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06/07/2022 | FRANCE | N°20/01192

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 06 juillet 2022, 20/01192


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



15e chambre



ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE





DU 6 JUILLET 2022





N° RG 20/01192



N° Portalis DBV3-V-B7E-T4TR





AFFAIRE :





[W] [I]





C/





S.A. SOPRA STERIA GROUP





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Juin 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Boulogne-Billancourt>
N° Section : Encadrment

N° RG : 17/00322



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :





- Me Maud EGLOFF-CAHEN



- Me Jérôme POUGET





le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SIX JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX,



La cour d'...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

15e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 6 JUILLET 2022

N° RG 20/01192

N° Portalis DBV3-V-B7E-T4TR

AFFAIRE :

[W] [I]

C/

S.A. SOPRA STERIA GROUP

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Juin 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Boulogne-Billancourt

N° Section : Encadrment

N° RG : 17/00322

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

- Me Maud EGLOFF-CAHEN

- Me Jérôme POUGET

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [W] [I]

né le 04 Novembre 1970 à [Localité 5] (67), de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Maud EGLOFF-CAHEN, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1757

APPELANT

****************

S.A. SOPRA STERIA GROUP

N° SIRET : 326 82 0 0 65

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Jérôme POUGET, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1366

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 février 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Perrine ROBERT, Vice-président placé, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,

Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé,

Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,

Monsieur [W] [I] a été embauché par la société Sopra Steria Group par contrat à durée indéterminée du 8 juin 2010 en qualité d'ingénieur principal, position 3.1, coefficient 170 pour une rémunération brute mensuelle de 4 583 euros outre une rémunération variable à objectifs atteints.

Par avenant du même jour, le montant de la rémunération variable annuelle a été fixée à 11 000 euros.

Monsieur [I] était par ailleurs soumis à une convention de forfait en jours.

La convention collective applicable était celle des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs conseils et des sociétés de conseil dite Syntec.

La société emploie plus de 11 salariés.

Par courrier du 15 mars 2015, Monsieur [I] s'est plaint auprès de l'entreprise du montant de sa rémunération variable pour l'année 2015 et a sollicité une revalorisation salariale et de son statut.

En l'absence de réponse de l'employeur, Monsieur [I] a réitéré ses demandes par courrier du 31 mai 2015 et courriel électronique du 7 octobre 2015.

La société Sopra Steria Group n'y a pas donné suite.

Monsieur [I] a été en arrêt de travail de manière ininterrompue à compter du 28 octobre 2016.

Par requête reçue au greffe le 14 mars 2017, Monsieur [W] [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt afin de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail et obtenir le versement de diverses sommes.

Par jugement du 18 juin 2020, auquel la cour renvoie pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a :

-Rejeté les pièces produites par la partie défenderesse le 1er octobre 2019 en violation du principe directeur du procès de la contradiction,

-Jugé que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [W] [I] n'est pas justifiée,

-Débouté Monsieur [W] [I] de l'ensemble de ses demandes formées à ce titre,

-Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

-Condamné Monsieur [W] [I] aux entiers dépens de l'instance.

Monsieur [W] [I] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 22 juin 2020.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 12 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, il demande à la cour de :

-Infirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,

Statuant de nouveau,

-Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Sopra Steria Group et la condamner aux sommes suivantes :

- Indemnité compensatrice de préavis : 17 391 euros

- Congés payés y afférents : 1 739,10 euros

- Indemnité conventionnelle de licenciement : 22 221,83 euros

- Dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse : 60 868,50 euros

-En tout état de cause, condamner la société Sopra Steria Group à lui verser les sommes suivantes:

*A titre principal, 3 559 euros outre 355,90 euros de congés payés y afférents, subsidiairement, 2 588,83 euros à titre d'arriéré de salaire du au titre de l'année 2013 outre 258,88 euros au titre des congés payés y afférents,

*10 387 euros à titre d'arriéré de salaire du au titre de l'année 2014 outre la somme de 1 038,70 euros au titre des congés payés y afférents,

*la somme de 6 000 euros à titre d'arriéré de salaire du au titre de l'année 2015 outre la somme de 600 euros au titre des congés payés y afférents,

*11.000 euros à titre d'arriéré de salaire du au titre de l'année 2016 outre 1 100 euros au titre des congés payés y afférents,

*25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

-Dire et juger nulle la convention de forfait jour,

-Condamner la société aux heures supplémentaires suivantes :

- 19 753 euros bruts au titre des heures supplémentaires dus pour la période du 1 er janvier 2015 au 31 décembre 2015 outre 1 975 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

- 4 505 euros bruts au titre des heures supplémentaires dus pour la période du 1 er janvier 2016 au 26 octobre 2016 outre 450 euros bruts au titre des au titre des congés payés y afférents,

-Condamner la société à la somme de 34 782 euros au titre du travail dissimulé,

-Condamner la société à la somme de 2 000 euros au titre de la perte de droit aux allocations chômage et retraite,

-Condamner la société à la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

-Débouter la société Sopra Steria de toutes ses demandes,

-Condamner la société Sopra Steria Group aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 13 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Sopra Steria Group demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt,

En conséquence,

- Juger que les conditions pour le versement de la part variable ne sont pas remplies,

- Juger que la demande de résiliation judiciaire de Monsieur [I] est infondée et tardive

- Juger que Monsieur [I] n'a pas accompli d'heures supplémentaires

- En conséquence, débouter le salarié de l'intégralité de ses demandes.

- Juger qu'elle n'a pas exécuté déloyalement le contrat de travail de Monsieur [I],

- En conséquence, débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts.

- Réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt en condamnant Monsieur [I] à la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner Monsieur [I] à lui payer la somme de 6 512,70 euros bruts au titre des RTT indus

La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 janvier 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité de la convention de forfait en jours et les heures supplémentaires

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires.

Les dispositions de l'article 4 de l'accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail, pris en application de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé de ce dernier.

La société ne justifie pas par ailleurs avoir élaboré un accord d'entreprise relatif aux conventions de forfait en jours et répondant aux exigences précitées.

Si de nouvelles dispositions sur le forfait jour ont été adoptées par avenant du 1er avril 2014 à l'accord du 22 juin 1999, il n'est pas établi qu'un avenant au contrat de travail de Monsieur [V] ait été établi en conséquence de ces nouvelles dispositions.

Dès lors, la convention de forfait en jours prévue au contrat de travail du 8 juin 2010 est nulle et donc inopposable à Monsieur [I] qui est dès lors soumis à la durée de droit commun du travail et peut solliciter à ce titre le paiement d'heures supplémentaires.

Selon l'article L. 3121-22 du code du travail, constituent des heures supplémentaires toutes les heures de travail effectuées au-delà de la durée hebdomadaire du travail fixée par l'article L.3121-10 du code du travail ou de la durée considérée comme équivalente. Cette durée du travail hebdomadaire s'entend des heures de travail effectif et des temps assimilés. Elles donnent lieu à une majoration de salaire de 25% pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50%.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

A l'appui de sa demande en paiement des heures supplémentaires qu'il dit avoir effectuées du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, Monsieur [I] produit :

- un tableau détaillant mois par mois sur la période le nombre de jours de travaillés, le nombre d'heures travaillées, le nombre d'heures supplémentaires réalisées et majorées à 25 % et à 50 % et le montant des sommes qu'il estime lui être dues,

- quelques courriels électroniques professionnels qu'il a envoyé tardivement en soirée voire au cours de la nuit.

Le salarié présente ainsi des éléments suffisament précis quant à des heures supplémentaires non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies, même en nombre moindre que celui qu'il invoque, afin de permettre à l'employeur d'y répondre utilement.

La société produit quant à elle les rapports d'activités établis par le salarié lui-même au cours de la relation de travail en application du système auto-déclaratif de temps travail mis en place par la société et dont il résulte qu'ils diffèrent ponctuellement quant au nombre de jours travaillés dans le mois des informations contenues dans le tableau versé par Monsieur [I] à l'appui de sa demande en paiement d'heures supplémentaires.

Néanmoins, ces rapports d'activité ne mentionnent nullement les horaires effectués par Monsieur [I] ou le nombre d'heures travaillées par jour, semaine ou par mois et contrairement à ce que soutient la société, il n'appartenait pas au salarié alors soumis à une convention de forfait en jours d'y apporter de telles précisions.

Ces documents ne permettent dès lors pas de justifier du temps de travail effectif de Monsieur [I] sur la période et de ce qu'il n'aurait pas réalisé d'heures supplémentaires.

Il est ainsi établi que Monsieur [I] a effectué des heures supplémentaires dont il n'a pas été rémunéré.

Au vu des pièces produites, il lui est dû la somme totale de 14 600, 45 euros au titre des heures supplémentaires effectuées du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 outre celle de 1 460,04 euros au titre des congés payés afférents, sommes que la société Sopra Steria Group sera condamnée à lui payer.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Lorsque la convention de forfait à laquelle le salarié est soumis est nulle, les jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de cette convention deviennent indus. Monsieur [I] ne pouvait donc y prétendre.

La société Sopra Steria Group est en conséquence bien-fondé à solliciter le remboursement par Monsieur [I] de la somme non discutée en son quantum de 6 512, 70 euros brut au titre des jours de RTT dont il a indûment bénéficié.

Monsieur [I] sera condamné à payer cette somme à la société.

Sur le travail dissimulé

Monsieur [I] soutient que son employeur était informé de ses ce qu'il réalisait des heures supplémentaires et qu'il ne s'y est jamais opposé, que le travail dissimulé est établi.

Néanmoins, ce faisant Monsieur [I] n'établit pas que la société Sopra Steria Group a, de manière intentionnelle, omis de mentionner sur les bulletins de salaire les heures qu'il a réellement effectuées, étant observé en outre que la seule application d'une convention de forfait illicite ne suffit pas à caractériser l'existence d'un travail dissimulé.

Monsieur [I] sera donc débouté de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé sur le fondement de l'article L. 8223-1 du code du travail. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dommages et intérêts pour perte de droit aux allocations chômage et retraite

Si l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé prévue par l'article L. 8223-1 du code du travail n'est exigible qu'en cas de rupture de la relation de travail, tout salarié a droit, indépendamment de cette sanction civile, à l'indemnisation du préjudice lié à la faute de l'employeur dans l'exécution de ses obligations déclaratives.

Toutefois, Monsieur [I] ne rapporte pas la preuve de conséquences dommageables pour lui du défaut de déclaration aux organismes sociaux dont il demande réparation.

Il sera en conséquence déboutée de sa demande d'indemnité de ce chef et le jugement entrepris sera confirmé.

Sur la rémunération variable

Monsieur [I] affirme qu'à partir de 2013, la société a fondé pour partie ses objectifs sur des éléments extérieurs à son travail à savoir les résultats globaux d'un des départements de l'entreprise faisant ainsi peser sur lui les risques de l'entreprise, qu'elle ne lui a pas transmis les éléments permettant de fixer les objectifs de l'année en cours, qu'elle a modifié la structure de ses objectifs sans son accord et de manière déloyale, qu'elle ne justifie pas des éléments sur lesquels elle s'est appuyée pour calculer la rémunération variable qui lui était due, que les objectifs étaient irréalisables et opaques, qu'il n'a eu connaissance de ses objectifs pour l'année 2016 qu'en fin d'année.

La société soutient qu'elle a communiqué à Monsieur [I] toutes les informations permettant de comprendre le calcul de sa rémunération variable, que chaque objectif est payable non de manière linéaire mais selon des courbes particulières avec des effets de seuil, que Monsieur [I] a perçu l'intégralité des sommes qui lui étaient dues au titre de sa rémunération variable.

Si l'employeur peut fixer unilatéralement les objectifs assignés au salarié et dont dépend le versement sa rémunération variable, celle-ci n'en doit pas moins reposer sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur qui ne doivent pas conduire à faire peser le risque d'entreprise sur le salarié. L'employeur ne peut les modifier que s'ils restent réalisables et s'ils sont portés à la connaissance du salarié en début d'exercice.

Le salarié doit en outre pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues par le contrat de travail. Lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire.

En l'espèce, les objectifs de Monsieur [I] étaient définis unilatéralement chaque année par la société conformément à l'avenant à son contrat de travail du 8 juin 2010 lequel stipulait qu''en complément de votre contrat de travail et conformément à nos entretiens, nous vous précisons que votre rémunération variable annuelle à objectifs atteints est de 11 000 euros bruts. Les objectifs qui seront les vôtres seront déterminés par nos soins dans les meilleurs délais'.

Il est établi que la société a notifié à Monsieur [I] ses objectifs pour l'année 2013 par courrier recommandé du 13 mai 2013 celui-ci précisant que s'y trouvait joint le guide mentionnant les conditions générales des primes sur objectifs applicables au sein de la société pour cette année là.

Monsieur [I] qui a bien reçu ce courrier ne démontre pas comme il le lui incombe que le guide annoncé n'était pas joint à cet envoi, peu important qu'il n'ait pas contresigné la lettre.

Concernant la structuration des objectifs, contrairement à ce qu'indique Monsieur [I] les objectifs qui lui ont été assignés n'étaient pas irréguliers du seul fait qu'ils étaient constitués à la fois d'objectifs collectifs rattachés à la réussite du département et du secteur dans lequel travaillait Monsieur [I] et d'objectifs personnels dépendant directement du travail du salarié.

La lecture du guide démontre par ailleurs que les éléments principaux d'évaluation de ces objectifs et notamment les seuils retenus pour déterminer le déclenchement du paiement d'une part variable y étaient définis.

En revanche, la société qui a notifié le 14 mars 2014 à Monsieur [I] le montant de sa rémunération variable à hauteur de 7 441 euros brut ne produit aucun élément comptable permettant de justifier les résultats dont elle se prévaut pour lui attribuer cette somme, étant rappelé que le salarié pouvait prétendre au maximum à une prime sur objectifs de 11 000 euros.

Dès lors, Monsieur [I] est bien-fondé à réclamer de ce chef l'intégralité de sa rémunération variable et partant la somme complémentaire au titre de l'année 2013 de 3 559 euros outre celle de 355, 9 euros au titre des congés payés afférents.

Concernant les objectifs de l'année 2014, Monsieur [I] ne peut soutenir ne pas avoir eu connaissance du guide des primes sur objectifs 2014 alors qu'il a signé la lettre lui notifiant ses objectifs le 12 mai 2014 et aux termes de laquelle il est précisé que ce guide est joint à l'envoi.

En revanche, là encore, la société ne justifie pas des résultats qu'elle allègue au titre de la réalisation de ces objectifs ( collectifs comme individuels) et qui l'ont amenés à accorder au salarié pour l'année 2014 une rémunération variable de seulement 613 euros sur les 11 000 euros de prime à objectifs atteints.

Monsieur [I] est donc bien fondé à réclamer l'intégralité de la rémunération variable à laquelle il pouvait prétendre pour l'année 2014 et à percevoir en conséquence la somme complémentaire de 10 387 euros outre celle de 1 038, 70 euros au titre des congés payés afférents. La société sera condamnée à lui payer ces sommes.

En 2015, la société a modifié la structure de la rémunération variable qui se composait d'un objectif quantitatif individuel ( chiffre d'affaires généré) et d'objectifs quantitatifs collectifs de l'entité de rattachement ( résultat d'exploitation Rex-division marché banque & Finance, taux de rentabilité Rex/Ca division Marché Banque & Finance et résultat d'exploitation Agence 515-SF Conseil).

Monsieur [I] a perçu au titre de cette année une prime sur objectif de 5 000 euros, l'ensemble des objectifs ayant été atteints à l'exception de l'objectif individuel relatif au chiffre d'affaires généré par le salarié dont la société soutient qu'il s'est élevé cette année là à 0 euros.

Or, elle ne produit aucun élément comptable permettant de le démontrer alors que Monsieur [I] indique qu'il a travaillé 214 jours en 2015 en générant 470 K€ de chiffre d'affaire incluant le chiffre d'affaire généré par un nouveau contrat commercial conclu avec la société BNP et alors que ce résultat contraste avec l'appréciation portée sur son travail lors de l'entretien d'évaluation du 6 octobre 2015 'très bonne performance', ' dépassé' (= a globalement dépassé de manière significative les exigences de la mission), '[D] [P] est un contributeur largement reconnu par le client et le management de la mission', ' le client apprécie énormément [W]', ' le client fait confiance à son management et à ses travaux', 'un vrai sens du résultat, [W] prend à coeur de tenir ses engagements'.

Pour ce motif, Monsieur [I] peut prétendre à l'intégralité de sa rémunération variable de l'année 2015. La société sera en conséquence condamnée à lui payer à ce titre une somme complémentaire à celle déjà perçue, de 6 000 euros outre celle de 600 euros au titre des congés payés afférents.

S'agissant enfin des objectifs 2016, il est acquis que ceux-ci ont été communiqués en mains propres à Monsieur [I] le 5 septembre 2016 et se répartissaient comme l'année précédente entre un objectif quantitatif personnel ( chiffre d'affaires généré CA) et des objectifs quantitatifs collectifs de l'entité de rattachement ( résultat d'exploitation (REX) consolidation vertical bancaire, résultat d'exploitation (REX) Agence 515-SF Conseil) et taux de rentabilité (REX/CA) Agence 515 SF Conseil) pour une rémunération variable à objectifs atteints de 11 000 euros ( niveau cible) pouvant atteindre en cas d'objectifs dépassés 200 % au maximum de cette part variable.

La société n'a versé aucune rémunération variable à Monsieur [I] pour l'année 2016 en s'appuyant sur un chiffre d'affaires personnel du salarié de 0 euros et des résultats collectifs inférieurs au seuil de déclenchement du paiement d'une part de rémunération variable.

Néanmoins, eu égard à la notification très tardive de ses objectifs et en l'absence de production aux débats par l'entreprise d'éléments justifiant les chiffres qu'elle invoque notamment l'absence de chiffre d'affaires réalisé par le salarié, et qui l'ont amenés à refuser au salarié toute rémunération variable pour l'année 2016, le salarié est bien fondé à réclamer l'intégralité de celle-ci soit une somme de 11 000 euros outre celle de 1 100 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé sur l'ensemble de ces points.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Monsieur [I] affirme que l'absence de règlement de sa part variable pendant des années en dépit de son investissement professionnel, l'absence de réponse à ses courriels concernant sa rémunération et la stagnation de son évolution professionnelle, son évaluation dévalorisante par son employeur le 11 octobre 2016 caractérisent une exécution déloyale de son contrat de travail à l'origine de son arrêt maladie.

La société soutient que le salarié ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité entre la relation de travail et son arrêt maladie ni ne justifie de son préjudice.

Si il a été établi que la société Sopra Steria Group n'avait pas versé à Monsieur [I] l'intégralité de sa rémunération variable, celui-ci ne justifie pas que cela lui aurait causé un préjudice distinct de celui déjà réparé par les sommes précédemment allouées.

En revanche, aux termes de l'évaluation du 11 octobre 2016, la société a porté sur le travail de Monsieur [I] l'appréciation suivante 'progrès requis', la moins valorisante des 4 appréciations possibles des compétences d'un salarié ( 'Performance excellente', ' Très bonne performance', ' Bonne performance', Progrès requis') en précisant que 'la performance de [D] [P] ( progrès requis) concerne essentiellement son comportement chez le client qui sur le dernier semestre chez BP2S n'a pas été à la hauteur de ce qu'on attend d'un manager expérimenté. [D] ne doit pas mêler les problématiques qu'il peut rencontrer en interne chez Sopra Steria aux travaux chez le client : les problématiques et mécontentements au sujet de son salaire, des primes, des congés, ne doivent pas être partagées avec le client au risque de l'effrayer, ni avec les juniors au risque de les démotiver. La mésentente de [D] [P] avec le pilotage ( qui n'est pas un sujet dans ce bilan) ne doit pas être une raison de dénigrer le pilotage de la mission vis-à-vis des équipes encore moins vis-à-vis du client, au risque de mettre en péril une relation commerciale solide'.

La société n'apporte aucune explication ni justificatifs sur ces éléments contestés par le salarié et qui l'ont conduite à cette mauvaise évaluation du travail de Monsieur [I] alors qu'elle relève parallèlement au cours du même entretien la pleine satisfaction du client chez lequel ce-dernier effectuait une mission indiquant ainsi au titre des impression de celui-ci 'le client apprécie énormément [W]. Le client fait confiance à son management et à ses travaux' et alors qu'au surplus cette évaluation contraste fortement avec celle de l'année précédente qui l'identifiait comme l'un 'des piliers du dispositif Sopra Steria sur la mission KYC/LAB' avec un très bon management de l'équipe d'analyste, une très bonne intégration au sein du dispositif Sopra Steria et portait sur son travail l'appréciation suivante 'Très bonne performance'.

Le manquement de la société à son obligation de loyauté est établi. Le préjudice ainsi subi par Monsieur [I] sera évalué à la somme de 1 000 euros que la société Sopra Steria Group sera condamnée à lui payer.

Le jugement sera infirmé.

Sur la résiliation judiciaire

Il appartient au salarié qui sollicite la résiliation judiciaire de rapporter la preuve de manquements suffisamment graves par l'employeur à ses obligations contractuelles pour justifier la rupture du contrat de travail à ses torts.

Monsieur [I] invoque à l'appui de sa demande en résiliation judiciaire les manquements suivants de l'employeur : l'absence de paiement de la totalité de son salaire, la nullité de la convention de forfait en jour, la dissimulation des heures supplémentaires et la violation du temps de repos.

Il a été établi précédemment que la société Sopra Steria Group n'avait pas payé à Monsieur [I] l'intégralité de la rémunération variable due et des heures supplémentaires effectuées.

Ces manquements à l'obligation essentielle pesant sur l'employeur de paiement du salaire qui ont perduré jusqu'à l'arrêt maladie de Monsieur [I] à compter du 28 octobre 2016, ce en dépit des réclamations faites à ce titre par le salarié par courriels électronique des 15 mars 2015 et 7 octobre 2015 puis lors de la saisine de la juridiction prud'homale le 14 mars 2017et qui ne peuvent dès lors, être considérés comme trop tardifs pour soutenir sa demande de résiliation judiciaire formée pour la première fois devant le conseil de prud'hommes le 30 août 2018, revêtent à eux seuls, une gravité suffisante empêchant la poursuite du contrat de travail et justifiant la résiliation de celui-ci aux torts exclusifs de l'employeur.

Une telle résiliation produit non pas les effets d'un licenciement nul, comme le salarié le sollicite à titre principal, mais les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du présent arrêt dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date.

Monsieur [I] peut dès lors prétendre aux indemnités de rupture.

Il est ainsi bien fondé à réclamer une indemnité compensatrice de préavis correspondant aux salaires inclurant sa rémunération variable et avantages qu'il aurait perçus si il avait travaillé pendant cette période d'une durée de trois mois en application des dispositions conventionnelles soit la somme invoquée de 17 391 euros brut outre celle de 1 739, 10 euros au titre des congés payés afférents.

En application de l'article 19 de la convention collective, Monsieur [I] a également droit à une indemnité de licenciement égale à 1/3 de mois par année de présence sans pouvoir excéder un plafond de douze mois, le mois de rémunération s'entendant comme 1/12 de la rémunération des 12 derniers mois précédant la notification de la rupture du contrat de travail, cette rémunération incluant les primes prévues par les contrats de travail individuels et excluant les majorations pour heures supplémentaires au-delà de l'horaire normal de l'entreprise et les majorations de salaire ou indemnités liées à un déplacement ou un détachement. Pour les années incomplètes, l'indemnité de licenciement est calculée proportionnellement au nombre de mois de présence.

Comme le soutient la société Sopra Steria Group, il doit être déduit, pour la détermination de son ancienneté et le calcul du montant de cette indemnité la période de suspension de son contrat de travail en raison de ses arrêts de maladie au delà de 6 mois d'arrêt maladie, et ce conformément à l'article 12 de la convention collective.

En conséquence, au vu du salaire qui lui était octroyé sur les douze derniers mois précédant son arrêt de travail, de son arrêt maladie dont le salarié indique qu'il perdure à ce jour, de son ancienneté de 6 ans et 10 mois, une somme de 13 204, 27 euros.

Il lui sera en outre octroyé une indemnité de licenciement conventionnelle en se fondant sur une ancienneté de 10 ans et 5 mois incluant la durée du préavis de trois mois et sur le barème prévu par la convention collective de 3/10ème de mois par année d'ancienneté jusqu'à 10 ans révolus, à hauteur de 15 018, 28 euros.

Monsieur [I] avait au moment de la rupture de son contrat de travail le 6 juillet 2022, 12 années complètes d'ancienneté et la société comptait au moins onze salariés. En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, il peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant compris entre 3 mois de salaire brut minimum et 11 mois de salaire brut maximum.

En raison de l'âge du salarié au moment de son licenciement, de son ancienneté au sein de la société, du montant de la rémunération qui lui était versée, de son aptitude à retrouver un emploi et des justificatifs produits sur sa situation professionnelle postérieure au licenciement, la cour fixe le préjudice matériel et moral qu'il a subis du fait de la perte injustifiée de son emploi à la somme de 60 000 euros.

Le jugement sera infirmé et la société sera condamnée à payer ces sommes à Monsieur [I].

Sur le remboursement des indemnités de chômage à Pôle emploi

Il convient d'ordonner le remboursement par l'employeur à Pôle emploi, partie au litige par l'effet de la loi, des indemnités de chômage qu'il a le cas échéant versées à Monsieur [I] à compter du jour de la rupture de son contrat de travail, et ce à concurrence de six mois d'indemnités.

Sur les dépens et l'indemnité de procédure

La société Sopra Steria Group qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Il apparait en outre équitable de la condamner à verser à Monsieur [I] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés première instance et en appel en sus de l'indemnité lui ayant été allouée de ce chef par le conseil de prud'hommes.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME partiellement le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt du 18 juin 2020,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [W] [I],

Dit que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du présent arrêt,

Dit que la convention de forfaits en jour incluse dans le contrat de travail de Monsieur [W] [I] est nulle,

Condamne la société Sopra Steria Group à payer à Monsieur [W] [I] les sommes suivantes :

- 14 600, 45 euros au titre des heures supplémentaires effectuées du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016

-1 460,04 euros au titre des congés payés afférents,

- 3 559 euros au titre de la rémunération variable pour l'année 2013,

- 355, 90 euros au titre des congés payés afférents,

- 10 387 euros au titre de la rémunération variable pour l'année 2014,

- 1 038, 70 euros au titre des congés payés afférents,

- 6 000 euros au titre de la rémunération variable pour l'année 2015,

- 600 euros au titre des congés payés afférents,

- 11 000 euros au titre de la rémunération variable pour l'année 2016,

- 1 100 euros au titre des congés payés afférents,

- 1 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

- 17 391 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 1 739, 10 euros au titre des congés payés afférents,

- 13 204, 27 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 60 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Confirme pour le surplus les dispositions non contraires du jugement entrepris,

Y ajoutant,

Condamne Monsieur [W] [I] à payer à la société Sopra Steria Group la somme de 6 512, 70 euros brut au titre des jours de RTT dont il a indûment bénéficié,

Ordonne le remboursement par la société Sopra Steria Group à Pôle emploi des indemnités de chômage qu'elle a versées à Monsieur [G] à compter du jour de la rupture de son contrat de travail, et ce à concurrence de six mois d'indemnités,

Condamne la société Sopra Steria Group à payer à Monsieur [G] la somme de 3 500 euros pour les frais irrépétibles exposés en première instance et en appel en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Sopra Steria Group aux dépens de première instance et d'appel,

- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Anne-Sophie CALLEDE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 20/01192
Date de la décision : 06/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-06;20.01192 ?
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