COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 OCTOBRE 2022
N° RG 19/03593
N° Portalis DBV3-V-B7D-TO7Y
AFFAIRE :
SASU ZTE FRANCE
C/
[C] [E]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Juillet 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Boulogne-Billancourt
N° Section : Encadrement
N° RG : 17/01005
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Soazig PRÉTESEILLE-TAILLARDAT
Me Jean-Sébastien GRANGE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SIX OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, fixé initialement au 29 juin 2022, prorogé au 08 septembre 2022, puis prorogé au 06 octobre 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :
SASU ZTE FRANCE
N° SIRET : 502 189 269
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Soazig PRÉTESEILLE-TAILLARDAT de l'AARPI STEPHENSON HARWOOD, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0161
APPELANTE
****************
Monsieur [C] [E]
né le 08 Avril 1962 à [Localité 5] (92)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Jean-Sébastien GRANGE, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0790 - Représentant : Me Audrey CAGNIN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0314
INTIMÉ
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 avril 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé,
Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,
FAITS ET PROCÉDURE,
Monsieur [C] [E] a été engagé en qualité de Senior Responsable grands comptes par la SASU ZTE France suivant contrat de travail à durée indéterminée du 27 juillet 2009.
La société emploie au moins 11 salariés et est soumise à la convention collective du commerce de gros.
A compter de l'année 2013, M. [E] a été placé en arrêt de travail pour maladie au cours de différentes périodes, et notamment :
- Du 19 au 25 mars 2013 ;
- Du 17 avril 2013 au 31 mai 2013 ;
- Du 7 juillet au 13 septembre 2014 ;
- Du 3 octobre 2014 au 30 août 2015.
Par requête reçue au greffe le 9 décembre 2014, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt afin notamment d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que le versement de diverses sommes.
Par lettre recommandée avec accusé de réception daté du 29 août 2015, la société a notifié au salarié son licenciement, en faisant état d'un « motif personnel fondé sur son absence prolongée ayant entraîné des perturbations sur le fonctionnement de la société et nécessitant [son] remplacement définitif ».
Par jugement du 18 juillet 2019, auquel la cour renvoie pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, section encadrement, a :
- Dit que la société ZTE France n'avait pas commis de manquements graves justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [E] ;
- Dit que le licenciement de M. [E] était sans cause réelle et sérieuse ;
- Condamné en conséquence la société à verser à M. [E] les sommes suivantes :
-105.559,50 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 42.223,80 euros au titre des dommages et intérêts pour dégradation des conditions de travail ;
- Ordonné le remboursement par la société ZTE à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié à concurrence de trois mois ;
- Débouté M. [E] de l'ensemble de ses autres demandes ;
- Condamné la société au paiement d'une somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Dit qu'il n'y avait pas lieu de prononcer l'exécution provisoire en application de l'article 515 du code de procédure civile ;
- Débouté la société de sa demande reconventionnelle ;
- Condamné la société aux dépens.
La société ZTE France a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 27 septembre 2019.
Le 21 novembre 2019, la cour de céans a proposé une médiation aux parties, lesquelles ont donné leur accord quant à cette procédure. Cette médiation n'a pas abouti.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 6 avril 2022 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, la société ZTE France, appelante, demande à la cour de :
- A titre principal,
- Dire qu'elle n'a pas commis de manquements graves justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié ;
- Dire que le licenciement de M. [E] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
- Dire que M. [E] a perçu l'intégralité de sa rémunération variable et qu'aucun rappel de prime ne lui est dû ;
- Dire que M. [E] n'a subi aucun harcèlement moral ;
- Dire qu'elle a respecté son obligation de sécurité ;
- Dire que les demandes du salarié au titre d'heures supplémentaires sont prescrites pour les périodes antérieures au 30 août 2014 ;
- Dire que M. [E] ne rapporte pas la preuve de la réalisation des heures supplémentaires et qu'aucun rappel de salaire n'est dû à ce titre ;
- En conséquence,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a :
- dit qu'elle n'avait pas commis de manquements graves justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [E] ;
- débouté M. [E] de l'ensemble de ses autres demandes, soit :
*sa demande de résiliation judiciaire et sa demande de dommages et intérêts à ce titre ;
*sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral / dégradation des conditions de travail ;
*sa demande de prime et de congés payés afférents ;
*sa demande au titre du solde de tout compte ;
*sa demande de condamnation de la société au titre de l'invalidation de la convention de forfait jours ;
*sa demande indemnitaire au titre du non-respect des dispositions conventionnelles sur le travail le week-end ;
*sa demande de condamnation de la société au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents ;
*sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;
- Infirmer le jugement en ce qu'il :
*a dit que le licenciement de M. [E] était sans cause réelle et sérieuse ;
*l'acondamnée à verser au salarié les sommes suivantes :
- 105.559,50 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 42.223,80 euros au titre des dommages et intérêts pour dégradation des conditions de travail ;
*a ordonné le remboursement par elle à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié à concurrence de trois mois ;
*l'a condamnée au paiement d'une somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
*a dit qu'il n'y avait pas lieu de prononcer l'exécution provisoire en application de l'article 515 du code de procédure civile ;
*l'a débouté en sa demande reconventionnelle ;
*l'a condamnée aux dépens.
Et statuant à nouveau :
- à titre principal, débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes ;
- à titre subsidiaire :
*réduire le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à un minimum de six mois de salaire ;
*réduire très substantiellement le quantum de ses demandes en tenant compte de la prescription triennale applicable en matière de rappel de salaire ;
*débouter M. [E] de sa demande d'assortir les condamnations du paiement des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et de prononcer la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du code civil ;
- en tout état de cause :condamner M. [E] aux dépens ainsi qu'àlui payer la somme de 4 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 5 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [E] intimé, demande à la cour de :
¿ Confirmer le jugement en ce qu'il a :
- Dit le licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse ;
- Condamné à ce titre la société au paiement d'une somme au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Dit que la société avait manqué à son obligation de sécurité
- Condamné la société au paiement d'une somme au titre des dommages et intérêts pour dégradation de conditions de travail ;
- Ordonné le remboursement par elle à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié à concurrence de trois mois ;
- Condamné la société au paiement d'une somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
¿ Réformer le jugement en ce qu'il :
- A limité la condamnation de la société au paiement d'une somme de 105.559,50 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- A limité la condamnation de la société ZTE France au paiement d'une somme de 42.223,80 euros au titre des dommages et intérêts pour dégradation des conditions de travail ;
- L'a débouté de sa demande de résiliation judiciaire et de sa demande de dommages et intérêts à ce titre ;
- L'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral/dégradation des conditions de travail ;
- L'a débouté de sa demande de rappels de prime et de congés payés afférents ;
- L'a débouté de sa demande de rappel au titre du solde de tout compte ;
- L'a débouté de sa demande au titre de l'invalidation de la convention de forfait jours ;
- L'a débouté de sa demande indemnitaire au titre du non-respect des dispositions conventionnelles sur le travail le week-end ;
- L'a débouté de sa demande société au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents ;
- L'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;
- Jugeant de nouveau,
- Prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail ;
- Subsidiairement, juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- En tout état de cause, condamner, en conséquence, la société au paiement des sommes suivantes :
*Dommages et intérêts pour résiliation judiciaire ou licenciement sans cause réelle et sérieuse : 279.374,94 euros ;
*Dommages et intérêts pour harcèlement moral / dégradation des conditions de travail : 46.562,49 euros ;
*Rappel de prime : 215.880 euros bruts outre la somme de 21.588 euros de congés payés afférents ;
*Dommages et intérêts pour nullité de la convention de forfait en jours : 46.56249 euros ;
*Dommages et intérêts pour non-respect des dispositions conventionnelles sur le travail le week-end : 46.562,49 euros ;
*Heures supplémentaires : 150.460 euros outre les congés payés afférents soit 15.046 euros et subsidiairement 102.371,90 euros outre les congés payés afférents soit 10.237,10 euros ;
*Dommages et intérêts pour travail dissimulé : 93.124,98 euros ;
*Rappel au titre du solde de tout compte : 25.117,60 euros ;
- Assortir ces condamnations au paiement des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et de prononcer la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du code civil ;
- Condamner la société au paiement de la somme de 5.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société aux entiers dépens éventuels de première instance et d'appel.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 6 avril 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque le salarié établit la matérialité de faits constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
M. [E] expose avoir été victime, durant l'exécution de son contrat de travail, de harcèlement moral de la part de sa supérieure hiérarchique, Mme [H].
Il fait valoir :
- avoir été décrédibilisé auprès de ses équipes,
- n'avoir pas été soutenu par sa hiérarchie,
- avoir été remplacé par Mme [H] auprès de son client le plus important,
- avoir été définitivement écarté de ses fonctions à un retour d'arrêt de travail.
Sur les tentatives de décrédibilisation auprès de ses équipes
Le salarié soutient que Mme [H] n'a eu de cesse de lui donner des directives contradictoires le plaçant dans une situation délicate vis-à-vis des autres salariés en le déstabilisant et le décrédibilisant.
Il justifie notamment avoir en janvier 2014, alerté sa direction sur sa mise à l'écart portant sur différents sujets notamment ceux portant sur la définition de ses objectifs ainsi que ceux des membres de son équipe.
En avril 2014, il est également établi qu'il a alerté sa Direction sur plusieurs difficultés rencontrées au sein de son équipe portant :
- sur le besoin de recruter un account manager,
- sur le fait que des membres de son équipe ont connu des rapports difficiles avec la Direction de la société, et que " plusieurs personnes avaient été perturbées par la façon dont elles avaient été traitées par la Direction de l'entreprise (part du variable réduite, incitations au départ, ')'
- sur la nécessité de redéfinir les objectifs de son équipe en les rendant " ambitieux mais réalistes " et en se disant prêt 'à relever le challenge... j'aimerais ton aide / validation ".
Il est établi que sa supérieure n'a apporté aucune réponse à ses demandes portant sur la redéfinition des objectifs de ses équipes.
Sur l'absence de soutien de sa hiérarchie
En juillet 2014, le salarié justifie avoir alerté sa supérieure sur les difficultés rencontrées avec un collaborateur de son équipe travaillant sous sa subordination, lequel prenait ses propres décisions sur des dossiers pourtant gérés par ses soins, sans jamais obtenir le soutien de sa hiérarchie.
Il est établi par les pièces produites qu'en avril 2014, sa supérieure hiérarchique lui a demandé d'annoncer son licenciement à ce collaborateur pour finalement revenir sur sa décision de le licencier, ces faits demeurant ainsi de nature à placer le salarié dans une situation délicate vis-à-vis du collaborateur concerné et du reste de son équipe.
Le 1er juillet 2014, le salarié a encore alerté sa supérieure sur la dégradation de ses conditions de travail qu'il considérait comme étant du harcèlement à son encontre en ces termes :
'Je constate donc que pour la deuxième fois, tu ne me soutiens pas dans les actions que tu me demandes de mener auprès de lui ' Je suis déstabilisé par ta stratégie et je la vis comme une forme de harcèlement à mon encontre.'
Il a été alors en arrêt de travail pour maladie du 7 juillet au 13 septembre 2014.
Sur la perte du client Orange.
M. [E] a repris son poste de travail le 14 septembre 2014. Il soutient que dans les jours qui ont suivi son retour dans l'entreprise, la direction a tout mis en 'uvre pour l'écarter de ses fonctions et a refusé de le réintégrer à son poste en l'écartant de certains projets sur lesquels il travaillait, comme celui portant sur la négociation d'un contrat avec la Société Orange, client pour lequel il avait consacré une partie importante de son travail depuis plusieurs années, mais ayant fait l'objet de son remplacement par sa supérieure hiérarchique, Mme [H].
Mme [H] lui a confirmé dans un courriel versé aux débats avoir repris seule la négociation du contrat avec la société Orange et ne pas souhaiter l'avoir à ses côtés conformément à sa demande, tout en reconnaissant qu'il maîtrisait pourtant parfaitement ce contrat particulier.
Sur la perte de ses fonctions
M. [E] soutient enfin avoir définitivement été écarté de ses fonctions lors d'une réunion tenue le 24 septembre 2014, soit 10 jours seulement après son retour dans l'entreprise.
Au cours de cette réunion, il est établi qu'il lui a été officiellement annoncé qu'il ne reprendrait pas son poste en raison de son arrêt maladie qui avait trop fortement perturbé l'organisation de l'entreprise.
Les propos tenus lors de cette réunion ont notamment été les suivants : " [C] s'est brutalement interrompu de travailler cet été sans définir d'intérim ni donner de consigne à ses équipes. Il a prolongé à plusieurs reprises ses vacances. "
"Du fait de cette disparition, j'ai dû réorganiser l'équipe et reprendre en direct le management' Je ne me vois pas vous pénaliser par le retour de [C] et je lui ai donc dit ma volonté de garder l'organisation mise en place pendant son absence et lui ai demandé de ne manager que [O] et son périmètre. "
La Direction a ensuite demandé aux membres de l'équipe de M. [E] de voter pour savoir s'ils souhaitaient reprendre le travail sous sa subordination :
" [C] n'étant pas d'accord et souhaitant reprendre son poste, je vous ai réuni pour vous demander votre avis. Je souhaite savoir si vous voulez continuer à travailler avec moi directement comme cet été ou revenir chez [C]."
A la fin de cette réunion, il a été précisé au salarié que :
" C'est ton arrêt maladie qui t'a mis dans cette situation. "
Dans un courriel du 29 septembre 2014 il a été indiqué au salarié :
" Je ne souhaite pas non plus revenir pour le moment à l'organisation antérieure à ton départ du fait d'une part des actions engagées sur les projets en cours et, d'autre part, afin d'éviter tout
problème de personne. "
M. [E] établit ainsi la matérialité de faits qui, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral à son égard.
La société ZTE France, qui conteste avoir commis un quelconque manquement à l'égard du salarié, rétorque que le salarié se contente d'affirmer que sa supérieure Mme [H], lui aurait donné " des directives contradictoires ". Or il demeure cependant bien établi par les pièces produites qu'en avril 2014, Mme [H] a demandé à M. [E] d'annoncer son licenciement à un collaborateur pour finalement revenir elle même sur cette décision ce qui est en soi de nature à caractériser une directive contradictoire susceptible de conduire à une déstabilisation du salarié tant vis à vis de ce collaborateur que des équipes dont il avait la charge.
L'employeur fait également valoir que M. [E] par un courriel, du 17 avril 2014, ferait seulement part à sa supérieure hiérarchique de son souhait de reconstruire une équipe. Or ce courriel produit aux débats précise pourtant bien : 'j'aimerais ton aide / validation ", courriel auquel il n'est pas justifié par l'employeur d'aucune réponse apportée au salarié, ce qui est encore de nature à établir l'absence de tout soutien par sa hiérarchie telle qu'alléguée par le salarié et une dégradation de ses conditions de travail.
Sur la mise à l'écart de M. [E], l'employeur indique que pendant son absence prolongée, la société a dû s'organiser pour répartir ses tâches et continuer les travaux en cours et qu'il n'était pas possible de laisser en plan tous les projets et de laisser ses équipes dés'uvrées dans l'attente de son retour. A son retour, il a été tenté de reprendre l'organisation initiale et demandé, de manière explicite à ses équipes, s'ils souhaitaient revenir ou non à l'organisation antérieure.
Il est cependant relevé que la simple circonstance que l'employeur au retour du salarié ait placé ce dernier en porte à faux vis à vis de ses collaborateurs en leur demandant, sous l'autorité d'une salariée au lien hiérarchique supérieur à celui de M. [E], s'ils souhaitaient maintenir une organisation le privant des fonctions qui lui étaient jusqu'alors dévolues avant son arrêt de travail, caractérise une volonté manifeste d'écarter le salarié de son poste de travail.
La société soutient enfin n'avoir pas cherché la mise à l'écart du salarié concernant sa mission de négociation avec le client Orange. Il est cependant établi que dans un émail du 22 septembre 2014, M. [E] a demandé à rejoindre sa supérieure hiérarchique en négociation au Congo avec le client Orange, ce à quoi Mme [H] lui a répondu que les éléments de la discussion n'étaient dans son champ de compétence et que pour " cette fois-ci ", il n'était pas en mesure d'intervenir, sa présence n'étant pas nécessaire, tout en reconnaissant qu'il maîtrisait parfaitement ce contrat particulier.
Une telle réponse de l'employeur au salarié s'avérait ainsi inappropriée dès lors que le salarié demandait seulement à intervenir aux côtés de sa supérieure hiérarchique sur des négociations avec un client important faisant partie de son portefeuille initial et pour lesquelles il avait des compétences reconnues par elle même, tel que cela résulte de courriels versés aux débats, le refus de sa simple présence à ses côtés caractérisant ainsi une mise à l'écart délibérée du salarié.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société ZTE ne justifie pas par des raisons objectives les différentes mesures prises à l'égard de M. [E] consistant notamment à l'avoir décrédibilisé auprès de ses équipes, à ne l'avoir pas soutenu dans ses projets de management des équipes de travail dont il avait la charge, à l'avoir remplacé par sa supérieure hiérarchique auprès de son client le plus important, en lui refusant une simple présence à ses côtés et à l'avoir écarté de ses fonctions à son retour d'un arrêt de travail pour maladie.
La société ZTE ne produit aucune pièce de nature à justifier les faits établis par M. [E] laissant présumer un harcèlement moral.
Il est par ailleurs démontré que ces faits ont eu un retentissement néfaste sur l'état de santé du salarié démontré par les documents médicaux produits aux débats ainsi que ses nombreux arrêts de travail.
Le harcèlement moral allégué est établi.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre d'une dégradation des conditions de travail et du harcèlement moral
L'employeur a une obligation de prévention des risques assortie d'une obligation de sécurité de résultat en matière d'hygiène, santé et sécurité. Aux termes de l'article L. 4121-1 du Code du travail, cette obligation de sécurité vise la santé physique et mentale des salariés.
M. [E] soutient devant la Cour que la dégradation de ses conditions de travail a eu des conséquences sur son état de santé et sollicite une indemnisation à ce titre. Il produit des certificats médicaux attestant notamment d'un stress important, de sa difficulté à dormir, de maux d'estomac, d'ulcères à l''sophage.
La société ZTE France ne conteste pas les certificats médicaux produits par le salarié mais considère qu'il n'existe pas de lien de causalité entre l'état de santé du salarié et les conditions de travail de ce dernier au sein de la société.
Il est établi que le salarié a adressé à Mme [H] sa supérieure hiérarchique, un courriel le 24 septembre 2014 portant sur le compte-rendu d'une réunion qui s'est tenue le 19 septembre 2014. en présence du salarié qui revenait de son arrêt de travail, de Mme [H], de M. [W] [Y] responsable des ressources humaines, et de M. [Z] responsable validation /opérations du compte Orange ainsi que trois membres de l'équipe du salarié : Messieurs [O] [T], [P] [U] et [F] [V].
Lors de cette réunion, Mme [H] a indiqué que le salarié avait interrompu brutalement son travail durant l'été sans définir d'intérim ni donner de consignes à ses équipes et avait prolongé à plusieurs reprises ses vacances. Elle a ensuite indiqué avoir mis en place une nouvelle organisation pendant son absence qui serait maintenue et a demandé aux collaborateurs du salarié s'ils souhaitaient continuer à travailler directement avec elle ou revenir chez lui. Tous les collaborateurs ont indiqué vouloir travailler directement avec elle.
Le 19 septembre 2014, l'employeur a appris au salarié qu'il avait perdu le management de ses équipes et l'a mis devant le fait accompli.
Il est en outre établi que ce dernier a également été écarté brutalement par l'employeur de la négociation du contrat Orange au Congo et en a été informé a posteriori par deux courriels adressés par Mme [H] le 22 septembre 2014.
Il se déduit de ces circonstances et de ces courriels que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité ayant entraîné une dégradation des conditions de travail préjudiciable à la santé du salarié.
En conséquence, la société ZTE France SASU sera condamnée au paiement de la somme de 15 000 euros de dommages et intérêts à M. [E] pour manquement à son obligation de sécurité et harcèlement moral. Le jugement est infirmé sur le montant alloué à ce titre.
Sur la demande au titre du rappel de prime et les congés payés afférents
L'article L.1321-6 du Code du Travail prévoit que :
"Le règlement intérieur est rédigé en français. Il peut être accompagné de traductions en une
ou plusieurs langues étrangères.
Il en va de même pour tout document comportant des obligations pour le salarié ou des
dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail.
Ces dispositions ne sont pas applicables aux documents reçus de l'étranger ou destinés à des
étrangers. "
En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats par l'employeur que pour l'exercice 2011, le salarié a eu connaissance des paramètres de détermination de sa rémunération variable. S'il apparaît que ceux-ci étaient rédigées en langue anglaise et communiqués par le siège de l'entreprise, M. [E] ne conteste pas maîtriser la langue anglaise, ni avoir échangé fréquemment en langue anglaise avec sa hiérarchie, et il ne peut se prévaloir de l'inopposabilité de documents rédigés en anglais portant sur sa rémunération variable dès lors que ces derniers émanent de l'étranger.
Il est établi en effet que la société ZTE est un groupe international dont la langue de travail en son sein est l'anglais où tous les échanges se font en anglais, non seulement pour ceux exercés au sein du groupe, avec un siège social basé à Shenzhen en Chine mais également pour ceux effectués avec les autres filiales du groupe, notamment au sein de la Société en France ou beaucoup d'employés ne parlent pas le Français, l'Anglais constituant ainsi la langue d'échange avec les clients.
En outre, il est établi par les pièces versées, qu'une partie de ces objectifs dépendaient au surplus de critères liés aux résultats de la filiale qui s'appliquaient à tous les employés d'une même activité, déterminés par la maison mère chinoise. Ce document émanait précisément de cette maison mère, de sorte qu'il était normal qu'ils soient rédigés en anglais pour tous les salariés et il est ainsi établi qu'il s'agissait de documents venant de l'étranger.
Comme le fait valoir en outre M. [E], les documents peuvent être valablement présentés en anglais s'il s'agit de la langue de travail commune dans l'entreprise :
"Dans l'état actuel de la rédaction de l'article L. 1321-6 du Code du travail, sauf exceptions lorsque l'activité de l'entreprise comporte un caractère international impliquant l'utilisation d'une langue étrangère commune [..]" (Mémento Droit Social EFL)'
Nombre de collègues de M. [E] chez ZTE France étaient chinois et ne parlaient pas le français.
Enfin, il est établi que M. [E] maîtrisait parfaitement la langue anglaise au regard du grand nombre de pièces rédigées en anglais qu'il verse lui-même aux débats.
M. [E] ne peut dès lors prétendre ne pas avoir été en mesure de comprendre les éléments de sa feuille d'objectifs (" mission sheet ") puisqu'il avait pris l'habitude de les contester régulièrement, l'appréciation de leur réalisation impliquant de sa part une nécessaire compréhension de ces derniers en langue anglaise.
Il se déduit de ces constatations que les documents relatifs à la rémunération variable de M. [E] rédigés en langue anglaise lui sont opposables et l'absence de leur traduction en Français ne peut justifier le versement de l'intégralité de la rémunération variable sollicitée par le salarié ainsi que des congés payés afférents.
M. [E] sera dès lors débouté de sa demande de paiement de la totalité de sa rémunération variable au seul motif que le document fixant ses objectifs était rédigé en anglais.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
A titre subsidiaire, M. [E] soutient que la société ZTE a refusé de prendre en considération ses résultats réels pour fixer sa rémunération variable.
Il indique n'avoir pas signé les plans de commissionnement pour les années 2014 et 2015 et fait valoir par ailleurs que le calcul du montant de la rémunération variable a donné lieu à de nombreux échanges pour les années 2009 à 2011. Il en déduit que la société ZTE doit lui verser l'intégralité de la rémunération variable sur la période allant de 2014 à 2015 et les congés payés afférents.
Lorsque le droit à une rémunération variable résulte du contrat de travail, et à défaut d'accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, et à défaut des données de la cause.
L'article 5 du contrat de travail du salarié précise que le salaire est composé d'une rémunération annuelle constituée d'un salaire fixe, d'un salaire variable annuel de 50 000 euros (à 100 % d'objectifs atteints) basé sur des objectifs définis avec le supérieur hiérarchique, pouvant être revus chaque année et d'un bonus de 10 000 euros basé sur objectifs définis avec le supérieur hiérarchique, pouvant être revus chaque année.
M. [E] fait valoir qu'il aurait dû percevoir l'intégralité de sa rémunération variable mais n'apporte aucune explication sur ce point.
Il est établi par les documents produits que chaque année M. [E] s'est vu fixer des objectifs à atteindre pour percevoir son salaire variable, ainsi que son bonus, d'un montant total maximum de 60.000 euros annuels et ce jusqu'à l'année 2013 incluse.
Le calcul du salaire variable du salarié s'effectuait en fonction des modalités décrites dans le Plan de rémunération (" Pay Plan ") et dans la " feuille d'objectifs " (" mission sheet ") individuelle remise chaque année au salarié.
Deux éléments distincts en ressortent :
- Une partie individuelle (IP) : correspondant à des objectifs individuels fixés avec la hiérarchie (Individual Performance- Performance individuelle/Individual Targets) ;
- Une partie collective (OP : Operational Performance/Performance Organisationnelle) : qui dépend des résultats collectifs. Ce ratio est basé sur les performances collectives et non sur des performances individuelles. Il s'applique de la même manière pour tous les salariés appartenant à l'activité Orange MTO.
La partie individuelle est répartie elle-même en deux composantes :
- Les objectifs individuels (Individual Targets) : correspondent à des objectifs quantitatifs, propres au salarié.
- Les objectifs stratégiques (Stratégiques Targets) : correspondent à des objectifs qualitatifs, propres au salarié.
Le calcul du salaire variable s'effectue en tenant compte de tous ces éléments.
Figurent versés aux débats des échanges avec sa supérieure hiérarchique où sont expliqués au salarié les calculs, dont celui ci s'est dit satisfait des explications apportées par son employeur.
Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme M. [E], le simple fait pour un salarié de refuser de donner son accord sur les objectifs proposés par son employeur et de refuser de signer la feuille d'objectifs ("Mission Sheet") n'implique pas en soi qu'il puisse bénéficier de l'intégralité de sa rémunération variable en contrepartie.
En l'absence d'accord entre l'employeur et le salarié, il incombe au juge de déterminer la partie variable due en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, dès lors M. [E] ne peut ainsi réclamer l'intégralité de sa rémunération variable pour les années 2014 et 2015 en se fondant sur la seule circonstance qu'il n'a pas signé la feuille d'objectifs proposée par son employeur.
M. [E], a bénéficié :
- au titre de l'année 2011, d'un bonus de 41.995 euros ;
- au titre de l'année 2012, d'un bonus de 10.488 euros ;
- au titre de l'année 2013, d'un bonus de 26.637 euros.
Il est établi que pour la partie personnelle, aucun bonus n'a été versé à M. [E] au cours des années 2014 et 2015 au motif, selon l'employeur, d'absences prolongées de l'entreprise qui n'ont pas permis à la société de lui accorder une rémunération variable complète puisqu'il n'était pas en mesure de remplir ses objectifs du fait de ses absences.
Toutefois, l'employeur aurait dû lui verser au titre des années 2014 et 2015 un bonus au moins équivalent à celui perçu au titre de l'année 2013, correspondant au dernier accord conclu avec l'employeur ayant précédé les années 2014 et 2015, soit 26 237 euros ramené au prorata de ses jours de présence dans l'entreprise en 2014 et en 2015.
M. [E] a été en arrêt de travail du 7 juillet au 13 septembre 2014 et du 3 octobre 2014 au 3 décembre 2014 soit durant 158 jours. L'employeur sera dès lors condamné à lui payer la somme de 12 645 euros au titre du bonus de l'année 2014,
Il a également été en arrêt de travail du 1er janvier 2015 au 30 août 2015, soit durant 240 jours. L'employeur sera dès lors condamné à lui payer la somme de 5.592 euros au titre du bonus de l'année 2015.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu d'infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Boulogne Billancourt en ce qu'il a débouté M. [E] de sa demande de rappel de primes et de congés payés afférents ainsi que de la demande subséquente relative à la rectification du solde de tout compte.
Sur la demande de dommages et intérêts pour invalidation de la convention forfait-jours
M. [E] sollicite le prononcé de la nullité de la convention de forfait, la requalification de son contrat de travail en contrat à temps plein sur une base de 35 heures hebdomadaires et la condamnation de la société ZTE au paiement de dommages et intérêts d'un montant de 46 562,49 euros.
La société ZTE s'oppose à cette demande en l'absence de tout préjudice établi par le salarié.
Aux termes de son contrat de travail M. [E] bénéficie d'une convention de forfait-jours. Il est établi que le salarié n'est pas astreint à un horaire fixe et que la rémunération versée est forfaitaire et rémunère l'exercice de la mission qui lui est confiée dans la limite de 214 jours plus un jour supplémentaire au titre de la journée solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées par période annuelle complète d'activité et en tenant compte du maximum de jours de congés payés.
Toute convention de forfaits en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
Les stipulations de l'article 2.3 de l'accord ARTT du 14 décembre 2001 pris en application de la convention collective de commerces de gros, qui, dans le cas de forfait en jours, avant l'avenant du 30 juin 2016, se limitaient à prévoir, s'agissant de la charge et de l'amplitude de travail du salarié concerné, un entretien annuel avec son supérieur hiérarchique, ne sont de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié. Il en résulte que la convention de forfait en jours est nulle.
Si un avenant du 30 juin 2016 a modifié le dispositif conventionnel de forfait annuel en jours pour les commerces de gros, cet avenant est postérieur au départ de l'entreprise de M. [E].
Il appartient cependant au salarié qui demande le paiement de dommages-intérêts d'apporter la preuve de son préjudice.
La cour relève que M. [E] ne justifie pas d'un préjudice consécutif à l'invalidation de la convention de forfait jour pour laquelle il se contente de solliciter une réparation à hauteur de 4,5 mois de salaire à titre de dommages et intérêts, alors même qu'il réclame distinctement le paiement d'heures supplémentaires. Il convient dès lors de le débouter de sa demande de condamnation de la société ZTE au paiement de la somme de 46 562,49 euros à titre de dommages et intérêts pour invalidation de la convention de forfait-jours. Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur les manquements de la société ZTE France en matière de respect des dispositions relatives à la durée du travail et le paiement d'heures supplémentaires
Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, entrée en vigueur le 16 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition de salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer; que la demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. Selon l'article 21-V de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, les dispositions du nouvel article L. 3245-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la promulgation de la loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans.
Si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, au cours d'une même instance, concernent l'exécution du même contrat de travail, même si certaines d'entre elles ont été présentées en cours d'instance.
La prescription ayant été interrompue par la saisine du conseil de prud'hommes le 9 décembre 2014, les demandes du salarié sont recevables en ce qu'elles portent sur une période postérieure au 9 décembre 2009.
S'agissant des heures supplémentaires que le salarié soutient avoir accomplies, aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
M. [E] sollicite la condamnation de la société ZTE France SASU au paiement de la somme de 150 460 euros au titre des heures supplémentaires et de 15 046 euros au titre des congés payés afférents.
Le fait que le salarié n'ait pas mentionné d'heures supplémentaires antérieurement auprès de son employeur et qu'il n'ait pas non plus réclamé le paiement d'heures supplémentaires avant la notification de la rupture de son contrat de travail ne saurait emporter renonciation à ses droits.
Le salarié produit les éléments suivants :
- trois courriels relatifs à une seule journée de l'année 2012 ;
- six courriels relatifs à cinq jours différents de l'année 2013 ;
- quatorze courriels relatifs à onze jours différents de l'année 2014 ;
- un tableau portant sur la période allant du 1er juin 2013 au 31 mai 2014 indiquant qu'il réalisait un horaire hebdomadaire systématique de 48,9 heures, avec des horaires allant de 9h00 à 20h00.
La Société ZTE tenue d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées, et d'assumer les conséquences de l'invalidation de la convention forfait-jours mise en place, qui conteste les éléments produits par le salarié, ne justifie pas avoir procédé, conformément à ses obligations, à tout autre enregistrement de l'horaire accompli par celui-ci et ne verse aucun élément de nature à justifier les horaires qu'il a effectivement réalisés. La preuve de l'accomplissement d'heures supplémentaires est dès lors rapportée.
Constituent des heures supplémentaires toutes les heures de travail effectuées au-delà de la durée hebdomadaire du travail fixée par l'article L. 3121-10 du code du travail ou de la durée considérée comme équivalente. Cette durée du travail hebdomadaire s'entend des heures de travail effectif et des temps assimilés. Les jours fériés et les jours de repos ne peuvent, en l'absence de dispositions légales ou conventionnelles, être assimilées à du temps de travail effectif, de sorte qu'ils ne sauraient être pris en compte dans la détermination de l'assiette de calcul des droits à majoration pour heures supplémentaires.
Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées. La réalisation par M. [E] d'heures supplémentaires a été rendue nécessaire en l'espèce par l'ampleur des tâches confiées dans le cadre de ses missions et en l'absence d'application de la convention forfait jours.
Le salarié n'a pas accompli d'heures supplémentaires lorsqu'il était en arrêt maladie ou en congés, étant précisé qu'il a été en arrêt maladie du 7 juillet au 13 septembre 2014, puis du 3 octobre 2014 au 30 août 2015.
Au vu de l'ensemble des éléments d'appréciation soumis par les deux parties à l'appréciation de la cour, M. [E] est fondé à prétendre au paiement de la somme de 978 euros au titre des heures supplémentaires qu'il a effectuées, qui n'ont été ni rémunérées, ni récupérées. Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la Société ZTE France à payer ladite somme à M. [E] ainsi que la somme de 97,80 euros au titre des congés payés afférents.
Sur la demande de dommages-intérêts pour le non-respect des dispositions conventionnelles sur le travail le week-end
M. [E] sollicite la condamnation de la société ZTE France SASU au paiement de 46 562,49 euros pour non-respect des dispositions conventionnelles sur le travail le week-end.
La société ZTE France SASU conteste cette demande.
Le salarié verse aux débats des courriels datés qui ne sont pas en soi de nature à démontrer la réalisation d'un travail effectif durant le week-end.
Par conséquent, M. [E] sera débouté de sa demande indemnitaire au titre du non-respect des dispositions conventionnelles sur le travail le week-end.
Sur l'indemnité pour travail dissimulé
Il n'est pas démontré, au vu des pièces produites, que la Société ZTE a, de manière intentionnelle, omis de mentionner sur les bulletins de salaire les heures réellement effectuées par le salarié. Ce dernier sera en conséquence débouté de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé sur le fondement de l'article L. 8223-1 du code du travail et le jugement confirmé.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
En application de l'article 1184 du code civil, le salarié peut demander la résiliation de son contrat de travail en cas de manquements de son employeur à ses obligations. Il appartient au salarié de rapporter la preuve des manquements invoqués. Le juge apprécie si la gravité des manquements justifie la résiliation du contrat. Le manquement suffisamment grave est celui qui empêche la poursuite du contrat.
Au soutien de sa demande, M. [E] fait valoir en premier lieu avoir été victime de faits de harcèlement moral suffisamment graves pour emporter la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur.
Le harcèlement moral ci-dessus établi est suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs allégués au soutien de cette demande.
La résiliation judiciaire doit dès lors être prononcée aux tort de la société ZTE France, à effet au 29 août 2015, date du licenciement, qui devient dès lors sans objet.
Le jugement déféré sera en conséquence infirmé.
La résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. [E] sollicite la condamnation de la société ZTE France au versement de la somme de 279.374,94 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il est établi qu'à la date de la rupture du contrat de travail, M. [E] était âgé de 53 ans et justifiait de six ans d'ancienneté.
Au dernier état de ses relations contractuelles, M. [E] exerçait en qualité de Senior Responsables Grands Comptes, statut cadre, niveau 9, échelon 1.
Au vu des éléments de la cause, la cour fixe le préjudice matériel et moral subi par M. [E] du fait de la perte injustifiée de son emploi, à la somme de 105.559,50 euros. Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'employeur à payer ladite somme au salarié à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur les intérêts
Les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d'orientation pour celles dont le paiement a été demandé lors de la saisine du conseil de prud'hommes et à compter de la demande qui en a été faite en justice qui en a été faite pour celles dont le paiement a été demandé en cours d'instance.
La créance d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse produit intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et la créance de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et harcèlement moral à compter du prononcé du présent arrêt.
Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 ancien du code civil.
Sur les dépens et l'indemnité de procédure
La Société ZTE, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et déboutée de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.
Il apparaît en outre équitable de la condamner à verser à M. [E] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles que celle-ci a exposés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS :
La COUR,
Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,
Infirme partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en date du 18 juillet 2019 et statuant à nouveau sur les chefs infirmés:
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [C] [E] aux torts de la Société ZTE France, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la Société ZTE France à payer à M. [C] [E] les sommes suivantes:
*15.000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur et harcèlement moral,
*978 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,
*97,80 euros au titre des congés payés afférents,
*12. 645 euros au titre du paiement du bonus de l'année 2014,
*5.592 euros au titre du paiement du bonus de l'année 2015 ;
Dit que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d'orientation pour celles dont le paiement a été demandé lors de la saisine du conseil de prud'hommes et à compter de la demande qui en a été faite ultérieurement en justice pour celles dont le paiement a été demandé en cours d'instance ;
Dit que la créance d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse produit intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Dit que la créance de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur et harcèlement moral produit intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt;
Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 ancien du code civil.
Confirme pour le surplus les dispositions non contraires du jugement entrepris ;
Condamne la société ZTE France à payer à M. [C] [E] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société ZTE France de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Condamne la Société ZTE France aux dépens de première instance et d'appel.
- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,