COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 83C
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 13 OCTOBRE 2022
N° RG 20/02844 - N° Portalis DBV3-V-B7E-UGR3
AFFAIRE :
[A] [K]
C/
S.A.S.U. SKF FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Novembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES
N° Section : I
N° RG : 19/00153
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me David METIN de l'AARPI METIN & ASSOCIES
Me Jean-Claude CHEVILLER
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TREIZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [A] [K]
née le 06 Septembre 1963 à [Localité 5] (45)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me David METIN de l'AARPI METIN & ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159
APPELANTE
****************
S.A.S.U. SKF FRANCE
N° SIRET : 552 048 837
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Halima ABBAS TOUAZI de la SCP SUTRA CORRE ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0171 - Représentant : Me Jean-Claude CHEVILLER, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0945
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Septembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,
FAITS ET PROCEDURE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée, Madame [A] [V] épouse [K] (la salariée) a été engagée à compter du 3 juin 2002 par la société Magnetic France, devenue la société par actions simplifiée unipersonnelle SKF France (l'employeur), en qualité d'assistante commerciale bilingue, puis elle a été promue au poste de responsable de service clients. La convention collective applicable est celle des Employés, Techniciens et Agents de maîtrise de la Métallurgie de la région parisienne.
Le 6 février 2018, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie ordinaire jusqu'au 5 avril 2018. Lors de la visite de reprise intervenue le 12 avril 2018, le médecin du travail a préconisé une reprise du travail à mi-temps thérapeutique. Elle a été placée de nouveau en arrêt de travail pour maladie ordinaire à compter du 27 août 2018.
Par lettre du 23 août 2018 remise en main propre le 27 août 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable à licenciement qui s'est tenu le 14 septembre 2018, puis elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle par lettre du 28 septembre 2018, avec dispense de préavis.
Par requête reçue au greffe le 5 mars 2019, Madame [A] [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles afin de contester la légitimité de son licenciement, de faire reconnaître l'existence d'une situation de harcèlement moral, et d'obtenir le paiement de diverses sommes.
Par jugement du 17 novembre 2020, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Versailles a :
- Dit que Madame [A] [K] était recevable en ses demandes ;
- Dit que la procédure de licenciement était régulière ;
- Dit qu'il n'y avait pas d'acte constitutif de harcèlement moral ;
- Dit que le licenciement était fondé sur une insuffisance professionnelle qui est une cause réelle et sérieuse ;
- Dit que la discrimination syndicale n'était pas établie ;
- Dit que le Syndicat CGT SKF n'avait plus d'intérêt à agir ;
- Débouté Madame [A] [K] de l'intégralité de ses demandes ;
- Débouté la société SKF France de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Débouté le Syndicat CGT SKF de sa demande de dommages et intérêts ;
- Débouté le Syndicat CGT SKF de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamné Madame [A] [K] aux dépens afférents aux actes et procédures d'exécution du présent jugement.
Par déclaration au greffe du 15 décembre 2020, Madame [A] [K] a interjeté appel de cette décision à l'encontre de la Sas SKF France, intimée.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 17 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la salariée demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris ;
statuant à nouveau,
sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail :
- juger que la SAS SKF France a commis des actes constitutifs de harcèlement moral ou, à tout le moins, d'exécution déloyale du contrat de travail ;
en conséquence,
- condamner la SAS SKF France à lui verser la somme de 10000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi ;
- juger que la SAS SKF France a commis des actes constitutifs de discrimination syndicale ;
en conséquence,
- condamner la SAS SKF France à lui verser la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi ;
sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail :
à titre principal,
- juger que son licenciement est nul ;
à titre subsidiaire,
- juger que son licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;
en conséquence,
à titre principal :
- condamner la SAS SKF France à lui verser une indemnité de licenciement nul dont le montant ne peut être inférieur à six mois de salaire : 95000 euros ;
à titre subsidiaire :
- condamner la SAS SKF France à lui verser une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse égale à 65532 euros ;
sur les demandes relatives au passage au statut « Cadre » :
- juger que le statut « Cadre » doit lui être appliqué ;
en conséquence,
- condamner la SAS SKF France à lui verser les sommes suivantes :
. à titre principal :
rappel de salaire : somme à parfaire ;
congés payés afférents (10%) : somme à parfaire ;
. à titre subsidiaire :
dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier du salaire de cadre : 10 000 euros ;
. en tout état de cause :
dommages-intérêts pour inégalité de traitement : 5000 euros ;
complément d'indemnité compensatrice de préavis : 13896 euros ;
congés payés afférents : 1389 euros ;
complément indemnité de licenciement : 18337 euros ;
sur les autres demandes :
- fixer la moyenne des salaires à la somme 4632 euros ;
- condamner la SAS SKF France à lui verser la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure de la société du 7 décembre 2018 en application des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil ;
- condamner la SAS SKF France aux entiers dépens y compris les frais d'exécution de la décision à intervenir.
La salariée fait essentiellement valoir que :
- en tant compte des pièces médicales, les éléments de fait qu'elle présente laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral s'agissant d'une surcharge de travail et de vaines alertes à ce sujet, du refus injustifié, discriminatoire et procédant d'une inégalité de traitement quant à son passage au statut cadre, d'une dégradation de ses conditions de travail par suite d'une réorganisation, d'une tentative de rétrogradation et d'évincement des effectifs, d'une atteinte à sa vie privée par la divulgation illicite de ses bulletins de paie au cours d'une instance judiciaire ;
- la discrimination syndicale qu'elle a subie fait suite à son adhésion au syndicat Cgt ; elle a fait l'objet de reproches injustifiés liés à son activité syndicale, et ce fait, ajouté aux faits précités, caractérisent cette discrimination ;
- le licenciement est nul dès lors que les insuffisances qui lui sont reprochées s'inscrivent dans le contexte de harcèlement moral dont elle a fait l'objet ;
- à titre subsidiaire, le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse en ce que la quasi-totalité des griefs sont imprécis et qu'ils sont infondés ;
- un rappel de salaire lui est dû par suite de l'inégalité de traitement subie par comparaison avec la situation de Monsieur [X] par non-passage au statut 'cadre'; pour ce faire, l'employeur doit fournir les bulletins de paie de ce dernier; à défaut, la perte de chance de bénéficier du salaire et de l'évolution salariale en raison de cette inégalité de traitement doit être indemnisée.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 15 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, l'employeur demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris,
en conséquence,
- dire et juger que Madame [K] n'a fait l'objet d'aucun acte constitutif de harcèlement moral;
- dire et juger que Madame [K] n'a été l'objet d'aucune discrimination syndicale, d'aucun traitement inégalitaire;
- débouter Madame [K] de toutes ses demandes fondées sur la revendication d'un passage cadre;
- la débouter de sa demande d'indemnité pour nullité du licenciement ;
- dire et juger que le licenciement de Madame [K] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
- la débouter de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
subsidiairement,
- rejeter la demande de Madame [K] tendant à voir écarter les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail fixant un barème d'indemnisation
- la condamner à la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'employeur fait essentiellement valoir que :
- la salariée n'a pas subi de harcèlement moral dès lors que :
. elle n'a été responsable service client qu'à compter de l'année 2015 dans le cadre de la création d'un tel poste au sein de la division 'Solutions Factory'; sa charge de travail n'a jamais été excessive et elle ne s'en est pas vraiment plaint ; le temps de travail a été adapté pour correspondre à un mi-temps thérapeutique conformément aux préconisation du médecin du travail ;
. la convention collective applicable ne prévoit pas de système d'automaticité pour le passage au statut de cadre ; elle a mis en place une procédure interne pour la promotion d'un 'administratif' ou 'technicien' au statut de 'cadre'; elle ne s'est pas engagée à la faire passer au statut cadre ; le 1er mai 2013, la salariée a été classée au niveau V échelon 3 coefficient 365 ; celle-ci a signé un avenant à son contrat de travail le 30 avril 2013 ; la comparaison avec d'autres salariés est inopérante ; Monsieur [X] justifiait de toutes les compétences attendues pour une telle promotion ; tous les autres salariés occupant de mêmes fonctions n'étaient pas cadres ; ceux qui l'étaient bénéficiaient d'un forfait en jours et non en heures ; la salariée ne réunissait pas les critères utiles et son passage à un poste dépourvu de management s'explique par ses difficultés dans ce domaine ; la classification dite Crc est fournie ;
. la perte de fonctions managériales a découlé de la signature de l'avenant précité en toute connaissance de cause ;
. la salariée évoque des réorganisations anciennes dont elle ne s'est jamais plaint et qui lui ont permis d'évoluer dans ses fonctions; en dernier lieu, elle n'a pas postulé sur le nouveau poste de responsable 'Solutions Factory';
. il n'est produit aux débats aucun élément établissant que la dégradation de son état de santé à compter du 6 février 2018 serait la conséquence de ses conditions de travail ; par avis du 12 avril 2018, le médecin du travail l'a déclarée apte à la reprise du travail à mi-temps thérapeutique, sans la moindre réserve concernant son environnement professionnel ;
- la discrimination syndicale alléguée ne peut résulter du fait unique lié à un mail du 22 mai 2018
qui lui rappelle qu'elle ne peut pas utiliser son temps de travail à d'autres activités que celles prévues au titre de ses fonctions ; celle-ci n'avait aucun mandat électif à cette date ;
- le licenciement n'est donc pas nul faute de harcèlement moral ;
- celui-ci repose sur une cause réelle et sérieuse, soit les insuffisances professionnelles de la salariée qui, notamment, a commis des erreurs, a montré des aptitudes insuffisantes et a délégué ses tâches ;
- le barème d'indemnisation prévu par l'article L 1325-3 du code du travail doit s'appliquer.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 8 juin 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le harcèlement moral et la discrimination syndicale :
Selon l'article L. 1152-1 du code du travail, 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.'
Il résulte des dispositions de l'article L. 1154-1 du code du travail que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments de fait présentés par le salarié laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, en raison, notamment, de ses activités syndicales, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable ; constitue une discrimination indirecte, une disposition, un critère ou une pratique, neutre en apparence, qui est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour une personne par rapport à d'autres en raison, notamment, de ses activités syndicales.
Selon les dispositions de l'article L 1134-1 du code du travail, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En tenant compte de l'arrêt de travail établi le 7 septembre 2018 par son médecin traitant évoquant un 'Burn out', les éléments de fait présentés par la salariée qui sont matériellement établis et qui considérés ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et d'une discrimination syndicale, sont les suivants :
- l'évocation d'une surcharge de travail en tant que responsable de service clients lors de ses évaluations pour les années 2009 et 2013 ;
- l'absence de concrétisation de son passage au statut 'cadre' malgré son évocation par sa hiérarchie et ses revendications, contrairement à Monsieur [X] qui occupait la même fonction qu'elle ;
- son affectation à un nouveau poste de responsable service clients qui sera dépourvu de management ;
- à la suite de la nomination d'un responsable à la tête de la structure où elle était affectée depuis 2015, l'affectation d'une salariée au niveau hiérarchique immédiatement supérieur au sien et à un poste dont la fiche comporte des similitudes avec la sienne, puis la décision de modifier l'intitulé de son poste que la responsable des ressources humaines indiquera répondre à 'une situation individuelle' lors de la réunion du comité d'entreprise du 25 mai 2018 ;
- un rapport d'enquête réalisé à la demande du Chsct par 'Technologia' sur les conditions de travail au sein du service clients ;
- un courriel de sa hiérarchie envoyé le 22 mai 2018 qui lui reproche l'exécution de tâches extra-professionnelles au profit de ' [L]', délégué du personnel Cgt.
Toutefois, pour sa part, l'employeur prouve que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et proportionnées à l'objectif légitimement poursuivi, puisqu'il produit des éléments desquels il résulte qu'il justifie :
- du caractère très ponctuel et nuancé des appréciations négatives de la salariée sur sa charge de travail, s'agissant notamment de ses évaluations annuelles ; ainsi, lors du bilan de l'année 2009, celle-ci a indiqué que le poste de responsable avait connu une 'belle évolution' quant à l'affirmation de son rôle au sein du 'Customer Service', que les perspectives étaient plus favorables en raison d'une prochaine réorganisation et qu'elle conservait une 'forte motivation' pour accroître la part de marché de la ' Mechatronic' et pour être 'pro-active' ; de même, le bilan 2013 a été l'occasion pour la salariée de relever, notamment, que ' Même si tous les objectifs ne sont pas atteints, constat est fait que l'équipe a aujourd'hui pris la mesure de ce qui est attendu d'elle et dispose de tous les outils nécessaires pour atteindre la performance requise. Je poursuivrai en 2014 1'objectif qui est celui du Groupe : développer les compétences et atteindre un niveau « unbeatable Customer Service '» ;
- du respect du mi-temps thérapeutique au moyen, notamment, de feuilles de présence ;
- de l'absence de tout engagement de sa part quant au passage de la salariée au statut 'cadre' que sa responsable hiérarchique, à l'issue de l'entretien d'évaluation de février 2011, a envisagé d'évoquer avec la responsable des ressources humaines dans un délai maximum de deux ans ;
- de la différence de parcours entre la salariée et le collègue auquel elle se compare engagé quatre ans avant elle en considération d'un 'niveau licence' supérieur au sien et passé cadre sur présentation de sa candidature près de quatorze années après son embauche sans application d'un régime dérogatoire mais en raison d'éléments objectifs, notamment, du bilan de ses actions en matière de formations et de missions, surtout, de la démonstration de ses fortes aptitudes à manager une équipe quand la situation de la salariée était plus contrastée dans ce domaine ;
- de l'acceptation par la salariée, en 2015, de son nouveau poste que les documents contractuels qu'elle a signés 'sans réserve' précisaient de manière non nuancée être dépourvu de tout management hiérarchique, eût-elle espéré lui 'donner toute sa dimension' pour lui 'permettre rapidement d'exploiter' un ensemble de compétences dont le management était l'une des composantes ;
- de la création d'un poste devant contribuer au développement commercial de la ' Solutions Factory' et situé à un niveau hiérarchique intermédiaire entre le manager et le poste occupé par la salariée en raison d'une plus-value organisationnelle et managériale, avec cette particularité que son titulaire devait être 'force de proposition'; du refus de la salariée, confirmé dans un mail du 2 février 2018, d'occuper ce poste auquel elle n'a pas postulé, portant un regard négatif sur son expérience passée de manager d'équipe ; plus généralement, de l'absence de toute rétrogradation ou tentative de rétrogradation de la salariée qu'il s'agisse de la création du poste précité et de la nomination à ce même poste d'une autre salariée ayant postulé et pourvue des compétences requises, ou d'un projet de changement du seul intitulé de son propre poste ;
- du contexte dans lequel est intervenu le rapport 'Technologia' à la suite de plaintes d'une partie du personnel quant aux incidences managériales d'une réorganisation des 'customers services' concernés, sans aucune réaction négative de la part de la salariée ;
- de la teneur et de la portée exactes des échanges par mails entre la salariée et sa hiérarchie le 22 mai 2018 desquels il ressort que si parmi un ensemble de dysfonctionnements évoqués, figurait celui relatif au temps de travail passé par la salariée à d'autres tâches que celles, dès lors retardées, relevant de ses missions contractuelles, s'agissant notamment d'un travail accompli pour '[L]', de telles observations étaient exemptes de tout caractère manifestement excessif ou disproportionné et sans allusion à une activité syndicale ni à un mandat électif, mandat que la salariée n'exerçait pas à cette date.
Au vu de ces éléments, aucun harcèlement moral ni aucune discrimination ne peuvent être retenus ; en conséquence, la salariée sera déboutée de ses demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour discrimination, de ses demandes financières au titre d'une inégalité de traitement par non-passage au statut 'cadre', comme de sa demande en nullité du licenciement qu'elle relie exclusivement à une situation de harcèlement moral.
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur :
Au vu des éléments soumis à l'appréciation de la cour et des développements qui précèdent, l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur ne résulte que de la divulgation sans autorisation par l'intéressée de données personnelles inscrites sur des bulletins de paie au nom de la salariée au cours d'une instance judiciaire relative à des élections professionnelles. Toutefois, la salariée ne justifie pas de la nature et de l'étendue de son préjudice en lien avec une telle exposition, limitée, notamment dans le temps, par suite des diligences accomplies par la société elle-même. La salariée sera donc déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts formée au titre d'une exécution déloyale du contrat de travail.
Sur le caractère justifié ou non du licenciement pour insuffisance professionnelle :
L'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Les faits invoqués par l'employeur doivent être objectifs, précis et matériellement vérifiables.
Dans la lettre de licenciement du 28 septembre 2018, qui fixe les termes du litige, les motifs du licenciement pour insuffisance professionnelle s'énoncent en ces termes :
« Suite à l'entretien préalable du 14 septembre dernier lors duquel vous avez été assistée par
Monsieur [L] [B], et au cours duquel nous vous avons exposé les faits que nous avions à vous reprocher et tenté de recueillir vos explications, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour les faits suivants.
Depuis le mois de juin 2015, vous avez poursuivi votre poste de Responsable Customer Services dans les activités de Services de la Solution Factory, toujours rattachée au Customer Services des ventes industrielles France.
Ayant dans votre poste précédent à couvrir une partie des activités de Services en tant que responsable d'une équipe, nous étions vous et nous confiants quant à votre capacité à prendre la responsabilité du Customer Service de l'ensemble des activités de Services.
Pourtant, des dysfonctionnements et difficultés d'appréhender les produits ont été remontés à votre manager fonctionnel, Monsieur [I] [F], dans les mois qui ont suivi votre prise de poste.
Nous avons pris le temps de vous accompagner et de vous former par les spécialistes des activités concernées. Nous avons été patients quant au niveau attendu, mais après deux ans et demi dans votre poste, nous n'avons pu vous faire gérer les offres sur l'ensemble des produits et solutions de la SF.
D'ailleurs, l'un de vos objectifs pour 2017 était : « autonomie pour la création des offres basic (hors projets) ». A fin 2016, vous n'aviez donc toujours pas acquis les bases pour les offres basiques et les retards de paiement après un et demi de poste aux services.
En décembre 2017, vous demandez alors une ressource supplémentaire, alors même que l'activité est modérée. La personne en contrat d'alternance passait alors 60 % de son temps pour 40K€ de chiffre et 45 commandes par an. Ainsi, en tant que responsable, vous ne faisiez pas l'association entre la charge et les ressources.
Par ailleurs, pour intégrer et déployer la dimension REP (Rotating Equipement Performance ' Performance des Equipements tournants), nous avons alors décidé d'ouvrir un poste de Responsable Customer Services sur l'ensemble des produits et solutions. Nous ne pouvions pas vous positionner à ce poste, ce qui aurait dû être le cas si vous aviez su assurer l'ensemble de votre fonction depuis 2015.
A la fin de l'année 2017, nous avons décidé de rattacher votre poste sous la responsabilité hiérarchique directe de Monsieur [W] [R], Responsable de la Solution Factory France. Les personnes de l'équipe ont continué de manifester leur mécontentement auprès de lui sur votre travail, et ce, à plusieurs reprises.
Le 11 janvier 2018, à l'occasion d'un entretien en présence également de Monsieur [I] [F], Monsieur [R] a partagé avec vous un bilan insatisfaisant sur votre activité.
Depuis le début du mois de février 2018, Madame [M] est devenue votre nouveau manager direct. Nous recevons votre arrêt de travail dès la notification de Madame [M]. A votre retour, ne concevant pas d'être managée par un membre de votre ancienne équipe, vous ne facilitez pas les échanges qui se dégradent.
Madame [M] confirme opérationnellement l'insuffisance professionnelle déjà relevée par Monsieur [R].
Cela se traduit par :
- Des erreurs répétées dans le traitement de vos dossiers. Votre manque d'organisation et de rigueur amènent par exemple, à l'affectation de mauvais fournisseurs, à l'envoi d'un testeur pour calibration à un autre partenaire, au non-respect des nomenclatures produits. C'est le cas dans les dossiers SIDEM, Renault, Devos, Puftechnik, Thionney/Synflex.
- Des commandes et relances qui ne sont pas traitées. Les process de traitement des commandes ne sont pas respectées chez Renault, générant des retards de paiement pour lesquels le responsable régional doit, par conséquent, s'impliquer.
En privilégiant l'action/réaction plutôt que d'approfondir vos offres, nous constatons par exemple des références mal écrites qui engendrent une commande de produits qui ne sont pas les bons.
- Des offres imprécises qui ne sont pas toujours lisibles et compréhensibles par les clients.
- Des offres qui ne sont pas à la hauteur des solutions que nous pouvons apporter. Vous n'avez toujours pas acquis la capacité à gérer des offres de solutions plus complexes au delà des offres produits basiques. Ainsi, les vendeurs se retrouvent dans l'obligation de vérifier les offres que vous établissez, et refaire certaines offres en quasi-totalité à votre place.
- Des process définis qui ne sont pas intégrés et une difficulté de votre part à traiter des dossiers qui nécessitent d'aller chercher au-delà.
- Un manque de repères, comme par exemple, des montants de factures ou des niveaux de remises supplémentaires avec l'incidence de la baisse de prix qui devraient vous alerter. Par exemple, une commande de logiciel avec un PS à 2,5 M€ (alors que le CA CoMo est de l'ordre de 1,7M€) que vous avez validé après qu'on vous ai posé la question. Autre exemple sur le même dossier : une facturation interne en code charge de 196K€ pour les licences RDC à refacturer à nos clients qui ne correspond pas à la réalité des affaires et pour laquelle vous ne pouviez pas retrouver le calcul de justification.
- Une « délégation » qui consiste à faire faire aux autres et leur renvoyer vos responsabilités, sans pour autant maîtriser vous-même les bonnes pratiques et utilisations des procédures. Vous dites d'ailleurs en entretien que dans vos fonctions précédentes, vous « gériez managérialement les offres » alors que c'était bien dans votre département que ces produits étaient traités. Vous n'avez pas su gérer la transition entre les deux alternants, laissant le nouveau être formé par le précédent, sans vous-même suivre sa formation aux process.
- Dans les projets comme celui dont vous avez pris l'initiative sur COMO Pricing au début de l'année 20016, nous nous sommes aperçus qu'il comportait des incohérences tarifaires même sur les références les plus courantes et un manque de compréhension des enjeux tarifaires (comme des collecteurs dont les offres varient de 4700 € à 8000 €). Monsieur [R] et vous avez eu des discussions au sujet de votre incompréhension pour le positionnement des tarifs ends users, OEM et Distributeurs.
Le projet tarification n'est toujours pas, de ce fait, validé.
Lors de l'entretien, vous contestez l'ensemble de ces reproches considérant :
- que les erreurs ne vous étaient pas imputables
- que les erreurs de nomenclatures n'avaient pas d'importance et que vous passiez les commandes qu'on vous demandait de passer. Et que COH fonctionne ainsi
- que vous n'êtes pas la seule à faire des offres et ne vous occupiez pas de celles de MEI et VESTAS
- que vous ne connaissez par le fournisseur Puftechnik, qui est pourtant un des réparateurs des systèmes Baker
- que vous ne gérez pas les retards de paiement
- que vous n'étiez pas seule et que ce n'était pas de votre faute
- que vous manquiez de support
- qu'il y avait eu une réorganisation
- que vous aviez un nouveau manager
- que votre poste n'a pas été aménagé suite à votre mi-temps thérapeutique
- que vous êtes victime d'une discrimination syndicale
- que vous êtes harcelée du fait de la place de votre bureau dans le service.
Ainsi, nous constatons aucune remise en question de votre part et les explications que vous avez fournies lors de l'entretien préalable du 14 septembre dernier ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits. L'insuffisance professionnelle que nous constatons depuis des mois ne nous permet plus de maintenir votre contrat de travail au sein de l'entreprise, ce qui nous contraint à vous notifier par la présente un licenciement.
Votre préavis, d'une durée de 3 mois, que nous vous dispensons d'effectuer, débute à la date de première présentation du présent courrier...'
En énonçant de tels motifs, objectifs, précis et matériellement vérifiables, l'employeur respecte l'obligation de motivation de la lettre de licenciement.
Il ressort des éléments soumis à l'appréciation de la cour, essentiellement des échanges de mails non sérieusement remis en cause dans leur caractère probant ni utilement contredits, que sur une période limitée à la fin de l'année 2017 puis durant les quelques mois au cours desquels elle a travaillé l'année suivante, la salariée a commis une accumulation d'erreurs dans le traitement des dossiers qui lui étaient confiés, qu'il s'agisse de mentions ou d'informations erronées ou incomplètes concernant les adresses des prestations elles-mêmes ou des clients, l'identification des dossiers, la tarification des produits, ou d'un suivi de dossiers défectueux en matière de classement et d'enregistrement, toutes anomalies qui sont sans lien avec un manque de formation ou d'accompagnement qu'elle estime avoir été insuffisants quand, notamment, elle a bien été accompagnée par des collègues qui en attestent, alors qu'elle bénéficiait de surcroît d'une expérience significative en matière d'activités de services d'un 'Customer Service'.
Pareillement, il résulte de mails que depuis 2015 la salariée n'assurait pas un suivi satisfaisant des paiments du client Renault, client important dont elle avait la charge pour la partie 'services', et que c'est en raison de cette situation et des retards qu'elle a engendrés dans le paiement de plusieurs milliers d'euros, ce dont s'est plaint un responsable commercial, que, dans un premier temps, la salariée a imaginé de recourir à un procédé consistant à faire un avoir pour ensuite refacturer, puis, dans un second temps, il a été nécessaire d'établir un process spécifique au début de l'année 2018.
De plus, il résulte d'échanges de mails qu'en raison de leur forme et de leur contenu dont l'amélioration ne requérait pas de formation ni d'accompagnement particuliers, des offres établies par la salariée et les explications ou informations données par celle-ci étaient à l'origine d'incompréhensions de la part de clients qui soit n'obtenaient pas de réponse technique adéquate, ce qui multipliait les échanges, soit recevaient des factures incomplètes avec des oublis ou des erreurs, ce qui pouvait générer des réactions négatives.
De la même manière, en janvier 2018, la salariée a été invitée à corriger une offre incomplète et ne répondant pas à l'intégralité de la demande du client et aux solutions proposées par la société, ce qui provoquait là encore des échanges et des démarches supplémentaires afin de corriger cet autre type d'erreurs. Ces difficultés dans la gestion d'offres sont corroborées par des mails relatifs à des erreurs de prix manifestes devant être corrigées ou à la nécessité de renvoyer la salariée à définir elle-même une offre adaptée.
S'il ne résulte pas des éléments soumis à l'appréciation de la cour que les autres points évoqués dans la lettre de licenciement peuvent être retenus, les erreurs répétées et les difficultés de la salariée à remplir ses missions mis en évidence supra sont de nature à justifier son licenciement pour insuffisance professionnelle.
La salariée sera donc déboutée de toutes ses demandes indemnitaires découlant d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les frais irrépétibles :
En équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.
Sur les dépens :
La salariée, partie succombante, supportera la charge des entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale et par mise à disposition au greffe :
Statuant dans les limites de l'appel ;
Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension et y ajoutant :
Déboute Madame [A] [V] épouse [K] de toutes ses demandes.
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Madame [A] [V] épouse [K] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,La PRÉSIDENTE,