la société Ebs Le Relais Eure et Loir de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Ebs Le Relais Eure et Loir à payer à Mme [Z] [F] la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Ebs Le Relais Eure et Loir aux dépens de première instance et d'appel.

- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 20/00342
Date de la décision : 10/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-10;20.00342 ?
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