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08/11/2022 | FRANCE | N°20/06173

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 08 novembre 2022, 20/06173


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE

Code nac : 56Z





DU 08 NOVEMBRE 2022





N° RG 20/06173

N° Portalis DBV3-V-B7E-UGLF





AFFAIRE :



S.A. RTE RÉSEAU DE TRANSPORT D'ÉLECTRICITÉ

C/

S.A.S. FROMAGERIE DES CHAUMES





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Novembre 2020 par le Tribunal judiciaire de NANTERRE

N° Chambre :



N° Section :

N° RG : 18/06066



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES,



-la SCP PECHENARD & Associés







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 56Z

DU 08 NOVEMBRE 2022

N° RG 20/06173

N° Portalis DBV3-V-B7E-UGLF

AFFAIRE :

S.A. RTE RÉSEAU DE TRANSPORT D'ÉLECTRICITÉ

C/

S.A.S. FROMAGERIE DES CHAUMES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Novembre 2020 par le Tribunal judiciaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/06066

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES,

-la SCP PECHENARD & Associés

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A. RTE RÉSEAU DE TRANSPORT D'ÉLECTRICITÉ

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

N° SIRET : 444 619 258

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2064812

Me Laura SOULIER de la SCP RSG AVOCATS, avocat - barreau de TOULOUSE, vestiaire : 386

APPELANTE

****************

S.A.S. FROMAGERIE DES CHAUMES

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

N° SIRET : 314 830 183

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Gauthier MOREUIL de la SCP PECHENARD & Associés, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : R047 - N° du dossier 180171

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sixtine DU CREST, Conseiller chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

La société Fromagerie des Chaumes est propriétaire d'un terrain situé au [Adresse 1] sur lequel est édifiée son usine principale de fabrication de fromages. Ce terrain est traversé par la ligne électrique 63 000 volts [Localité 4] - [Localité 7] SNCF - [Localité 5], qui est exploitée par la société RTE en sa qualité de concessionnaire du réseau public de transport d'électricité. Ce terrain, ayant fait l'objet d'une servitude d'utilité publique au bénéfice de la société RTE, est traversé par des lignes et pylônes électriques.

Souhaitant agrandir ses bâtiments de production, la société Fromagerie des Chaumes s'est rapprochée de la société RTE au cours du second semestre 2016 afin de solliciter le déplacement de l'un des pylônes électriques. Lors des échanges, une divergence d'analyse s'est élevée entre la société fromagerie des Chaumes et la société RTE quant à la prise en charge des frais correspondant au déplacement du pylône électrique. En dépit de cette divergence, la société fromagerie des Chaumes et la société RTE ont conclu, le 3 janvier 2018, une convention d'études et de travaux (ci-après le " contrat ").

Par un courrier du 5 février 2018, le conseil de la société Fromagerie des Chaumes a mis en demeure la société RTE de confirmer qu'elle prenait à sa charge l'intégralité du coût des études et travaux, considérant que le pylône devait être déplacé aux frais du concessionnaire du réseau de transport d'électricité. La société RTE a refusé toute prise en charge, au fondement d'une convention de servitude conclue le 19 janvier 1922 entre la Compagnie des Chemins de Fer du Midi et Monsieur [Z], qui était alors propriétaire du terrain.

Suivant exploit d'huissier de justice du 22 juin 2018, la société Fromagerie des Chaumes a fait assigner devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Nanterre la société RTE en paiement des sommes d'argent avancées en vertu du contrat

Par jugement du 26 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- débouté la société Fromagerie des Chaumes de sa demande tendant à prononcer la nullité du contrat conclu le 3 janvier 2018 entre elle et la société RTE ;

- condamné la société RTE à prendre en charge l'intégralité des coûts des études et travaux exécutés en application de l'article 4 du contrat conclu le 3 janvier 201 8 entre la société Fromagerie des Chaumes et la société RTE et à rembourser les sommes d'argent qui auraient été payées par la société Fromagerie des Chaumes sur présentation de tout justificatif démontrant le paiement ;

- débouté la société Fromagerie des Chaumes de sa demande de condamnation aux intérêts et de leur capitalisation ;

- condamné la société RTE à payer à la société Fromagerie des Chaumes la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société RTE aux dépens ;

- ordonné l'exécution provisoire.

La société RTE a interjeté appel le 10 décembre 2020 à l'encontre de la société Fromagerie des Chaumes.

Par ses dernières conclusions signifiées le 27 août 2021, la société RTE, au fondement des articles 1130 et suivants du code civil, de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 et de l'article L. 323-6 du code de l'énergie, demande à la cour de :

-la déclarer recevable et bien-fondé en son appel ;

-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

o débouté la société fromagerie des Chaumes de sa demande tendant à prononcer la nullité du contrat conclu le 3 janvier 2018 entre la société fromagerie des Chaumes et la société RTE ;

o débouté la société fromagerie des Chaumes de sa demande de condamnation aux intérêts et de leur capitalisation ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

o condamné la société RTE à prendre en charge l'intégralité des coûts des études et travaux exécutés en application de l'article 4 du contrat conclu le 3 janvier 2018 et à rembourser les sommes d'argent qui auraient été payées par la société fromagerie des Chaumes sur présentation de tout justificatif démontrant le paiement ;

o condamné la société RTE à payer à la société fromagerie des Chaumes la somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

o condamné la société RTE aux dépens ;

o débouté la société RTE de l'intégralité de ses demandes ;

Et, statuant à nouveau,

- débouter la société fromagerie des Chaumes de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- débouter la société fromagerie des Chaumes de son appel incident ;

- condamner en toute hypothèse la société fromagerie des Chaumes à assumer la charge définitive du coût des études et travaux de déplacement de la ligne visés dans la convention du 3 janvier 2018, égal à 112.000 euros ;

- condamner la société fromagerie des Chaumes à payer à la société RTE une somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société fromagerie des Chaumes aux entiers dépens, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par d'uniques conclusions signifiées le 3 juin 2021, la société Fromagerie des Chaumes demande à la cour de :

A titre principal,

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

o débouté la société fromagerie des Chaumes de sa demande tendant à prononcer la nullité du contrat conclu le 3 janvier 2018 ;

o débouté la société fromagerie des Chaumes de sa demande de condamnation aux intérêts et de leur capitalisation ;

Et statuant à nouveau :

- prononcer la nullité du contrat conclu le 3 janvier 2018 ;

- condamner la société RTE à restituer à la société fromagerie des Chaumes, en deniers ou quittance, l'intégralité des sommes payées en exécution du contrat, augmentées des intérêts au taux légal à compter de chaque paiement effectué, avec capitalisation ;

A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions, mais l'infirmer en ce qu'il a débouté la société fromagerie des Chaumes de sa demande de condamnation aux intérêts et de leur capitalisation ;

En conséquence,

- condamner la société RTE à prendre en charge l'intégralité du coût des études et travaux exécutés en application du contrat conclu le 3 janvier 2018 et à rembourser à la société fromagerie des Chaumes l'intégralité des sommes payées à ce titre, augmentées des intérêts au taux légal à compter de chaque paiement effectué, ou à tout le moins à compter du 5 février 2018 date de la demande formée en ce sens, avec capitalisation ;

En tout état de cause,

- débouter la société RTE de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société RTE à payer à la société fromagerie des Chaumes la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société RTE aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 6 janvier 2022.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de l'appel

Il ressort des écritures susvisées que le jugement est querellé en toutes ses dispositions.

Sur la nullité de la convention d'étude et de travaux du 3 janvier 2018

Moyens des parties

Poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande, la société Fromagerie des Chaumes demande à la cour, au fondement des articles 1130, 1131 et 1140 du code civil, de prononcer la nullité du contrat du 3 janvier 2018 au motif qu'il aurait été conclu sous la pression d'une contrainte, celle de ne pouvoir mener des travaux indispensables à son outil de production.

La société Fromagerie des Chaumes fait valoir qu'elle avait insisté sur le caractère majeur de cet investissement pour son activité et sur la nécessité de réaliser les travaux rapidement pour éviter une délocalisation d'une partie de la production mais que la société RTE avait mis en avant l'urgence à signer un contrat afin que les travaux puissent coïncider avec son programme de maintenance, sous peine de prendre un retard considérable. Craignant d'exposer la pérennité de son activité, la société Fromagerie des Chaumes avait signé le contrat.

Poursuivant la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société Fromagerie des Chaumes de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du contrat du 3 janvier 2018, la société RTE fait valoir, au fondement de l'article 1140 du code civil, que c'est la société Fromagerie des Chaumes qui est à l'initiative des échanges précontractuels et des travaux, que l'urgence alléguée n'est pas démontrée et que son refus d'assumer financièrement le coût du déplacement du pylône et des lignes électriques ne peut être assimilé à une violence.

Appréciation de la cour

L'article 1130 du code civil dispose que l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.

Selon l'article 1131 du même code, les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat.

L'article 1140 du code civil précise qu'il y a violence lorsqu'une partie s'engage sous la pression d'une contrainte qui lui inspire la crainte d'exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable.

En l'espèce, force est de constater que la contrainte invoquée par la société Fromagerie des Chaumes n'est pas démontrée.

Alors que la société Fromagerie des Chaumes est à l'initiative des travaux (courrier du 10 octobre 2016 : pièce 8 de l'appelant), il ressort des échanges de courriels versés au débat qu'au cours des échanges qui ont suivi, la société RTE a invoqué une date limite de signature au 5 janvier 2018 pour que les travaux puissent coïncider avec son programme de maintenance et que, constatant les divergences, elle a proposé d'inclure au contrat une clause réservant à la société Fromagerie des Chaumes la possibilité d'introduire une action judiciaire en remboursement (pièce 4 de l'appelant).

La nécessité de coïncider au programme de maintenance de la société RTE ne constitue pas en soi une contrainte au sens de l'article 1140 du code civil, d'autant que la date limite de signature évoquée par les services de la société RTE était quinze mois après la prise d'initiative de la société Fromagerie des Chaumes ce qui laissait un temps relativement long aux échanges précontractuels. La société Fromagerie des Chaumes, qui avait elle aussi intérêt à ce que les travaux commencent rapidement, ne démontre pas la pression d'une contrainte qui lui aurait inspiré la crainte d'exposer son activité à un mal considérable.

Dès lors, la société Fromagerie des Chaumes sera déboutée de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du contrat du 3 janvier 2018. Le jugement, sur ce point, sera confirmé.

Sur la prise en charge du coût des études et travaux

Moyens des parties

Poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à prendre en charge l'intégralité du coût des études et travaux exécutés en application de l'article 4 du contrat du 3 janvier 2018, la société RTE demande à la cour, au fondement de la convention signée le 19 janvier 1922, de condamner la société Fromagerie des Chaumes à assumer cette charge, égale à 112 000 euros.

En substance, elle fait valoir que la servitude existante entre elle et la société Fromagerie des Chaumes est une servitude conventionnelle, ce qui exclut l'application des dispositions de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906, relative aux servitudes d'utilité publique, aujourd'hui codifié notamment à l'article L323-6 du code de l'énergie. Selon elle, le pylône et les lignes électriques en cause constituent une servitude objet d'une convention signée le 19 janvier 1922 entre la société Compagnie des chemins de fer du midi, aux droits de laquelle elle vient, et M. [Z], propriétaire du terrain, aux droits duquel vient la société Fromagerie des Chaumes. Elle ajoute que la pratique des servitudes conventionnelles est courante et permet l'intangibilité des ouvrages de transport de l'électricité afin de garantir leur pérennité, la sécurité du réseau et donc le service public.

Pour déterminer celui sur qui repose la charge du coût des études et travaux, elle se fonde sur les stipulations de cette convention du 19 janvier 1922, selon lesquelles le propriétaire " s'engage à n'exécuter aucun travail qui puisse être préjudiciable au fonctionnement ou à la solidité des canalisations, et à ne mettre aucune entrave à l'exécution du contrôle et de l'entretien des canalisations ". Contestant l'interprétation, selon elle " restrictive " du tribunal et adoptant une interprétation large du mot " travail ", la société RTE considère que si le concessionnaire vient à autoriser le propriétaire de la parcelle à réaliser ces travaux, rien ne justifie que le concessionnaire doive assumer le coût des travaux de déplacement de la ligne. Selon elle, dès lors que le concessionnaire peut légitimement, en application de cette convention, s'opposer à la réalisation des travaux envisagés par le propriétaire, il est en droit d'exiger, s'il accepte que ces travaux se réalisent, que les frais de déplacement de la ligne soient supportés par le propriétaire. Elle en déduit que la société Fromagerie des Chaumes doit en assumer le coût.

La société RTE conteste donc l'application de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906, aujourd'hui codifié notamment à l'article L323-6 du code de l'énergie, selon lequel " la servitude [d'une distribution d'énergie qui a été déclarée d'utilité publique] établie n'entraîne aucune dépossession. La pose d'appuis sur les murs ou façades ou sur les toits ou terrasses des bâtiments ne peut faire obstacle au droit du propriétaire de démolir, réparer ou surélever. La pose des canalisations ou supports dans un terrain ouvert et non bâti ne fait pas non plus obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir ".

Elle soutient que les servitudes d'utilité publique sont établies soit par arrêté préfectoral, conformément à l'article R. 323-14 du code de l'énergie et auparavant au décret n°70-492 du 11 juin 1970, soit par des conventions de servitude, quand un accord est trouvé avec le propriétaire, en application du décret n°67-886 du 6 octobre 1967 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique, toujours en vigueur.

Elle conteste que les dispositions de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 soient d'ordre public.

Ainsi, selon elle, en l'absence de convention de servitude, les dispositions de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 trouveraient à s'appliquer, et dans ce cas, le propriétaire de la parcelle pourrait exiger le déplacement de la ligne électrique lorsqu'il souhaite user de son droit de bâtir, et le déplacement serait alors réalisé aux frais du concessionnaire. Mais, selon la société RTE, il en va différemment lorsqu'une convention de servitude a été conclue : dans cette hypothèse, ce sont les stipulations conventionnelles qui s'appliquent.

Elle conclut que la société Fromagerie des Chaumes doit être condamnée à lui rembourser le coût intégral des études et travaux, qui s'élève à 112 000 euros, montant que la société RTE lui a versé en vertu de l'exécution provisoire prononcée en première instance.

Poursuivant la confirmation du jugement sur ce point, la société Fromagerie des Chaumes demande à la cour, au fondement de l'article 12, alinéa 9, de la loi du 15 juin 1906, devenu l'article L. 323-6 du code de l'énergie, de condamner la société RTE à prendre en charge l'intégralité du coût des études et travaux.

En s'appuyant sur le plan local d'urbanisme de la ville de [Localité 7] et les documents d'urbanisme de la ville de [Localité 6], elle fait valoir que la ligne haute tension en cause correspond à une servitude d'utilité publique et soutient, au fondement des articles 686, 649 et 650 du code civil, qu'une telle servitude ne peut faire l'objet d'une convention.

Elle soutient que les règles régissant les servitudes d'utilité publique sont d'ordre public de sorte que la convention du 19 janvier 1922 ne pouvait déroger à la loi du 15 juin 1906. Elle en déduit que le concessionnaire du réseau de transport d'électricité bénéficiaire d'une servitude d'utilité publique doit prendre en charge les frais inhérents au déplacement des ouvrages rendu nécessaire par les travaux projetés par le propriétaire.

Elle conteste que le décret de 1967 instaure la possibilité de déroger à ces règles, mais indique qu'il permet seulement de remplacer certaines formalités, et ajoute qu'en tout état de cause, il n'était pas applicable à la date de signature de la convention de 1922.

En outre, considérant le principe de l'effet relatif des contrats, elle estime que la convention de 1922 n'a pas été transmise aux concessionnaires successifs et n'est pas applicable à la société Fromagerie des Chaumes et, à supposer qu'elle soit applicable, elle fait valoir que cette convention ne déroge pas à la loi du 15 juin 1906 puisqu'elle ne contient aucune stipulation mettant expressément à la charge du propriétaire du terrain les frais de déplacement d'un pylône dans le cadre de l'exercice de son droit à bâtir.

Enfin, dans l'hypothèse où la cour considérerait les termes de la convention de 1922 ambigus, elle rappelle, au fondement des articles 1159 et 1162 du code civil, que les conventions s'interprètent par " ce qui est d'usage dans le pays où le contrat est passé " et " contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation ".

Appréciation de la cour

Selon les articles 637, 638 et 639 du code civil, une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire. La servitude n'établit aucune prééminence d'un héritage sur l'autre. Elle dérive ou de la situation naturelle des lieux, ou des obligations imposées par la loi, ou des conventions entre les propriétaires.

L'article 649 du code civil dispose que les servitudes établies par la loi ont pour objet l'utilité publique ou communale, ou l'utilité des particuliers.

L'article 650 du même code précise que celles établies pour l'utilité publique ou communale ont pour objet le marchepied le long des cours d'eau domaniaux, la construction ou réparation des chemins et autres ouvrages publics ou communaux. Tout ce qui concerne cette espèce de servitude est déterminé par des lois ou des règlements particuliers.

En l'espèce, il résulte de la convention du 19 janvier 1922 (pièce 3 de l'appelante et pièce 3 de l'intimée) et du plan local d'urbanisme de la ville de [Localité 7] (pièce 8 de l'intimée) que la ligne 63KV [Localité 4]-[Localité 7] SNCF - [Localité 5] impose une servitude d'ancrage, d'appui, de passage, d'élagage et d'abattage d'arbres, déclarée d'utilité publique, sur les terrains qu'elle traverse.

La convention du 19 janvier 1922 initialement signée entre la Compagnie des chemins de fer du midi et M. [Z], a été transférée d'une part, à la SNCF, à compter du 1er janvier 1938 en application du décret-loi du 31 août 1937, puis à la société RTE en application des articles 9 et 10 de la loi n°2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, et d'autre part, à la société Fromagerie des Chaumes actuel propriétaire du terrain. Elle prévoit que le propriétaire " s'engage à n'exécuter aucun travail qui puisse être préjudiciable au fonctionnement ou à la solidité des canalisations, et à ne mettre aucune entrave à l'exécution du contrôle et de l'entretien des canalisations ".

L'article L. 323-6 du code de l'énergie, issu de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie relatif aux concessions déclarées d'utilité publique, dispose que la servitude établie n'entraîne aucune dépossession. La pose d'appuis sur les murs ou façades ou sur les toits ou terrasses des bâtiments " ne peut faire obstacle au droit du propriétaire de démolir, réparer ou surélever ". La pose des canalisations ou supports dans un terrain ouvert et non bâti " ne fait pas non plus obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir ".

Il ressort du courrier du 10 octobre 1916 que la société Fromagerie des Chaumes envisageait d'agrandir sa surface d'affinage par la construction d'un bâtiment se situant sous la ligne 63 KV et de renouveler les toitures de ses bâtiments, renouvellement alors impossible dans des conditions de sécurité en raison de la présence des lignes (pièce 8 appelant). Ces travaux n'étaient donc pas susceptibles de porter directement atteinte au bon fonctionnement et à la solidité de la ligne 63 KV et n'étaient pas de nature à entraver son contrôle et son entretien. Toutefois, leur mise en 'uvre ne pouvait intervenir, dans des conditions de sécurité optimale, qu'en déplaçant la ligne 63 KV.

La question dont est saisie la cour est de savoir si la mise en 'uvre des travaux était soumise aux seules stipulations de la convention de 1922, ainsi que le soutient la société RTE, ou si elle était soumise aux dispositions de l'article 12 la loi du 15 juin 1906, codifiée notamment à l'article L. 323-6 du code de l'énergie, qui préservent le droit du propriétaire de démolir, réparer, surélever, de se clore ou de bâtir, et qui seraient, selon la société Fromagerie des Chaumes, d'ordre public.

Il ressort du rapport de l'année 2008 de la Cour de cassation, dans sa partie relative aux limitations à l'exercice du droit de propriété, que " le régime des servitudes instituées pour l'utilité publique est autonome, déterminé par des lois ou règlements particuliers, et les règles régissant les servitudes instituées pour les particuliers ne peuvent trouver application. (') Les règles régissant la matière étant d'ordre public, aucune dérogation ne saurait se concevoir, encore que l'assiette de la servitude puisse être parfois négociée " (pièce 10 de l'intimée).

Il en résulte qu'une servitude d'utilité publique relative à la distribution de l'électricité ne peut faire l'objet d'une convention qui dérogerait à la législation existante en la matière, laquelle est d'ordre public. Les servitudes imposées par l'autorité administrative lors de la division d'un fonds dans un but d'intérêt général ont un caractère d'ordre public interdisant aux particuliers d'y déroger unilatéralement (Civ 3e, 3 février 1982 80-14.632). Il s'ensuit que la convention du 19 janvier 1922 ne pouvait déroger aux dispositions de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906, lesquelles sont d'ordre public.

D'ailleurs, contrairement à ce que soutient l'intimée, l'article 1er du décret n°67-886 du 6 octobre 1967 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique, n'autorise pas d'y déroger par convention, mais permet de déroger à certaines formalités.

En effet, l'article 1er du décret prévoit que " une convention passée entre le concessionnaire et le propriétaire ayant pour objet la reconnaissance des servitudes d'appui, de passage, d'ébranchage ou d'abattage prévues au troisième alinéa de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 susvisée peut remplacer les formalités prévues au quatrième alinéa dudit article ". Or, le quatrième alinéa précité dispose que les travaux opérés par le concessionnaire d'une distribution d'énergie déclarée d'utilité publique doivent être précédés d'une enquête spéciale et d'une approbation du projet de détails des tracés par le préfet. Dès lors, contrairement à ce que prétend l'appelante, la convention mentionnée à l'article 1er du décret du 6 octobre 1967 ne permet que de déroger à certaines formalités étrangères au présent litige.

Au surplus, ce décret est postérieur à la convention de 1922 et ne peut donc être invoqué par l'appelante comme fondement de celle-ci.

Par ailleurs, les jurisprudences citées par l'appelante à l'appui de son moyen selon lequel une servitude d'utilité publique peut être conventionnelle et déroger à la loi du 15 juin 1906, ne sont pas opérantes dans la mesure où ces cas d'espèce concernent des servitudes qui n'ont pas été déclarées d'utilité publique au moment de l'acquisition du terrain et au moment où les travaux sont envisagés (Civ. 3e, 8 septembre 2016, 15-19.810 ; Civ. 3e, 9 juillet 2020, 19-14.212).

Il en résulte que la société Fromagerie des Chaumes avait le droit de bâtir, dans le cadre de l'usage normal de son droit de propriété, sans que la présence de la ligne 63 KV sur son terrain n'empêche la mise en 'uvre des travaux. Il appartenait à la société RTE, en tant que concessionnaire des installations de transport de l'électricité, bénéficiaire d'une servitude d'utilité publique, de prendre en charge ces travaux (Civ. 3e, 19 juin 2002, 00-11.904 ; Civ. 3e, 4 avril 2001, 00-70.079 ; Civ. 3e, 17 juillet 1972, 71-70223).

C'est donc à bon droit que la société RTE a été condamnée à prendre en charge l'intégralité des coûts des études et travaux exécutés en application de l'article 4 du contrat du 3 janvier 2018 et à rembourser les sommes d'argent qui auraient été payées par la Fromagerie des Chaumes sur présentation de tout justificatif démontrant le paiement. Le jugement, sur ce point, sera confirmé.

Sur la demande reconventionnelle de la société Fromagerie des Chaumes tendant à assortir la condamnation de la société RTE des intérêts à compter de chaque paiement avec capitalisation des intérêts

Moyens des parties

Poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande, la société Fromagerie des Chaumes sollicite, au fondement des articles 1302-3, 1343-2, 1352-6 et 1352-7 du code civil, la condamnation de la société RTE à la rembourser de l'intégralité des sommes payées augmentées des intérêts au taux légal à compter de chaque paiement effectué, ou, à tout le moins, à compter du 5 février 2018, date de la demande formée par son conseil à la société RTE, et avec capitalisation des intérêts.

Elle fait valoir que la mauvaise foi de la société RTE est inhérente à la violence exercée lors de la signature du contrat et qu'elle est établie dès lors que cette dernière, en sa qualité de concessionnaire du service public de transport de l'électricité, ne peut prétendre de bonne foi avoir ignoré les règles applicables en la matière et leur caractère d'ordre public.

Poursuivant la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société Fromagerie des Chaumes de sa demande de condamnation aux intérêts et de leur capitalisation, la société RTE fait valoir que les dispositions de l'article 1352-7 du code civil ne sont pas applicables en l'espèce, faute que soit rapportée la preuve de sa mauvaise foi. Elle considère au contraire avoir permis la réalisation des travaux en réservant la question de la charge définitive des coûts engagés.

Elle ajoute que la lettre du conseil de la société Fromagerie des Chaumes du 5 février 2018 ne contient aucune demande en paiement puisque les études et travaux n'avaient pas encore été facturés.

Appréciation de la cour

L'article 1343-2 du code civil dispose que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.

Par ailleurs, selon les articles 1352-6 et 1352-7 du code civil, la restitution d'une somme d'argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées entre les mains de celui qui l'a reçue. Celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu'il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu'à compter du jour de la demande.

En l'espèce, la société Fromagerie des Chaumes ne démontre pas la mauvaise foi de la société RTE, dont la qualité de concessionnaire et le désaccord sur la prise en charge des travaux ne suffisent pas à établir la mauvaise foi.

En revanche, contrairement au constat des premiers juges, la cour observe que la société Fromagerie des Chaumes a produit le courrier initial de mise en demeure de prendre en charge l'intégralité du coût des études et travaux, du 5 février 2018 (pièce 6 de l'intimée).

Par conséquent, le jugement sera infirmé et la société RTE sera condamnée à payer l'intégralité du coût des études et travaux avec intérêts au taux légal à compter de cette date.

Il sera en outre fait droit à la demande de capitalisation des intérêts formée par la société Fromagerie des Chaumes, en l'absence de faute ou de retard dans la réclamation de sa créance imputable à celle-ci.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le tribunal qui a exactement statué sur les dépens et les frais irrépétibles sera confirmé de ces chefs.

La société RTE, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera de ce fait rejetée.

Il apparaît équitable d'allouer à l'association Fromagerie des Chaumes la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La société RTE sera dès lors condamnée au paiement de cette somme.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Fromagerie des Chaumes de sa demande de condamnation aux intérêts et de leur capitalisation ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que la société RTE est condamnée à prendre en charge l'intégralité du coût des études et travaux exécutés en application de l'article 4 du contrat conclu le 3 janvier 2018 entre la société Fromagerie des Chaumes et la société RTE et à rembourser les sommes d'argent qui auraient été payées par la société Fromagerie des Chaumes sur présentation de tout justificatif démontrant le paiement, avec intérêts au taux légal à compter du 5 février 2018 ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts ;

CONDAMNE la société RTE à verser à la société Fromagerie des Chaumes 4000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société RTE aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

REJETTE tous autres demandes.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie LAUER, Conseiller, pour la présidente empêchée, et par Madame Natacha BOURGUEIL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Conseiller,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 20/06173
Date de la décision : 08/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-08;20.06173 ?
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