COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 74D
DU 18 OCTOBRE 2022
N° RG 21/00949
N° Portalis DBV3-V-B7F-UJ7O
AFFAIRE :
S.A. SEM SEINE OUEST HABITAT ET PATRIMOINE
C/
S.A.S.U. [L] ENTREPRISE ET INGENIERIE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Janvier 2021 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 17/07604
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-l'AARPI JRF AVOCATS,
-Me Nathalie VERSIGNY
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX HUIT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. SEM SEINE OUEST HABITAT ET PATRIMOINE, venant aux droits de l'OPH SEINE OUEST HABITAT
agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
N° SIRET : 998 640 304
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Oriane DONTOT de l'AARPI JRF AVOCATS, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20210157
Me Julie GUEUTIER substituant Me Marc BELLANGER de la SELARL HMS AVOCATS, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P0014
APPELANTE
****************
S.A.S.U. [L] ENTREPRISE ET INGÉNIERIE, en liquidation amiable
représentée par son liquidateur M. [S] [L]
N° SIRET : 530 049 303 Nant
[Adresse 5]
[Localité 8]
représentée par Me Nathalie VERSIGNY, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : B0073 - N° du dossier 2170331
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Septembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie LAUER, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Sylvie BORREL, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
Aux termes d'un acte de vente du 11 juin 2015, la société [L] entreprise et ingénierie SAS, qui vient aux droits de la société [E] [J] [L] qui l'avait acquis elle-même le 3 novembre 1969, est propriétaire d'un terrain sis [Adresse 1], cadastré AI [Cadastre 4], d'une surface de 2 a 38 ca.
La parcelle Al [Cadastre 4] est desservie à l'Ouest par le [Adresse 9], sente publique piétonne, d'une largeur hors trottoir de 2,20 m à 2,30 m, qui ne permet pas une desserte suffisante de ladite parcelle, l'accès aux voies publiques par véhicules ne pouvant se faire que par l'[Adresse 7].
Par acte du 25 juillet 2017, la société [L] entreprise et ingénierie SAS a fait assigner l'office public de la société Seine Ouest habitat, en reconnaissance d'une servitude de passage légale, réelle et perpétuelle au bénéfice de la parcelle AI [Cadastre 4], fonds dominant, lui donnant le droit ainsi qu'aux futurs propriétaires de passer sur l'[Adresse 7] fonds servant, pour se rendre à leur fonds ou en revenir.
Elle sollicitait également la fixation des modalités de la servitude de passage mais a renoncé à cette demande en cours de procédure après avoir vendu le terrain.
Par jugement contradictoire rendu le 25 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- Donné acte à la société [L] entreprise et ingénierie SAS qu'elle se désiste de sa demande tendant à voir fixer les modalités de passage dont la parcelle AI [Cadastre 4] bénéficie sur la voie privée dite " [Adresse 7] ", la parcelle ayant été vendue le 18 juin 2019,
- Condamné l'OPH Seine Ouest habitat à payer à la société [L] entreprise et ingénierie la somme de 115,200 euros en réparation de son préjudice.
- Condamné l'OPH Seine Ouest habitat à payer à la société [L] entreprise et ingénierie la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné l'OPH Seine Ouest habitat aux dépens,
- Rejeté toute autre demande,
- Ordonné l'exécution provisoire.
Pour statuer ainsi, le jugement a retenu qu'il était établi par les pièces du dossier, notamment le rejet du permis de construire sollicité par la société [L] entreprise et ingénierie, que l'[Adresse 7] est une voie qui fait partie du domaine privé de l'OPH Seine Ouest habitat alors que ce dernier le contestait ; qu'il ne contestait pas toutefois l'exercice du droit de passage de la société [L] entreprise et ingénierie sur cette allée depuis plus de 30 ans ; que par application combinée des dispositions des articles 682 et 685 du code civil, l'action indemnitaire de l'OPH était prescrite ; qu'en conséquence, le défaut d'approbation de la convention de servitude de passage par l'OPH Seine Ouest habitat, non justifié, ayant été une des causes du rejet du permis de construire de la société [L] entreprise et ingénierie, cette obstruction avait été à l'origine d'un préjudice certain pour la demanderesse qui n'avait pu mener à bien son projet immobilier. Il a néanmoins estimé que dans la mesure où la société [L] entreprise et ingénierie n'avait pas modifié son projet de construction pour faire une nouvelle demande de permis de construire, dans le but de purger les non-conformités de son projet avec le plan local d'urbanisme, il y avait lieu de considérer que l'absence de reconnaissance de la servitude de passage par la défenderesse avait été l'origine d'une perte de chance pour la société [L] entreprise et ingénierie qu'il a évaluée à hauteur de 60 %.
La société Sem Seine Ouest habitat et patrimoine, qui vient aux droits de l'OPH Seine Ouest habitat, a interjeté appel de ce jugement le 12 février 2021 à l'encontre de la société [L] entreprise et ingénierie.
Par dernières conclusions notifiées le 05 novembre 2021 (synthèse reçue le 11 août 2022), la société Seine Ouest habitat et patrimoine demande à la cour de :
- Recevoir la société Sem Seine Ouest habitat et patrimoine en son appel et la déclarer bien fondée,
- Infirmer le jugement attaqué rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 25 janvier 2021 en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :
Vu les articles 682 et 685 du code civil,
Vu l'article 1240 (ancien article 1382) du code civil,
- Constater que l'action en indemnité au profit de l'OPH Seine Ouest habitat n'était pas prescrite et que ce dernier était fondé à solliciter le versement d'une indemnité compensatrice pour l'octroi d'une servitude de passage sur sa propriété,
- Constater que l'opposition de l'OPH Seine Ouest habitat au projet de convention fixant la servitude légale de passage n'a revêtu aucun caractère abusif et que l'OPH Seine Ouest habitat n'a commis aucune faute,
- Débouter la société [L] entreprise et ingénierie de l'ensemble de ses demandes et prétentions indemnitaires, en ce compris l'appel incident,
- Condamner la société [L] entreprise et ingénierie à verser à la société Sem Seine Ouest habitat et patrimoine la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
- Ordonner l'exécution provisoire.
Par dernières conclusions notifiées le 24 mai 2022, la société [L] entreprise et ingénierie demande à la cour de :
Vu les articles 682 à 685 1 du code civil,
Vu l'article 1240 du code civil,
Vu l'arrêté de refus de permis de construire du 9 septembre 2016,
Vu les pièces produites aux débats et notamment le courrier de l'OPH SOI du 06 décembre 2017,
- Déclarer la société Seine Ouest habitat et patrimoine mal fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de l'OPH Seine Ouest habitat et considéré que son " obstruction " était à l'origine d'un préjudice certain pour la société [L] entreprise et ingénierie,
- Réformer le jugement sur le montant de l'indemnité allouée en réparation à la société [L] entreprise et ingénierie,
- Condamner la société Seine Ouest habitat et patrimoine, venant aux droits de la société Office public de l'habitat Seine Ouest habitat à payer en deniers ou quittance à la société [L] entreprise et ingénierie la somme de 192.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- Condamner la société Seine Ouest habitat et patrimoine à payer à la société [L] entreprise et ingénierie la somme supplémentaire de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société Seine Ouest habitat et patrimoine en tous les dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera effectué pour ceux la concernant, par Mme [C], ès qualités, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 16 juin 2022.
SUR CE, LA COUR,
Les limites de l'appel
Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d'appel se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges. Cependant, la société SEM Seine Ouest Habitat, qui vient aux droits de l'OPH Seine Ouest habitat, modifie son argumentation et ne fait plus valoir que la servitude ne pourrait pas être établie notamment par la voie judiciaire au motif que son terrain serait situé sur le domaine public.
De son côté, la société [L] entreprise et ingénierie, qui a formé appel incident sur le quantum des dommages et intérêts qui lui ont été alloués en première instance, modifie la nature de son préjudice.
La faute reprochée à la société SEM Seine Ouest Habitat
La société SEM Seine Ouest Habitat poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a retenu implicitement dans ses motifs qu'elle avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil. À l'appui, elle fait valoir en substance que la parcelle AI n° [Cadastre 4], fonds dominant, n'est pas enclavée depuis plus de 30 ans et qu'elle l'est tout au plus par l'effet du changement d'exploitation de la parcelle tel qu'envisagé par la société intimée à l'aune de sa demande de permis de construire refusée le 9 septembre 2016. Elle précise qu'indépendamment de son caractère public ou privé, l'[Adresse 7] était ouverte à la circulation publique jusqu'en 2013, date à laquelle une barrière a été installée pour en restreindre l'usage dans le but de sécuriser les riverains et les locataires de l'OPH. Elle indique qu'à titre de tolérance, un " bip " a été donné au propriétaire de la parcelle AI n° [Cadastre 4] afin qu'il puisse bénéficier d'un accès suffisant à la voie publique au vu de l'utilisation de la parcelle. Elle en déduit que l'assiette d'un passage sur le fonds de l'OPH n'a pu s'acquérir par prescription. Elle convient toutefois que le fonds se trouve désormais enclavé dès lors que le projet de construction mentionne que chacune des deux constructions envisagées disposera de deux places de stationnement. Elle en déduit que la situation d'enclave n'a lieu d'être reconnue qu'à compter du 9 septembre 2016, date à laquelle le maire de [Localité 8] a opposé un refus de permis de construire à la société [L] entreprise et ingénierie, notamment en raison du problème d'accès à la voie publique. Par voie de conséquence, elle considère que cette date du 9 septembre 2016 constitue le point de départ de la prescription de sorte que, contrairement à ce qu'a retenu le jugement déféré, l'action en fixation du montant de l'indemnité ne saurait être considérée comme étant aujourd'hui prescrite de sorte qu'elle estime ne pas avoir commis de faute en ne régularisant pas la convention de servitude.
La société [L] entreprise et ingénierie conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a considéré que l'obstruction de l'OPH n'était pas justifiée. Elle expose que l'OPH, n'avait jamais contesté son droit à se voir reconnaître une servitude de passage sur le fondement de l'article 682 du code civil et qu'au contraire, il lui avait écrit le 6 décembre 2017 qu'il était à disposition pour établir un acte de reconnaissance de cette servitude sans versement d'une indemnité quelconque de sa part. Elle indique que toutefois, l'OPH n'a pas voulu signer cette convention sans raison, ce qui l'a mise dans l'impossibilité de poursuivre le projet de construction qu'elle avait envisagé sur ce terrain. À cet égard, elle reproche donc aux premiers juges d'avoir considéré que les parties étaient en désaccord quant au principe d'une indemnité de droit de passage. Elle observe en tout état de cause que les parties s'accordent pour dire que la parcelle se trouve désormais enclavée, la seule question restant à trancher étant celle du refus de l'OPH de régulariser la convention de servitude sur laquelle il avait donné son accord le 6 décembre 2017 et qu'il s'est empressé de donner aux acquéreurs de son fonds le 25 septembre 2020. Elle relève également que le jugement n'a pas retenu que l'exigence d'une indemnité était fautive de sorte que, d'après elle, le débat sur la prescription n'a pas lieu d'être.
Appréciation de la cour
En application de l'article 682 du code civil, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner.
En l'espèce, la société SEM Seine Ouest Habitat soutient en substance que l'absence de régularisation d'une convention de servitude ne peut lui être imputée à faute dès lors qu'en l'absence de prescription de l'action en indemnité, elle était fondée à solliciter une telle indemnité.
Toutefois, la prescription de l'assiette et du mode de servitude de passage ainsi que la prescription de l'action en indemnité, régies toutes deux par l'article 685 du code civil doivent être distinguées de la situation d'enclave elle-même régie par l'article 682 du code civil.
Or, l'état d'enclave n'est pas contesté à tout le moins à la date du 9 septembre 2016 puisque, à cette date, la société SEM Seine Ouest Habitat reconnaît que la société [L] entreprise et ingénierie ne peut assurer la desserte complète de son fonds, son projet de construction, comme la société SEM Seine Ouest Habitat le rappelle elle-même dans ses écritures, prévoyant que chacune des deux constructions envisagées disposera de deux places de stationnement. C'est donc dans ces conditions que le maire de [Localité 8] a refusé la délivrance de permis de construire en raison, notamment, d'un problème d'accès à la voie publique.
Pour autant, il ne saurait être retenu que l'état d'enclave ne remonte qu'au 9 septembre 2016 puisque comme l'observe avec justesse la société [L] entreprise et ingénierie, c'est dès l'acquisition initiale de ses auteurs en 1969, que ceux-ci ont toujours eu droit à une desserte complète du fonds pour y réaliser des opérations de construction. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société SEM Seine Ouest Habitat, l'action en indemnité était également prescrite.
La société SEM Seine Ouest Habitat n'a pas contesté cette situation d'enclave puisque dans un courrier du 6 décembre 2017 (pièce n° 1 de la société [L] entreprise et ingénierie), elle s'est dit non opposée à l'établissement d'une telle servitude et à une solution amiable.
Elle a même ajouté que l'assiette correspondrait à celle proposée par la société [L] entreprise et ingénierie dans le cadre de la procédure pendante devant le tribunal de grande instance de Nanterre, " sans versement de votre part, d'une indemnité quelconque et sans participer aux frais d'entretien. ". Dans ce courrier, elle a par ailleurs posé diverses conditions, toutefois sans incidence sur la solution du présent litige.
Ayant abandonné sa revendication indemnitaire, la société SEM Seine Ouest Habitat ne saurait soutenir que l'action en indemnité n'étant pas prescrite, ce qui n'était au demeurant pas le cas, l'absence de régularisation d'une convention de servitude ne peut lui être imputée à faute. Ce moyen est donc totalement inopérant. Au surplus, ce moyen est d'autant plus inopérant que par mail du 28 novembre 2018 (pièces n° 5 et 5 bis de la société [L] entreprise et ingénierie), le notaire de la société [L] entreprise et ingénierie avait informé l'OPH que sa cliente était d'accord pour payer l'indemnité de 16 000 euros à laquelle France domaines avait estimé la servitude.
La société SEM Seine Ouest Habitat reconnaît au demeurant que le fonds est enclavé à tout le moins depuis le 8 septembre 2016. Son refus de régulariser une servitude de passage a donc interdit à la société [L] entreprise et ingénierie de pouvoir bénéficier d'une desserte complète de son fonds. Il est donc fautif et susceptible d'engager, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, sa responsabilité si la société [L] entreprise et ingénierie justifie d'un préjudice en lien causal avec ce refus fautif.
Le préjudice et le lien de causalité
La société SEM Seine Ouest Habitat poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à indemniser la société [L] entreprise et ingénierie. À l'appui, elle fait valoir que cette dernière, qui a rompu toute discussion, a elle-même contribué à la réalisation de son préjudice, ôtant ainsi tout caractère direct entre la faute et le préjudice qu'elle estime avoir subi en ne menant pas à bien son projet immobilier. Elle soutient que la société [L] entreprise et ingénierie ne justifie d'aucune certitude à obtenir un permis de construire dès lors que les motifs de refus étaient particulièrement nombreux et avaient trait également à la méconnaissance de plusieurs dispositions du plan local d'urbanisme et de l'article R 111-27 du code de l'urbanisme. Elle en déduit que ces motifs, qui s'opposaient donc à la délivrance de tout permis, ne sont pas de nature à établir avec certitude qu'une convention de servitude de passage aurait été suffisante pour permettre à la société [L] entreprise et ingénierie de l'obtenir, d'autant que celle-ci n'a pas tenté de modifier sa demande. Elle précise d'ailleurs que le refus de permis de construire a été confirmé par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Par ailleurs, elle s'oppose aux demandes incidentes formées par la société [L] entreprise et ingénierie. Elle invoque le refus de celle-ci de poursuivre la négociation. Elle conteste le préjudice locatif invoqué devant la cour qui n'est selon elle que purement aléatoire, ceci d'autant plus qu'il ressort de l'arrêté municipal du 9 septembre 2016 que l'emprise et le volume des constructions auraient dû être revus à la baisse, réduisant d'autant la surface locative.
La société [L] entreprise et ingénierie a formé appel incident sur le montant des dommages et intérêts qui lui ont été alloués en première instance et qu'elle souhaite voir porter à la somme de 192 000 euros. À l'appui, elle fait valoir que l'arrêté municipal du 9 septembre 2016 précise que l'absence de desserte est une non-conformité à l'article UD 3-1 du PLU et que contrairement aux autres non-conformités, la purge du non-respect de cet article ne dépendait pas du pétitionnaire mais du bon vouloir d'un tiers, en l'occurrence l'OPH. Elle souligne que la convention consacrant la servitude de passage aurait pu être régularisée dès le 1er juin 2017, ce qui lui aurait permis de disposer dès cette date de tous ses droits sur son terrain. Quant aux autres prescriptions d'urbanisme, elle indique qu'il lui suffisait de redéposer un permis respectant ces prescriptions mais qu'un nouveau dépôt était inutile tant que la servitude de passage n'avait pas été reconnue dans une convention par décision de justice. Elle en déduit que l'OPH s'est ingénié à bloquer ces deux options et a ainsi gelé toute possibilité d'exploitation du terrain de sorte qu'elle n'a pu le mettre en location même de manière précaire jusqu'à sa vente le 18 juin 2019. En conséquence, elle invoque un préjudice de jouissance et financier exclusivement imputable à la résistance abusive de l'OPH dont elle se dit en conséquence fondée à demander réparation en fonction du prix moyen de location mensuelle au mètre carré qui n'a jamais été contesté, et rapporté à la surface de construction, cela sur une période de deux ans.
Appréciation de la cour
La cour observe en préambule qu'aucun préjudice locatif du terrain nu n'a été invoqué en première instance quand bien même la société [L] entreprise et ingénierie a utilisé la valeur locative du terrain pour chiffrer son préjudice. D'ailleurs, dans ses écritures, la société [L] entreprise et ingénierie rappelle elle-même que la situation de blocage causée par l'OPH l'a mise dans l'impossibilité de poursuivre le projet de construction qu'elle avait envisagé sur ce terrain. En outre, la cour rappelle que la société [L] entreprise et ingénierie avait déposé un permis de construire prévoyant la construction de deux maisons et que celui-ci lui a été refusé en l'absence de justification de l'existence d'une servitude grevant la parcelle AJ [Cadastre 2] appartenant à l'OPH Seine Ouest habitat au profit de la parcelle AI [Cadastre 4] appartenant à la société [L] entreprise et ingénierie, mais aussi pour non-respect de certaines dispositions d'urbanisme.
La société [L] entreprise et ingénierie reproche à la société SEM Seine Ouest Habitat une attitude de blocage mais si cette dernière n'avait pas eu cette attitude, c'est-à-dire avait régularisé la convention de servitude, la société [L] entreprise et ingénierie aurait eu la chance d'obtenir le permis de construire et de pouvoir mener à bien son projet immobilier. Le seul préjudice en lien avec le refus injustifié de régulariser la convention de servitude est donc, comme l'a exactement retenu le premier juge, la perte de la chance de pouvoir le mener à bien. De plus, aucune des productions de l'intimée ne justifie qu'elle ait eu à un quelconque instant l'intention de louer son terrain nu. Elle ne saurait donc invoquer ce préjudice pour la première fois à hauteur de cour dans le seul but, opportuniste, de contester le montant des dommages et intérêts qui lui ont été alloués en première instance.
Si elle fait valoir avec pertinence qu'il était inutile de redéposer une demande de permis de construire en l'absence de toute régularisation d'une convention de servitude, force est néanmoins de rappeler que l'inexistence de cette convention n'est pas le seul motif de refus du permis de construire. Et si la société [L] entreprise et ingénierie indique qu'elle était en mesure de déposer une demande conforme aux prescriptions d'urbanisme, aucune de ses productions ne vient en justifier.
C'est donc à bon droit que le jugement déféré l'a indemnisée de la seule perte de chance d'avoir pu obtenir le permis de construire et par conséquent de pouvoir mener à bien son projet immobilier, perte de chance qu'il a justement évaluée à 60 %. Le jugement déféré sera donc confirmé sur le montant des dommages et intérêts alloués à la société [L] entreprise et ingénierie.
Les demandes accessoires
Compte tenu du sens du présent arrêt, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a exactement statué sur les dépens ainsi que sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'y a pas lieu de faire applications desdites dispositions en cause d'appel.
La société SEM Seine Ouest Habitat, succombant plus largement en ses demandes que la société [L] entreprise et ingénierie, sera condamnée aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Nanterre,
Et, y ajoutant,
DIT que la société SEM Seine Ouest Habitat en refusant de régulariser une convention de servitude avec la société [L] entreprise et ingénierie a commis une faute de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société SEM Seine Ouest Habitat aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,