COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 SEPTEMBRE 2022
N° RG 19/03143
N° Portalis DBV3-V-B7D-TMBU
AFFAIRE :
[K] [X]
C/
SA LA POSTE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Juillet 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Nanterre
N° Section : Commerce
N° RG : 19/00012
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Françoise FAVARO
Me Claire MACHUREAU
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, fixé initialement au 02 février 2022, prorogé au 16 mars 2022, puis au 20 avril 2022, puis au 1er juin 2022, puis au 29 juin 2022, puis au 08 septembre 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Madame [K] [X]
née le 18 Février 1974 à [Localité 6] (91)
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentant : Me Françoise FAVARO de la SELARL HUGO AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0866 substitué par Me Natacha FELIX, avocat au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
SA LA POSTE
N° SIRET : 356 000 000
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentant : Me Claire MACHUREAU de l'ASSOCIATION Laude Esquier Champey, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R144 substitué par Me Hélène RABUT, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 décembre 2021 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé,
Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [K] [X] a été engagée par la société anonyme La Poste en qualité de facteur, dans le cadre d'un contrat de professionnalisation conclu pour la période comprise entre le 14 mai 2012 et le 30 novembre 2012, puis dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au 1er décembre suivant.
Après avoir été placée en arrêt de travail à différentes reprises au cours des années 2013 et 2014, elle a de nouveau été placée en arrêt de travail, entre le 31 janvier et le 7 février 2015, entre le 9 février et le 21 mars 2015 puis à compter d'août 2015.
Par courrier daté du 29 janvier 2016, elle a été convoquée à un entretien préalable de licenciement, fixé au 10 février suivant, auquel elle ne s'est pas présentée.
Par courrier daté du 2 mars 2016, la société La Poste lui a notifié son licenciement, motivé par la situation objective de l'entreprise consécutive à ses absences répétées et son absence prolongée à compter d'août 2015, qui désorganisent le service, occasionnent un trouble dans l'établissement auquel elle est affectée et mettent en cause la bonne marche de l'entreprise, et par la nécessité de procéder à son remplacement définitif.
La salariée a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Versailles aux fins qu'elle déclare son licenciement nul ou, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, et ordonne à la société La Poste de lui verser à titre de provision diverses indemnités pour licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, pour licenciement irrégulier, pour discrimination en raison de l'état de santé et pour manquement à l'obligation de sécurité.
Par ordonnance du 16 septembre 2016, confirmée par arrêt de la cour d'appel de Versailles du 28 novembre 2017, la formation de référé du conseil de prud'hommes de Versailles s'est déclarée territorialement incompétente.
Mme [X] a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Nanterre, qui, par ordonnance du 3 avril 2018, a dit n'y avoir lieu à référé.
Mme [X] a saisi au fond, par requête reçue au greffe le 10 janvier 2019, le conseil de prud'hommes de Nanterre.
Par jugement du 2 juillet 2019, auquel la cour renvoie pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Nanterre, section commerce, a :
- déclaré prescrite la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité formulée par la salariée ;
- jugé que le licenciement de la salariée reposait sur une cause réelle et sérieuse ;
- débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- mis les éventuels dépens à la charge de la salariée.
Par déclaration au greffe du 1er août 2019, Madame [X] a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 30 juin 2020 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, elle expose notamment que :
- sa demande de dommages et intérêts pour manquements graves de l'employeur à son obligation de sécurité n'est pas prescrite, l'article L. 1471-1, alinéa 3 du code du travail excluant l'application de la prescription biennale aux actions en réparation d'un dommages corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, les manquements qu'elle allègue n'étant au surplus pas isolés mais procédant d'une atteinte continue à sa santé ;
- la société a commis de graves manquements à son obligation de sécurité-santé, en ne tenant pas compte, en dehors d'une période comprise entre les mois de juillet et octobre 2014, de ses restrictions d'aptitude médicalement constatées ainsi que de ses demandes d'aménagement de poste, entraînant ainsi une dégradation de son état de santé physique et psychologique ;
- la procédure de licenciement mise en oeuvre par l'employeur est irrégulière, dans la mesure où la convocation à l'entretien préalable a été envoyée à une adresse erronée, bien qu'elle l'ait informé de son déménagement et a été reçue moins de cinq jours ouvrables avant la date de l'entretien préalable, cette situation l'ayant privée de la possibilité d'organiser sa participation à l'entretien ;
- son absence prolongée résultait du non-respect par l'employeur des préconisations du médecin du travail ;
- son licenciement est en réalité causé par son état de santé ;
- la société ne démontre pas en quoi le service prétendument désorganisé était essentiel à l'entreprise ;
- son remplacement définitif n'est pas intervenu au jour de son licenciement, le recrutement d'un salarié en contrat de travail à durée indéterminée n'étant intervenu que le 1er décembre 2016.
Elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes, et statuant à nouveau :
- fixer son salaire de référence à la somme de 1.913,49 euros ;
- dire que la société a commis des manquements à son obligation de sécurité-santé ;
- juger que ses maladies et son handicap revêtent un caractère professionnel ;
- requalifier son licenciement en licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse;
En conséquence,
- condamner la société à lui verser les sommes de :
- 22.961,88 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité-santé ;
- 50.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul ou subsidiairement d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 1.913,49 euros à titre d'indemnité en réparation du préjudice résultant de l'irrégularité de la procédure de licenciement ;
- 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination en raison de l'état de santé ;
- ordonner à la société de lui remettre :
- une attestation Pôle emploi rectifiée sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;
- un certificat de travail rectifié sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;
- un bulletin de paie reprenant les condamnations issues de la décision sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;
- condamner la société à lui verser une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance ;
- condamner la société à lui verser une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
- condamner la société aux entiers dépens ;
- dire que l'ensemble des condamnations sera assorti des intérêts au taux légal à compter de la date de réception au greffe de la saisine ;
- ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil.
En réplique, par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 21 octobre 2021 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société La Poste, intimée, soutient en substance que :
- la demande de l'appelante tendant au versement de dommages et intérêts en réparation de ses prétendus manquements à son obligation de sécurité est prescrite, en application de l'article L. 1471-1 du code du travail, lequel prévoit un délai de prescription biennal applicable à l'action en manquement de l'obligation de sécurité, alors que l'action formée par la salariée ne vise que deux prétendus manquements datés des 11 mars et 22 novembre 2013 qui ne sauraient entraîner un départ différé du délai de prescription ;
- elle est étrangère à la dégradation de l'état de santé de l'appelante, dans la mesure où, d'une part, cette dernière ne démontre pas l'absence de respect des restrictions médicales et, d'autre part, aucun lien ne peut être établi entre ses prétendus manquements qui se rapportent à une lombalgie et son affection psychiatrique ;
- elle a adressé la convocation à l'entretien préalable de licenciement à la seule adresse de l'appelante dont la direction des ressources humaines avait connaissance et la salariée ne justifie pas du préjudice que lui aurait causé la réception tardive de cette convocation ;
- l'absence de l'appelante a entraîné, de fait, une désorganisation de l'entreprise (en ce que chacune de ses absences nécessitait son remplacement immédiat en recourant à des solutions par nature temporaires) ayant rendu nécessaire son remplacement définitif, par le recrutement d'un salarié dans le cadre d'un contrat de professionnalisation qui s'est poursuivi par la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée ;
- la maladie de la salariée ne revêt aucun caractère professionnel, celle-ci n'ayant jamais formulé de demande de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie auprès de la caisse primaire d'assurance maladie, aucun lien n'existant entre ses prétendus manquements aux contre-indications émises par la médecine du travail et l'absence prolongée de la salariée, outre le fait qu'elle démontre avoir initié une visite de reprise qui a permis de constater l'aptitude de cette dernière à son poste de travail le 7 octobre 2014 ;
- le licenciement de l'appelante n'est pas discriminatoire, au vu notamment des pièces produites par cette dernière.
Par conséquent, elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement de la salariée reposait sur une cause réelle et sérieuse, déclaré irrecevable sa demande en dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de 'sécurité de résultat' du fait de sa prescription, jugé qu'elle n'avait subi aucune discrimination du fait de son état de santé, jugé que ses maladies et son handicap n'avaient pas une origine professionnelle et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes;
- réformer le jugement en ce qu'il a jugé que la procédure de licenciement était irrégulière ;
Ce faisant et statuant à nouveau,
- déclarer irrecevable et à défaut, dire mal fondée la demande de l'appelante en dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;
- Dire et Juger Que Le Licenciement Notifié À Madame [X] est Valable et Bien Fondé ;
- Dire et Juger Que Le Licenciement de Madame [X] est Régulier ;
- Dire et Juger Que Madame [X] N'a Subi Aucune Discrimination du Fait de Son État de
Santé ;
En conséquence,
- débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner l'appelante à lui verser une somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 novembre 2021.
MOTIFS :
Sur la demande de dommages et intérêts en réparation du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité-santé :
- Sur la prescription
L'article L. 1471-1, alinéa 1er du code du travail en sa rédaction en vigueur du 17 juin 2013 au 24 septembre 2017 dispose que toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Le deuxième alinéa de l'article précité mentionne que le premier alinéa n'est pas applicable aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail.
En outre, la prescription d'une action en responsabilité contractuelle ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.
L'article 2 241 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.
En l'espèce, bien que Mme [X] soutienne que son action porte sur la réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, il apparaît que si son action a pour objet de réparer le préjudice qu'elle allègue avoir subi du fait d'un manquement de l'employeur;à l'obligation de sécurité, la preuve d'un dommage corporel, c'est-à-dire d'une atteinte à son intégrité physique ou psychique, n'est pas rapportée.
Il en résulte que l'action formée par la salariée est soumise à la prescription biennale précitée.
S'agissant du point de départ de la prescription, il importe de se placer au moment de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance. Ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle le manquement a pris fin.
Il est établi en l'espèce que le 25 février 2013, à l'issue de la visite médicale réalisée à sa demande consécutivement à un arrêt de travail du 12 au 23 février 2013 justifié par des lombalgies, le médecin du travail a émis un avis d'aptitude rédigé dans les termes suivants :
'ce jour contre indication à la distribution et à la station debout prolongée adressé au médecin traitant pour arrêt de travail'
L'appelante soutient qu'au moment de sa reprise du travail le 11 mars 2013, l'employeur n'a pas pris en compte l'avis du médecin du travail et l'a affectée sur un poste non aménagé. A l'appui de ses allégations, elle produit un courrier recommandé avec accusé de réception reçu par l'employeur le 18 mars 2013, par lequel elle reprochait à sa hiérarchie de ne pas avoir pris en compte l'avis médical précité et les douleurs dorsales dont elle lui a fait part.
Elle justifie par ailleurs avoir été placée de nouveau en arrêt de travail à compter du 15 mars 2013, son arrêt de travail initial faisant état de 'lombalgies aigues avec poste physique'.
Il est établi également que, consécutivement à de nouveaux placements en arrêts de travail, le médecin du travail a émis le 22 novembre 2013 un avis d'aptitude rédigé dans les termes suivants :
'apte au poste de facteur à pied contre indication à la distribution à vélo et au port de charge de plus de 10 kgs'.
La salariée soutient que l'employeur n'a pas respecté ces nouvelles restrictions médicales.
Elle justifie avoir été placée en arrêt de travail à compter du 2 mai 2014 en raison de 'lombalgies'.
Pour ce qui est des périodes faisant immédiatement suite aux reprises du travail de la salariée les 11 mars et 22 novembre 2013, l'employeur, à qui il appartient de justifier avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ne verse aucun élément probant au soutien de ses allégations selon lesquelles il s'est conformé aux restrictions émises par le médecin du travail.
Le préjudice subi par la salariée du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité résulte de ses placements en arrêt de travail à compter du 15 mars 2013 et du 2 mai 2014, lesquels se rapportent à des lombalgies.
En revanche, il apparaît, d'une part, comme le relève l'intimée, qu'un certain nombre des arrêts de travail délivrés, notamment datés des 11 avril 2013, 12 octobre et 22 novembre 2013, sont dépourvus de lien avec les dorsalgies de la salariée. D'autre part, il résulte des écritures convergentes des parties sur ce point que le poste de travail de la salariée a été adapté dans le courant du mois de juillet 2014 pour prendre en compte l'avis délivré par le médecin du travail le 8 juillet 2014.
Sur ce point, il y a lieu de relever que l'appelante invoque des manquements de l'employeur à l'obligation de sécurité, particulièrement les 11 mars et 22 novembre 2013 s'agissant de l'absence alléguée de prise en compte par l'employeur des avis délivrés par le médecin du travail.
Dans la mesure où le premier arrêt de travail consécutif au second de ces manquements a débuté le 2 mai 2014 et où le manquement de l'employeur a pris fin en juillet 2014 par l'adaptation du poste de la salariée, il convient de considérer cette date comme étant comme le point de départ du délai de prescription.
Dès lors que la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 30 mars 2016, comme le reconnaît l'employeur, puis le 21 juin 2016, il y a lieu de dire que l'action en réparation du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité n'est pas prescrite.
- Sur le fond
Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
L'employeur, à qui il appartient de justifier avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ne verse aucun élément probant au soutien de ses allégations selon lesquelles il s'est conformé aux restrictions émises par le médecin du travail consécutivement aux reprises du travail de la salariée les 11 mars et 22 novembre 2013.
En manquant ainsi à ses obligations résultant des articles L 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l'employeur a causé à la salariée un préjudice qui sera justement indemnisé par le versement d'une somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de ce chef.
Sur le licenciement :
- Sur le caractère infondé du licenciement
La salariée, qui soutient que son licenciement est nul, comme constitutif d'une discrimination en raison de son état de santé, invoque les éléments suivants :
- la désorganisation justifiant la nécessité de remplacement définitif est difficilement admissible lorsque les effectifs sont importants, ce qui est le cas en l'espèce, l'intimée constituant un groupe employant près de 73.000 facteurs ;
- la désorganisation justifiant la nécessité de remplacement définitif est difficilement admissible lorsque le salarié occupe un poste très peu qualifié, ce qui est le cas en l'espèce, puisqu' elle occupait un poste de facteur de type rouleur ne requérant aucune qualification ;
- la désorganisation justifiant la nécessité de remplacement définitif est incompatible avec des faits de grève ayant impacté la continuité d'un service, ce qui est le cas en l'espèce puisqu'il apparaît que 58 % des facteurs du site de [Localité 5] auquel elle était affectée se sont mis en grève avant sa période d'arrêt de travail prolongé et postérieurement à son licenciement ;
- elle justifie de la dégradation progressive et irréversible de son état de santé, son arrêt maladie de longue durée ayant été suivi par un internement psychiatrique du 31 août au 6 octobre 2015, avant qu'elle ne soit placée en clinique psychiatrique jusqu'au 15 décembre 2015, son dernier arrêt de travail ayant pris fin le 30 avril 2016.
La société La Poste soutient notamment qu'elle justifie de la perturbation de l'activité de distribution de courrier causée par l'absence prolongée de la salariée, qu'elle est étrangère à la dégradation de l'état de santé mentale de la salarié, au vu des mesures qu'elle a prises pour lui permettre de reprendre le travail en conformité avec les prescriptions du médecin du travail avant son premier arrêt de travail lié à son état dépressif, et qu'elle a procédé au remplacement définitif de la salariée par l'embauche d'un salarié .
Si l'article L. 1132-1 du code du travail fait interdiction à l'employeur de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé, il ne s'oppose pas à son licenciement motivé, non par l'état de santé, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées de l'intéressé à condition toutefois que ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de pourvoir à son remplacement définitif.
Le licenciement intervenu sans que soit rapportée la preuve que le fonctionnement de l'entreprise est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié et que ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de pourvoir à son remplacement définitif n'est pas nul mais dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, la salariée s'est vu notifier son licenciement dans les termes suivants :
'Vous avez été convoquée à un entretien préalable le 10 février 2016, entretien auquel vous ne vous êtes pas présentée. Pour autant, nous sommes dans l'obligation de vous notifier votre licenciement en raison de la désorganisation du service engendrée par vos absences et par la nécessité de vous remplacer définitivement.
Vos absences répétées, notamment depuis le 26 décembre 2014 et votre absence prolongée à compter du 3 août 2015 ont nécessité le recours aux heures supplémentaires ainsi qu'à des missions d'intérim de volumes horaires respectifs de 693 heures et 161 heures.
Par ailleurs, votre établissement a été de nombreuses fois en difficulté du fait de vos absences et a dû faire appel à 78 reprises au centre d'entraide départemental de La Poste pour effectuer votre travail et assurer la distribution du courrier aux clients.
Outre la difficulté quotidienne créée par cette situation pour la gestion des équipes, le changement constant de personnel sur les tournées dégrade la qualité de service due aux clients.
En effet, votre fonction de facteur rouleur à [Localité 5] [Adresse 7] PDC, sur le site de [Localité 5], vous a donné une connaissance approfondie de l'organisation des tournées de votre bureau. Les agents qui vous remplacent n'ont pas la même connaissance du terrain, ce qui ne permet pas d'assurer un niveau de qualité de service durable.
Cette désorganisation cause un trouble à votre établissement de [Localité 5] [Adresse 7] PDC qui ne peut pas compter sur votre collaboration pour assurer le service et doit procéder au remplacement définitif de votre poste afin d'assurer le fonctionnement normal du bureau.
Ces faits mettent en cause la bonne marche de l'entreprise et votre absence à l'entretien préalable ne m'a pas permis de reconsidérer la décision envisagée.
Par conséquent, au regard des éléments évoqués, j'ai pris la décision de vous licencier'.
La salariée soutient, d'une part, que ses absences relèvent d'une origine professionnelle et, d'autre part, qu'elles ont été causées par un manquement grave de l'employeur à son obligation de sécurité.
Toutefois, bien que des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité soient établis en ce qui concerne l'année 2013, il apparaît qu'ils n'ont concerné que des périodes limitées dans le temps, l'employeur s'étant par la suite conformé à ses obligations en matière de prévention, eu égard notamment des mesures d'aménagement de poste qu'il a prises, au vu de la fiche de poste datée du 19 juillet 2014 telle que transmise à la salariée.
Dans ce contexte, la cour relève que les affections dont a été atteinte la salariée sont de nature différentes. Si le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité au mois de mars 2013 se rapporte à une affection dorsale de l'appelante, il apparaît que la salariée a par la suite été placée en arrêt de travail pour des motifs parfois étrangers à ses lombalgies initiales :'stress professionnel' le 11 avril 2013, 'douleur épaule gauche' le 8 août 2013, 'agression sur la voie publique' le 2 septembre 2013, entorse du genou gauche du 12 octobre au 20 novembre 2013....
S'agissant des arrêts de travail délivrés à la salariée à compter du 31 janvier 2015 et de ses affections, il est constant que ceux-ci résultent d'une dépression et de troubles d'ordre psychiatrique.
En dehors d'un raisonnement fondé sur des hypothèses nullement étayées, la salariée ne fournit aucun élément permettant de mettre en relation ces affections avec le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité au cours de l'année 2013.
De façon générale, outre le fait que l'origine professionnelle des affections successives de la salariée n'est pas établi, la chronologie des faits ne permet pas de caractériser de lien entre la méconnaissance initiale par l'employeur de ses obligations et les arrêts de travail répétés et prolongés de l'intéressée, notamment ses absences répétées depuis le 26 décembre 2014 et son absence prolongée pour maladie à compter d'août 2015.
Concernant la question de savoir si l'absence de la salariée a créé des perturbations au sein de l'entreprise entraînant la nécessité pour l'employeur de pourvoir à son remplacement définitif, ce dernier soutient qu'il a procédé au remplacement définitif de l'appelante en engageant Monsieur [B] [M], dans le cadre d'un contrat de professionnalisation le 4 avril 2016, lequel s'est poursuivi par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2016.
Bien que l'employeur se prévale de la proximité dans le temps entre ce recrutement et le licenciement de la salariée, il y a lieu de relever que celui-ci est intervenu dans un premier temps dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée, alors qu'il appartenait à la société de procéder au remplacement définitif de la salariée à une date proche du licenciement.
La société ne saurait valablement soutenir qu'elle a choisi de recruter Monsieur [M] 'pour remplacer définitivement' l'appelante, alors même que son recrutement est intervenu dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, pour une durée de plus de sept mois.
De même, la circonstance selon laquelle une formation était nécessaire à Monsieur [M] ne saurait justifier le choix de la société de ne pas recourir à un recrutement dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée pour procéder à un remplacement de l'appelante.
Dans ce contexte, la société ne saurait utilement se prévaloir de la poursuite des relations contractuelles avec Monsieur [M] dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2016 pour justifier du remplacement définitif de la salariée.
En l'absence de remplacement définitif de Mme [X] dans un délai raisonnable, le licenciement prononcé n'est pas nul comme discriminatoire en raison de l'état de santé de la salariée mais dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [X] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement nul et pour discrimination en raison de l'état de santé mais de l'infirmer en ce qu'il a dit le licenciement de l'intéressée fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Sur l'irrégularité de la procédure de licenciement :
Mme [X] sollicite à la fois une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement.
Aux termes de l'article L. 1235-2 du code du travail en sa rédaction en vigueur du 1er mai 2008 au 1er janvier 2018, si le licenciement d'un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l'employeur d'accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
L'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail ne peut se cumuler avec une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement mais en cas de licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et présentant une irrégularité de procédure, l'ensemble du préjudice subi par le salarié doit être pris en considération.
L'article L. 1232-2, alinéa 3 du code du travail dispose que l'entretien préalable de licenciement ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.
Alors qu'il est établi que la salariée a informé la société de son changement d'adresse par courrier recommandé réceptionné le 11 janvier 2016, cette dernière ne saurait valablement arguer de ce que la direction des ressources humaines n'avait pas été informée de ce changement d'adresse au moment de l'envoi de la lettre de convocation à l'entretien de licenciement, cette situation ne résultant que d'une défaillance dans la transmission d'information au sein de la société.
Il est par ailleurs établi, au vu de l'historique de distribution produit par la société, que consécutivement à cette erreur de cette dernière, la salariée n'a été destinataire de la lettre de convocation à l'entretien de licenciement que le 8 févier 2016.
Les échanges de correspondance produits par la salariée démontrent que l'employeur a, en dépit de cette réception tardive de la lettre de licenciement, refusé de faire droit à la demande de la salariée tendant au report de son entretien préalable de licenciement, fixé au 10 février 2016.
Le caractère irrégulier de la procédure de licenciement mise en oeuvre par l'employeur résulte ainsi de ce qu'un délai inférieur à cinq jours ouvrables a séparé la présentation de la lettre de licenciement du jour d'organisation de l'entretien préalable de licenciement.
Ce manquement de l'employeur à ses obligations a été de nature à causer un préjudice à la salariée, dans la mesure où cette dernière n'a pas disposé du délai nécessaire pour organiser sa participation audit entretien et, plus généralement, pour préparer sa défense.
La cour relève que l'employeur reconnaît lui-même, dans la lettre de licenciement, que l'absence de la salariée à l'entretien 'ne [lui] a pas permis de reconsidérer la décision envisagée'.
Cela étant, dans la mesure où, d'une part, le licenciement de l'appelante est dépourvu de cause réelle et sérieuse et, d'autre part, elle disposait d'une ancienneté de plus de deux années dans une entreprise employant plus de dix salariés, le manquement ainsi commis par l'employeur ne saurait donner lieu au versement d'une indemnité distincte des dommages et intérêts pour cause réelle et sérieuse alloués en application de l'article L. 1235-3 du code du travail.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts distincts pour non-respect de la procédure de licenciement.
Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Compte tenu des circonstances de la rupture et notamment du non-respect de la procédure de licenciement par l'employeur, de l'ancienneté de la salariée au moment de son licenciement et du salaire mensuel brut moyen d'un montant de 1.913,49 euros auquel elle pouvait prétendre, la cour fixe le préjudice subi par Mme [X] du fait de la perte injustifiée de son emploi à la somme de 15.000 euros. Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société La Poste à payer ladite somme à Mme [X] à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction en vigueur du 1er mai 2008 au 24 septembre 2017.
Sur les autres demandes :
La remise d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle emploi et d'un bulletin de paie rectificatif conformes au présent arrêt s'impose, sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte.
Les intérêts au taux légal avec capitalisation sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil sur les sommes susvisées seront dus dans les conditions précisées au dispositif.
La société La Poste, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Il y a lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et d'allouer à ce titre une somme de 3.000 euros à la salariée.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt contradictoire :
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 2 juillet 2019, sauf en ce qu'il déboute Mme [K] [X] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul, pour discrimination en raison de l'état de santé et pour non-respect de la procédure de licenciement ;
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :
Dit que la demande de dommages-intérêts de Mme [X] pour manquement de la société La Poste à l'obligation de sécurité est recevable comme n'étant pas prescrite;
Dit le licenciement de Mme [K] [X] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société anonyme La Poste à verser à Mme [K] [X] les sommes suivantes :
- 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du manquement de l'employeur à ses obligations résultant des articles L 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;
- 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne la remise par la société anonyme La Poste à Madame [K] [X] d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle emploi et d'un bulletin de paie rectificatif conformes au présent arrêt ;
Dit n'y avoir lieu d'ordonner une astreinte ;
Dit que les sommes allouées produisent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, avec capitalisation en application de l'article 1343-2 du code civil ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société anonyme La Poste aux dépens de première instance et d'appel
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,