COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 97C
ARRÊT N°
DU 08 NOVEMBRE 2022
N° RG 22/01881
N° Portalis DBV3-V-B7G-VCWX
AFFAIRE :
[P] [U]
Notifié le :
à/au
-PROCUREUR GENERAL
-[P] [U],
-CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DES HAUTS DE SEINE,
-LE BATONNIER DU BARREAU DES HAUTS DE SEINE
-AARPI BINSARD MARTINE ASSOCIES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE MARDI HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
DANS L'AFFAIRE
ENTRE :
LE PROCUREUR GENERAL
COUR D'APPEL DE VERSAILLES
[Adresse 4]
[Localité 5]
pris en la personne de M. SAVINAS, Avocat Général
APPELANT
ET :
Mademoiselle [P] [U]
née le [Date naissance 1] 1987 à [Localité 8]
[Adresse 3]
[Localité 7]
présente et assistée de Me Robin BINSARD BENCHIMOL et Me Guillaume MARTINE de l'AARPI BINSARD MARTINE ASSOCIES, avocats - barreau de PARIS
INTIMÉE
LE CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DES HAUTS DE SEINE
[Adresse 2]
[Localité 6]
Absent et non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue à l'audience solennelle du 21 Septembre 2022, la cour étant composée de :
Madame Nathalie BOURGEOIS DE RYCK, Première présidente de chambre,
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Gwenael COUGARD, Conseiller,
Monsieur François NIVET, Conseiller,
Assistés de Madame Natacha BOURGUEIL, Greffier
FAITS ET PROCÉDURE
Par décision rendue le 27 janvier 2022, le conseil de l'ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine a :
- Accepté l'inscription au tableau du barreau des Hauts-de-Seine de Mme [U], de nationalité française, née le [Date naissance 1] 1987 à [Localité 8] (2A), sous réserve de sa prestation de serment.
Un extrait de cette délibération a été notifié au procureur général près la cour d'appel de Versailles par courriel du 8 février 2022.
Le procureur général a formé un recours à l'encontre de cette décision le 25 mars 2022 par remise contre récépissé auprès de la directrice de greffe.
Par ordonnance rendue le 12 avril 2022, le premier président de la cour d'appel de Versailles a, au visa de l'article 19 de la loi n° 1130 du 31 décembre 1971 et des articles 14 et 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 du code de procédure civile :
- Dit qu'en vue des débats fixés à l'audience du mercredi 21 septembre 2022 à 09h00, salle n° 1, le procureur général, appelant, devra, s'il entend formuler ses moyens et prétentions par écrit, le faire avant le 25 mai 2022 en notifiant ses écritures aux autres parties,
- Dit que Mme [U] et l'ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine, intimés, devront répliquer avant le 24 juin 2022 en procédant à une notification identique,
- Invité le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine à faire parvenir son avis à la cour d'appel de Versailles.
Par d'uniques conclusions notifiées par la voie du réseau privé virtuel des avocats le 9 septembre 2022, reprises oralement auxquelles il convient de se référer, le ministère public demande à la cour de :
- Déclarer le présent recours recevable,
- Infirmer la délibération 27 janvier 2022 du conseil de l'ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine en ce qu'elle accepte la demande d'inscription au tableau de Mme [U],
- Rejeter, en conséquence, la demande d'inscription au barreau de Mme [U].
Le recours de M. le procureur général est fondé sur les dispositions des articles 20, 11- 4°, et 17-3°, de la loi 70-1130 du 31 décembre 1971, 16 et 102 du décret n° 91-1117 du 27 novembre 1991. Selon lui, par lettre du 14 décembre 2021 auprès des services de l'instance ordinale, Mme [U] a donné des informations lacunaires sur sa situation pénale qui n'auraient pas permis au bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine d'apprécier pleinement sa situation et de prendre une décision éclairée. Ce faisant, elle aurait enfreint l'obligation de loyauté, prévue par les textes susmentionnés, qui pesait sur elle.
Le procureur général fait état de la jurisprudence de la Cour de cassation (1re Civ., 14 octobre 2015, pourvoi n° 14-19.033 ; 19 janvier 1994 n° 92-10.260) qui oblige l'impétrant à fournir des éléments sur l'évolution de la procédure pénale le concernant et la nature précise des faits qui lui sont reprochés, de même que sur les condamnations prononcées contre lui, même celles exclues du bulletin n° 2 du casier judiciaire.
En l'espèce, selon lui, les informations fournies par Mme [U] sont particulièrement générales et elle a passé sous silence de nombreuses informations essentielles telles que :
* la nature des infractions pour lesquelles elle a été mise en examen pourblanchiment de crimes ou délit en bande organisée ; tentative de blanchiment en bande organisée, notamment fraude fiscale, travail dissimulé en bande organisée (cf son interrogatoire de première comparution (IPC) du 15.10.2020 pièce 20) alors qu'elle a été supplétivement mise en examen par le juge d'instruction pour des faits différents mais de même nature (cf procès-verbal d'audition pièces 3 et 4),
* le fait qu'elle n'a pas fourni d'informations précises lorsqu'elle a été placée sous contrôle judiciaire et qu'elle l'était encore au moment de la rédaction de sa lettre au bâtonnier du 14 octobre 2021 (pièce 5),
* le fait que sa mise en examen intervenait dans le cadre d'une information judiciaire d'ampleur dès lors qu'outre elle-même, huit personnes sont également mises en examen.
Le procureur général fait encore valoir qu'elle porte une appréciation bien téméraire sur l'issue de la procédure la concernant de nature à biaiser l'appréciation du conseil de l'ordre lors de sa prise de décision.
Dans ces conditions, le procureur général estime que, sans enfreindre le principe de la présomption d'innocence, Mme [U], en sa qualité de candidate à l'inscription au barreau des Hauts-de-Seine, avait l'obligation de porter à la connaissance du conseil de l'ordre toutes les précisions et informations nécessaires relatives à la procédure dans laquelle elle était mise en examen afin qu'il dispose de tous les éléments lui permettant de se prononcer de façon éclairée sur sa demande d'inscription. Selon lui, les réticences de Mme [U] ne lui ont pas permis de vérifier les conditions de moralité de cette candidate et d'exercer sa mission de maintien des principes de probité, de désintéressement, de modération sur lesquels repose la profession. Mme [U] aurait donc, selon lui, manqué à son obligation d' 'entière loyauté' et ce faisant ne remplirait pas les conditions exigées par l'article 11, 4°, et 17 de la loi du 31 décembre 1971.
L'ordonnance fixative a été notifiée à M. le procureur général et ce dernier a été avisé de la date d'examen de cet appel devant cette cour en audience solennelle le 21 septembre 2022.
L'ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine a été avisé de la date d'examen de cet appel devant cette cour par lettre recommandée avec accusé de réception réceptionnée le 14 avril 2022. Il s'est vu notifier, par cette même lettre, l'ordonnance fixative.
M. le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine a été avisé de la date d'examen de cet appel devant cette cour par lettre recommandée avec accusé de réception réceptionnée le 14 avril 2022. Il s'est vu notifier, par cette même lettre, l'ordonnance fixative.
Mme [U] a été avisée de la date d'examen de son appel devant cette cour par lettre recommandée avec accusé de réception réceptionnée le 22 avril 2022. L'ordonnance fixative lui a été notifiée par cette même lettre.
L'ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine n'a fait parvenir à la cour aucune écriture en réplique aux conclusions du ministère public. Il ne s'est pas présenté à l'audience solennelle de plaidoirie.
Par d'uniques conclusions notifiées le 19 septembre 2022, par la voie du réseau privé virtuel des avocats, reprises oralement, auxquelles il convient de se référer, Mme [U] invite cette cour à :
A titre principal,
- Déclarer irrecevable le recours formé hors délai par le ministère public,
En tout état de cause,
- Confirmer la délibération entreprise par le Conseil de l'ordre du barreau des Hauts-de-Seine le 21 janvier 2022,
- Débouter toute partie ou concluant de ses fins et prétentions.
Se fondant sur les dispositions des articles 20 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, 16 et 102 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, 125 du code de procédure civile, un arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 février 2017 n° 16/16404, un arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2012 (1re Civ., 8 mars 2012, pourvoi n° 10-27.563), Mme [U] demande à cette cour de déclarer irrecevable le recours formé par le ministère public.
Selon elle, le ministère public ayant admis s'être vu notifier cette délibération le 8 février 2022 et avoir formé son recours le 25 mars 2022 alors que l'article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 précise que le délai du recours est d'un mois, il ne pourra être que constaté que ce recours a été formé hors délai et qu'il est donc irrecevable.
Au fond, Mme [U] rappelle qu'elle n'a pas été condamnée et que le droit à la présomption d'innocence s'oppose à ce qu'une simple mise en examen et un contrôle judiciaire puisse faire obstacle à l'inscription au tableau d'un avocat. Elle s'appuie encore sur les principes contenus dans les articles 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ainsi que sur la doctrine (Jurisclasseur 'statut des avocats') et la jurisprudence (arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 27 octobre 1993, décision du Conseil Constitutionnel des 19 et 20 janvier 1981 reconnaissant valeur constitutionnelle au droit au respect de la présomption d'innocence, décision de la Cour européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 25 mars 1983 Minelli contre Suisse).
En l'espèce, elle observe que :
* aucune condamnation pénale n'a été prononcée contre elle,
* aucun antécédent judiciaire quelconque n'est connu la concernant,
* l'information judiciaire est toujours en cours et son innocence est présumée.
Mme [U] ajoute que sa loyauté à l'égard du Conseil de l'Ordre du barreau des Hauts-de-Seine est totale de sorte que les dispositions de l'article 17, 3°, de la loi du 31 décembre 1971 ne sont pas applicables en l'espèce.
Selon elle, si la jurisprudence admet qu'un défaut de loyauté d'un impétrant, à l'égard de son ordre, pouvait faire obstacle à la profession, c'était cependant uniquement dans des circonstances d'une dissimulation de leur situation pénale. Ainsi en était-il, précise-t-elle, de l'impétrant qui dissimule sciemment sa situation pénale et sa récente condamnation correctionnelle (arrêt rendu le 15 septembre 2021 par la cour d'appel de Bastia).
Elle soutient que les arrêts cités par le ministère public sont inopérants en ce que :
* s'agissant de l'arrêt du 14 octobre 2015, pourvoi n° 14-19.033, l'impétrante n'avait pas informé son ordre, avait travesti la réalité de sa situation pénale lors de son inscription ; elle avait tu son statut de gardée à vue, se bornant à dire qu'elle avait été entendue ; n'avait pas fait état de la nature des infractions objet de la plainte investiguée à son encontre ;
* s'agissant de l'arrêt du 19 janvier 1994 n° 92-10.260, il est, selon elle, encore plus inopérant puisque dans cette affaire l'impétrante avait dissimulé les poursuites pénales dont elle faisait l'objet.
En l'espèce, elle conteste les allégations du ministère public selon lesquelles elle se serait bornée à adresser une simple lettre au conseil de l'ordre. Elle fait en effet valoir que :
* elle a sollicité un rendez-vous auprès du bâtonnier par l'intermédiaire de son conseil le 23 novembre 2021 en vue de lui exposer sa situation pénale en détail et que son second conseil a échangé avec le vice-bâtonnier à ce sujet dès le mois d'octobre 2021 (attestation de son conseil Me [N], pièce 15),
* elle a rempli son dossier d'inscription en y adjoignant une lettre du 14 décembre 2021, susmentionnée, pour rappeler par écrit (ce qui n'était pas obligatoire) l'information faite préalablement au bâtonnier lors du rendez-vous du 23 novembre 2021 de sa situation pénale (sa lettre du 14 décembre 2021, pièce 11),
* elle a échangé avec le vice-bâtonnier lors d'une visite domiciliaire du 24 janvier 2022 initiée par l'ordre pour procéder à des vérifications supplémentaires (pièce 12) à l'occasion de laquelle les sujets de son contrôle judiciaire ont été abordés (pièce 15) et elle a pu confirmer n'être astreinte à aucune interdiction de gérer ou d'exercer,
* elle a sollicité, un nouveau rendez-vous le 31 mai 2022, à la suite de ses deux auditions des 17 et 20 mai 2022 par le juge d'instruction, afin de tenir informé le bâtonnier de l'évolution de son dossier (pièce 18).
Elle conteste avoir informé a minima son Ordre. Elle soutient que le ministère public n'a pas reproduit l'intégralité de sa lettre du 14 décembre 2021, omettant de citer le passage évoquant les rendez-vous de ses conseils avec le bâtonnier et le vice-bâtonnier. Elle reproche encore au ministère public de n'avoir apprécié sa loyauté envers son ordre qu'à l'aune de cette lettre, tronquée. De plus, elle s'étonne que le ministère public fasse si grand cas de son appréciation sur le devenir de l'affaire pénale qui n'est qu'une opinion insusceptible d'influencer l'ordre.
Enfin, elle fait valoir que la position du ministère public constitue une atteinte à sa liberté d'entreprendre (article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, décision du Conseil constitutionnel du 16 janvier 1982 n° 81 132 DC).
En l'espèce, selon elle, l'opposition du ministère public à sa prestation de serment du 21 mars 2022 l'a empêchée, de manière injustifiée, d'accéder à la profession d'avocat.
Elle souligne que le juge d'instruction n'a pas limité sa liberté d'exercer cette profession et que le procureur de la République de Paris n'a pas requis en ce sens.
A l'audience solennelle du 21 septembre 2022, les débats ont eu lieu publiquement à la demande de Mme [U], conformément aux dispositions de l'article 16, alinéa 4, du décret du 27 novembre 1991.
A cette audience solennelle, M. l'avocat général réplique, sur la recevabilité de l'appel, se fondant sur différents arrêts de la Cour de cassation qu'il produit (1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 17-50.016 ; 2e Civ., 28 septembre 2017, pourvoi n° 16-22.143, Bull. 2017, II, n° 188) que le délai de recours n'a pas commencé à courir dès lors que ni dans l'extrait de la délibération de l'ordre, ni dans le procès-verbal de cette délibération ne figurent les mentions relatives aux voies et délais de recours de sorte que les délais de recours n'ont pu commencer à courir.
En outre, il développe oralement ses observations écrites et insiste sur le fait qu'il n'est nullement question d'apprécier le bien fondé des poursuites pénales engagées contre Mme [U], mais de dire si, compte tenu des éléments versés aux débats, cette dernière, au moment où elle a demandé à prêter serment, a été claire et précise sur sa situation pénale. Il rappelle le rôle du ministère public en matière de contrôle de la profession d'avocat, qui est une profession réglementée, et de celui du Conseil de l'ordre qui doit veiller à la moralité de la profession. Il souligne qu'il n'y a aucun droit à être inscrit au barreau même si toutes les conditions relatives au contrôle des connaissances techniques sont réunies ; que les conditions de moralité sont également requises ; que la Cour de cassation rappelle l'exigence d''entière loyauté' attendue des futurs avocats. Appréciant les éléments de preuve versés aux débats par Mme [U], il fait valoir qu'aucun de ces éléments ne confirme ni ne vient démontrer qu'elle s'est montrée d'une entière loyauté au sens de la jurisprudence produite.
Les conseils de Mme [U] développent oralement leurs écritures et maintiennent, à titre principal, que l'appel du ministère public est irrecevable car engagé hors délai. Ils admettent que ni la délibération ni le procès-verbal adressés au procureur général ne mentionnent les voies de recours, mais, selon eux, la jurisprudence citée par le représentant du ministère public n'est pas en l'espèce transposable.
Ils soulignent que Mme [U] n'est concernée que par une seule infraction dans l'importante instruction toujours en cours et que sa mise en examen ne peut pas justifier cet opprobre. Ils font valoir qu'elle n'a jamais été condamnée pénalement, qu'elle n'a aucun antécédent juridique et n'a fait l'objet d'aucun signalement ; que les arrêts cités par le ministère public ne sont absolument pas transposables à sa situation ; qu'elle s'est montrée loyale envers le conseil de l'ordre et que, au moment de sa mise en examen et son placement sous contrôle judiciaire, elle ne pouvait pas connaître l'existence de huit autres mis en examen ; que son implication dans ce dossier pénal est faible.
Ils rappellent que Mme [U] a tout fait pour devenir avocat ; que malgré les obstacles qu'elle a dû surmonter, elle est là devant la cour désireuse de porter cette robe d'avocat qui est le but de son existence.
Mme [U], qui a eu la parole en dernier, confirme avoir déployé tous les moyens qui étaient à sa disposition pour alerter le Conseil de l'ordre et pour missionner ses avocats dans la procédure pénale pour alerter le bâtonnier de sa situation pénale.
SUR CE, LA COUR,
Sur la recevabilité de l'appel du ministère public
L'article 20 de la loi du 70-1130 du 31 décembre 1971 dispose que 'Les décisions du conseil de l'ordre relatives à l'inscription au tableau, à l'omission ou au refus d'omission du tableau, et à l'autorisation d'ouverture de bureaux secondaires ou à la fermeture de tels bureaux, peuvent être déférées à la cour d'appel par le procureur général ou par l'intéressé.'
L'article 16 du décret n° 91-1117 du 27 novembre 1991 précise que 'Le recours devant la cour d'appel est formé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au greffe de la cour d'appel ou remis contre récépissé au directeur de greffe. Il est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire.
Le délai du recours est d'un mois.
Sauf en matière disciplinaire, le conseil de l'ordre est partie à l'instance.
La cour d'appel statue en audience solennelle dans les conditions prévues à l'article R. 312-9 du code de l'organisation judiciaire et en la chambre du conseil, après avoir invité le bâtonnier à présenter ses observations. Toutefois, à la demande de l'intéressé, les débats se déroulent en audience publique ; mention en est faite dans la décision.
La décision de la cour d'appel est notifiée par le greffe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au procureur général, au bâtonnier et à l'intéressé.
Le délai d'appel suspend l'exécution de la décision du conseil de l'ordre. L'appel exercé dans ce délai est également suspensif.'
Selon l'article 102 du décret n° 91-1117 du 27 novembre 1991, 'Le conseil de l'ordre statue sur la demande d'inscription dans les deux mois à compter de la réception de la demande.
La décision du conseil de l'ordre portant inscription au tableau est notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception dans les quinze jours de sa date au procureur général, qui peut la déférer à la cour d'appel.
La décision portant refus d'inscription est notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception dans les quinze jours de sa date à l'intéressé et au procureur général, qui peuvent la déférer à la cour d'appel.
A défaut de notification d'une décision dans le mois qui suit l'expiration du délai imparti au conseil de l'ordre pour statuer, l'intéressé peut considérer sa demande comme rejetée et se pourvoir devant la cour d'appel.
L'article 16 est applicable aux recours formés en application des deuxième, troisième et quatrième alinéas. L'intéressé avise de sa réclamation sans délai, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, le procureur général et le bâtonnier.
Lorsque le procureur général défère une décision à la cour d'appel, il en avise le bâtonnier.'
Selon l'article 528 du code de procédure civile, le délai à l'expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement, à moins que ce délai n'ait commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date du jugement.
Le délai court même à l'encontre de celui qui notifie.
Et selon l'article 680 du même code, l'acte de notification d'un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l'une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ; il indique, en outre, que l'auteur d'un recours abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile et au paiement d'une indemnité à l'autre partie.
Aux termes d'une jurisprudence constante, fondée sur les dispositions de l'article 680 du code de procédure civile, la Cour de cassation juge que l'absence de mention ou la mention erronée dans l'acte de notification d'une décision de la voie de recours ouverte, de son délai ou de ses modalités, a pour effet de ne pas faire courir le délai de recours (par exemple, Civ 2 19 mai 1998, n° 96-16.706, Bull.civ II, n° 157; Civ 2 16 mai 2002, n° 01-02.300: Bull.civ II n° 100 ; Civ 2 12 février 2004, n° 02-13.332, Bull. Civ II, n° 57 ; Civ 2 15 novembre 2007, n° 04-11.163 et Civ 2 9 avril 2015, n° 14-18.772 et 1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 17-50.016).
Cette jurisprudence s'applique en faveur du parquet général lorsque les décisions d'un conseil de l'ordre ne mentionnent pas ces informations (voir notamment 1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 17-50.016, cité par le ministère public).
Il est constant et nullement contesté que ni l'extrait de la délibération de l'ordre, ni le procès-verbal de cette délibération ne mentionnent les voies de recours et les délais de recours de sorte que c'est à bon droit que le ministère public soutient que le délai de recours, en l'espèce, n'a pu commencer à courir.
Il s'ensuit que l'appel interjeté par M. le procureur général contre la décision rendue le 27 janvier 2022 par le conseil de l'ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine, déférée, est recevable.
Sur le fond
L'article 11, 4°,de la loi 70-1130 du 31 décembre 1971 dispose que 'Nul ne peut accéder à la profession d'avocat s'il ne remplit les conditions suivantes :
4° N'avoir pas été l'auteur de faits ayant donné lieu à condamnation pénale pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs'.
Selon l'article 17, 3°, de cette même loi, 'Le conseil de l'ordre a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession et de veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits. Sans préjudice des dispositions de l'article 21-1, il a pour tâches, notamment :
3° De maintenir les principes de probité, de désintéressement, de modération et de confraternité sur lesquels repose la profession et d'exercer la surveillance que l'honneur et l'intérêt de ses membres rendent nécessaire'.
Il résulte de ces textes que le candidat à l'inscription au tableau d'un ordre d'avocats doit présenter les conditions de moralité requises en vue de cette inscription. Il revient au conseil de l'ordre, ou à un membre de celui-ci délégué par lui, de vérifier la moralité des candidats en recueillant tous renseignements à cet effet. L'enquête, ainsi diligentée, a pour objet de rechercher si, par ses activités passées, ses attaches, son mode d'existence, son éducation, etc... le postulant présente les garanties suffisantes pour exercer dignement la profession d'avocat et en respecter les règles d'exercice. A diverses reprises, la jurisprudence a rappelé ces principes. En effet, les conseils de l'ordre ont, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, la mission de surveiller le recrutement de leur barreau et de n'y admettre que les postulants qui soient des guides sûrs et compétents, qui assurent le bon fonctionnement du service public auxquels ils sont appelés à collaborer. Si l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 énumère les conditions à défaut desquelles nul ne peut accéder à la profession d'avocat, il ne s'ensuit pas nécessairement que tout candidat qui satisfait à ces conditions doit être admis au barreau (voir, par exemple, 1ère Civ., 16 mai 1995, pourvoi n° 93-13.149, souligné par la cour, 'si l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 énumère les conditions à défaut desquelles il ne peut être accédé à la profession d' avocat , conditions auxquelles se réfère l'article 50-VII de ladite loi, il ne s'ensuit pas que tout candidat qui satisfait à ces conditions doive être admis au barreau et qu'il appartient au conseil de l'Ordre, comme à la cour d'appel saisie sur recours, conformément à l'article 17-3 , du même texte, de maintenir les principes de probité et de désintéressement auxquels sont soumis les membres de cette profession' ; ou encore 1ère Civ., 20 février 1985, pourvoi n 84-10.158).
Si rien dans la conduite et les antécédents du postulant n'est de nature à faire suspecter son honorabilité, sa demande doit être acceptée. En revanche, les conseils de l'ordre n'accomplissent pleinement leur mission que si, à la lumière de l'enquête approfondie prévue par la loi, ils écartent les postulants qui n'offrent pas les garanties morales que réclame la profession d'avocat. En outre, la jurisprudence confère au barreau le droit de vérifier si l'avocat remplit bien l'obligation de délicatesse qui lui est imposée.
C'est donc au Conseil de l'Ordre de vérifier la moralité du candidat, notamment en recueillant tous les renseignements à cet effet, qu'ils soient demandés à l'impétrant lui-même ou obtenus auprès du parquet. En pratique, le rapporteur qui est désigné doit réunir tous les éléments de nature à permettre au Conseil de l'Ordre de se prononcer sur la demande d'inscription dont il est saisi. Il ne doit pas se contenter des éléments fournis par l'impétrant.
Certes, le conseil de l'ordre dispose d'une certaine marge d'appréciation pour évaluer si le candidat satisfait aux conditions de moralité et peut être admis au Barreau, mais il exerce toujours ce pouvoir sous le contrôle de la cour d'appel qui ne pourra confirmer la décision d'admission du candidat à l'inscription au tableau que si elle est en mesure de s'assurer que l'enquête qui a été diligentée a permis au conseil de l'ordre d'apprécier de manière parfaitement éclairée que le postulant présente des garanties morales suffisantes pour exercer dignement la profession d'avocat et en respecter les règles et les devoirs inhérents à l'exercice de cette profession.
La jurisprudence de la Cour de cassation a rappelé à de nombreuses reprises que pour satisfaire aux exigences des textes susvisés le candidat à l'inscription au tableau devait se montrer d'une 'entière loyauté' à l'égard du barreau qui se disposait à l'accueillir et que des faits, même dépouillés de leur caractère délictueux, pouvaient justifier une non-inscription au tableau d'un ordre d'avocats pour peu qu'ils constituent des manquements aux obligations de probité, de loyauté, de délicatesse, de dignité ou/et d'honneur.
Ainsi, dans l'arrêt du 14 octobre 2015 (souligné par la cour), cité par le ministère public dans ses écritures, la Cour de cassation a précisé qu'il appartenait à cette candidate, 'tenue à une obligation de loyauté, d'informer complètement le conseil de l'ordre de la nature des faits qui lui étaient reprochés et de l'évolution de la procédure pénale'. En l'espèce, la haute juridiction a relevé que cette dernière n'avait pas informé son ordre de son audition sous le régime de la garde à vue.
Il découle de ce qui précède que les arrêts cités par le ministère public ne sont nullement des arrêts d'espèce, mais qu'ils énoncent une règle de principe fondée sur les dispositions des articles 11 et 17 précités et explicitent les obligations morales attendues d'un candidat à l'inscription au tableau d'un ordre d'avocats. Pèse donc sur ce candidat l'obligation d'entière loyauté qui suppose de lui l'information complète du conseil de l'ordre de sa situation pénale, c'est-à-dire des faits précis qui lui sont reprochés, et de l'évolution de la procédure pénale.
La cour doit ainsi, dans le cadre de la présente saisine, vérifier que le candidat n'a rien dissimulé au conseil de l'ordre qui se dispose à l'accueillir de nature à fausser son jugement. A supposer que le candidat ait respecté cette obligation de loyauté envers le barreau appelé à l'accueillir, il revient encore à cette cour d'apprécier s'il répond aux conditions morales lui permettant d'exercer dignement la profession d'avocat et d'en respecter les règles et les devoirs inhérents à l'exercice de cette profession et ce, quand bien même l'ordre des avocats aurait inscrit ce candidat au tableau. L'appréciation du conseil de l'ordre est en effet, comme rappelé précédemment, toujours soumise au contrôle de la cour.
Il apparaît dès lors à l'évidence que les dispositions susmentionnées et l'office de cette cour ne sont pas de nature à remettre en cause le principe fondamental de la présomption d'innocence puisqu'il n'est nullement question d'apprécier le bien fondé de la mise en examen de Mme [U], sa culpabilité et la peine à laquelle elle devrait être, le cas échéant, condamnée.
Le moyen tiré de l'atteinte à la liberté d'entreprendre des avocats n'est pas plus opérant dès lors que l'avocat est un auxiliaire de justice et que, ainsi qu'il l'a été développé précédemment, les ordres, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, ont pour mission de surveiller le recrutement de leur barreau et de n'y admettre que les postulants qui soient des guides sûrs et compétents, qui assurent le bon fonctionnement du service public auxquels ils sont appelés à collaborer. Le monopole de la représentation en justice accordé aux avocats suppose qu'ils présentent toutes les garanties requises non seulement de compétence, mais aussi, en particulier, d'honneur, de probité, de loyauté, de désintéressement, de délicatesse, et qu'ils les respectent.
En l'espèce, les faits reprochés à Mme [U] sont les suivants :
* pièce 2 du ministère public, l'interrogatoire de première comparution (IPC) de Mme [U] d'où il résulte que le 15 octobre 2020 elle a été mise en examen pour des faits de blanchiment en bande organisée (1) notamment de fraude fiscale et de travail dissimulé en bande organisée, commis de juillet 2016 jusqu'au mois d'août 2017 à [Localité 10], en Ile de France, sur le territoire national et de façon indivisible au Royaume-Uni, aux Emirats Arabes Unis, au Maroc, au Pakistan, en Thaïlande, faits prévus et réprimés par les articles 132-71, 324-1, 324-1-1, 324-3, 324-7, 324-8, 313-2 du code pénal ;
- en l'espèce en ayant apporté un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit, étant présidente à partir du 9 juillet 2016 de la société J2 France qui a fait l'objet d'une TUP (transmission universelle de patrimoine) au profit de la société Macar Group le 1er avril 2017 et gérante de la société SBC de juillet 2016 à août 2017, ou encore de la société Litorne dont elle était gérante jusqu'en décembre 2015 en :
a) réceptionnant sur le compte de la société J2 France :
- 260 K€ de la société BLMI/Financière de Prévention entre mars et décembre 2016 et 35 K€ de Eyden en janvier 2017, sommes constituant le produit direct ou indirect des délits notamment de fraude fiscale et le travail dissimulé en bande organisée (BLMI/Financière de Prévention ayant reçu via CSM Parisienne 1 145K€ provenant de Vigis Protection à hauteur de 907 K€),
- des sommes en provenance d'autres sociétés de sécurité (Alliance Sécurité 16K€ en juin 2017, Litorne 12K€ en février 2017, Delta Service 8K€, Mag Sécurité 6K€ en février 2017) constituant le produit direct ou indirect des délits notamment d'abus de biens sociaux de fraude fiscale et de travail dissimulé en bande organisée,
- le 2 août 2017, alors que le 25 juillet 2017 le nom commercial de J2 France a été modifié pour devenir Emand Consulting Limited, un chèque de 234K€ au nom de la société émiratie Emand Consulting Limited émis par la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Rivalan et Chauvière, huissiers de justice à [Localité 12] ;
b) effectuant à partir du compte de la société J2 France plusieurs virements entre juillet et décembre 2016 au profit de la société SBC dont elle était également gérante pour un total de 234K€, avant que, entre février et mai 2017, SBC effectue pour 335 000 euros de virements au profit de J2 France ;
c) versé à partir du compte de la société J2 France, entre novembre 2016 et juin 2017, 23K€ à la société PPA [Localité 10] Pièces Auto, gérée par [W] [A], son beau-frère, et spécialisée dans le commerce en gros de pièces automobiles ;
d) versé à partir du compte de la société J2 France :
- entre juin et novembre 2016 194 K€ à la société Stockomani, spécialisée dans le destockage de grandes marques,
- 6 715,83 euros en date du 6 juin 2017 au profit de la société allemande Montredo, spécialisée dans la vente de montres de luxe,
- 4 K€ à [X] [G] entre octobre et novembre 2017 ;
e) en transférant aux sociétés de droit émirati Quarter Limited (52 K€ en janvier 2017) et Emand Consulting (455 K€ de novembre 2016 à juin 2017) soit une somme totale de 507 K€ entre novembre 2016 et juin 2017, constituant le produit direct ou indirect des délits de fraude fiscale et de travail dissimulé en bande organisée ;
avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée.
2) Tentative de blanchiment en bande organisée
- tentative de blanchiment de tous crimes ou délit en bande organisée, notamment de fraude fiscale et de travail dissimulé en bande organisée faits commis courant 2016 à [Localité 10], en Ile de France sur le territoire national et de façon indivisible au Royaume-Uni et aux Emirats Arabes Unis faits prévus et réprimés par les articles 121-5, 132-71, 324-1, 324-1-1, 324-3, 324-4, 324-7, 324-8, 313-2 du code pénal ;
- pour avoir tenté de transférer à travers le compte CARPA du cabinet Lysandre à une société de droit britannique Europa Management dirigée par son beau-frère, frère de [T] [A], des fonds provenant de la société J2 France (74 K€) constituant le produit direct ou indirect des délits notamment de fraude fiscale et de travail dissimulé en bande organisée, la société J2 France ayant reçu notamment 260K€ de BLMI/Financière de Prévention et 35 K€ de Eyden, sommes constituant le produit direct ou indirect des délits notamment de fraude fiscale et de travail dissimulé en bande organisée, ladite tentative caractérisée par un commencement d'exécution (relevé d'identité bancaire délivré pour recevoir 74K€) n'ayant manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, en l'espèce, la vigilance de la CARPA et le blocage des fonds, avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée.
Lors de son IPC, elle contestait les infractions qui lui étaient reprochées ; admettait être toujours mariée à [T] [A], avocat, s'être rendue à plusieurs reprises avec lui à [Localité 9], ainsi qu'en Thaïlande où une entreprise en difficulté a été rachetée et à l'activité de laquelle elle avait participé, selon elle, à l'époque aveuglée par l'amour qu'elle éprouvait pour son mari ; avoir encaissé des sommes de la part des sociétés BLMI et J2 France à la demande de son époux sans se poser de questions sur l'origine des fonds ; prétendait ne pas avoir signé les documents faisant d'elle la présidente et l'unique associée de la société J2 France ; ne pas être au courant de son statut de gérante de la société SBC ou encore de la société Litorne ; n'être au courant d'aucun des virements effectués au profit de son compte bancaire en provenance des comptes de ces sociétés.
L'examen de son compte courant montrait qu'entre le 1er février 2017 et le 1er mars 2017 des sommes importantes avaient été virées, en provenance de l'étranger, sur celui-ci en particulier 40 000 euros et 20 000 euros et que trois chèques d'un montant total de 19 400 euros avaient été remis sur son compte. De même, entre le 1er mai 2017 et le 31 mai 2017, la somme totale de 175 000 euros avait été virée au crédit de son compte en provenance de l'étranger, certains virements motivés par l'écriture suivante 'remboursement cca (compte courant associé)'.
Mme [U] avait également été placée sous contrôle judiciaire le jour même avec interdiction de sortir des limites du territoire national métropolitain, d'entrer en relation avec sept autres mis en examen, nommément désignés, dont son mari (elle n'est pas encore divorcée de lui, puisque, dit-elle, le contrôle judiciaire lui interdit d'entrer en contact avec lui), par ailleurs avocat, et toutes autres personnes impliquées dans cette procédure pénale. Il lui était également fait obligation de remettre son passeport.
Le 17 mai 2022, Mme [U] était supplétivement mise en examen pour avoir à [Localité 10], en Ile de France entre le 1er janvier 2015 et le 31 janvier 2020, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription de l'action publique, apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit, en l'occurrence en réceptionnant sur son compte bancaire, sans que ces sommes ne correspondent à une prestation ou à une activité professionnelle avant de les utiliser pour des dépenses personnelles, des fonds de la société J2 France, des sociétés IVSD et BLMI/Prévention Sécurité, sociétés dirigées statutairement par [K] [M], de Proguard SSP, société dirigée statutairement par [X] [G], de [D] [L] et d'[T] [A] alors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération ne pouvaient qu'avoir pour justification de dissimuler l'origine ou le destinataire effectifs de ces biens ou revenus avec cette circonstances que les faits ont été commis en bande organisée faits prévus et réprimés par les articles 324-1, 324-1-1, 324-2, 324-3, 324-4, 324-5, 324-6, 324-7 et 324-8 du code pénal.
Le juge d'instruction a procédé à l'interrogatoire de Mme [U] le 17 mai 2022 et le 20 mai 2022. Durant ces interrogatoires, Mme [U] a persisté à contester les infractions pour lesquelles elle était mise en examen et placée sous contrôle judiciaire.
Il s'ensuit qu'au jour où elle a présenté sa candidature à l'inscription au tableau de l'ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine, elle était toujours mise en examen pour les faits pénaux qui lui ont été notifiés lors de son IPC et placée sous contrôle judiciaire comportant les mêmes interdictions et obligations (cf supra). Elle l'était encore au moment de la rédaction de sa lettre au bâtonnier du 14 octobre 2021 (pièce 5). Par voie de conséquence, au titre de son obligation d' 'entière loyauté', Mme [U] devait, peu important l'issue de la procédure pénale, peu important sa culpabilité ou son innocence, informer le conseil de l'ordre de sa mise en examen pour les faits de blanchiment en bande organisée, et tentative de blanchiment en bande organisée dans une affaire d'ampleur internationale, comportant au moins huit mis en examen, dont son mari, avocat ; elle devait également informer le conseil de l'ordre le plus précisément possible sur la nature des faits ayant conduit à sa mise en examen. Sans ces informations précises et exhaustives, elle privait le conseil de l'ordre de la possibilité de se prononcer sur cette candidature en toute connaissance de cause, ainsi, d'être suffisamment informé pour prendre une décision éclairée et apprécier si Mme [U] remplissait les conditions de moralité requises pour exercer cette profession d'avocat.
La cour relève en premier lieu que ni le bâtonnier en exercice à l'époque de la demande d'inscription de Mme [U], et toujours actuellement, ni le rapporteur désigné pour instruire l'enquête portant sur la moralité de l'impétrant, à savoir Mme [I], rapporteur général, ou/et M. [O] en qualité de rapporteur en charge d'effectuer la visite domiciliaire, n'ont attesté de la nature des renseignements recueillis à cette fin. A cet égard, la cour constate que les extraits des délibérations du conseil de l'ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine ne précisent nullement la nature des vérifications supplémentaires dont il était en attente le 13 janvier 2022 pour accéder à la demande d'inscription de Mme [U] (pièce 12 de Mme [U]). Le rapport de Mme [I], rapporteur général, n'est pas produit à la cour par le barreau de Nanterre. De même, le rapport de M. [O], rapporteur en charge de la seule réalisation de la visite domiciliaire, ayant cependant permis à Mme [U] d'être inscrite au tableau de l'ordre, n'est pas plus produit à la cour.
De plus, avisé de la date des plaidoiries et de la faculté qui était offerte à l'ordre des avocats pour répliquer aux écritures du ministère public, ce dernier n'a usé d'aucune de ses possibilités puisqu'il n'a ni répliqué, qu'il ne s'est ni présenté à l'audience solennelle ni ne s'est fait représenter. Le bâtonnier n'a pas plus fait parvenir son avis à la cour. Il n'était pas plus présent ou représenté à l'audience qui s'est tenue le 21 septembre 2022.
Il s'ensuit que la cour a été placée dans l'incapacité d'apprécier si le Conseil de l'Ordre s'est conformé aux obligations énoncées par les dispositions des articles 11-4°, et 17-3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 qui lui imposent de vérifier la moralité de la candidate.
S'agissant de la preuve fournie à la cour du respect par la candidate à l'inscription au tableau de l'ordre de son obligation de se montrer d'une 'entière loyauté' à l'égard du barreau qui se disposait à l'accueillir, en particulier les précisions données par elle sur la nature des faits qui lui sont reprochés pénalement et dont elle avait connaissance au jour de cette demande d'inscription, il résulte des pièces produites par cette dernière ce qui suit :
* lors de sa séance du 13 janvier 2022, après avoir entendu le rapporteur général, Mme [I], en son rapport, le conseil a reporté la demande d'inscription au tableau du barreau des Hauts-de-Seine de Mme [U] dans l'attente de vérifications supplémentaires (pièce 12 de Mme [U]) ;
* la demande d'inscription de Mme [U] a été acceptée le 27 janvier 2022, après avoir entendu M. [O] en qualité de rapporteur en charge d'effectuer la visite domiciliaire en son rapport.
Ces éléments ne sont absolument pas probants du respect par Mme [U] de l'obligation susmentionnée pour les raisons ci-dessus développées.
Il résulte encore des productions que :
* M. [N], son conseil dans la procédure pénale, précise, dans l'attestation qu'il a rédigée le 17 septembre 2022 (pièce 15, produite par Mme [U], souligné par la cour), 'vous m'interrogez sur les démarches réalisées auprès des services de l'ordre des Avocats des Hauts-de-Seine. A titre liminaire, je vous précise que j'assurais la défense de Mme [U] [P], avec mon confrère [F] [H], en tant qu'avocat choisi dès le stade de la garde à vue.
Considérant la situation inédite, me concernant, de défendre une élève avocate, ayant subi une perquisition, une mise en examen et placée sous contrôle judiciaire, je vous informe que j'ai pris attache le 19 octobre 2020 avec le service de déontologie du Barreau de Paris, pour m'entretenir de ce cas d'espèce et des obligations déontologiques qu'il imposait.
De cet échange, nous avons abouti à une constatation et une obligation. La constatation portait sur le vide juridique concernant la protection et le statut de l'élève avocat mis en cause dans une procédure pénale. L'obligation étant la nécessaire et complète information de la situation pénale de Mme [U] auprès de l'Ordre des avocats du barreau où elle souhaiterait se porter candidate à la prestation de serment.
En conséquence et conformément à la demande de Mme [U], j'ai pris attache avec mon confrère [Y] [O], membre du conseil de l'ordre du barreau des Hauts-de-Seine, par téléphone le 15 octobre 2021, pour l'informer de cette situation, en accord avec notre service déontologique. Puis, le 23 novembre 2021, mon confrère [H] a rencontré M. le Bâtonnier [V] du Barreau des Hauts-de-Seine. Enfin, j'ai contacté à nouveau mon confrère [Y] [O], par téléphone le 18 janvier 2022, car il avait été désigné par le Conseil de l'ordre et M. le Bâtonnier [V], pour effectuer une visite domiciliaire des locaux de Mme [U] pour son futur exercice, je l'ai donc interrogé sur l'éventuel nécessité de ma présence et sur les exigences particulières dans l'agencement des locaux.
La visite domiciliaire s'est déroulée le 24 janvier 2022 à 9h30. Outre la visite, la cliente m'a rapporté qu'elle avait été interrogée, par notre confrère [Y] [O], sur son contrôle judiciaire, et, en particulier, sur l'absence d'interdiction d'exercer la profession d'avocat'.
Les énonciations de cet avocat sont également peu précises. En effet, il se borne à relater qu'il a 'informé le conseil de l'ordre de cette situation (de Mme [U])'. Mais compte tenu des termes très généraux et imprécis, la cour est dans la plus parfaite incapacité de s'assurer quelle est la nature des faits qui a été portée à la connaissance de l'autorité chargée de se prononcer de façon éclairée sur cette demande d'inscription et ainsi vérifier que l'impétrant présentait les garanties suffisantes pour exercer dignement la profession d'avocat et en respecter les règles d'exercice. Il sera ajouté que ces énonciations très imprécises ne sont pas complétées par des informations précises de l'ordre, ni par les rapports établis par les délégués du conseil de l'ordre à l'occasion de l'enquête portant sur la moralité de l'impétrant.
Les pièces versées aux débats par Mme [U] enseignent encore que :
* le dossier d'inscription que Mme [U] a rempli contient la lettre suivante datée du 14 décembre 2021 ainsi rédigée par ses soins (pièce 11 produite par Mme [U], pièce 1 du ministère public, souligné par la cour) : 'Monsieur le Bâtonnier,
En vue de mon inscription au Barreau des Hauts-de-Seine, je fais suite à votre rencontre avec mon conseil M. [F] [H] en date du 23 novembre 2021.
Je tenais d'abord à vous préciser que j'ai à coeur d'exercer au sein du barreau d'un département que j'affectionne tout particulièrement. En effet, j'ai toutes mes attaches dans les Hauts-de-Seine, après y avoir grandi, étudié et réalisé mon parcours universitaire, étant issue de l'Université de [11].
A cet égard et conformément aux obligations déclaratives requises pour m'inscrire, je vous informe par la présente de ma mise en examen en date du 15 octobre 2020.
Je vous indique par ailleurs, que celle-ci est la conséquence d'une information judiciaire ouverte à l'égard de mon ancien compagnon, soupçonné d'avoir commis des infractions de nature financière, auxquelles je suis étrangère.
J'ai la conviction, compte tenu de mon innocence, de l'issue favorable de l'instruction à mon sujet.
Vous remerciant...' ;
* une déclaration sur l'honneur, jointe à sa demande d'inscription, datée et signée le 12 janvier 2022, (pièce 10 produite par Mme [U]) par laquelle elle affirme 'ne pas être interdit bancaire ni ... (mention cancellée absolument illisible pour la cour), que je n'ai pas fait l'objet d'un jugement de condamnation, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, ni d'une décision de déchéance, aussi bien en France qu'à l'étranger' et sur laquelle elle ajoute de manière manuscrite un 13ème point 'je suis mise en examen (voir courrier adressé au bâtonnier)'.
La lettre et la déclaration sur l'honneur susmentionnée sont également très peu précises sur la nature des faits qui a été portée à la connaissance de l'autorité chargée de se prononcer de façon éclairée sur cette demande d'inscription et ainsi vérifier que l'impétrant présentait les garanties suffisantes pour exercer dignement la profession d'avocat et en respecter les règles d'exercice. Comme le soutient le ministère public, il apparaît que Mme [U] a manifestement, dans cette lettre minimisé l'ampleur des faits pénaux qui la concernaient et qui font toujours l'objet d'une instruction judiciaire. Elle a, au reste, tu le fait que 'son ancien compagnon' était en réalité son mari puisque les liens matrimoniaux existaient à cette époque et, à la connaissance de la cour, existe toujours. De plus et surtout, le fait d'écrire avoir été mise en examen en conséquence 'd'une information judiciaire ouverte à l'égard de mon ancien compagnon, soupçonné d'avoir commis des infractions de nature financière, auxquelles je suis étrangère' ne peut correspondre, compte tenu de la nature des faits susmentionnés, à l'obligation d' 'entière loyauté' à l'égard du barreau qui se disposait à l'accueillir dont le respect est exigé d'un impétrant.
Il résulte encore des pièces versées aux débats par Mme [U] que :
* elle affirme avoir échangé avec le vice-bâtonnier lors d'une visite domiciliaire du 24 janvier 2022 initiée par l'ordre pour procéder à des vérifications supplémentaires à l'occasion de laquelle les sujets de son contrôle judiciaire ont été abordés et elle a pu confirmer n'être astreinte à aucune interdiction de gérer ou d'exercer (pièces 12 et 15 de Mme [U]) ;
* elle affirme avoir sollicité, un nouveau rendez-vous le 31 mai 2022, à la suite de ses deux auditions des 17 et 20 mai 2022 par le juge d'instruction, afin de tenir informé le bâtonnier de l'évolution de son dossier (pièce 18).
Cependant, la lettre du 17 septembre 2022 de M. [N], son conseil (pièce 15), ne fait que rapporter ses propos et ne confirme pas que son conseil aurait été témoin de cet échange. M. [O] ne confirme pas cet élément, au reste, la cour a précédemment déjà déploré l'absence totale d'information fournie par le Conseil de l'Ordre de nature à lui permettre d'apprécier s'il s'est conformé aux obligations énoncées par les dispositions des articles 11, 4°, et 17, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 qui lui imposent de vérifier la moralité de la candidate.
Enfin la pièce 18, présentée par Mme [U] comme la demande faite au bâtonnier d'un nouveau rendez-vous le 31 mai 2022, à la suite de ses deux auditions des 17 et 20 mai 2022 par le juge d'instruction, afin de le tenir informé de l'évolution de son dossier n'est pas aussi explicite qu'elle le prétend.
Cette pièce 18, qui est constituée d'un courriel adressé par Mme [U] à Mme [S], le 31 mai 2022, du barreau des Hauts-de-Seine, énonce ce qui suit (souligné par la cour) :
'Chère Madame,
Je vous prie de bien vouloir transmettre le courriel ci-dessous à M. le Bâtonnier en prévision de la prochaine audience qui se tiendra le 21 septembre prochain.
En vous remerciant par avance,
[P] [U]
Monsieur le Bâtonnier,
J'ai l'honneur de vous écrire afin de solliciter un rendez-vous auprès de vous.
Elève avocate, le Parquet s'est opposé à ma prestation de serment le 27 janvier 2022, contre l'avis du Conseil de l'ordre des avocats. Une audience est prévue devant la cour d'appel de Versailles le 21 septembre 2022.
Je souhaiterai m'entretenir avec vous au sujet de ce dossier et vous apporter des éléments nouveaux en vue de préparer cette échéance.
En effet, le calendrier d'audience est ainsi fait que nous devons, tant de mon côté que de celui de l'ordre des avocats, déposer des observations avant le 24 juin 2022.
Cette concomitance me laisse craindre que vos observations puissent ne pas tenir compte de certains éléments de ma défense, que j'aimerai pouvoir vous communiquer en amont.
Aussi seriez-vous disposé à m'accorder un rendez-vous, le cas échéant en présence de mon nouveau conseil, Me Binsard'
Je vous prie...'.
Ainsi, il ne résulte pas de cette pièce que Mme [U] ait entendu solliciter un rendez-vous aux fins d'informer l'ordre de l'évolution pénale de l'instruction en cours contre elle, mais qu'elle entendait préparer sa défense en vue de l'audience solennelle du 21 septembre 2022 et souhaitait que les observations de l'ordre des avocats attendues pour cette audience tiennent compte de ses propres écritures.
Il découle de l'ensemble des développements qui précèdent que Mme [U], en sa qualité de candidate à l'inscription au tableau d'un ordre, ne démontre pas avoir respecté l'obligation d'entière loyauté qui suppose d'elle l'information complète du conseil de l'ordre de sa situation pénale qui s'entend de tous les faits précis qui lui sont reprochés et de l'évolution de la procédure pénale.
Le conseil de l'ordre ayant placé la cour dans l'incapacité de vérifier qu'il a procédé à l'examen sérieux de la moralité de Mme [U], et celle-ci n'ayant pas rapporté la preuve d'avoir respecté son obligation de parfaite loyauté avec le Barreau des Hauts-de-Seine, la décision d'inscription entreprise ne pourra qu'être infirmée et la demande d'inscription de Mme [U] rejetée.
Mme [U] conservera la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, en audience solennelle, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
DÉCLARE recevable l'appel de M. le procureur général ;
INFIRME la décision rendue le 27 janvier 2022 par le conseil de l'ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine qui a accepté l'inscription au tableau du barreau des Hauts-de-Seine de Mme [U], de nationalité française, née le [Date naissance 1] 1987 à [Localité 8] (2A), sous réserve de sa prestation de serment ;
REJETTE, en conséquence, la demande d'inscription au barreau de Mme [U] ;
LAISSE à Mme [U] la charge des dépens.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie BOURGEOIS de RYCK, première présidente de chambre, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Première Présidente,