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12/07/2022 | FRANCE | N°21/00192

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 12 juillet 2022, 21/00192


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B





DU 12 JUILLET 2022





N° RG 21/00192

N° Portalis DBV3-V-B7F-UIBM





AFFAIRE :



S.C.I. DU MILIEU DE L'ISLE

C/

S.E.L.A.R.L. SEINEO,





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Novembre 2020 par le tribunal judiciaire de NANTERRE

N° Chambre : 1

N° RG : 18/06518<

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Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-Me Benoît DESCOURS



-Me Valérie TOUTAIN DE HAUTECLOCQUE







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DOUZE JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B

DU 12 JUILLET 2022

N° RG 21/00192

N° Portalis DBV3-V-B7F-UIBM

AFFAIRE :

S.C.I. DU MILIEU DE L'ISLE

C/

S.E.L.A.R.L. SEINEO,

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Novembre 2020 par le tribunal judiciaire de NANTERRE

N° Chambre : 1

N° RG : 18/06518

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-Me Benoît DESCOURS

-Me Valérie TOUTAIN DE HAUTECLOCQUE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DOUZE JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.C.I. DU MILIEU DE L'ISLE

prise en la personne de son gérant, M. [X] [G], domicilié en cette qualité au siège social

N° SIRET : 381 865 005

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Benoît DESCOURS de la SELARL RAVET & ASSOCIES, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : T04 - N° du dossier BED07465

APPELANTE

****************

S.E.L.A.R.L. SEINEO, notaires

venant aux droits de la SCP [S] [P] et ASSOCIES, notaires

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

N° SIRET : 325 546 059

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Valérie TOUTAIN DE HAUTECLOCQUE, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : D0848 - N° du dossier 218.172

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 Mai 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Madame Valentine BUCK, Conseiller,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

FAITS ET PROCÉDURE

La société Idevi s'est rapprochée de M. [X] [G] en vue de l'achat d'un terrain situé au [Adresse 2] (Hauts-de-Seine), dans le but de réaliser une opération de construction. A la fin de l'année 2005, les parties convenaient des conditions de la vente.

Selon un acte authentique dressé le 24 février 2006 par M. [P], ès qualités, notaire, membre de la société civile professionnelle [S] [P] et Associés Notaires (ci-après, autrement nommée, 'la SCP'), la société civile immobilière Du Milieu de l'Isle (ci-après 'la SCI'), représentée par la société G. [G], consentait à la société Idevi, une promesse unilatérale de vente pour les immeubles situés à Issy-les-Moulineaux, moyennant le prix de 535 000 euros. La promesse était consentie pour une durée expirant le 30 septembre 2007, sous différentes conditions suspensives dont notamment l'obtention d'un prêt de 430 000 euros à la date du 31 mai 2007, outre les conditions suspensives de libération des lieux par chacun des locataires occupant les biens vendus, et ce avant le 31 mars 2007, et l'obtention de permis de démolir et de construire. Aux termes de cette promesse, le bénéficiaire s'engageait à verser au promettant la somme de 26 750 euros à titre d'indemnité d'immobilisation.

Le notaire fixait un rendez-vous de signature au 28 septembre 2007. Le promettant ne se présentait pas à ce rendez-vous et le notaire dressait, à la demande la société Idevi, un procès-verbal d'intention d'acquérir.

Le 10 octobre 2007, après sommation de la S.C.I. par la société Idevi de justifier, sans délai, de la libération des biens, objets de la promesse de vente, et de se présenter, le 10 octobre 2007, afin de signer l'acte de vente, M. [P], notaire, dressait un procès-verbal de dires mentionnant les déclarations de M. et Mme [G] au sujet de l'occupation des lieux et celles de la société Idevi réitérant son intention d'acquérir aux conditions initiales.

Par un exploit d'huissier de justice du 19 novembre 2010, la société Idevi a fait assigner la S.C.I. afin que soit ordonnée la vente forcée des biens situés à Issy-les-Moulineaux, conformément aux termes de la promesse de vente du 24 février 2006, demande dont elle était déboutée par un jugement du 20 février 2012 du tribunal de grande instance de Nanterre qui retenait que la condition suspensive de libération des lieux avait fait défaut et que la promesse de vente était devenue caduque.

Par un arrêt du 4 juillet 2013, la cour d'appel de Versailles infirmait le jugement et déclarait parfaite la vente du 24 février 2006 au profit de la société Idevi et ordonnait à la S.C.I. de régulariser la vente au prix de 535 000 euros dans un délai de trois mois précisant qu'à défaut, l'arrêt vaudrait acte authentique de vente dans les termes de l'acte du 24 février 2006. Cet arrêt est devenu irrévocable à la suite du rejet du pourvoi formé par la S.C.I. par l'arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 2014.

Requis par la société Idevi à cette fin, et selon une lettre recommandée avec accusé de réception du 10 décembre 2013, M. [P], ès qualités, notaire, indiquait à M. et Mme [G] que son étude avait été chargée des formalités de publicité foncière de la constatation judiciaire de la vente au vu de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 4 juillet 2013 et leur précisait qu'un rendez-vous de signature portant constatation judiciaire de la vente était fixé, en son étude, le 20 décembre 2013. La S.C.I. ne se présentait pas à cette convocation.

La S.C.P. enregistrait, à la demande de la société Idevi, le versement par cette dernière de la somme de 535 000 euros, correspondant au prix de vente, et dressait, le 20 décembre 2013, un procès-verbal de carence.

Le 8 janvier 2014, et après sommation de la S.C.I., M. [P] dressait un nouveau procès-verbal de carence et requérait de la conservation des hypothèques la publication dudit procès-verbal ainsi que l'arrêt du 4 juillet 2013, retenant que ' la vente (a) été déclarée parfaite à la date du 04 juillet 2013, date de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles ', et que 'la liquidation de l'impôt sur le revenu afférent à la plus-value sera effectuée suivant les dispositions fiscales en vigueur à cette date '.

Par une télécopie du 13 février 2015, la S.C.P. précisait à la S.C.I. que l'impôt sur la plus-value immobilière pouvait être calculé de façon plus précise et être admis en diminution du prix de cession au regard des dispositions du code général des impôts et ce à la condition qu'elle justifie des frais supportés à l'occasion de la vente.

La S.C.P. sollicitait à cette fin la S.C.I. le 18 mars 2016 et le 20 novembre 2017 et demeurait détentrice du prix de vente, tandis que la S.C.I. mettait en demeure le notaire notamment le 20 janvier 2016 de procéder aux déclarations fiscales en considération des éléments transmis, de régler les impôts et de lui restituer le solde du prix de vente lui revenant.

Par acte introductif d'instance du 3 juillet 2018, la S.C.I. a fait assigner la S.C.P. devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

Par jugement contradictoire rendu le 5 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de la S.C.I. Du Milieu de l'Isle à l'encontre de la S.C.P. [S] [P] et Associés Notaires à l'exception de celles liées au non-versement du prix de vente et du préjudice en résultant ;

- condamné la S.C.P. [S] [P] et Associés Notaires à payer à la S.C.I. Du Milieu de l'Isle la somme de 481 314 euros au titre du prix de la vente publiée en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 4 juillet 2013 rendu entre la S.C.I. Du Milieu de l'Isle et la S.A.S. Idevi, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 18 mars 2016 ;

- rejeté la demande d'astreinte de la S.C.I. Du Milieu de l'Isle et les demandes reconventionnelles et d'indemnité de procédure de la S.C.P. [S] [P] et Associés Notaires ;

- condamné la S.C.P. [S] [P] et Associés Notaires à payer à la S.C.I. Du Milieu de l'Isle la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la S.C.P. [S] [P] et Associés Notaires à supporter les entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile dont distraction ;

- ordonné l'exécution provisoire.

La S.C.I. Du Milieu de l'Isle a interjeté appel de ce jugement le 11 janvier 2021 à l'encontre de la S.C.P. [S] [P] et Associés Notaires.

Par ses dernières conclusions notifiées le 11 mars 2022, la S.C.I. Du Milieu de l'Isle demande à la cour, au fondement des articles 1240 et 1241, 2224 du code civil nouveau (articles 1382 et 1383 du code civil ancien), de :

- la recevoir en son appel et l'y déclarer bien fondée,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevables comme prescrites ses demandes à l'encontre de la S.C.P. [S] [P] et Associés Notaires à l'exception de celles liées au non-versement du prix de vente et du préjudice en résultant, condamné la S.C.P. [S] [P] et Associés Notaires à lui payer la somme de 481 314 euros au titre du prix de la vente publiée en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 04 juillet 2013 rendu entre elle et la société Idevi, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 18 mars 2016, rejeté sa demande d'astreinte ;

- confirmer le jugement rendu le 05 novembre 2020 pour le surplus,

- débouter M. [P], ès qualités, notaire, et S.E.L.A.R.L. Seineo, venant aux droits de la S.C.P. [S] [P] et Associés Notaires, de leur appel incident et les déclarer mal fondés ;

Statuant à nouveau,

- dire et juger recevable et bien fondée ses demandes ;

- dire et juger que le notaire, rédacteur de la promesse unilatérale de vente du 24 février 2006, a commis des fautes au titre de son devoir d'information et de conseil et de sa mission de rédacteur d'acte qui engendre un préjudice pour elle en relation de causalité avec ses fautes ;

- condamner, en conséquence, in solidum, M. [P], ès qualités, notaire, et la S.E.L.A.R.L. Seineo venant aux droits de la S.C.P. [S] [P] et Associés Notaires, à lui payer les sommes de :

* 528 571 euros au titre de la perte d'une chance de vendre ses biens au prix du marché, ou la somme de 528.487,20 euros au titre d'une perte de chance d'avoir renoncé à la vente,

* 192 525,60 euros au titre de la non-disponibilité du produit de la vente depuis le 04 juillet 2013 et donc l'impossibilité de procéder à un placement immobilier ou la somme de 115 914 euros du fait de l'impossibilité de procéder à un placement financier,

- condamner in solidum, M. [P], ès qualités, notaire, et la S.E.L.A.R.L. Seineo venant aux droits de la S.C.P. [S] [P] et associés notaires, à lui verser le prix de vente assorti des intérêts de droit au taux légal à compter du 14 février 2014,

- condamner la S.C.P. [S] [P] et Associés Notaires à lui verser la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction.

Par dernières conclusions notifiées le 28 février 2022, la Selarl Seineo, venant aux droits de la SCP [S] [P] et Associés Notaires (ci-après, autrement nommée 'la Selarl Seineo'), demande à la cour de :

- la juger recevable et bien fondée en ses conclusions ;

- confirmer le jugement de première instance, sauf en ce qu'il a condamné l'office notarial à payer des intérêts de droit au taux légal sur la somme de 481 314 euros à compter du 18 mars 2016 ;

En conséquence,

Vu l'article 2224 du code civil,

- déclarer prescrite l'action de la S.C.I. Du Milieu de l'Isle à son encontre en ce qui concerne les griefs élevés par la S.C.I. Du Milieu de l'Isle à l'encontre du notaire concernant :

* le montant du prix de la vente,

* la durée de la promesse de vente,

* le montant de l'indemnité d'immobilisation ;

A titre subsidiaire,

- juger que la S.C.I. Du Milieu de l'Isle ne justifie pas de l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice, susceptible d'engager la responsabilité du notaire ;

- débouter la S.C.I. Du Milieu de l'Isle de l'ensemble de ses demandes ;

Sur le paiement du prix de vente,

- lui donner acte de ce qu'elle a payé à la S.C.I. Du Milieu de l'Isle :

* le prix de vente de 481 314 euros,

* le reliquat de 53 686 euros qui aurait dû servir à l'impôt de plus-value, soit la somme totale de 535 000 euros correspondant très exactement au prix de vente ;

- juger que le paiement de ces sommes est libératoire ;

- dire et juger qu'elle n'est tenue à aucune autre somme ;

- juger que la S.C.I. Du Milieu de l'Isle ne justifie nullement :

* d'une perte de chance de vendre ses biens à un prix supérieur,

* d'une perte de chance d'avoir pu renoncer à la vente,

* de l'impossibilité pour elle de procéder à un placement financier avec le produit de la vente ;

- débouter la S.C.I. Du Milieu de l'Isle de l'intégralité de ses demandes formées à titre indemnitaire ;

- condamner la S.C.I. Du Milieu de l'Isle au paiement d'une somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la S.C.I. Du Milieu de l'Isle aux entiers dépens d'instance, dont distraction en application de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 17 mars 2022.

SUR CE, LA COUR,

A titre liminaire et sur les limites de l'appel,

Conformément aux dispositions des articles 954 et 4 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions récapitulées au dispositif des dernières conclusions. Par prétention, il faut entendre une demande en justice tendant à ce qu'il soit tranché un point litigieux. Par voie de conséquence, les 'dire et juger' et 'constater' ne constituent pas des prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l'examen des griefs formulés contre le jugement et à la discussion des prétentions et moyens, pas dans le dispositif. La cour ne répondra de ce fait à de tels 'dire et juger' qu'à condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée en appel et énoncée au dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas au dispositif de son arrêt, mais aux motifs de celui-ci.

Il s'ensuit qu'il ne sera pas statué sur les 'demandes' de 'dire et juger' émanant tant de la SCI que de la Selarl Seineo.

Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d'appel se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges, à l'exception de la demande de la SCI au titre de l'astreinte. Celle-ci a été rejetée par le premier juge, la SCI ne formant plus aucune demande à ce titre, cette disposition est dès lors devenue irrévocable.

Sur la prescription de l'action en responsabilité du notaire

Rappelant les fautes reprochées au notaire par la SCI, d'une part, et les dispositions de l'article 2224 du code civil, d'autre part, le tribunal a retenu que la requérante disposait dès la date de la signature de l'acte, des conditions de la vente sur lesquelles elle estimait désormais ne pas avoir été suffisamment éclairée et, au plus tard, au jour de l'assignation en réalisation de la vente par le bénéficiaire de la promesse, soit le 19 novembre 2010. A cette dernière date, selon le tribunal, la SCI devait avoir connaissance de l'existence d'une importante probabilité de voir ses engagements devenir définitifs et hypothétique une revente à meilleur prix.

Il en a conclu qu'en assignant la SCP le 3 juillet 2018 en responsabilité délictuelle en raison des fautes qu'elle alléguait, son action était prescrite puisque le délai avait commencé à courir le 19 novembre 2010 pour s'achever le 18 novembre 2015.

S'agissant de l'action en versement du prix de vente, le tribunal a retenu que le fait générateur était la réquisition de publication de l'arrêt du 4 juillet 2013, publiée à la conservation des hypothèques le 22 janvier 2014, de sorte qu'aucune prescription de l'action de la SCI de ce chef ne pouvait lui être valablement opposée.

* La recevabilité de l'action fondée sur les fautes du notaire au titre de son devoir de conseil et d'information

' Moyens des parties

La SCI poursuit l'infirmation du jugement de ce chef et fait valoir, se fondant sur les dispositions de l'article 2224 du code civil, que le point de départ de la prescription d'une action en responsabilité à l'encontre d'un notaire court à compter de la réalisation du dommage ou à la date à laquelle celui-ci est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance. Elle invoque des arrêts de la Cour de cassation (en particulier, 1re Civ., 11 mars 2010, pourvoi n° 09-12.710, Bull. 2010, I, n° 62 ; 1re Civ., 26 janvier 2012, pourvoi n° 10-21.529).

Elle ajoute que, même au visa de l'article 2224 du code civil, la Cour de cassation n'a pas manqué de rappeler que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité délictuelle contre un notaire courrait à compter de la manifestation du dommage (notamment, 3e Civ., 6 octobre 2016, pourvoi n° 15-14.417 ; 2e Civ., 3 mai 2018, pourvoi n° 17-17.527 ; Com., 6 décembre 2017, pourvoi n° 16-18.788).

Elle soutient que la Cour de cassation rappelle que ce n'est qu'à compter de la décision définitive que le dommage se réalise et non antérieurement. Or, elle prétend que ce n'est qu'au jour de la perte de sa propriété sur l'immeuble et la sortie définitive de ce bien de son patrimoine pour un prix en deçà du marché, donc au jour du prononcé de la décision de la cour d'appel de Versailles du 4 juillet 2013, voire au jour du prononcé de l'arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 2014 qui a rendu irrévocable cet arrêt, que le délai de prescription quinquennal a commencé à courir.

En tout état de cause, elle soutient que la vente ayant été déclarée parfaite le 4 juillet 2013, en assignant le notaire le 3 juillet 2018, son action n'était pas prescrite.

La Selarl Seineo poursuit la confirmation du jugement de ce chef. Elle fait valoir que les arrêts invoqués par la SCI ne sont pas pertinents. Elle souligne que l'appréciation du point de départ de la prescription de l'article 2224 du code civil, dépend des circonstances de l'espèce et du degré d'incertitude qui pèse sur l'existence du dommage et sa connaissance par la victime. Elle ajoute que dans le cas où une forte probabilité de dommage existerait, celle-ci serait suffisante pour faire courir la prescription.

En l'espèce, selon la Selarl Seineo, la promesse ayant été signée au prix convenu et une assignation en réalisation forcée ayant été adressée à la SCI, cette dernière était pleinement consciente de la forte probabilité du dommage susceptible de survenir en raison de la vente de son bien à la date de cette assignation. Reprenant les motifs du premier juge, la Selarl Seineo soutient donc que la SCI et M. et Mme [G] étaient parfaitement conscients des conditions de la vente, au jour de la signature de la promesse, mais également dans le cadre de l'action initiée par la société Idevi le 19 novembre 2010 de sorte que la prescription qui a commencé à courir au plus tard le 19 novembre 2010 a expiré cinq années plus tard, le 18 novembre 2015 à minuit et, en l'assignant en responsabilité le 3 juillet 2018, son action était prescrite et ses demandes irrecevables.

' Appréciation de la cour

L'article 2224 du code civil, sur l'application duquel les parties s'accordent, dispose que 'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.'

C'est par d'exacts motifs, adoptés par la cour, que le premier juge a retenu que les fautes invoquées par la SCI à l'encontre du notaire se rattachaient à l'économie de l'opération projetée, dont elle déplorait la modicité du prix de vente ainsi que la durée d'immobilisation du bien pendant celle de la promesse.

Selon la SCI, ce n'est qu'au jour de la perte de sa propriété sur l'immeuble et la sortie définitive de ce bien de son patrimoine pour un prix en deçà du marché, donc au jour du prononcé de la décision de la cour d'appel de Versailles du 4 juillet 2013, voire au jour du prononcé de l'arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 2014 qui l'a rendu irrévocable, que le délai de prescription quinquennal a couru. Il est constant que cet arrêt n'évoque ni le prix de vente, ni la durée d'immobilisation du bien, ni l'économie de l'opération projetée.

Il est également clair que la SCI soutient que c'est lorsqu'elle a réalisé que son co- contractant exigerait l'exécution du contrat aux conditions stipulées que le délai de prescription a commencé à courir.

Cependant, ainsi que le relève exactement le premier juge, dès le 19 novembre 2010, la société Idevi l'a fait assigner pour que soit ordonnée la vente forcée des biens objets de la promesse de vente litigieuse de sorte que c'est bien à compter de cette date que le délai a couru car c'est bien à compter de celle-ci qu'elle pouvait mesurer la détermination de son adversaire à obtenir l'exécution du contrat aux conditions prévues. Il lui appartenait dès lors d'interrompre le délai de prescription et d'engager l'action en responsabilité contre le notaire qui, selon elle, ne l'aurait pas suffisamment éclairée au moment de la rédaction de l'acte sur les conditions de cette vente.

La cour observe encore que la SCI a fait preuve d'une certaine résistance à exécuter ses obligations contractuelles et ce, avant cette assignation délivrée le 19 novembre 2010, puisqu'elle ne s'est pas rendue au rendez-vous fixé par le notaire pour la signature de l'acte de vente le 28 septembre 2007 et qu'elle n'a pas fait procéder, comme elle s'y était engagée, à libération des biens vendus par leurs locataires occupants. Par cette résistance, elle manifestait clairement son opposition à cette vente dont les conditions ne la satisfaisaient pas de sorte qu'il apparaît hautement vraisemblable que, dès cette époque, elle était en mesure de connaître les faits lui permettant d'envisager d'exercer l'action en responsabilité du notaire et donc de faire interrompre le délai de prescription de cette action en l'assignant devant la juridiction compétente. Cependant, en tout état de cause, au 19 novembre 2010 la détermination de son co contractant pour faire exécuter les termes du contrat était manifeste et la SCI se devait d'agir dès ce moment là pour interrompre la prescription de l'action qu'elle envisageait d'engager contre le notaire.

Il sera ajouté que les dispositions de l'article 2224 du code civil n'exigent pas qu'à la date de l'introduction de son instance, le demandeur connaisse l'étendue de son préjudice dans toute son ampleur. C'est donc à tort que la SCI soutient que ce n'est que lorsque la victime a connaissance de la réalisation du dommage dans toute son ampleur ou/et lorsqu'elle serait à même d'évaluer son entier préjudice que le délai de prescription de l'action en responsabilité délictuelle commence à courir.

Enfin, comme le souligne pertinemment la Selarl Seineo, l'appréciation du point de départ de la prescription de l'article 2224 du code civil dépend des circonstances de l'espèce, du degré d'incertitude qui pèse sur l'existence du dommage et de sa connaissance par la victime. Aussi, c'est exactement qu'elle observe que l'existence d'une forte probabilité de dommage suffirait pour faire courir la prescription de cette action. Il s'ensuit que les arrêts cités par l'appelante ne sont pas transposables ipso facto à la présente espèce et ce n'est pas parce qu'à l'occasion d'un arrêt, la Cour de cassation a pu dire que le point de départ de la prescription a commencé à courir à compter d'un arrêt devenu irrévocable qu'il faudrait en tirer un principe théorique quelconque.

Il découle de ce qui précède que la demande de la SCI infondée ne pourra qu'être rejetée.

Le jugement en ce qu'il déclare prescrite l'action de la SCI en responsabilité délictuelle en raison des fautes alléguées contre M. [P], sera confirmé.

Sur l'absence de versement du prix

' Moyens des parties

Les parties ne critiquent pas le jugement en ce qu'il retient que l'action en versement du prix de vente engagée par la SCI est recevable car non prescrite.

La Selarl Seineo poursuit l'infirmation du jugement qui condamne l'office notarial à payer des intérêts de droit au taux légal sur la somme de 481 314 euros à compter du 18 mars 2016. Elle rappelle que c'est exactement que le tribunal a retenu que l'absence de productions par la SCI des éléments permettant au notaire de déterminer l'impôt sur la plus value ne lui permettait pas de libérer le prix. En revanche, elle critique le tribunal qui a estimé, sans donner plus d'explications, qu'à compter du 18 mars 2016, le notaire disposait de tous les éléments pour procéder à ce calcul alors que même devant cette cour, la SCI n'est toujours pas en mesure de les fournir.

Elle ajoute que, par application de l'article L.169 du livre des procédures fiscales, l'imposition se trouve aujourd'hui prescrite faisant ainsi bénéficier la venderesse de la restitution de la somme de 53 686 euros (pièce 11 et 12).

Ainsi, la Selarl Seineo demande à la cour d'infirmer le jugement qui retient l'existence d'une faute de l'office notarial pour avoir retenu le prix de vente alors que celui-ci ne disposait pas des éléments pour le calcul de l'impôt et que, dans ces conditions, l'absence de libération du prix n'était pas fautive.

La SCI poursuit la confirmation du jugement en ce qu'il condamne l'office notarial à lui payer la somme de 481 314 euros au titre du prix de la vente publiée en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 4 juillet 2013 rendu entre la S.C.I. Du Milieu de l'Isle et la S.A.S. Idevi, augmentée des intérêts au taux légal. Elle fait cependant grief au jugement de fixer le point de départ des intérêts au 18 mars 2016 alors que, selon elle, dès le 14 février 2014, le notaire disposait des éléments lui permettant de déterminer le montant des plus values qui, à cette date, lui avaient été remis en mains propres. Elle fait valoir que malgré ses lettres des 23 mars 2015 (pièce 9 et 10), 7 mai 2015 (pièce 11), 20 mai 2015 (pièce 12), 2 juin 2015 (pièce 13), du 20 janvier 2016 (pièce 14), du 24 février 2016 (pièce 15); du 30 mars 2016, ce n'est que le 18 mars 2016 que le notaire adressera à son avocat des projets de déclarations de plus values (pièce 22).

Elle ajoute que bien que l'ensemble des pièces lui aient été remises le 14 février 2014, le notaire n'a cependant tenu compte ni des frais exposés par elle déductibles de la plus value, ni de la part de l'indemnité d'occupation devant être mise à la charge de la société Idevi. A la relance de son avocat sur ces éléments (pièce 16, lettre recommandée avec accusé de réception du 18 novembre 2017), le notaire a répondu le 20 novembre 2017 ne pas avoir reçu les pièces visées dans la lettre (pièce 17).

Elle déduit de l'ensemble de ces éléments que dès le 14 février 2014, le notaire a été fautif puisque dès cette date il disposait de tous les éléments pour déterminer le montant des plus values de sorte que le prix de vente aurait dû lui être versé au plus tard au début du mois de mars 2014.

' Appréciation de la cour

Les parties admettent que c'est à compter de la réception de l'ensemble des documents nécessaires au notaire pour procéder au calcul de l'impôt que la rétention du prix de vente par ce dernier serait fautive.

Cependant, contrairement à ce que prétend la SCI, il n'est nullement démontré qu'elle a remis à M. [P], notaire, les documents nécessaires à cette fin le 14 février 2014. En effet, l'affirmation de l'appelante selon laquelle ces éléments auraient été remis en mains propres à l'étude notariale ce jour-là n'est corroborée par aucun élément de preuve extérieur, les pièces 9 à 15 étant constituées de lettres émanant de la SCI adressées à la SCP ou à M. [P], qui ne peuvent de ce fait, à elles seules, revêtir force probante. Les seules affirmations d'une partie corroborées par ses seuls écrits sont en effet manifestement insuffisantes pour emporter la conviction de la cour.

S'agissant de la date du 18 mars 2016 retenue par le premier juge comme étant la date pertinente, il ressort des productions (pièce 9) que le 18 mars 2016, Mme [R] [D], de l'étude [S] [P] et Associés, adressait un courriel au conseil de la SCI indiquant que les déclarations de plus-values pourraient être établies sur 'la base des éléments qu'il lui avait précisés' et il était demandé à la SCI de faire parvenir son accord sur ce projet. A aucun moment dans ce courriel, il n'est confirmé que les éléments nécessaires ont été remis par la SCI à l'étude notariale. Tout au plus peut-on lire, que le conseil a 'précisé' certains éléments utiles à cette fin. En outre, la SCI admet elle-même [page 19, 3. i), paragraphe 4, de ses écritures] que dès le 30 mars 2016, elle se plaignait auprès de M. [P] parce qu'il n'avait pas tenu compte de tous les éléments utiles à la déclaration de plus value, à savoir des frais exposés par elle déductibles de la plus value et la part de l'indemnité d'occupation devant être mise à la charge de la société Idevi. Par voie de conséquence, par la position ainsi énoncée par la SCI, il est démontré que le projet établi et adressé le 18 mars 2016 par M. [P] n'a pas été approuvé par elle et qu'il devait être complété. Or, la SCI ne démontre pas, par les preuves qu'elle verse aux débats, avoir adressé ces éléments en février 2014, en mars 2016 ou entre ces deux dates.

De plus, s'agissant de ces derniers éléments, de la lecture des échanges en novembre 2017 entre l'avocat de la SCI et M. [P] qui y sont consacrés (pièces 16 et 17 de l'appelante), il apparaît clairement que M. [P], notaire, conteste avoir obtenu l'ensemble des pièces et en particulier celles qui lui auraient permis de procéder aux déductions litigieuses au titre du calcul de l'impôt. Or, la SCI ne démontre pas avoir adressé ces derniers documents, en février 2014, en mars 2016 ou en novembre 2017.

Par voie de conséquence, de ces productions, il se déduit que le comportement du notaire qui ne se libérait pas du prix jusqu'en novembre 2017, alors que la déclaration à destination du fisc ne pouvait pas être établie, ne peut pas être qualifié de fautif.

Il découle de l'ensemble des développements qui précèdent que c'est à tort que le tribunal a retenu que le comportement du notaire était fautif à compter du 18 mars 2016 alors que la SCI a été défaillante et le demeure toujours à hauteur d'appel, dans l'administration de la preuve de la faute du notaire au titre du grief tiré du versement du prix de vente.

Devant cette cour, la Selarl Seineo justifie avoir versé à la SCI le prix de vente de 481 314 euros et le reliquat de 53 686 euros qui aurait dû servir à l'impôt sur la plus-value, qui n'a pas été réclamé par l'administration fiscale, de sorte que le paiement de ces sommes est libératoire. Par voie de conséquence, il n'y a pas lieu à condamnation de l'étude notariale au paiement de sommes au titre du prix de vente ou des sommes retenues au titre de l'impôt.

Le jugement en ce qu'il condamne la S.C.P. [S] [P] et Associés Notaires à payer à la S.C.I. Du Milieu de l'Isle la somme de 481 314 euros au titre du prix de la vente publiée en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 4 juillet 2013 rendu entre la S.C.I. Du Milieu de l'Isle et la S.A.S. Idevi, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 18 mars 2016 sera infirmé et la demande de la SCI de ce chef rejetée.

Sur les demandes accessoires

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI, partie perdante, supportera les dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Par voie de conséquence, sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

Il apparaît équitable d'allouer la somme de 5 000 euros à la Selarl Seineo au titre des frais engagés pour assurer sa défense en première instance et en appel. La SCI sera condamnée au paiement de cette somme.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

Dans les limites de l'appel,

CONFIRME le jugement en ce qu'il déclare irrecevables comme prescrites les demandes de la S.C.I. Du Milieu de l'Isle à l'encontre de la S.C.P. [S] [P] et Associés Notaires à l'exception de celles liées au non-versement du prix de vente et du préjudice en résultant ;

L'INFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

REJETTE la demande de la SCI Du Milieu de l'Isle en paiement du prix de la vente publiée en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 4 juillet 2013 rendu entre la S.C.I. Du Milieu de l'Isle et la S.A.S. Idevi, augmentée des intérêts au taux légal ;

CONDAMNE la SCI Du Milieu de l'Isle aux dépens de première instance et d'appel ;

DIT qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SCI Du Milieu de l'Isle à verser à la Selarl Seineo, venant aux droits de la SCP [S] [P] et Associés Notaires, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE la demande de la SCI Du Milieu de l'Isle fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 21/00192
Date de la décision : 12/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-12;21.00192 ?
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