COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 63B
DU 11 OCTOBRE 2022
N° RG 21/01157
N° Portalis DBV3-V-B7F-UKPJ
AFFAIRE :
[D] [B]
C/
Epoux [P]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Décembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de VERSAILLES
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 18/06587
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-la SCP COURTAIGNE AVOCATS,
-la SCP HADENGUE et Associés
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 04 octobre 2022, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Monsieur [D] [B], notaire associé, membre de la SCP [D] [B], Isabelle LERMINIER-GRANDIERE, Isabelle RIQUIER-NEUVILLARD, David VINCENT, titulaire d'un office notarial, venant au droit de de la SCP Lionel THOMAS, Marie-Hélène MORAND DE JOUFFREY, Jean-Marie BASTID et [D] [B]
N° SIRET : 304 906 993
né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 10]
[Adresse 4]
[Localité 6]
représenté par Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - N° du dossier 021512
APPELANT
****************
Monsieur [R] [P]
né le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 8]
de nationalité Française
et
Madame [O] [L] épouse [P]
née le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 9]
de nationalité Française
demeurant tous deux [Adresse 5]
[Localité 7]
représentés par Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE et Associés, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98 - N° du dossier 2000285
Me Elsa GIANGRASSO, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : A0438
INTIMÉS
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 Juin 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie LAUER, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Chloé DELALLE, Vice présidente placée,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte authentique du 8 janvier 2010, M. et Mme [P], ont acquis de M. et Mme [M] un bien immobilier situé [Adresse 5] au prix de 900.000 euros.
L'acte a été rédigé et dressé par M. [B], ès qualités, notaire.
A l'origine le bien constituait un propre de M. [M], marié sous le régime de la séparation de biens avec Mme [H], pour l'avoir acquis le 26 février 2002.
Puis, suivant acte reçu par M. [U], ès qualités, notaire, le 3 décembre 2004, M. [M] a fait donation à son épouse de 10% du pavillon avec réserve du droit de retour et interdiction d'aliéner et d'hypothéquer.
Mme [H] épouse [M] est intervenue à l'acte authentique du 8 janvier 2010.
En octobre 2017, M. et Mme [P] ont souhaité vendre ledit bien et ont signé une promesse de vente.
Mais les potentiels acquéreurs se sont désistés au motif que l'absence d'intervention des huit enfants de M. [M] à la vente du 8 janvier 2010 à l'effet de renoncer à agir en revendication contre le tiers acquéreur au titre de l'article 924 4 du code civil engendrait un risque d'éviction en cas d'action en réduction.
M. et Mme [P] se sont retournés vers M. [B], notaire, par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 mai 2018.
Leur courrier est resté sans réponse.
Par exploit d'huissier de justice délivré le 27 septembre 2018, M. et Mme [P] ont fait assigner M. [B], ès qualités, notaire associé de la SCP Lionel Thomas, Marie Hélène Morand de Jouffrey, Jean Marie Bastid et [D] [B] devant le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de Versailles en responsabilité civile professionnelle.
Par jugement contradictoire rendu le 31 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Versailles a :
- Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action,
- Condamné M. [B], ès qualités, notaire, à payer à M. et Mme [P] la somme de 80.000 euros en indemnisation de leur préjudice,
- Condamné M. [B], ès qualités, notaire, aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Mme Delorme Muniglia, ès qualités, avocat membre du cabinet Courtaigne, et Mme Cormary, ès qualités, avocat,
- Condamné M. [B], ès qualités, notaire, à payer à M. et Mme [P] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
M. [B], ès qualités, notaire, a interjeté appel de ce jugement le 19 février 2021 à l'encontre de M. et Mme [P].
Par dernières conclusions notifiées le 1er juin 2022, M. [B], ès qualités, notaire demande à la cour de :
Vu l'article 2224 du code civil,
Vu les articles 1240 du code civil,
Vu l'article 9 du code de procédure civile,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées aux débats,
- Recevoir M. [B], ès qualités, notaire, en son appel, l'y déclarer bien fondé et y faisant droit,
- Infirmer la décision dont appel,
Et statuant à nouveau,
- Déclarer l'action de M. et Mme [P] à l'encontre du notaire irrecevable comme se heurtant au délai de prescription,
- Débouter M. et Mme [P] de l'ensemble de leurs demandes,
- Mettre hors de cause M. [B], ès qualités, notaire,
- Condamner M. et Mme [P] à verser à M. [B], ès qualités, notaire, une somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Les condamner aux entiers dépens dont le montant sera recouvré par Mme Delorme-Muniglia, ès qualités, avocat membre du cabinet Courtaigne, sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par d'uniques conclusions notifiées le 26 juillet 2021, M. et Mme [P] demandent à la cour de :
Vu les articles 924 4 et 1240 du code civil,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la responsabilité de M. [B], ès qualités, notaire, était engagée,
- Infirmer le jugement quant au quantum de l'indemnisation du préjudice allouée,
- Condamner M. [B], ès qualités, notaire, à payer à M. et Mme [P], la somme de 300.000 euros au titre du préjudice subi,
- Condamner M. [B], ès qualités, notaire, à payer à M. et Mme [P], la somme de 8.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [B], ès qualités, notaire, au paiement des entiers dépens sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE LA COUR,
Les limites de l'appel
Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d'appel se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.
La prescription
M. [B] ès qualités, notaire, poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la presciption de l'action. Il invoque l'article 2224 du code civil tel qu'il résulte de la loi n°2008 561 du 17 juin 2008 et prétend que M. et Mme [P] ont parfaitement été informés des conditions d'acquisition de leur bien lors de la vente du 8 janvier 2010 comme elles étaient spécifiées au chapitre " origine de propriété " de l'acte de vente. Il souligne que l'acte mentionnait la donation dont Mme [M] avait été gratifiée de la part de son époux et que sa mission se bornait à ce que M. [M] lève les réserves relatives à cette donation, mission qu'il a parfaitement remplie.
Il affirme que les questions relatives à la prescription de la donation, à la consistance du patrimoine, à la réductibilité éventuelle de ladite donation ne relevaient pas de sa mission mais de celle du notaire l'ayant reçue le 3 décembre 2004.
M. et Mme [P] concluent à la confirmation du jugement sur ce point. Ils opposent qu'ils ne peuvent avoir été complètement informés des conditions d'achat de leur bien dans l'acte de vente puisqu'est précisément reproché à l'appelant un défaut de conseil, celui de ne pas avoir attiré l'attention de ses clients sur le risque lié aux conditions d'acquisition du bien de sorte qu'ils étaient parfaitement dans l'incapacité de tirer seuls les conséquences juridiques emportées par la simple mention de la donation de 10% de la valeur du bien. Ils s'appuient sur une jurisprudence constante de la Cour de cassation sur ce point (1re Civ, 9 juillet 2009, n °08-10.820, Com., 26 janvier 2010, 1re Civ. 11 mars 2010, n°09-12.710, 3e Civ., 6 octobre 2016, n°15-14.417, Com., 25 octobre 2017, n°16-15.116).
Appréciation de la cour
En application de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En l'espèce, c'est aux termes d'exacts motifs adoptés par la cour que les premiers juges ont rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action. Il suffit d'ajouter qu'il ne peut être sérieusement soutenu que la seule mention de l'existence de la donation dans l'acte de vente litigieux aurait permis à M. et Mme [P] d'avoir connaissance des conséquences de cette donation alors qu'il est précisément reproché au notaire de ne pas avoir attiré leur attention sur celle-ci, l'article 924-4 du code civil étant au demeurant une disposition d'une particulière technicité. M. [B] ne plus sérieusement se retrancher derrière le fait qu'il n'a pas reçu lui-même l'acte de donation alors que, ayant reçu la vente litigieuse, il lui appartenait d'en assurer l'efficacité comme il sera développé ci-après.
Les conséquences éventuelles de cette donation ayant été révélées aux acquéreurs en 2017 lorsqu'ils ont essayé de revendre le bien.Le point de départ de cette prescription quinennale de l'article 2224 du code covil a donc commencé à courir à cette date pour expirer en 2022 de sorte que, en engageant leur action en responsabilité contre le notaire le 27 septembre 2018, leur action n'était pas prescrite. Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.
La faute
M. [B] poursuit l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu qu'il avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil. Il prétend que tel n'est pas le cas d'autant que Mme [M], donataire, ne vendait pas seule mais avec son époux, donateur et que tous deux par conséquent garantissaient les acquéreurs contre tous troubles d'éviction conformément à l'article 1626 du code civil.
Il fait valoir que les huit enfants de M. [M] ne peuvent engager une action sur le fondement de l'article 924-4 du code civil, qui tendrait à l'éviction des acquéreurs sous le prétexte qu'ils n'auraient pas donné leur accord à la cession de la quote part de 10% de leur mère sur le bien, puisqu'ils auront du chef de leur père, lorsqu'ils hériteront de sa quote part à hauteur de 90%, l'obligation de garantir les tiers acquéreurs d'une telle action puisque M. [M] a conservé, après la donation faite à son épouse, 90% des parts du bien.
Il souligne que les héritiers réservataires n'étaient pas en mesure de donner un quelconque consentement à la donation litigieuse du fait de leur minorité et que si les vendeurs avaient dû recourir à l'intervention d'un juge des tutelles pour faire intervenir les enfants, la vente ne se serait pas faite compte tenu des délais nécessaires pour obtenir une telle intervention et au regard, notamment, des conditions suspensives attachées à la promesse de vente signée le 3 octobre 2009 (soit 3 mois avant la vente) (pièce n°1).
Par ailleurs, il avance que les intimés commettent une confusion manifeste entre les rôles respectifs de M. [B], notaire, qui a procédé à la vente litigieuse et M. [U], notaire, qui a procédé le 3 décembre 2004 à l'acte de donation de M. [M] au profit de son épouse de 10% dudit pavillon avec réserve du droit de retour et de l'interdiction d'aliéner et d'hypothéquer de sorte que les questions relatives la prescription de la donation, à la consistance du patrimoine, à la réductibilité éventuelle de ladite donation ne relevaient pas de sa mission (pièce n°1 p19).
Enfin, l'appelant rappelle que l'acte de vente a été précédé d'une promesse de vente sous signature privée du 3 octobre 2009 et invoquant la jurisprudence (1re Civ., 18 décembre 2002, n°99.15187 et 1re Civ., 28 novembre 1995, n° 93.17473), il rappelle qu'il n'y a plus de place pour le devoir de conseil dans une telle situation qui engage irrévocablement les promettants.
Très subsidiairement au regard de l'article 924 alinéa 1 du code civil tel qu'il résulte de la loi n°2006 728 du 23 juin 2006, il rappelle que dans l'hypothèse où il y aurait une action en réduction engagée, il faudrait que celle-ci ne puisse pas s'exercer en valeur contre le donataire vendeur pour que le tiers acquéreur soit inquiété.
M. et Mme [P] concluent à la confirmation du jugement sur ce point. Ils invoquent la jurisprudence fondée sur les articles 924-4 et 1240 du code civil et le devoir de conseil qui incombe au notaire (1re Civ., 20 mars 2014, n°13 12.287, 3e Civ., 6 octobre 2016, n 14 23.375, Com., 22 mars 2017, n 15 18.405, 1re Civ., 20 mars 2014, n°13 12.190,1re Civ., 09 juin 2011 n°07 20.959 et Cass. Re Civ., 16 décembre 2015, n°14-26-758). Ils soulignent ainsi qu'il était à tout le moins du devoir de Me [B] d'informer les acquéreurs du risque d'action en réduction et de ses conséquences, afin que le consentement de ces derniers soit éclairé, en cas d'impossibilité de faire intervenir les cohéritiers à l'acte.
A ce titre, ils reprochent à M. [B], notaire, d'avoir commis une double faute puisqu'il lui incombait selon eux d'informer les acquéreurs d'un immeuble acquis totalement ou partiellement par donation, sur les risques d'une éventuelle action en réduction qui serait engagée par les héritiers réservataires et de faire intervenir ces derniers pour consentir à l'aliénation.
Ils lui reprochent donc de ne pas avoir fait intervenir à l'acte les héritiers réservataires dans le but d'obtenir leur renonciation à exercer l'action en réduction.
Ils estiment que la minorité des héritiers ne les privait pas du droit d'être représentés, au besoin avec l'intervention du juge des tutelles qui aurait pu selon eux rendre une décision utile sur le temps de la vente.
A tout le moins, ils soutiennent que Me [B] aurait dû informer et prévenir ses clients des risques encourus. Ils rappellent qu'en la matière, la charge de la preuve pèse sur le notaire de sorte qu'il lui appartient d'attester de l'accomplissement de ses devoirs professionnels (1re Civ. 25 février 1997, n°94 19.685 ). Or, ils considèrent que la preuve de l'accomplissement de ce devoir ne figure pas dans l'acte de vente.
Sur l'existence d'une promesse signée en l'absence de cette information nécessaire, M. et Mme [P] estiment que celle-ci est plutôt un facteur aggravant de la responsabilité de M. [B], notaire, puisque les héritiers auraient pu intervenir à l'acte dans le délai laissé entre la promesse et la vente authentique.
Appréciation de la cour
Le notaire est tenu dans l'exercice de son devoir de conseil d'assurer l'efficacité des actes qu'il rédige et d'éclairer les parties sur les règles de droit applicables eu égard au but qu'elles poursuivent et, faute de s'être exécuté, il engage sa responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
L'article 924-4 alinéa 1er du code civil dispose qu'après discussion préalable des biens du débiteur de l'indemnité en réduction et en cas d'insolvabilité de ce dernier, les héritiers réservataires peuvent exercer l'action en réduction ou revendication contre les tiers détenteurs des immeubles faisant partie des libéralités et aliénés par le gratifié. L'action est exercée de la même manière que contre les gratifiés eux-mêmes et suivant l'ordre des dates des aliénations, en commençant par la plus récente. Elle peut être exercée contre les tiers détenteurs de meubles lorsque l'article 2276 ne peut être invoqué.
L'alinéa 2 de cet article dispose que lorsque, au jour de la donation ou postérieurement, le donateur et tous les héritiers réservataires présomptifs ont consenti à l'aliénation du bien donné, aucun héritier réservataire, même né après que le consentement de tous les héritiers intéressés a été recueilli, ne peut exercer l'action contre les tiers détenteurs.
En application de l'article 921 alinéa 2 du code civil, le délai de prescription de l'action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l'ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder 10 ans à compter du décès.
En l'espèce, il est constant que M. [M] avait consenti à son épouse une donation de 10 % du bien vendu à M. et Mme [P].
Afin d'assurer l'efficacité de l'acte reçu le 8 janvier 2010, il appartenait à M. [B] d'une part d'informer les parties des dispositions susvisées et de faire intervenir à l'acte les héritiers présomptifs de M.[M]. Faute de l'avoir fait, l'acte est privé de son efficacité puisque pèse sur les acquéreurs la menace de l'exercice d'une telle action.
La circonstance que celle-ci soit soumise au préalable à la discussion des biens du débiteur de l'indemnité de réduction ou que celle-ci s'exerce en valeur, n'est pas de nature à exonérer le notaire de cette faute, pas plus que celle tenant à la garantie d'éviction pesant sur les vendeurs.
En d'autres termes, la double faute consistant d'une part à ne pas avoir attiré l'attention des acquéreurs sur les dispositions légales susvisées et d'autre part à ne pas avoir fait intervenir à l'acte les héritiers présomptifs, n'a pas à être mesurée à l'aune des modalités d'exercice de l'action en réduction et de la garantie pesant sur les vendeurs.
Les difficultés pratiques éventuelles tenant à l'intervention à l'acte des héritiers présomptifs mineurs ne conduisent pas non plus à exonérer le notaire de cette double faute. Il lui appartenait en effet d'engager les voies de droit nécessaires à l'intervention des mineurs à l'acte et de faire nommer un administrateur ad hoc à cet effet et, si d'aventure des difficultés pratiques devaient surgir, d'en aviser ses clients et d'envisager avec eux les conséquences à en tirer.
Il importe peu enfin que les acquéreurs aient d'ores et déjà été définitivement engagés par avant-contrat, cette circonstance n'étant pas susceptible de dispenser le notaire de prendre toutes les mesures nécessaires à l'efficacité de l'acte reçu le 8 janvier 2010, laquelle est définitivement compromise par la menace d'une action en réduction des héritiers de M.[M] qui pèse sur les acquéreurs et qui peut être exercée dans le délai prévu à l'article 921 alinéa 2 du code civil.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la faute de M. [B].
Le préjudice et le lien de causalité
M. [B] poursuit l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamné à indemniser M. et Mme [P]. Il soutient que ceux-ci ne démontrent pas leur préjudice et plus précisément que le non aboutissement de deux ventes aurait pour origine l'acte de vente du 8 janvier 2010, auquel il assure avoir conféré toute sa validité et son efficacité.
Il estime donc que le préjudice allégué est dénué de tout caractère né, certain et actuel et par conséquent qu'il n'est pas indemnisable.
Il soutient en effet qu' il n'est pas certain que les héritiers réservataires présomptifs de M. [M] exercent un jour une action en réduction à l'encontre des acquéreurs du bien ; qu'il leur serait d'ailleurs presque impossible d'engager une action en éviction des acquéreurs et que rien ne prouve formellement que M. et Mme [P] n'ont pas réussi à vendre leur bien en raison de la possibilité ultérieure d'une action en réduction.
Il affirme que le préjudice allégué est également incertain en son montant et rappelle le principe d'interdiction de l'évaluation forfaitaire d'un préjudice posé par la Cour de cassation (3e Civ., 23 mars 2010, n°09 11.873, 3e Civ., 30 mars 2010, n°09 15.011, et Com., 23 novembre 2010, n°09 71.665)
Il ajoute que la restitution du prix ne saurait constituer en elle-même un préjudice indemnisable par le notaire, celui-ci n'ayant pas la qualité de co-contractant (Cass. 12 janvier 1999, n°96 20146). Qu'en toute hypothèse, il ne pourrait s'analyse qu'en une perte de chance (Com., 20 octobre 2009, n°08.20274, 1re Civ., 21 novembre 2006, n°05.15674, 3e Civ., 17 janvier 2019, n°17 26.490, Com., 19 octobre 1999, n°97 13446, 1re Civ., 18 juillet 2000, n°98 20430).
Enfin, il fait valoir que le lien de causalité entre le préjudice allégué et la faute qui lui est reprochée n'est pas démontré.
M. et Mme [P] ont formé appel incident sur le montant des dommages et intérêts qui leur ont été alloués en première instance et qu'ils jugent insuffisants. Ils font valoir que s'il n'est pas certain qu'ils auraient acheté le bien s'ils avaient connu la difficulté, il est certain en revanche que s'ils avaient été informés et qu'ils avaient acquis en connaissance du risque, ils l'auraient fait sous conditions ou à un prix inférieur. Par conséquent, ils regrettent que la faute du notaire les ait privés de ce choix éclairé et les accule aujourd'hui dans une situation qu'ils estiment préjudiciable puisqu'ils n'arrivent pas à revendre le bien et, en conséquence, ont dû renoncer au projet de s'installer dans le sud de la France.
Ils répliquent par ailleurs que la jurisprudence a admis l'indemnisation des demandeurs en cas d'impossibilité de revendre le bien en raison d'une notification inexacte du notaire (1re Civ., 5 février 2014, n°12 29.476), dans le cas d'une aliénation d'un bien donné sans le concours des cohéritiers réservataires (1re Civ., 16 décembre 2015, n°14 29.758).
Ils rappellent qu' ils invoquent le préjudice né de l'impossibilité de vendre le bien sans purger l'action en réduction (1re Civ., 16 décembre 2015, n 14 29.758) (pièces n°10 et 11). Pour eux, si l'action n'a pas encore été engagée par les héritiers réservataires, les conséquences de l'existence de cette action sont, elles en revanche bien nées, actuelles et certaines comme l'a retenu le jugement déféré. Ils font ainsi valoir qu'en l'espèce, le préjudice ne se réduit pas au risque de devoir payer l'indemnité de réduction, mais qu'il est actuellement constitué par l'impossibilité de vendre le bien (pièce n°7, 9 et 13).
Ils évaluent le montant de leur préjudice à 300.000 euros.
Appréciation de la cour
M. et Mme [P] justifient par les pièces qu'ils produisent aux débats de l'impossibilité de revendre le bien en raison de la menace d'une éventuelle action en réduction des héritiers de M.[M]. Il est en effet démontré par ses pièces que, alors qu'ils avaient mis le bien en vente, les acquéreurs pressentis ont renoncé face à cette menace. Si l'exercice de l'action en réduction n'est lui-même pas certain comme l'a retenu le premier juge, en revanche cette menace est elle-même un préjudice consommé qui résulte directement de la faute du notaire ayant privé l'acte qu'il a reçu de son efficacité.
En revanche, M. et Mme [P] ne fournissent à la cour aucun élément de nature à réapprécier le montant des dommages et intérêts qui leur ont été alloués en première instance et qui est conforme aux éléments du dossier. Le jugement déféré sera donc confirmé également de ce chef.
Les demandes accessoires
Compte tenu du sens du présent arrêt, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a exactement statué sur les dépens ainsi que sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
En tant que partie perdante tenue aux dépens, M. [B] ne peut qu'être débouté de sa propre demande sur ce même fondement. En revanche, il sera condamné à verser à M. et Mme [P] une indemnité complémentaire de 1500 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel.
Les dépens d'appel pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 31 décembre 2020 le tribunal judiciaire de Versailles,
Et, y ajoutant,
DÉBOUTE M. [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Le CONDAMNE à payer à ce titre à M. et Mme [P] une indemnité complémentaire de 1500 euros,
CONDAMNE M. [B] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,