COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 28A
DU 19 JUILLET 2022
N° RG 20/04290
N° Portalis DBV3-V-B7E-UBCN
AFFAIRE :
Consorts [Y]
C/
[H] [B] épouse [Y]
et autres ...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Mai 2020 par le Tribunal judiciaire de NANTERRE
N° Chambre : 2
N° RG : 16/12617
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-Me Anne-sophie TODISCO
-Me Oriane DONTOT
-Me Florence REMY
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 12 juillet 2022, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Monsieur [O], [S] [Y]
né le 26 Octobre 1955 à [Localité 16]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 8]
Monsieur [J], [Z], [N] [Y]
né le 20 Juin 1957 à [Localité 16]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 9]
Madame [W] [Y] épouse [T] Madame [W] [Y] épouse [T]
née le 20 Avril 1960 à [Localité 16]
de nationalité Française
[Adresse 10]
[Localité 14]
GRANDE BRETAGNE
Représentés par Me Michel PELLERIN substituant Me Anne-Sophie TODISCO, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : E1265
APPELANTS
****************
Madame [H] [B] épouse [Y]
née le 27 Novembre 1941 à [Localité 17] (BULGARIE)
de nationalité Française
[Adresse 18]
[Adresse 18]
[Localité 11]
représentée par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & ASSOCIES, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20200649
Me Blandine ZELLER substituant Me Xavier AUTAIN de la SCP LUSSAN, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P0077
S.C.I. KHANOUM PARADISE,
représentée par sa gérante domiciliée audit siège
N° SIRET : 533 734 703
[Adresse 1]
[Localité 12]
S.A.S. HARAS DU COTY, anciennement dénommée MISTY DU HOULEY
représentée par sa présidente domiciliée audit siège
N° SIRET : 533 734 505
[Adresse 6]
78270 [Localité 13]
S.C.I. DU COTY
représentée par sa gérante domiciliée audit siège
N° SIRET : 812 057 578
[Adresse 6]
78270 [Localité 13]
représentées par Me Florence REMY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : W15
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 Mai 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie LAUER, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Valentine BUCK, Conseiller,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
****************************
Vu le jugement rendu le 28 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Nanterre qui a statué ainsi :
- Déboute M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] de leur demande d'inopposabilité des cessions du 16 janvier 2015 et juin 2015 par Mme [B] veuve [Y] de son usufruit sur les terres et bâtiments de la propriété "élevage du Coty" située au Mesnil Renard sur la commune de [Localité 13] à la société Khanoum Paradise et à la SCI du Coty ;
- Déboute M. [O] [Y]. M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] de leurs demandes à titre de dommages-intérêts à l'encontre de la SAS Misty du Houley, la SCI Khanoum Paradise et la SCI du Coty ;
- Condamne Mme [H] [B], veuve [Y] à payer à M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] chacun la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts;
- Condamne Mme [H] [B], veuve [Y] aux dépens de I 'instance, dont distraction au profit de Me Anne-Sophie Todisco ;
- Condamne Mme [H] [B], veuve [Y] à payer à la SAS Misty du Houley, la SCI Khanoum Paradise. la SCI du Coty, M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] la somme de 1.500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Ordonne l'exécution provisoire ;
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Vu l'appel de ce jugement interjeté par M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] le 3 septembre 2020,
Vu leurs dernières conclusions notifiées le 12 avril 2022 par lesquelles ils demandent de :
Vu l'article 1167 ancien du code civil,
Vu la jurisprudence citée,
Vu le Jugement du Tribunal de Grande Instance de Versailles du 13 mars 2012,
Vu le procès verbal de saisie attribution entre les mains de la SAS Misty du Houley en date du 27/11/2012, Vu la lettre de Misty du Houley à l'huissier du 29/11/2012,
Vu que les associés des sociétés Haras du Coty anciennement dénommée Misty du Houley, Khanoum Paradise et SCI du Coty sont tous membres de la famille [R],
Vu que [E] [R], associé, est avocat,
Vu que le siège des 3 sociétés est le même,
Il est demandé à la Cour d'appel de :
* Recevoir les consorts [Y] en leurs conclusions, et y faisant droit,
* Débouter Mme [B] de l'ensemble de ses demandes, fins en conclusions,
* Débouter la société Haras du Coty anciennement dénommée Misty du Houley, la société Khanoum Paradise et la SCI du Coty de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
* Confirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Nanterre du 28 mai 2020 en ce qu'il a condamné Mme [B],
* Infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Nanterre du 28 mai 2020 en ce qu'il a débouté les consorts [Y] de leur demande d'inopposabilité des cessions du 16 janvier 2015 et 1er juin 2015 par Mme [B] veuve [Y] de son usufruit sur les terres et bâtiments de la propriété " Elevage du Coty " située au Mesnil Renard sur la commune de [Localité 13] à la société Khanoum Paradise et à la SCI du Coty,
* Infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Nanterre du 28 mai 2020 en ce qu'il a débouté les consorts [Y] de leurs demandes de dommages et intérêts à l'encontre de la SAS Haras du Coty anciennement dénommée Misty du Houley, la SCI Khanoum Paradise et la SCI du Coty,
* Infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Nanterre du 28 mai 2020 en ce qu'il a débouté les consorts [Y] de leurs demandes plus amples ou contraires, à savoir la condamnation de la SAS Haras du Coty anciennement dénommée Misty du Houley, la société Khanoum Paradise et la SCI du Coty à leur verser des dommages et intérêts et aux dépens,
Et statuant à nouveau,
* Constater que la cession de l'usufruit de Mme [B] veuve [Y] de la propriété " Elevage du Coty " sur la commune de [Localité 13], avec poursuite du bail rural consenti à la société Haras du Coty anciennement dénommée Misty du Houley, au profit de la société Khanoum Paradise, le 16 janvier 2015, a été réalisée en fraude des droits des consorts [Y],
* Constater que la société Haras du Coty anciennement dénommée Misty du Houley, preneur au bail rural à long terme, et la société Khanoum Paradise se sont rendues complices de cette fraude,
* Constater que la vente, avec reprise des engagements, de l'usufruit détenue par Mme [B] veuve [Y] de la propriété située à " [Localité 15] " sur la commune de [Localité 13], à la SCI du Coty, le 1er juin 2015, est intervenue en fraude des droits des consorts [Y],
* Constater que la SCI du Coty, acheteur de la propriété, s'est rendue complice de cette fraude,
Par conséquent,
A titre principal,
* Dire et juger que la cession de l'usufruit de Mme [B] veuve [Y] de la propriété " Elevage du Coty " sur la commune de [Localité 13], avec poursuite du bail rural consenti à la société Haras du Coty anciennement dénommée, au profit de la société Khanoum Paradise, le 16 janvier 2015, a été réalisée en fraude des droits des consorts [Y],
* Dire et juger que la vente, avec reprise des engagements, à la SCI du Coty, de l'usufruit détenu par Mme [B] veuve [Y] de la propriété située à " [Localité 15] " sur la commune de [Localité 13], à la SCI du Coty, le 1er juin 2015, est inopposable aux consorts [Y],
*Condamner solidairement Mme [B] veuve [Y], la société Haras du Coty anciennement dénommée Misty du Houley, la société Khanoum Paradise et la SCI DU Coty à payer aux consorts [Y] la somme de 10.000euros chacun à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la Cour ne faisait pas droit aux demandes d'inopposabilité des cessions,
* Condamner solidairement Mme [B] veuve [Y] et la société Haras du Coty anciennement dénommée Misty du Houley, à payer aux consorts [Y] la somme de 10.416,65 euros au titre des loyers de septembre 2014 à janvier 2015, avec intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2015, date du procès-verbal de saisie attribution,
En tout état de cause,
* Condamner solidairement Mme [B] veuve [Y], la société Haras du Coty anciennement dénommée Misty du Houley, la société Khanoum Paradise et la SCI du Coty à payer aux consorts [Y] la somme de 10.000 euros chacun en vertu de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance et en cause d'appel,
* Condamner solidairement Mme [B] veuve [Y], la société Haras du Coty anciennement dénommée Misty du Houley, la société Khanoum Paradise et la SCI du Coty au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel, qui comprendront notamment les frais d'inscriptions hypothécaires et des dénonciations à la SCI du Coty et à la société Khanoum Paradise, dont distraction au profit de Me Anne-Sophie Todisco dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions notifiées le 30 mars 2022 par Mme [B] qui demande de :
Vu le jugement du Tribunal judiciaire de Nanterre du 28 mai 2020,
Vu l'article 1167 (1341-2 nouveau) du code civil,
Vu l'article 4 du Code de procédure civile,
Vu les pièces versées aux débats,
Il est demandé à la Cour d'appel de Versailles de bien vouloir :
-confirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Nanterre du 28 mai 2020, RG n°16/12617 en ce qu'il a :
* Débouté M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] de leur demande d'inopposabilité des cessions du 16 janvier 2015 et 1er juin 2015 par Mme [B], veuve [Y] de son usufruit sur les terres et bâtiments de la propriété " Elevage du Coty " située au Mesnil-Renard sur la commune de [Localité 13] à la société Khanoum Paradise et à la SCI du Coty.
* Déclarer recevable et bienfondé l'appel incident formé par Mme [H] [B] à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Nanterre du 28 mai 2020, RG n°16/12617 ;
- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Nanterre du 28 mai 2020, RG n°16/12617 en ce qu'il a :
* Condamné Mme [H] [B], veuve [Y] à payer à M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T], chacun la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
* Condamné Mme [H] [B], veuve [Y] aux dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Anne Sophie Todisco ;
* Condamné Mme [H] [B], veuve [Y] à payer à la SAS Misty du Houley, la SCI Khanoum Paradise, la SCI du Coty, M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
* Ordonné l'exécution provisoire de ces condamnations ;
* Rejeté les demandes de condamnation formées par Mme [H] [B], veuve [Y] au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant a nouveau sur ces demandes :
- Déclarer mal fondée la condamnation de Mme [H] [B] au paiement de la somme de 5.000 euros chacun, à titre de dommages et intérêts à M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] ;
- Déclarer mal fondée la condamnation de Mme [H] [B] au paiement de la somme de 1.500 euros chacune à la SAS Misty du Houley, la SCI Khanoum Paradise, la SCI du Coty au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Déclarer mal fondée la condamnation de Mme [H] [B] au paiement des dépens ;
- Débouter M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Déclarer mal fondée l'exécution provisoire du jugement du 28 mai 2020 prononcée ; - Condamner les consorts [Y] au paiement de la somme de 5.000 euros, chacun, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
En tout etat de cause et à titre subsidiaire :
- Rejeter la demande de condamnation solidaire de Mme [H] [B], de la société Haras du Coty anciennement dénommée Misty Du Houley, Khanoum Paradise et la SCI du Coty de payer aux consorts [Y] la somme de 633.078 euros à titre de dommages et intérêts ;
- Rejeter la demande de condamnation de Mme [H] [B] de relever et garantir les sociétés Khanoum Paradise et SCI du Coty des condamnations qui seraient prononcées à leur encontre ;
- Rejeter la demande de condamnation de Mme [H] [B] d'avoir à payer à la SCI du Coty et Khanoum Paradise la somme de 10.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner les consorts [Y] au paiement de la somme de 10.000 euros, chacun, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- Condamner les consorts [Y] au paiement de la somme de 10.000 euros, chacun, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel ;
- Condamner les consorts [Y] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Oriane Dontot, Jrf & Associes, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.
- Statuer sur ce qu'il appartiendra sur les demandes formées entre les seuls consorts [Y] et les sociétés Haras du Coty anciennement dénommée Misty du Houley, Khanoum Paradise et la SCI du Coty.
Vu les dernières conclusions notifiées le 13 avril 2022 par les sociétés Khanoum Paradise, Haras du Coty et SCI du Coty qui demandent de :
Vu les pièces produites,
A titre principal,
- Confirmer le jugement déféré à l'examen de la Cour en ce qu'il a :
Débouté M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] de leur demande d'inopposabilité des cessions du 16 janvier 2015 et 1er juin 2015 par Mme [B] veuve [Y] de son usufruit sur les terres et bâtiments de la propriété "élevage du Coty" située au Mesnil Renard sur la commune de [Localité 13] à la société Khanoum Paradise et à la SCI du Coty ;
Débouté M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] de leurs demandes à titre de dommages-intérêts à l'encontre de la SAS Misty du Houley, la SCI Khanoum Paradise et la SCI du Coty ;
En conséquence débouter les consorts [Y] de l'ensemble de leurs demandes en cause d'appel à l'encontre des concluantes.
- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté les sociétés Misty du Houley, Khanoum Paradise, et Sci du Coty de leurs demandes indemnitaires pour procédure abusive et sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile à l'encontre des consorts [Y].
Statuant à nouveau sur ces demandes :
- Condamner solidairement MM. [O] et [J] [Y] et [W] [T] née [Y] d'avoir à payer à la SAS Haras du Coty, anciennement dénommée Misty du Houley, chacune, la somme de 15.000 euros chacune au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive
- Condamner Messieurs [O] et [J] [Y] et [W] [T] née [Y] à payer à la SCI DU Coty et à la SOCIETE Khanoum Paradise la somme de 12.000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Les condamner aux entiers dépens.
Subsidiairement,
Si par extraordinaire la Cour devait faire droit aux prétentions des demandeurs, il lui est alors demandé de :
- Condamner Mme [B] à relever et garantir les concluantes de toute(s) condamnation qui serait prononcée à leur encontre au profit des consorts [Y]
- Condamner Mme [B] d'avoir à payer à la SCI du Coty et à la societe Khanoum Paradise la somme de 12.000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- Statuer ce qu'il appartiendra sur les demandes formées entre les seuls consorts [Y] et Mme [B].
FAITS ET PROCÉDURE
[X] [Y] est décédé le 17 mars 1994, laissant pour lui succéder ses trois enfants d'un premier mariage ([O], [J] et [W] [Y]) et sa seconde épouse ([H] [B]) donataire de l'universalité des biens du défunt.
Un acte de partage a été établi le 14 novembre 1995 entre ceux-ci, portant notamment sur une propriété agricole dénommée "élevage du Coty", située sur la commune de [Localité 13] (Yvelines) lieu dit [Localité 15] qui est revenue à Mme [B].
Le 13 octobre 1999, celle-ci en a vendu la nue propriété à la SA Naver (dont son frère est unique actionnaire) au prix de 554.914,42 euros.
Par acte du 28 novembre 2008, M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] (ci-après les consorts [Y]) ont fait assigner Mme [H] [B] veuve [Y] devant le tribunal de grande instance de Versailles pour recel successoral.
Par actes authentiques, Mme [H] [B] a conclu les accords suivants avec trois sociétés familiales de la famille [R] (la SAS Misty du Houley, la SCI Bellilote et la SCI Khanoum Paradise), constituées et immatriculées en juillet et août 2011 et dénommées ci-après les sociétés intimées.
- le 29 décembre 2011, un bail rural de 24 ans à la SAS Misty du Houley de la propriété agricole "élevage du Coty" moyennant un fermage de 25.000 euros par an,
- le 29 décembre 2011, une promesse de cession de son usufruit sur la propriété agricole "élevage du Coty" à la SCI Khanoum Paradise au prix de 127.078 euros valable jusqu'au 3 1 décembre 2014,
- le 22 mars 2012, une vente de la nue propriété de la propriété agricole "élevage du Coty" de la SA Naver à la SCI Bellilote et un pacte de préférence de la SA Naver et Mme [B] au profit de la SCI Bellilote en cas d'aliénation des parcelles B [Cadastre 7] et [Cadastre 3] d'une durée de 30 ans.
Par jugement du 13 mars 2012 signifié le 11 avril 2012, le tribunal de grande instance de Versailles a constaté le recel successoral et condamné Mme [H] [B] à rapporter à la succession les sommes de 1.263.658 euros et 76.224,50 euros et trois automobiles, sans pouvoir prétendre à aucun droit sur ces biens, ainsi qu'à payer à chacun des demandeurs des dommages et intérêts, sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
La demande de Mme [H] [B] de suspension de l'exécution provisoire a été rejetée par ordonnance du 8 février 2013. Elle a fait appel du jugement du 13 mars 2012 mais ne l'a pas exécuté (au 9 juin 2017, seulement 50.503,90 euros ont été payés) de sorte que l 'affaire a été retirée du rôle.
Les consorts [Y] ont confié l'exécution forcée du jugement à la SCP Simon & Rameil, huissiers de justice à [Localité 13].
Le 27 novembre 2012, celle-ci a effectué une saisie attribution sur les fermages dus à Mme [B] entre les mains de la SAS Misty du Houley, titulaire du bail rural précité.
Le 29 novembre 2012, la SAS Misty du Houley informait l'huissier qu'elle avait payé trois années de fermage d'avance le 29 décembre 2011 à Mme [B], de sorte qu'elle n'était redevable d'aucune somme au jour de la saisie.
Le 30 octobre 2014, les consorts [Y] ont porté plainte auprès du procureur de la République de Versailles des chefs d'organisation frauduleuse d'insolvabilité et de détournement d'objets saisis. Une information judiciaire a été ouverte le 9 août 2016 et est toujours en cours.
Le 24 novembre 2015, la SCP Rameil & Janas a fait une nouvelle saisie attribution entre les mains de la SAS Misty du Houley. Le 26 novembre 2015, celle-ci informait l'huissier de justice que Mme [B] avait cédé les terres et bâtiments à la société Khanoum Paradise le 16 janvier 2015.
En effet, Mme [B] a cédé son usufruit sur la propriété agricole "élevage du Coty" à la société Khanoum Paradise moyennant la somme de 127.078 euros par acte du 16 janvier 2015, avec reprise du bail rural consenti à la société Misty du Houley.
De plus, par acte du 1er juin 2015, Mme [B] et la SA Naver ont vendu les deux parcelles B [Cadastre 7] et [Cadastre 3], sur lesquelles sont situées principalement la maison principale, et une maison de gardien à la SCI du Coty, substituée à la SCI Bellilote, au prix de 1.200.000 euros, dont 506.400 euros à Mme [B] pour la cession de son usufruit.
Le 26 juillet 2016, les consorts [Y] ont pris une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur le domaine à hauteur de 633.478 euros.
C'est dans ces conditions que, par actes du 19 septembre 2016, les consorts [Y] ont fait assigner la SAS Misty du Houley, la SCI Khanoum Paradise, la SCI du Coty et Mme [H] [B] sur le fondement de l'article 1167 du code civil, aux fins de voir dire que les cessions intervenues en 2015 entre Mme [B] d'une part et les sociétés Misty du Houley, Khanoum Paradise et la SCI du Coty d'autres part, portant sur les terres et des bâtiments situés sur la commune de Bonnières-sur-Seine, leur sont inopposables car intervenues en fraude de leurs droits, et en paiement de dommages-intérêts et que le tribunal a prononcé le jugement déféré.
SUR CE, LA COUR,
Les limites de l'appel
Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d'appel se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.
La cour rappelle que l'article 954 du code de procédure civile oblige les parties à énoncer leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions et que la cour ne statue que sur celles-ci.
Par prétention, il faut entendre, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, une demande en justice tendant à ce qu'il soit tranché un point litigieux.
Par voie de conséquence, les "dire et juger" ne constituent pas des prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l'examen des griefs formulés contre le jugement et à la discussion des prétentions et moyens, pas dans le dispositif. La cour ne répondra de ce fait à de tels "dire et juger" qu'à condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée en appel et énoncée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif de son arrêt, mais dans ses motifs.
Selon l'article 954, les parties formulent expressément leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions, la cour ne statuant que sur celles-ci. L'adverbe "expressément" qualifie sans aucun doute possible une volonté clairement exprimée.
Il découle de ce texte que le dispositif des conclusions doit récapituler les prétentions des parties de manière claire et distincte.
Un dispositif qui ne répondrait pas à cet impératif contreviendrait tant à l'esprit qu'à la lettre des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile dont le respect participe assurément au bon déroulement d'un procès équitable.
Il s'infère de ce qui précède que la cour ne statuera pas sur une demande non expressément formulée.
L'action paulienne
Les consorts [Y] poursuivent l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il les a déboutés de leur demande tendant à se voir déclarer inopposables les cessions réalisées les 16 janvier 2015 et 1er juin 2015 par Mme [B]. Mme [B] et les sociétés intimées sollicitent la confirmation du jugement sur ce point.
En application de l'article 1167 du code civil dans sa rédaction applicable au présent litige, les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits. Il convient donc de vérifier si les conditions de cette action sont ou non remplies en l'espèce.
L'antériorité de la créance
Moyens des parties
Les consorts [Y] font valoir que :
- Mme [B] se refuse à exécuter la condamnation prononcée par le jugement du 13 mars 2015 et organise son insolvabilité afin de porter préjudice à ses créanciers et qu'elle a ainsi entrepris de vendre tous ses biens immobiliers afin de faire obstacle à l'exécution de ce jugement alors qu'elle avait hérité après la mort de son époux de nombreux biens et liquidités,
- Leur créance est certaine au jour des cessions intervenues les 16 janvier et 1er juin 2015 puisqu'elle résulte du jugement du tribunal de grande instance de Versailles du 13 mars 2012,
- Contrairement à ce que soutiennent les intimés en se prévalant d'une promesse d'achat signée le 29 décembre 2011, la condition d'antériorité de la créance est remplie puisque le transfert de propriété n'est intervenu qu'à la date des cessions, à savoir les 16 janvier et 1er juin 2015.
Mme [B] soutient que les actes de cession des 16 janvier et 1er juin 2015 ayant été passés en exécution des engagements antérieurs résultant des promesses de cession d'usufruit formalisées les 29 décembre 2011 et 22 mars 2012 ; à la date de ces promesses les consorts [Y] ne disposaient d'aucune créance.
Les sociétés intimées objectent qu'en décembre 2011, date à laquelle Mme [B] leur a consenti des promesses de vente tant sur sa maison de [Localité 13] que sur l'élevage du Coty, ils n'avaient pas connaissance de la créance des consorts [Y], seule la saisie pratiquée entre les mains de la gérante de la société Misty du Houley pour le paiement des loyers le 27 novembre 2012 leur ayant révélé l'existence de celle-ci. À la date des cessions proprement dites, ils disent avoir légitimement pensé que cette créance était éteinte, aucun certificat de non contestation ne leur ayant été communiqué par la suite et ce d'autant que les consorts [Y], pourtant informés des promesses de vente qui ont été publiées à la conservation des hypothèques, alors que cette mesure n'était pas obligatoire, n'ont même pas pris la peine de prendre des mesures conservatoires ou de les tenir informés de la persistance de leur créance. Ils affirment que cette mesure de publication qui a pour effet d'informer tous les tiers et donc les éventuels créanciers de Mme [B] des ventes à venir démontre qu'ils n'avaient évidemment aucune intention frauduleuse.
Appréciation de la cour
L'action paulienne permet aux créanciers de se voir déclarer inopposables les actes de leur débiteur passés en vue de faire échapper certains biens à leur gage. Il en résulte que c'est à la date de l'acte par lequel le débiteur se dépouille que les juges doivent se placer pour déterminer s'il y a eu fraude ou non (Civ 1, 2 mai 1989, Bull. Civ I).
En l'espèce, les biens litigieux ne sont pas sortis du patrimoine de Mme [B] à la date des promesses de vente du 29 décembre 2011, si bien que celle-ci ne s'est pas appauvrie à cette date, mais à la date de levée de l'option par les sociétés intimées, à savoir à la date des actes de cession des 16 janvier et 1er juin 2015. C'est donc à bon droit que le tribunal a retenu que la condition d'antériorité de la créance était remplie.
L'insolvabilité du débiteur et la connaissance par le débiteur du préjudice causé au créancier
Moyens des parties
Les consorts [Y] font valoir qu'afin d'échapper aux poursuites de ses créanciers, Mme [B] a organisé son insolvabilité et ce afin de leur porter préjudice en entreprenant de vendre tous ses biens alors qu'elle avait hérité à la mort de son époux, [O] [Y], de nombreux biens et liquidités. Ils soulignent que le fait que Mme [B] n'ait pas réglé ses créanciers avec le produit de la cession démontre que son objectif était de faire échapper le bien à tout acte d'exécution de la part de ses créanciers.
Mme [B] affirme qu'à la date des promesses elle n'était pas insolvable et disposait au contraire d'une surface financière importante du fait des biens reçus de la succession de son mari, [X] [Y]. Elle en déduit qu'à cette date puisqu'elle ne faisait l'objet d'aucune condamnation et n'était qu'une simple usufruitière des biens, elle ne pouvait avoir connaissance du prétendu préjudice causé aux enfants [Y].
Les sociétés intimées objectent qu'elles ignoraient l'insolvabilité de Mme [B] et pensaient au contraire qu'elle disposait d'autres biens et d'une certaine surface financière. Contrairement à ce que soutiennent les consorts [Y], ils considèrent que cette insolvabilité éventuelle n'était apparente ni en décembre 2011, date des promesses, ni en 2015 date des ventes. Les sociétés intimées opposent qu'elles ne pouvaient avoir conscience d'un éventuel préjudice causé aux consorts [Y] puisqu'elles pensaient que la créance était éteinte.
Appréciation de la cour
C'est aux termes d'exacts motifs adoptés par la cour que le tribunal a retenu, au vu des actes de poursuite infructueux diligentés par les consorts [Y], que Mme [B] était bien dans un état d'insolvabilité apparente au moment des cessions litigieuses peu important que les sociétés intimées aient ou non eu connaissance de cette insolvabilité. Le tribunal a également exactement retenu que la vente de propriétés immobilières se trouvant sur le territoire français est une décision de nature à causer un préjudice aux créanciers français en ce qu'elle permet à Mme [B] de placer ses avoirs sur des supports difficiles à identifier pour ses créanciers (d' autant plus qu' elle est désormais domiciliée à l'étranger) et bien plus volatils que des biens immobiliers sur lesquels des sûretés réelles peuvent être prises. Il en a ainsi justement déduit qu'à la date des cessions litigieuses les 16 janvier et 1er juin 2015, Mme [B] avait connaissance du préjudice porté au créancier.
La complicité des cocontractants du débiteur dans la fraude
Moyens des parties
Les consorts [Y] affirment que le tribunal a commis une erreur d'appréciation et que des liens manifestes et une relation douteuse existent bien entre Mme [B] et les sociétés intimées. Ils mettent en exergue les éléments suivants :
- À compter de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Versailles du 9 décembre 2010 enjoignant Mme [B] de communiquer les relevés du compte suisse, la notification de son redressement fiscal et la réponse adressée à l'administration, celle-ci ne pouvait ignorer la très forte probabilité d'une condamnation dans le cadre de la procédure qui était en cours devant le tribunal de grande instance de Versailles,
- tous les actes accomplis postérieurement à cette injonction doivent donc être considérés comme suspects et accomplis afin d'organiser l'insolvabilité de Mme [B] pour échapper à toute exécution d'un jugement la condamnant,
- le 29 décembre 2011, soit trois mois avant le prononcé du jugement la condamnant, Mme [B], après avoir passé le même jour un bail rural à long terme avec la société Misty du Houley, a signé hors la vue du notaire avec cette même société un protocole d'accord, non annexé au bail, aux termes duquel le locataire s'est engagé à lui payer trois années de fermages d'avance, soit 75 000 euros,
- l'acceptation de cette jeune société créée en juillet 2011 établit la collusion entre les parties puisque ce versement est économiquement aberrant,
- ne pas annexer ce protocole au bail caractérise la volonté des parties de soustraire ces sommes aux créanciers de Mme [B],
- la saisie attribution pratiquée en 2012 a permis de faire connaître aux sociétés intimées leur créance qu'elles ont pourtant sciemment ignorée par la suite,
- contrairement à ce que soutiennent les sociétés intimées, ce paiement ne pouvait permettre d'éviter le versement d'une indemnité d'immobilisation puisque aucune indemnité d'immobilisation n'a été prévue ni dans le bail rural ni dans le protocole d'accord relatif au paiement des trois années de loyers d'avance , alors que la promesse (pièce n°2 des intimés) prévoit bien que le bénéficiaire verse une indemnité d'immobilisation de 12 707,80 euros et que la société Misty du Houley l'a bien versée,
- le règlement de trois ans de loyers d'avance sans contrepartie apparaît d'autant plus aberrant qu'il apparaît selon la pièce n° 29 des sociétés intimées que la famille [R] disposait de fonds propres à hauteur de 233 903 euros,
- les sociétés intimées connaissaient leur créance à compter de la saisie attribution du 27 novembre 2012 pratiquée sur les fermages dus par la société Misty du Houley à Mme [B], ce qu'elles ont reconnu dans leurs écritures de première instance,
- ceci d'autant plus que lors de la signature du pacte de préférence du 22 mars 2012, 10 jours après le jugement reconnaissant leur créance, la société Naver était représentée par M. [L], frère de Mme [B] et actionnaire unique de cette société de sorte que la complicité du preneur à bail, la société Misty du Houley, qui n'a jamais exécuté la saisie attribution, est manifeste,
- les loyers pour la période de septembre 2014 à janvier 2015 ainsi que la taxe foncière, en méconnaissance de la saisie attribution, ne leur ont pas été reversés, ce qui confirme la complicité des cocontractants du débiteur dans la fraude, leurs explications à cet égard étant fantaisistes et variables selon les dossiers et ne démontrant pas que les prétendues sommes se sont compensées de sorte que le tribunal a commis une erreur d'appréciation à cet égard,
- les trois sociétés intimées sont entre les mains de la famille [R] et constituent un groupe dont chacune des sociétés a certes une existence juridique propre mais des intérêts communs et convergents, leurs liens avec Mme [B] étant au demeurant démontrés par leur parfaite connaissance de la procédure pénale,
- Mme [B] n'ayant pas exécuté les causes du jugement déféré assorti de l'exécution provisoire, le fait que les sociétés intimées n'aient pas sollicité la radiation de son appel incident confirme leur collusion avec elle.
Les sociétés intimées nient toute complicité dès lors que l'opération a été réalisée en toute transparence selon elles. Elles rappellent que les promesses de vente sont antérieures d'un an à la notification du procès-verbal de saisie à la société Misty du Houley sur le fondement du jugement obtenu contre Mme [B] et qu'à cette date elles n'avaient aucune connaissance de cette créance, ce qui exclut toute notion de fraude. Elles ajoutent que, postérieurement à cette notification, les sociétés Khanoum Paradise et SCI du Coty ont attendu encore deux ans pour mettre à exécution les promesses du 29 décembre 2011. En réplique aux appelants qui soulignent que les deux ventes querellées ont eu lieu à six mois d'intervalle, elles rappellent que ces ventes sont intervenues en exécution de promesses publiées trois ans plus tôt et que la première vente a encore fait l'objet d'une publication avant la réalisation de la seconde vente, ce qui contredit selon elles toute allégation de fraude à l'encontre des acquéreurs. Elles affirment au contraire que si leur intention avait été frauduleuse, elles se seraient précipitées pour passer les ventes dès la signification de la saisie des consorts [Y]. Elles nient toute relation familiale ou amicale entre Mme [B] et leurs associés, les relations entretenues préalablement à la signature des actes s'étant limitées aux chevaux mis en pension. Elles ajoutent que, contrairement à ce que soutiennent les appelants, Mme [B] n'a pas conservé la jouissance du bien cédé.
Elles opposent encore que le protocole d'accord du 29 décembre 2011, passé devant notaire contrairement à ce qu'affirment les appelants (pièces n° 31 et 32), en vertu duquel la société Misty du Houley s'est engagée à régler trois ans de loyers d'avance, les fonds ayant transité par la comptabilité du notaire, n'est en rien aberrant. Elles précisent qu'il fait suite à une demande tardive de Mme [B] qui a souhaité avoir l'assurance de l'engagement de la famille [R] dans la mesure où les promesses de vente rendaient ses biens indisponibles pendant une durée de trois ans sans avoir la certitude que les bénéficiaires lèveraient l'option. Elles soutiennent que cette avance permettait de ne pas bloquer une indemnité d'immobilisation pendant trois ans et qui de plus se serait ajoutée au loyer, mobilisant ainsi plus de fonds alors que le versement d'avance du loyer permettait de ne pas obérer la capacité d'endettement de la société Misty du Houley pendant la période délicate du démarrage de son activité. Elles objectent que ce fonctionnement n'avait rien d'incohérent dans la mesure où les sociétés étaient alors financées uniquement par les apports en compte courant des époux [R] ainsi qu'elles en justifient par attestation de leur comptable (pièce n° 29).
Elles affirment également que le fait que les sociétés Bellilote, SCI du Coty et Khanoum Paradise aient les mêmes associés que la société Misty du Houley démontre au contraire la totale transparence des consorts [R] dès lors que la structure en trois sociétés permet de concilier les nécessités de l'exploitation commerciale et les choix d'organisation patrimoniale de la famille [R], laquelle est sans lien avec le litige opposant Mme [B] et les consorts [Y]. Elles précisent que la fille du couple, [G] [R], exerce bien son activité professionnelle en qualité d' éleveur de chevaux et de présidente de la société Misty du Houley. Quant au fait que Mme [R] soit la gérante de ces sociétés, elles y voient un élément de preuve supplémentaire de l'absence de fraude car, dans l'hypothèse inverse, les consorts [R] auraient au contraire fait en sorte qu'aucun lien ne puisse être établi entre la société Misty du Houley à qui a été notifiée la saisie et les sociétés qui ont acquis les biens.
Elles répliquent par ailleurs que si la gérante avait connaissance de la créance depuis novembre 2012, en janvier 2015 et en juin 2015, date à laquelle les actes de cession querellés ont été passés, la situation était bien différente puisque aucun certificat de non contestation n'avait été communiqué pas plus qu'il n'a été porté à leur connaissance qu'une hypothèque aurait été prise sur les biens de sorte que la gérante avait tout lieu de croire que cette créance n'existait plus. Elles observent au demeurant que les vérifications opérées par le notaire à la date des cessions et telles qu'indiquées dans les actes authentiques précisent que les biens ne sont grevés d'aucune inscription.
Contrairement à ce qui est avancé par les appelants une fois encore, elles rappellent que le prix de vente a été payé entre les mains du notaire de sorte qu'il ne peut être soutenu que le prix de vente aurait été réglé sur un compte à l'étranger.
Elles objectent, s'agissant de la cession de la nue-propriété à la société Naver, qu'elles ignoraient totalement que celle-ci était représentée par le frère de Mme [B] et, en tout état de cause, que cette cession est intervenue en 1999, soit 16 ans avant les ventes querellées, donc à une époque où M. [R] n'avait pas même connaissance de l'existence des consorts [Y] et de leur litige avec Mme [B].
Elles affirment également que lors de la saisie attribution pratiquée le 27 novembre 2012 (pièce n° 14 des appelants), la société Misty du Houley n'était débitrice d'aucun loyer, trois ans de loyers d'avance ayant été prévus par le protocole d'accord du 29 décembre 2011, la somme de 75 000 euros ayant été passée en comptabilité du notaire. Il s'ensuit que les loyers étaient réglés jusqu'au 29 décembre 2014. En ce qui concerne, les loyers dus à partir de 2015, le bailleur était la société Khanoum Paradise, de sorte que plus aucune somme n'était due à Mme [B] à ce titre. Elles précisent que le bail ayant rétroagi au 1er septembre 2011, la société Misty du Houley était également redevable des loyers du 1er septembre au 29 décembre 2011, soit une somme de 8334 euros, Mme [B] étant de son côté débitrice des pensions de chevaux qu'elle avait temporairement continué à encaisser, soit une somme de 23 179,74 euros qui a fait l'objet d'une facture du 10 mars 2012, soldée par Mme [B] en mars et avril 2012. Quant à la taxe foncière, elles objectent que Mme [B] n'a réclamé aucun paiement à ce titre.
Mme [B] s'associe à l'argumentation des sociétés intimées.
Appréciation de la cour
Il est inopérant que l'indemnité d'immobilisation n'ait été prévue ni dans le bail rural ni dans le protocole d'accord et que ces actes n'aient pas précisé que le versement de trois ans de loyers d'avance en tenait lieu dès lors que celle-ci était bien stipulée dans la promesse du 29 décembre 2011 (pièce n° 2 des sociétés intimées), peu important que la cause du versement d'avance n'en ait pas été signalée dans le bail rural ou encore dans le protocole d'accord. Que la promesse indique que le bénéficiaire verse cette indemnité d'immobilisation ne démontre pas le caractère effectif de ce versement surtout que c'est le même jour qu'est intervenu le protocole d'accord entre le bailleur et le preneur.
De même est-il justifié par une attestation de leur expert-comptable (pièce n° 29 des sociétés intimées) que M. et Mme [R] disposaient dans les écritures de la société Misty du Houley d'un compte courant représentant la somme totale de 233 903 euros, ce qui a permis le règlement des trois ans de loyers d'avance et était donc de nature à alléger la trésorerie du preneur durant cette période et à faciliter le démarrage de son activité de sorte qu'il n'est pas démontré que ce règlement ait été économiquement aberrant.
En ce qui concerne la compensation entre les loyers dus par la société Misty du Houley du 1er septembre au 29 décembre 2011 et les pensions de chevaux encaissées par Mme [B], il est justifié (pièce n°16 des sociétés intimées) qu'elle a fait l'objet d'une facture émise le 10 mars 2012 pour un montant de 16614,16 euros soldée par chèque du 13 mars 2012 et virement du 10 avril 2012. Cette facture a été émise à partir d'un compte établi par la société Misty du Houley en vertu duquel celle-ci se reconnaissait débitrice d'une somme de 8334 euros au titre des loyers dus du 1er septembre 2011 au 29 décembre 2012, Mme [B] étant elle-même débitrice d'une somme de 23 179,74 euros au titre des pensions de chevaux qu'elle avait continué à encaisser temporairement. Cette circonstance n'est pas de nature à démontrer la fraude des tiers acquéreurs dès lors qu'aux yeux des utilisateurs du centre équestre, Mme [B] a pu, tout aussi temporairement, continuer d'apparaître comme l'exploitant, le temps que le relais avec la société Misty du Houley se mette en place.
Il doit être rappelé que le protocole du 29 décembre 2011 prévoyant le règlement de trois ans de loyers d'avance a été régularisé sur la demande de Mme [B] qui souhaitait des garanties puisque, par la promesse de cession, elle s'était elle-même engagée sur une durée de trois ans à céder son usufruit. Il n'y a donc pas lieu de trouver matière à fraude dans le fait que ce protocole n'ait pas intégré les loyers qui étaient dus depuis le 1er septembre 2011, mais seulement ceux dus du 29 décembre 2011 au 29 décembre 2014.
Il est justifié par la facture du 10 mars 2012 que ces loyers ont été réglés par compensation avec les pensions de chevaux que Mme [B] devait elle-même à la société Misty du Houley. La circonstance que cette facture mentionne qu'elle a été soldée n'est pas de nature à contredire l'existence de cette compensation puisque, les règlements par chèque du 10 mars 2012 et virement du 10 avril 2012 ont soldé la facture pour ce seul solde en faveur de la société Misty du Houley, soit pour la somme de 16 614,16 euros.
Il n'est justifié à compter du mois de janvier 2015 d'aucun règlement de loyers entre les mains de Mme [B], celle-ci ayant cédé son usufruit sur l'élevage du Coty à la société Khanoum Paradise le 16 janvier 2015 (pièce n° 8 des sociétés intimées). Par là même, les consorts [Y] ne peuvent qu'être déboutés de leur demande subsidiaire tendant à obtenir le règlement de ces loyers, demande dont ils n'expliquent pas au surplus le fondement juridique. Quant à la taxe foncière due à compter de 2015, si certes Mme [R] lors de la notification du procès-verbal de saisie attribution du 27 novembre 2012 a pu reconnaître que la société Misty du Houley devrait la régler, encore conviendrait-il que Mme [B] en ait effectivement appelé le paiement, ce qui n'est justifié par aucun élément du dossier.
En définitive, les comptes entre Mme [B] et les sociétés intimées ne sont pas de nature à démontrer l'existence d'une fraude de la part des tiers acquéreurs.
Quant au fait que le gérant de la société Naver, nu-propriétaire, M. [L] était le frère de [B], il n'est pas démontré que les sociétés intimées en avaient connaissance.
De plus, s'il est manifeste que les associés et la gérante des sociétés intimées sont des membres de la famille [R], la constitution par celle-ci de SCI et d'une société commerciale pour l'exploitation du centre équestre correspond à un schéma de gestion du patrimoine familial somme toute usuel.
Enfin, les consorts [Y] entretiennent la confusion entre les différentes procédures. En effet, s'ils reprochent aux sociétés intimées de ne pas avoir sollicité la radiation d'un appel de Mme [B] comme ils l'ont fait eux-mêmes, la pièce n° 60 à laquelle ils se réfèrent pour démontrer cette diligence de leur part concerne une affaire les opposant à d'autres parties. Ce moyen est donc totalement inopérant.
Le caractère dérisoire du prix des cessions
Moyens des parties
Les consorts [Y] soutiennent que l'estimation, sous-évaluée et incohérente, des biens effectuée par l'expert de M. [R] montre la complicité entre Mme [B] et ses acquéreurs. Ils ajoutent qu'une comparaison avec les ventes réalisées à cette même période et dans un périmètre voisin confirme cette sous-évaluation. Ils relèvent que :
- l'expert a appliqué un coefficient de vétusté de 85 % sur les carrières après avoir constaté leur bon état,
- il a appliqué un coefficient de vétusté de 80 % pour les clôtures alors qu'elles apportent une plus-value importante aux enclos et que Mme [B] a produit une facture du 31 janvier 2011 pour 108 barres de bois de 3 m de longueur chacune,
- l'expert suppose que les parcelles sont classées en quatrième classe qui se voit appliquer une moins-value de 2 % contrairement à celle des première et deuxième classe qui bénéficient d'une plus-value de 6 % alors que cette classification a une grande influence puisqu'il s'agit du lot le plus onéreux malgré cette moins value,
- le nu-propriétaire, la société Naver, n'était nullement représenté à cette expertise, ce qui est plus que douteux.
Ils disent par ailleurs justifier de la sous-évaluation du prix des cessions litigieuses par la production de termes de comparaison dont il résulte que la maison a une valeur d'environ 997 260 euros arrondis à 1 million d'euros et le centre équestre une valeur de 1 790 000 euros.
S'agissant du centre équestre, ils fournissent huit éléments de comparaison mais admettent que seule la vente n° 6, intervenue le 18 juillet 2016, est comparable puisqu'elle ne comporte pas d'habitation. Il faut néanmoins, d'après eux, ajouter la valorisation du surplus de terrain de 40 ha, à 0,85 euros du mètre carré. La valeur vénale du centre équestre s'établit ainsi à 450 000 euros outre 790 000 euros pour les terres alors que les cessions litigieuses, ont été réalisées pour un montant total de 1 327 078 euros, soit 472 922 euros de moins que leur propre estimation.
Ils font encore valoir que :
- les cessions sont intervenues en 2015, soit plus de trois ans après l'expertise de sorte que le prix avait donc nécessairement augmenté,
- le locataire étant la société Misty du Houley, il n'y avait pas lieu de retenir le prix du bien loué contrairement à ce que soutiennent les intimés,
- l'expert avait évalué la valeur locative à 30 588 euros alors que le bail rural à long terme a été consenti pour un loyer annuel de 25 000 euros de sorte que cette sous-évaluation fait présumer les liens de complicité entre Mme [B] et la famille [R] en permettant à la société Khanoum Paradise de faire une bonne affaire, Mme [B] trouvant elle-même sa contrepartie,
- le bien ayant été sous-évalué, l'usufruit l'est également, ceci d'autant plus qu'à la date de la promesse, devait s'appliquer le taux de 40 % du barème fiscal puisque Mme [B] était âgée de 70 ans et non le taux de 30 %, ce qui représente une diminution de 25 % de la valeur,
- en se référant au barème fiscal, l'évaluation ne tient pas compte des caractéristiques propres du bien et en particulier sa rentabilité,
- Mme [B] n'avait aucun intérêt à cette sous-évaluation si ce n'est que les parties se sont entendues et qu'elle a obtenu d'autres contreparties, de sorte que la collusion est manifeste,
- les liens familiaux existants entre les diverses sociétés intimées et ceux qu'elles entretiennent avec Mme [B] confirment la complicité de fraude,
- la connaissance par les sociétés intimées de l'état de la procédure pénale confirme l'existence de ces liens et que Mme [B] les a tenues régulièrement au courant de l'évolution de la procédure en cours.
Les sociétés intimées réfutent le caractère dérisoire du prix des cessions. Elles indiquent que la maison de [Localité 13] a été vendue pour un montant en pleine propriété de 1 200 000 euros alors que, dans leurs premières conclusions d'appel, les appelants ont eux-mêmes soutenu que la valeur du bien selon le prix du marché serait de 997 260 euros arrondis à 1 million d'euros. Quant à la vente de l'élevage du Coty, elles soulignent que celle-ci s'est faite à dire d'expert, l'expertise ayant été finalisée en août 2011, soit 18 mois avant la notification de la saisie du 27 novembre 2012. Sur la valeur de l'usufruit, elles rappellent que lors de la vente en janvier 2015, Mme [B] avait 73 ans de sorte qu'il était donc parfaitement légitime d'appliquer un taux de 30 %, étant précisé qu'en réalité le taux retenu est supérieur à 30, 5 % comme l'a très bien noté le tribunal.
Elles jugent dépourvues de toute pertinence les critiques des consorts [Y] à l'égard de ce rapport d'expertise, critiques auxquelles l'expert a répondu point par point au demeurant (pièce n°32) et fantaisistes les éléments de comparaison soigneusement choisis par les appelants et d'ailleurs réfutés par l'expert.
C'est ainsi qu'en se fondant sur un écrit de l'expert (pièce n° 32), elles observent que :
- les appelants n'hésitent pas à mentionner des montants erronés en mélangeant les prix en nue-propriété et les prix en usufruit,
- s'agissant du centre équestre, les appelants reconnaissent que seul leur terme de comparaison n° 6 est pertinent,
- les consorts [Y] décrivent le bien dans son état actuel et pas dans celui qui était le sien lorsque l'expert l'a examiné,
- les centres équestres sont très différents les uns des autres de sorte que de nombreux facteurs interfèrent dans les ventes,
- l'expert a étudié 126 ventes alors que les consorts [Y] n'en présentent que huit,
- la notion de vétusté ne fait pas référence à l'état du bien : c'est ainsi qu'un équipement professionnel peut être en bon état mais obsolète techniquement,
- la société Misty du Houley, dès 2012, a investi une somme de 58 411,41 euros pour refaire une carrière,
- les 108 barres de bois qu'auraient acheté Mme [B] ne permettent de clôturer que 162 m linéaires et on ne peut affirmer qu'elles ont été utilisées sur la propriété examinée par l'expert,
- une somme de 23 104,55 euros a dû être investie dès 2012 pour remédier à la vétusté des clôtures,
- le classement fiscal des parcelles est effectué lors d'un remembrement ou, à défaut, d'après l'examen des valeurs locatives constatées par l'administration fiscale et la classe fiscale 3, qui correspond à une moyenne, a été retenue,
- l'estimation a été réalisée à la demande de M. [R] de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'étonner que le représentant du nu-propriétaire n'y ait pas été associé,
- les consorts [Y] tentent de procéder à un comparatif des ventes à partir des installations existantes en 2020 du centre équestre, soit après les importants investissements qu'elles ont réalisés et non à partir de l'état existant au moment de la signature des cessions litigieuses,
- la simple lecture de la pièce n° 43 des appelants montre que le montant des ventes de centres équestres mentionnées est sans lien avec la surface des parcelles vendues de sorte que les biens ne sont pas comparables,
- la maison a été acquise par la SCI du Coty pour un prix en pleine propriété de 1 200 000 euros et le centre équestre pour un montant en pleine propriété de 317 695 euros, soit un montant total de 1 517 695 euros.
Appréciation de la cour
Les consorts [Y] soutiennent que le prix de 127 078 euros pour la cession par Mme [B] de son usufruit sur l'élevage du Coty et le prix de 506 400 euros pour la cession de son usufruit de la propriété située sur les parcelles B [Cadastre 7] et B [Cadastre 2] sont dérisoires.
Toutefois, s'agissant de la propriété, ils reconnaissent dans leurs propres écritures qu'elle doit être valorisée, en pleine propriété, à 1 million d'euros alors qu'il résulte de l'acte de cession du 1er juin 2015 (pièce n° 9 des sociétés intimées) que le bien a été vendu à la SCI du Coty pour un montant en pleine propriété de 1 200 000 euros. Ils ne sont donc pas fondés à soutenir que la valeur de l'usufruit de ce chef est dérisoire.
Reste à déterminer si le taux d'usufruit de 30 % retenu, issu du barème fiscal, est inapproprié comme le soutiennent les consorts [Y] en faisant valoir que lors de la promesse, Mme [B] était âgée de 70 ans de sorte que le taux qu'il aurait fallu retenir est de 40 %. Toutefois, il convient de rappeler que le bien n'est pas sorti du patrimoine de Mme [B] en 2011 lors de la promesse de cession mais lors de l'acte de cession du 16 janvier 2015 de sorte qu'il était justifié de tenir compte de l'âge de Mme [B] à la date de la cession effective. Il en résulte que c'est à tort que les consorts [Y] prétendent que le taux d'usufruit retenu a été sous-évalué.
Sur la valorisation du centre équestre, si les appelants se réfèrent à huit termes de comparaison, ils n'en reconnaissent pas moins dans leurs propres écritures que seule la vente n° 6, intervenue le 18 juillet 2016, serait comparable avec le bien de Mme [B]. Or, à supposer que ce terme de comparaison fût pertinent alors que cette vente est intervenue plus d'un an après la cession litigieuse, la sous-évaluation ne saurait résulter d'un terme unique de comparaison.
Il est à noter au demeurant que les biens ont été évalués à dire d'expert à une date où aucune des sociétés intimées n'avait connaissance de la créance des consorts [Y] de sorte qu'aucun soupçon ne peut peser sur cette expertise de ce chef. Il n'y a pas lieu non plus de s'étonner que le nu-propriétaire n'ait pas été appelé aux opérations, l'expert ayant été mandaté par les acquéreurs. Enfin, les consorts [Y] ne fournissent aucune contre expertise ni aucun autre élément de preuve de nature à démontrer que celle sur laquelle reposent l'estimation des cessions litigieuses serait erronée.
Pour le surplus, comme détaillé ci-dessus, l'expert mandaté par les acquéreurs a répondu point par point et de manière pertinente à chacune des objections soulevées par les consorts [Y].
En résumé, ces derniers ne rapportent pas la preuve que le prix de cession ait été dérisoire. Ce caractère dérisoire ne saurait résulter non plus du seul montant du loyer, qui n'est qu'un élément parmi d'autres et le bail rural s'inscrivant dans une opération globale de grande ampleur.
En définitive, il n'est pas démontré que les cessions litigieuses soient intervenues en fraude aux droits des créanciers pas plus que n'est établie la complicité des acquéreurs, ceci d'autant plus que les promesses de cession ont été publiées à la conservation des hypothèques de sorte que tout tiers pouvait en prendre connaissance et que cette publication permettait aux consorts [Y] de prendre toutes mesures conservatoires de nature à préserver leurs droits. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté les consorts [Y] de leurs demandes d'inopposabilité des cessions litigieuses.
La demande de dommages et intérêts dirigée in solidum contre Mme [B] et les sociétés intimées
À l'appui de cette demande, les consorts [Y] font valoir que par leur attitude, Mme [B] et les sociétés intimées leur ont causé un préjudice dont ils avaient connaissance et qu'il convient de réparer. Ils soulignent que plus de quatre ans de procédure ont été nécessaires pour que Mme [B] soit enfin reconnue responsable de recel successoral et condamnée et que, depuis huit ans, ils tentent en vain de faire exécuter ce jugement alors que Mme [B] multiplie les procédures afin d'échapper à ses obligations, est redevable de plus de 3 millions d'euros et que son patrimoine, supposé et qu'elle dissimule, serait largement suffisant pour payer la créance. Ils prétendent par ailleurs qu'au vu des éléments qu'ils ont rapportés, la mauvaise foi des sociétés intimées est manifeste de sorte qu'elles doivent assumer les conséquences de leurs actes frauduleux.
Les sociétés intimées concluent à l'irrecevabilité de cette demande au motif que la sanction d'une action paulienne fructueuse est l'inopposabilité des cessions litigieuses qui permet au créancier de saisir le bien entre les mains de l'acquéreur, ce qui ne peut se cumuler à des dommages et intérêts, sauf à créer un enrichissement sans cause. Elles précisent que si la cour faisait droit à la demande d'inopposabilité, l'appelant ne subirait aucun préjudice puisqu'il serait alors en droit d'agir en vente forcée des droits usufruitiers cédés. En tout état de cause, elles objectent que cette demande n'est pas fondée.
Mme [B] a formé appel incident de la disposition du jugement l'ayant condamnée à payer aux consorts [Y] des dommages et intérêts. Elle expose que sur le fondement de l'action paulienne, la sanction ne peut être que l'inopposabilité de la cession litigieuse et que le juge n'a aucun pouvoir d'appréciation quant à la nature de cette sanction et ne peut préférer allouer des dommages et intérêts au créancier. Elle se réfère à un arrêt de la cour de justice de la communauté européenne du 26 mars 1992 (affaire C261/90) ayant retenu qu'au sens de l'article 5-3 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, l'action paulienne ne relevait pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle.
En l'espèce, elle précise qu'elle n'a été assignée que sur le fondement de l'action paulienne de sorte que c'est une action en inopposabilité qui était recherchée. Rappelant que les consorts [Y] sur ce même fondement de l'action paulienne ont sollicité sa condamnation à la somme de 673 478 euros de dommages et intérêts, elle objecte que l'action paulienne n'est pas une action en paiement et qu'ils ont ainsi tenté de s'enrichir en demandant tant l'inopposabilité des cessions que des dommages et intérêts correspondant à la valeur des droits issus de ces cessions. Elle en déduit que leur demande en dommages et intérêts ne pouvait donc qu'être irrecevable.
Elle ajoute que la demande de dommages et intérêts est également fondée sur son attitude devant toutes les autres juridictions saisies par les consorts [Y] qui lui reprochent d'agir en vue de leur nuire et de se soustraire le plus longtemps possible à ses obligations mais que contrairement à ce qu'ils soutiennent, elle ne dispose pas des moyens financiers suffisants pour exécuter les décisions qu'ils visent. Elle souligne également qu'ils invoquent une organisation d'insolvabilité qui serait antérieure à l'obtention d'une décision qui n'est toujours pas définitive mais que, conscient de l'inanité de leurs moyens c'est à titre subsidiaire qu'ils forment désormais cette demande. Toutefois, elle reproche aux premiers juges de leur avoir alloué des dommages et intérêts alors qu'ils ont succombé en leurs demandes d'inopposabilité des cessions. Elle ajoute que la saisine de la juridiction de première instance ne portait aucunement sur un grief subsidiaire de responsabilité délictuelle fondée sur l'article 1382 (1240 nouveau du code civil) et que les dommages et intérêts alloués sont sans lien avec le litige, dont l'objet a été délimité par les parties et outrepassé par le juge qui de plus s'est érigé en juge de l'exécution, puisqu'ils ont été alloués à raison de difficultés d'exécution d'une décision de justice dont appel et non définitive. Elle conclut que ces dommages et intérêts doivent être considérés comme des dommages et intérêts punitifs et donc prohibés par le droit français.
Appréciation de la cour
La cour relève en préambule que si les sociétés intimées et Mme [B] concluent à l'irrecevabilité de cette demande, dans le dispositif de leurs écritures qui seul lie la cour, elles ne lui demandent pas de déclarer cette demande irrecevable.
Toutefois, à supposer que cette demande soit recevable, compte tenu des développements qui précèdent, aucune faute n'est démontrée à l'encontre des sociétés intimées de sorte que les consorts [Y] ne peuvent qu'être déboutés de cette demande en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de ces dernières.
S'agissant de la demande en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de Mme [B], il résulte de ce qui précède que les conditions permettant à l'action paulienne engagée par les consorts [Y] de prospérer ne sont pas réunies. Il s'en déduit qu'il n'est pas démontré que les cessions litigieuses aient été consenties par Mme [B] dans le but d'organiser son insolvabilité. Or, pour que la demande des consorts [Y] fondée sur l'article 1240 du code civil soit accueillie, il leur appartient donc de démontrer qu'à l'occasion de la présente instance, Mme [B] a commis une faute distincte des faits qui lui sont reprochés au titre de l'action paulienne. C'est donc à tort que le jugement déféré , pour condamner Mme [B] à des dommages et intérêts, s'est fondé sur sa résistance à exécuter le jugement du 13 mars 2012 qui fait l'objet d'un appel pendant devant la cour même si l'instance est radiée à ce stade. Or, force est de constater que dans le cadre de la présente action paulienne, les consorts [Y] ne démontrent de la part de Mme [B] aucune faute distincte des faits qu'ils lui reprochent au soutien de leur demande en inopposabilité des cessions litigieuses.
Ils seront donc également déboutés de leur demande de dommages et intérêts dirigée à l'encontre de Mme [B] de sorte que le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
La demande de dommages et intérêts des sociétés intimées à l'encontre des consorts [Y]
Les sociétés intimées poursuivent l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a rejeté cette demande. À l'appui, elles font valoir que les consorts [Y] s'acharnent à alléguer une fraude inexistante en portant à leur encontre des accusations dénuées de tout fondement alors qu'elles ont au contraire justement fait preuve de bonne foi et de transparence. Elles ajoutent que depuis le mois de novembre 2012, les consorts [Y] savaient que les biens étaient susceptibles d'être cédés mais qu'ils n'ont pourtant pris aucune mesure conservatoire alors que le jugement du 13 mars 2012 leur conférait un titre exécutoire. Elles en déduisent qu'ils ont délibérément évité de mettre un quelconque obstacle à ces ventes pour tenter de valoriser au mieux des usufruits qui étaient sinon invendables. Elles ajoutent qu'en cause d'appel, les consorts [Y] ont multiplié les mensonges et l'omission, démontrant ainsi leur mauvaise foi qui leur cause un préjudice.
Appréciation de la cour
C'est aux termes d'exacts motifs adoptés par la cour que le tribunal a débouté les sociétés intimées de cette demande. Il suffit d'ajouter que l'abstention délibérée imputée aux consorts [Y] de prendre des mesures conservatoires de nature à assurer la préservation de leurs droits n'est que pure allégation dépourvue de toute offre de preuve. Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.
Les demandes accessoires
Compte tenu du sens du présent arrêt, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné Mme [B] aux dépens et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Compte tenu de la complexité du litige, les consorts [Y] ont pu se méprendre sur leurs droits. Il en résulte que chaque partie doit conserver la charge de ses dépens et qu'il n' y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition,
INFIRME le jugement rendu le 28 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Nanterre en ce qu'il a condamné Mme [B] à payer M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] chacun la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts et l'a condamnée aux dépens outre une indemnité de procédure,
Et, statuant à nouveau de ces seuls chefs et y ajoutant,
DÉBOUTE M. [O] [Y], M. [J] [Y] et Mme [W] [Y] épouse [T] de leur demande de dommages et intérêts dirigée contre Mme [B],
CONDAMNE pour le surplus le jugement rendu le 28 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Nanterre,
LAISSE à chaque partie la charge de ses entiers dépens de première instance et d'appel,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie LAUER, conseiller pour le président empêché et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Conseiller,