COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 54G
4e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 07 NOVEMBRE 2022
N° RG 20/01629 - N° Portalis DBV3-V-B7E-TZ3I
AFFAIRE :
S.A. ABEILLE IARD & SANTE, anciennement dénommée AVIVA
ASSURANCES
C/
S.A. CAISSE DE GARANTIE IMMOBILIERE DU BATIMENT 'CGI BATIMENT'
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Février 2020 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE
N° Chambre : 7ème
N° RG : 18/01920
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Christophe DEBRAY
Me Stéphanie TERIITEHAU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEPT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. ABEILLE IARD & SANTE, anciennement dénommée AVIVA
ASSURANCES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Maître Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et Maître Julien HOUYEZ de la SELARL CAILLE & HOUYEZ, Plaidant, avocat au barreau de LILLE, vestiaire : 0081
APPELANTE
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S.A. CAISSE DE GARANTIE IMMOBILIERE DU BATIMENT 'CGI BATIMENT', prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Maître Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 et Maître Claude VAILLANT de la SCP VAILLANT ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0257
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Septembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devantMonsieur Emmanuel ROBIN, Président, entendu en son rapport et Madame Séverine ROMI, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Emmanuel ROBIN, Président,
Madame Pascale CARIOU, Conseiller,
Madame Séverine ROMI, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,
FAITS ET PROCÉDURE
Le 29 septembre 2010, M. et Mme [O] ont conclu avec la société LKV Eco-logis un contrat de construction de maison individuelle ; un contrat d'assurance dommages-ouvrage a été souscrit auprès de la société Aviva assurances, également assureur de la responsabilité du constructeur, et la société CGI bâtiment a délivré une garantie de livraison. Les maîtres de l'ouvrage ont contesté les travaux réalisés par le constructeur et, par ordonnance de référé du 22 mai 2012, une expertise a été ordonnée ; la société LKV Eco-logis a été placée en liquidation judiciaire le 31 juillet 2013. À la suite du dépôt du rapport d'expertise, le 28 avril 2015, M. et Mme [O] ont conclu le 4 avril 2016 une transaction avec la société CGI bâtiment prévoyant le paiement par celle-ci d'une somme de 390 000 euros.
Par acte d'huissier du 14 février 2018, la société CGI bâtiment a fait assigner la société Aviva assurances devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin d'obtenir le paiement de la somme principale de 400 415 euros.
Par jugement en date du 20 février 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré le recours subrogatoire de la société CGI bâtiment recevable dans la limite de 390 000 euros et irrecevable pour le surplus ; il a condamné la société Aviva assurances à payer la somme de 352 094,43 euros, mais a débouté la société CGI bâtiment de sa demande relative aux pénalités de retard d'un montant de 37 905,567 euros, et a condamné la société Aviva assurances aux dépens et au paiement d'une indemnité de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'essentiel, le tribunal a considéré que la société CGI bâtiment exerçait contre la société Aviva assurances un recours subrogatoire à la suite du paiement fait entre les mains des maîtres de l'ouvrage de la somme de 390 000 euros, mais qu'elle ne démontrait pas s'être acquittée d'autres sommes ; au vu du rapport d'expertise selon lequel la reprise des désordres imposait la démolition et la reconstruction des fondations de l'ouvrage, le tribunal a estimé que les désordres relevaient de la garantie décennale des constructeurs ; en ce qui concerne le montant de l'indemnisation, le tribunal a retenu le coût des travaux de reprise et des dépenses qu'il estimait liées à la reconstruction totale de la maison, mais non les pénalités de retard.
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Le 11 mars 2020, la société Aviva assurances a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 4 mai 2021, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions déposées pour la société CGI bâtiment le 9 septembre 2020, ainsi que ses pièces.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 6 septembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience de la cour du 19 septembre 2022, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.
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Par conclusions déposées le 9 mai 2022, la société Abeille Iard & santé, venant aux droits de la société Aviva assurances, demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de déclarer irrecevables les demandes de la société CGI bâtiment ou de l'en débouter ; subsidiairement, la société Abeille Iard & santé invoque des franchises et des plafonds de garantie ; en tout état de cause, elle sollicite une indemnité de 10 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Abeille Iard & santé fait valoir que la société CGI bâtiment, subrogée dans les droits des maîtres de l'ouvrage, ne dispose pas de plus de droits que ceux-ci ; elle ajoute que les désordres qui lui ont été dénoncés, à savoir la présence de mérule dans des bois de coffrage et le défaut affectant des poutres du plancher haut du vide sanitaire ne relèvent pas de la garantie décennale, et que le défaut de conformité des fondations n'est à l'origine d'aucun dommage ; les autres défauts de conformités, notamment l'erreur d'implantation, ne lui auraient pas été déclarés et ne pourraient donc être pris en charge au titre de l'assurance dommages-ouvrage.
En ce qui concerne l'assurance de responsabilité souscrite par la société LKV Eco-logis, la société Abeille Iard & santé invoque l'irrecevabilité de la demande en raison de la prescription de l'action, engagée pour la première fois par conclusions du 9 avril 2019, en soutenant que l'action en responsabilité pour des défauts de conformité se prescrit par cinq ans à compter de la connaissance de ces défauts, en l'espèce le 29 mars 2012 ; au surplus ni la garantie de la responsabilité décennale du constructeur ni la garantie des dommages matériels consécutifs à un désordre relevant de la responsabilité décennale ne seraient mobilisables, faute de réception des travaux, et la garantie « effondrement » serait sans lien avec le litige ; la garantie de la responsabilité civile générale de l'entrepreneur ne couvrirait pas les dommages subis par les travaux de l'assuré. Subsidiairement, il y aurait lieu de tenir compte des limites contractuelles de la garantie de l'assureur et de réduire le montant des demandes en excluant les frais d'éclairage et de raccordement au tout-à-l'égout.
MOTIFS
Le tribunal a condamné la société Aviva assurances, aux droits de laquelle vient désormais la société Abeille Iard & santé, au titre de la garantie dommages-ouvrage. En appel, la garantie de la société Abeille Iard & santé n'est pas sollicitée sur un fondement différent. Dès lors, les moyens développés par l'assureur pour contester devoir sa garantie au titre d'une assurance de la responsabilité du constructeur sont sans objet.
Sur la garantie dommages-ouvrage
Conformément à l'article L.242-1 alinéa 1 du code des assurances, l'assurance dite dommages-ouvrage garantit, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs sur le fondement de l'article 1792 du code civil. Selon l'alinéa 8 du même article, cette assurance prend effet après l'expiration du délai de garantie de parfait achèvement visé à l'article 1792-6 du code civil ; toutefois, elle garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque, avant la réception, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d'ouvrage conclu avec l'entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations, ou lorsque, après la réception, après mise en demeure restée infructueuse, l'entrepreneur n'a pas exécuté ses obligations.
Ainsi, la garantie de l'assureur dommages-ouvrage, avant ou après réception, est due uniquement pour les dommages susceptibles d'engager la responsabilité de plein droit des constructeurs en application de l'article 1792 du code civil, à savoir ceux qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Par ailleurs, selon l'article L.242-1 alinéa 3 du code des assurances, l'assureur a un délai maximal de soixante jours, courant à compter de la déclaration du sinistre, pour notifier à l'assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat, et conformément à l'annexe II à l'article A.243-1 du même code, en cas de sinistre susceptible de mettre en jeu les garanties du contrat d'assurance de dommages, l'assuré est tenu d'en faire la déclaration à l'assureur et, pour être réputée constituée, cette déclaration doit notamment comporter la date d'apparition des dommages ainsi que leur description et localisation.
Il se déduit des dispositions ci-dessus, d'une part, que l'assuré n'est pas recevable à réclamer en justice une indemnisation à l'assureur des dommages subis par l'immeuble si ces dommages n'ont pas donné lieu au préalable à une déclaration de sinistre et, d'autre part, qu'en cas d'aggravation de ces dommages il incombe à l'assuré de souscrire une nouvelle déclaration précisant la date de cette aggravation ainsi que sa manifestation et sa localisation.
En l'espèce, selon le jugement déféré, le 26 mai 2014, M. et Mme [O], maîtres de l'ouvrage, ont déclaré à l'assureur dommages-ouvrage trois désordres : la présence de mérule dans le vide sanitaire, la non-conformité des fondations et le défaut de consolidation des poutres en plancher haut du vide sanitaire ; il n'est pas fait état d'une autre déclaration de sinistre.
Il résulte également du jugement déféré que, selon l'expert judiciaire, si les désordres étaient susceptibles d'évoluer, cependant ceux-ci n'entraînaient en l'état aucun dommage à l'ouvrage, ce dont le tribunal a déduit, sans être critiqué en appel, qu'aucune atteinte à la solidité de l'ouvrage dans le délai de la garantie décennale n'était démontré.
En effet, l'expert a précisé que la présence de mérule sur une quantité importante de bois abandonnée dans le vide sanitaire n'affectait pas l'ouvrage mais imposait seulement d'évacuer ce bois et de l'incinérer, que l'insuffisance d'enrobage des poutres du plancher haut du vide sanitaire pouvait seulement « à terme, générer un risque de déstabilisation de la portance du plancher », et que lors de ses opérations « il n'a pas été constaté de désordres au niveau des fondations ».
En outre, aucun élément ne permet d'affirmer qu'en raison des désordres dénoncés à l'assureur dommages-ouvrage la solidité de la maison se trouvera nécessairement compromise ou que cette maison deviendra impropre à sa destination, dans les dix ans suivant la réception.
Pour considérer néanmoins que l'assureur dommages-ouvrage devait sa garantie, le tribunal a relevé que la reprise des désordres affectant la maison, notamment ses fondations, imposait la démolition de l'ouvrage et le rendait ainsi impropre à sa destination.
Cependant, et même si la démolition de l'ouvrage peut être nécessaire pour le mettre en conformité avec les prévisions contractuelles, cette nécessité ne découle pas de l'existence d'un dommage qui compromet la solidité de la maison ou qui, par lui-même, la rend impropre à sa destination.
Dès lors, la société Abeille Iard & santé, assureur dommages-ouvrage qui ne peut être tenu de garantir des travaux de mise en conformité de l'ouvrage, est fondée à solliciter l'infirmation du jugement déféré et à demander que la société CGI bâtiment, subrogée dans les droits des maîtres de l'ouvrage, soit déboutée de son action à son encontre.
Sur les dépens et les autres frais de procédure
La société CGI bâtiment, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile. Les dépens pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du même code.
Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Les circonstances de l'espèce justifient de condamner la société CGI bâtiment à payer à la société Abeille Iard & santé une indemnité de 5 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés à l'occasion du présent procès ; elle sera elle-même déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement déféré ;
Et, statuant à nouveau,
DÉBOUTE la société CGI bâtiment de ses demandes contre la société Abeille Iard & santé, venant aux droits de la société Aviva assurances ;
CONDAMNE la société CGI bâtiment aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Abeille Iard & santé une indemnité de 5 000 euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Emmanuel ROBIN, Président et par Mme Kalliopi CAPO-CHICHI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,