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29/09/2022 | FRANCE | N°20/00683

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 29 septembre 2022, 20/00683


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



15e chambre



ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE





DU 29 SEPTEMBRE 2022



N° RG 20/00683



N° Portalis DBV3-V-B7E-TZNF





AFFAIRE :





[J] [I]



C/



SAS 3 M FRANCE





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Février 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Cergy-Pontoise

N° Section : Encadrementr>
N° RG : 18/00225



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :





Me Valérie LE BRAS de la SCP SOULIE - COSTE-FLORET & ASSOCIES



Me Caroline ARNAUD





le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NEUF SEPTEMBRE DEU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

15e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 SEPTEMBRE 2022

N° RG 20/00683

N° Portalis DBV3-V-B7E-TZNF

AFFAIRE :

[J] [I]

C/

SAS 3 M FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Février 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Cergy-Pontoise

N° Section : Encadrement

N° RG : 18/00225

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Valérie LE BRAS de la SCP SOULIE - COSTE-FLORET & ASSOCIES

Me Caroline ARNAUD

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, fixé initialement au 01 juin 2022, prorogé au 29 juin 2022, puis au 21 septembre 2022, différé au 22 septembre 2022, puis prorogé au 29 septembre 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [J] [I]

né le 27 Mai 1961 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Valérie LE BRAS de la SCP SOULIE - COSTE-FLORET & ASSOCIES, Constituée, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0267 - Représentant : Me Jean-Marie COSTE FLORET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0267

APPELANT

****************

SAS 3 M FRANCE

N° SIRET : 542 078 555

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Caroline ARNAUD, Constituée, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0295 - Représentant : Me Xavier BONTOUX de la SELARL FAYAN-ROUX, BONTOUX ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1134

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,

Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé,

Greffier lors des débats : Monsieur Ronan GABILLET,

EXPOSE DU LITIGE

A compter du 15 décembre 1986, Monsieur [J] [I] a été engagé en qualité de chef de produits junior par la société 3M France, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.

La relation de travail entre les parties est régie par la convention collective nationale des industries chimiques et connexes. La société emploie habituellement au moins onze salariés.

Après avoir exercé différentes fonctions au sein de la société, le salarié a été, les 1er septembre 2013 et 1er août 2016, promu successivement aux postes de directeur général des ventes et marketing au sein de la division solutions pour la protection individuelle (PSD) puis de directeur développement marché Europe au sein de cette même division.

Par courrier du 6 octobre 2014 adressé par courrier simple daté du 29 octobre suivant, il s'est vu notifier un avertissement, son employeur lui faisant en substance grief d'avoir manqué à des réglementations ainsi qu'à des procédures internes en matière comptable et financière.

Par courrier du 28 septembre 2017, il a été convoqué à un entretien préalable de licenciement, lequel s'est déroulé le 9 octobre suivant.

Par courrier du 13 octobre 2017, il a été licencié pour faute grave, la société lui reprochant d'avoir mis en oeuvre des pratiques commerciales non conformes aux règles internes comptables et aux règles issues de la Loi de Modernisation de l'Economie.

Par requête reçue au greffe le 25 mai 2018, Monsieur [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise afin notamment de contester la légitimité de son licenciement, d'obtenir sa réintégration au sein de la société ainsi que le paiement de diverses sommes à titre d'indemnités et de rappels de salaires.

Par jugement du 6 février 2020, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise, section Encadrement, a :

- dit que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave ;

- condamné la société à verser au salarié les sommes suivantes :

- 244.409,40 euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 36.661,41 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 3.666,14 euros bruts au titre des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 4.480,84 euros bruts au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire ;

- 2.000 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé que les condamnations prononcées emportaient intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation par la partie défenderesse en ce qui concerne les créances salariales et à compter du jugement en ce qui concerne les créances indemnitaires ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- rappelé l'exécution provisoire de droit dudit jugement selon les dispositions de l'article 'R. 145-28" du code du travail ;

- mis les entiers dépens de l'instance, y compris les frais et actes éventuels d'exécution à la charge de la société.

Par déclarations du 5 mars 2020, Monsieur [I] a interjeté appel de cette décision (procédures n° 20/683 et n° 20/684).

Le 14 septembre 2020, la jonction des procédures enregistrées sous le n° 20/683 et 20/684 a été ordonnée dans l'intérêt d'une bonne justice, sous le n° 20/683.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 30 octobre 2020 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, il expose notamment que :

- il a été victime d'un harcèlement moral, au vu de la mise à l'écart dont il a fait l'objet à compter de l'année 2016 au sein de la société, de la diminution de ses responsabilités managériales imposée par la direction des ressources humaines (DRH) France, de l'absence de considération de ses propositions par la DRH France ainsi que de la dévaluation injustifiée de sa note de performance annuelle ;

- son licenciement pour faute grave est nul en ce qu'il a été prononcé en considération des actes de harcèlement moral qu'il a subis ;

- à titre subsidiaire, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, dans la mesure où l'employeur n'apporte pas la preuve d'une faute grave qu'il aurait commise, lui reproche deux griefs non mentionnés dans la lettre de licenciement (lesquels ne peuvent en tout état de cause lui être imputés), s'appuie sur l'avertissement du 6 octobre 2014 qui est nul en ce qu'il repose sur des faits prescrits (outre le fait qu'il est infondé et est antérieur de plus de trois ans à l'engagement de la procédure de licenciement) et en ce qu'il repose sur des griefs infondés ;

- en dépit des allégations de l'employeur dans sa lettre de licenciement, il ne saurait lui être reproché d'avoir octroyé à la société France Sécurité une remise cumulée les deuxième et troisième trimestre de l'année 2016, ce motif imprécis étant infondé en ce qu'il n'était pas compétent pour payer une telle remise et n'était plus en charge de ce client au troisième trimestre ;

- il a été contraint de procéder à la levée de ses droit d'option de ses actions au moment de son licenciement, cette levée d'action précoce lui ayant occasionné un préjudice.

Il demande donc à la cour de :

- Infirmer les chefs du jugement selon la déclaration d'appel régularisée le 5 mars 2020 ;

- Y ajoutant,

Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail :

- Constater qu'il a fait l'objet d'un harcèlement moral ;

- Dire la société a manqué à son obligation de sécurité de résultat ;

- Condamner en conséquence la société à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité de résultat ;

Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail :

A titre principal :

- Dire que son licenciement pour faute grave est nul en raison du harcèlement moral dont il a été victime ;

- Dire que son licenciement pour faute grave ne repose en tout état de cause sur aucun motif réel et sérieux ;

En conséquence,

* A titre principal :

- Ordonner sa réintégration au sein de la société ;

- Ordonner le versement des salaires qu'il aurait dû percevoir entre son licenciement et sa réintégration sur la base d'un salaire moyen de 12.220,47 euros ;

* A titre subsidiaire, en cas d'impossibilité matérielle de réintégration au sein de la société :

- Fixer son salaire moyen brut des trois derniers mois à la somme de 12.220,47 euros ;

- Condamner la société à lui verser la somme de 293.291,28 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

- Condamner la société à lui verser la somme de 244.409,40 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- Condamner la société à lui verser la somme de 36.661,41 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, et de la somme de 3.666,14 euros au titre des congés payés afférents ;

* En tout état de cause :

- Condamner la Société 3M France au versement de la somme de 4.480,84 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire,

- Condamner la Société 3M France au versement de la somme de 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice financier en raison de la vente forcée de ses stocks options ;

A titre subsidiaire :

- Dire et juger que son licenciement pour faute grave est sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- Condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

- 244.409,40 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 36.661,41 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 3.666,14 euros au titre des congés payés afférents ;

- 4.480,84 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire ;

- 244.409,40 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 25.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice financier en raison de la vente forcée des stocks options ;

A titre infiniment subsidiaire :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que son licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et non une faute grave ;

En conséquence,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a fixé son salaire moyen brut des trois derniers mois à la somme de 12.220,47 euros et condamné la société au versement des sommes suivantes avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances salariales et à compter du jugement en ce qui concerne les créances indemnitaires :

- 244.409,40 euros nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 36.661,41 euros au titre de l'indemnité de préavis ;

- 3.666,14 euros au titre des congés payés afférents à l'indemnité de préavis ;

- 4.480,84 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire,

- 2.000 euros nets au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

En tout état de cause :

- Condamner la société à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- Assortir les condamnations prononcées des intérêts au taux légal et ordonner leur capitalisation.

En réplique, par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 31 juillet 2020 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société 3M France, intimée, soutient en substance que :

- le licenciement de l'appelant repose sur une faute grave, au vu du cadre légal des remises, rabais et ristounes qui lui est applicable eu égard à sa situation de position dominante ainsi que des règles internes applicables en son sein, le salarié ayant contrevenu aux règles applicables en matière de remises qu'il était compétent pour octroyer, alors qu'il disposait d'une délégation de pouvoirs portant notamment sur le respect des règles relatives au droit de la concurrence et de règlementation économique ;

- elle était fondée à utiliser l'avertissement notifié au salarié par courrier du 6 octobre 2014, dès lors que la procédure de licenciement a été engagée le 28 septembre 2017, dans un délai de trois ans à la suite dudit avertissement ;

- la gravité des faits reprochés au salarié résulte de ce qu'il a réitéré son comportement fautif et de l'importance des sanctions pénales et administratives auxquelles il l'a exposée, ainsi que des risques d'image qu'elle encourait ;

- les allégations de harcèlement moral formées par l'appelant sont purement opportunistes, celui-ci ne s'étant jamais plaint d'une telle situation tout au long de la relation contractuelle et ayant progressé depuis son embauche, alors qu'il n'était pas anormal qu'il n'ait pas été convié à des réunions ne relevant pas de son champ de compétence, d'autant plus qu'il avait un comportement harcelant à l'égard de certains collaborateurs ;

- le salarié ne produit aucune pièce, ni aucune justification pour justifier de sa demande indemnitaire au titre du prétendu préjudice financier lié à la vente forcée de stocks options.

Par conséquent, elle demande à la cour de :

- Réformer le jugement en ce qu'il a dit que licenciement du salarié ne reposait pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- Dire bien fondé le licenciement pour faute grave du salarié ;

- Débouter l'appelant de sa demande de reconnaissance de harcèlement moral ;

- Débouter l'appelant de l'intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement de l'appelant reposait sur une cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause,

- Condamner l'appelant à lui payer une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 16 février 2022.

MOTIFS :

Sur les allégations de harcèlement moral :

Selon l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du code du travail mentionne que, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, au soutien de ses allégations selon lesquelles il aurait fait l'objet d'un harcèlement moral au travail, le salarié fait valoir que :

- il a été mis à l'écart par la direction de la société à compter de l'année 2016, le directeur des ressources humaines de la société, Monsieur [S], et sa collègue Madame [D] (directrice Business Group, au vu des pièces qu'il produit) l'ayant exclu d'importantes réunions aux mois de novembre 2016 et janvier 2017 ;

- ses responsabilité managériales ont été diminuées par la DRH France à compter du mois de novembre 2016, en ce qu'il n'a pas été convié à la réunion MTR visant à analyser les performances individuelles et collectives de chaque organisation du groupe, en ce que Madame [D], avec l'appui de la DRH, a tenté de modifier les évaluations de certains de ses collaborateurs sans justifier et sans le consulter, celle-ci ayant par ailleurs tenté de transférer l'un de ses collaborateurs vers son département, sans le consulter au préalable ;

- les propositions qu'il a adressées à la DRH France ont été ignorées par celle-ci, en ce qu'elle n'a pas donné suite à sa proposition de mise à jour de la base informatique des lignes hiérarchiques au sein de la société, tandis que Madame [D] n'a pas répondu à sa proposition qui visait à lui fournir des éléments lui permettant d'évaluer son équipe ;

- sa note de performance annuelle pour l'année 2016, qui avait été fixée à 3/5 par ses responsables hiérarchiques, a été dévaluée de façon injustifiée par Monsieur [S], ce dernier lui ayant indiqué qu'il constituait 'un problème' pour la société.

Il produit les éléments suivants à l'appui de ses allégations :

- un courrier électronique du 23 novembre 2016 par lequel Monsieur [S] indiquait à Monsieur [P], Business Development Manager établi en Suède, que l'appelant ne serait pas présent à une réunion prévue le lendemain, en précisant que cette situation résultait d'un plan de communication approuvé à ce dernier et qui lui avait été expliqué ;

- un échange de courriers électroniques du 18 janvier 2017 au terme duquel il indiquait à Madame [D] qu'il avait l'impression de ne pas être sur la liste des personnes conviées à une réunion, en lui demandant s'il y avait un problème, notamment au plan technique ;

- un échange de courriers électroniques des 21 et 22 novembre 2016 portant sur l'organisation de la réunion MTR, aux termes duquel Madame [D] lui écrivait que '[R] manage[rait] le processus MTR (...) pour la partie training' ;

- un échange de courriers électroniques daté du 28 février 2017, qui laisse apparaître que Madame [D] avait sollicité le rattachement de Monsieur [E] (que l'appelant présente comme faisant partie de ses collaborateurs) le plus rapidement possible à [L] [X] dans le système Workday ;

- un échange de courriers électroniques intervenu entre le 1er et le 21 décembre 2016 concernant l'évaluation de Monsieur [E] ;

- un courrier électronique du 21 novembre 2016 aux termes duquel il propose à Madame [D] de lui founir des données concernant une équipe ;

- un courrier électronique du 3 mars 2017 adressé à une dénommée Madame [Z], qui laisse apparaître, en substance, qu'il avait relevé qu'un projet d'organigramme serait partagé pour validation avant d'être envoyé ;

- une copie de ses comptes-rendus d'entretien d'évaluation pour l'année 2016, qui indiquent qu'une note de 2 lui a été attribuée par Monsieur [P] ;

- le compte-rendu de son entretien préalable de son licenciement qui mentionne qu'il avait évoqué à cette occasion l'abaissement de sa note d'évaluation à 2 par Monsieur [S] et le fait que ce dernier lui avait déclaré qu'il était 'un problème' pour la société, lorsqu'il lui avait demandé des explications.

Il y a lieu de préciser que les allégations du salarié concernant l'abaissement de sa note d'évaluation et les déclarations de Monsieur [S] ne reposent que sur son seul récit lors de son entretien de licenciement, de sorte qu'elles ne sont pas matériellement établies. La cour relève au surplus que l'attribution d'une note de 2 (correspondant à l'appréciation suivante : 'met some but not all expectations') n'apparaît manifestement pas incohérente au regard du statut de la quasi-totalité de ses objectifs, seul l'un d'entre eux ayant été atteint, les onze autres étant en cours de réalisation.

Les éléments produits par le salarié laissent effectivement apparaître qu'il n'a pas été convié à trois réunions, que Madame [D] a donné son avis sur l'évaluation et le rattachement hiérarchique de Monsieur [E] et qu'il n'a pas été répondu à deux de ses courriers électroniques.

Il est observé que ces éléments, pris en leur ensemble, s'inscrivent dans une relation de travail impliquant des cadres de haut niveau et concernant différents interlocuteurs.

Si la circonstance selon laquelle ils se situent sur une brève période n'est pas de nature, en soi, à exclure tout comportement harcelant, il apparaît que les agissements auxquels se réfère le salarié sont concentrés sur une période au cours de laquelle, d'une part, il avait pris ses nouvelles fonctions de directeur développement marché Europe et, d'autre part, il avait cédé son précédent poste de directeur général des ventes et marketing à Madame [D].

Outre le caractère habituel des problématiques de communication et de délimitation des domaines de compétences posées en milieur professionnel, entre cadres de haut niveau et dans un contexte de changement de fonctions, il convient de relever que les éléments présentés par le salarié apparaissent peu nombreux (à plus forte raison, au vu du niveau de ses fonctions et du nombre de ses interlocuteurs) et, dans leur ensemble, ne revêtent aucune intensité particulière.

Ainsi, au vu de leur caractère ordinaire et sans gravité dans un tel contexte, il y a lieu de relever que ceux-ci s'intègrent dans une relation de travail normale et ne sont pas de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement, en dépit des allégations du salarié.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il dit qu'aucun harcèlement moral et aucun manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ne sont établis et en ce qu'il a débouté le salarié de ces demandes y afférentes.

Sur le licenciement :

En application de l'article L. 1235-1 du code du travail, il appartient au juge d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur. Il forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l'espèce, le salarié s'est vu notifier son licenciement dans les termes suivants :

'Un audit interne a été effectué, du 12 juin 2017 au 27 septembre 2017, portant sur la gestion, pour l'année 2016, des pratiques commerciales et notamment des rabais, remises, ristournes, au sein de la Division PSD.

Ces investigations ont révélé les faits suivants d'une particulière gravité :

Vous étiez Directeur Ventes et Marketing de la Division PSD, pour la période de Septembre 2013 à Juillet 2016.

Or, l'audit et les investigations rendues nécessaires ont révélé que vous aviez mis en oeuvre des pratiques commerciales non conformes à nos règles internes comptables et aux règles issues de la loi de Modernisation de l'Economie (LME), notamment, en faisant bénéficier le client le plus important de la Division PSD d'une remise cumulée sur le deuxième et le troisième trimestre 2016 alors que les conditions n'étaient pas réunies pour que ce client bénéficie de la totalité de cette somme.

Or, d'une part en votre qualité de Directeur Ventes et Marketing, vous ne pouviez ignorer ces règles et leur importance et d'autre part, vous aviez déjà fait l'objet d'un avertissement le 6 octobre 2014, pour des pratiques antérieures, similaires, illégales et non conformes aux règles en vigueur en matière de remise, rabais, ristournes, et ce, vis-à-vis du même Client.

Ces faits sont d'autant plus inacceptables que vous deviez, au regard de votre niveau hiérarchique dans la Société démontrer une exemplarité particulière à ce sujet.

Les explications que nous avons pu recueillir auprès de vous au cours de l'entretien du 9 octobre 2017 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Par conséquent nous vous informons que nous avons pris la décision de vous licencier pour faute grave.'

A titre liminaire, la cour relève que la société ne fait nullement état, dans ses écritures, du grief tiré de la mise en place du programme PEAK, qui aurait été reproché au salarié en cours de procédure sans être mentionné dans la lettre de licenciement.

Par ailleurs, les faits relatifs au décalage de la commande de la société France Sécurité entre les mois de juin et juillet 2016 évoqués par les parties dans leurs écritures se rapportent directement aux faits mentionnés par l'employeur dans sa lettre de licenciement, de sorte que le salarié ne saurait valablement soutenir qu'ils ont été exclus de ladite lettre.

Sur ce point, les deux factures du 15 juin 2016 versées aux débats par la société démontrent que la société France Sécurité a réalisé deux commandes, l'une d'un montant de 120.298,46 euros et l'autre d'un montant de 531.172,09 euros, en bénéficiant d'une remise de 8 %, la date de livraison de l'ensemble des produits commandés ayant été fixée au 29 juin 2016.

Il n'est pas contesté, d'une part, que l'évaluation des remises accordées au client était réalisée sur une base trimestrielle et, d'autre part que la date de livraison permettait de calculer le montant de la remise maximale susceptible d'être accordée au client, de sorte qu'un décalage de livraison du deuxième au troisième trimestre conduisait à avantager le client.

Bien que le salarié soutienne qu'il n'était pas compétent pour 'payer' les remises et que ses nouvelles fonctions ne lui permettaient plus de prendre en charge la société France Sécurité au cours du troisième trimestre de l'année 2016, les pièces produites par l'intimée démontrent qu'il a agi de manière à ce que la livraison de la commande de la société cliente intervienne partiellement au cours du troisième trimestre 2016.

Ainsi, les échanges de courriers électroniques datés du 20 juin 2016 entre l'appelant et Madame [H] [A], chef du service clients de la société, démontrent, d'une part, qu'il avait souhaité s'entretenir avec cette dernière en évoquant de possibles difficultés de livraison et, d'autre part, que cette dernière lui avait écrit que la date de livraison était prévue au 29 juin et qu'un courrier électronique du client était nécessaire s'il souhaitait un report de livraison au mois de juillet.

Dans ce contexte, la société produit un projet de courrier électronique rédigé de manière manuscrite (et dont l'appelant ne conteste pas être l'auteur), repris en substance dans un courrier électronique du 23 juin 2016 rédigé par Monsieur [Y] [W], directeur des ventes, à l'attention de l'un de ses collaborateurs, 'sous couvert et validation' de l'appelant. Ce dernier visait à proposer au client un report d'une partie de sa commande au mois de juillet, en arguant de prétendues difficultés de livraison.

Ces éléments démontrent que l'appelant a fait état de prétendues difficultés de livraison afin de décaler la livraison d'une partie de la commande du client, lui permettant ainsi de contourner les règles de calcul des remises maximales susceptibles d'être attribuées au cours d'un trimestre.

Indifféremment des problématiques de livraison qui ont pu concerner d'autres clients, aucun retard n'est établi concernant la commande litigieuse. Les courriers électroniques envoyés les 14 et 21 juin 2016 par Monsieur [P] et par Monsieur [K] [O] à l'appelant sont impropres à corroborer l'existence de difficultés de livraison.

Par ailleurs, si les échanges de courriers électroniques datés des 23 juin au 7 juillet 2016 produits par l'appelant font état d'échanges concernant notamment la comptabilisation des commandes décalées en juillet, il n'en ressort pas que sa hiérarchie avait validé la pratique consistant à fractionner artificiellement la livraison des commandes ou que celle-ci résultait d'une décision collective.

Or, cette pratique était de nature à exposer la société à un risque juridique, au regard des règles applicables notamment en droit de la concurrence et en droit de la distribution, lesquelles encadrent les relations entre le fournisseur et le distributeur (au vu notamment des articles L. 420-1, L. 420-6 et L. 441-7 du code de commerce, des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ainsi que du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en 'uvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité).

De même, la délégation de pouvoirs signée le 19 octobre 2015 indique notamment que le salarié s' 'engage[ait] à respecter scrupuleusement les règles de droit de la concurrence et à les faire respecter les pour Marchés dont [il avait] la charge au sein des Sociétés'. Elle précise par ailleurs qu'il pouvait bénéficier de l'appui du service juridique et était tenu de solliciter celui-ci en cas de doute s'agissant de la validité d'une pratique. La délégation de pouvoirs lui impose également de 'mener ou faire mener une négociation commerciale dans le respect des dispositions du Code de commerce'.

La matérialité de la faute reprochée est ainsi établie.

Par courrier du 6 octobre 2014 (dont le salarié reconnaît avoir été destinataire par courrier remis en main propre), le salarié s'était vu notifier un avertissement pour des faits similaires à ceux qui lui sont reprochés à l'appui de son licenciement.

Bien que cet engagement ait été notifié au salarié dans les trois ans précédant l'engagement de sa procédure de licenciement, la société ne démontre pas que la procédure disciplinaire ayant donné lieu à cet avertissement a été diligentée dans les deux mois à compter du jour où il a eu connaissance des faits fautifs, conformément à l'application de l'article L. 1332-4 du code du travail.

La cour relève en effet qu'alors que le salarié soutient que les faits reprochés étaient prescrits au motif que la société avait été destinataire dès le mois de juillet 2014 du rapport d'audit sur lequel était fondée la sanction, l'intimée ne produit aucun élément démontrant que ledit rapport avait été publié le 9 septembre 2014, comme indiqué dans la sanction contestée.

Par conséquent, l'intimée ne saurait valablement se prévaloir de l'avertissement notifié le 6 octobre 2014 au salarié au soutien de son licenciement.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le caractère réel et sérieux de la faute commise par le salarié résulte de l'ampleur des risques juridiques qu'il a fait encourir à la société, en mettant en oeuvre une pratique susceptible d'exposer celle-ci à des sanctions. Le caractère fautif de ces agissements apparaît incontestables, tant au regard de sa qualité de directeur que de la délégation de pouvoir dont il disposait.

En revanche, s'agissant d'un salarié disposant d'une ancienneté de plus de trente ans et au vu des antécédents professionnels de ce dernier, les faits reprochés ne caractérisent aucune faute grave.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il requalifie le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement pour cause réelle et sérieuse :

Dans la mesure où son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave, le salarié, qui disposait d'une ancienneté de trente ans et onze mois au moment du licenciement et percevait un salaire moyen de 12.220,47 euros bruts, est fondé à percevoir différentes sommes.

En l'absence de faute grave justifiant la mise à pied conservatoire, le salarié est fondé à réclamer le paiement de son salaire pendant cette période du 28 septembre au 13 octobre 2017. Il lui sera donc alloué une somme de 4.480,84 euros à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire.

Le salarié, qui n'a pu accomplir le préavis d'une durée de trois mois prévu par l'article 4 de l'avenant n° 3 relatif aux ingénieurs et cadres de la convention collective nationale des industries chimiques et connexes, sera indemnisé par le versement d'une indemnité de préavis d'un montant de 36.661,41 euros, outre une somme de 3.666,14 euros au titre des congés payés afférents.

Enfin, en application de l'article 14 de l'avenant précité, l'appelant sera indemnisé par le versement d'une somme de 244.409,40 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.

Le jugement déféré sera donc confirmé sur ces points.

Il sera par ailleurs confirmé en ce qu'il déboute le salarié de l'ensemble de ses demandes indemnitaires afférentes au licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse allégué.

Sur le préjudice financier en raison de la vente de stock options :

Dès lors que le licenciement du salarié repose sur une cause réelle et sérieuse, celui-ci ne saurait se prévaloir d'un grief tiré de ce qu'il aurait été placé du fait d'un licenciement injustifié dans l'impossibilité de lever des options sur souscription ou d'acheter des actions.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il le déboute de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

Sur les autres demandes :

Les intérêts au taux légal sur les sommes susvisées seront dus dans les conditions précisées au dispositif.

Il convient d'ordonner leur capitalisation sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil.

Il y a lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et d'allouer à ce titre au salarié une somme de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise en date du 6 février 2020 ;

Y ajoutant :

Condamne la société 3M France à payer à Monsieur [J] [I] une somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les intérêts au taux légal sont dus sur la créance salariale (indemnité de préavis et congés payés) à compter du 28 mai 2018, date de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et à compter du présent arrêt pour les autres sommes ;

Ordonne la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société 3M France aux dépens d'appel.

- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 20/00683
Date de la décision : 29/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-29;20.00683 ?
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