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06/07/2022 | FRANCE | N°19/03271

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 06 juillet 2022, 19/03271


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



15e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 06 JUILLET 2022



N° RG 19/03271 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TM6P



AFFAIRE :



[P] [K]





C/

Société SPIE BATIGNOLLES PRESANCE [Localité 7] anciennement dénommée SPIE BATIGNOLLES TMB









Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 02 Juillet 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de

POISSY

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 18/00161



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Claire RICARD



Me Franck LAFON





le : 07 Juillet 2022





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE F...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 JUILLET 2022

N° RG 19/03271 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TM6P

AFFAIRE :

[P] [K]

C/

Société SPIE BATIGNOLLES PRESANCE [Localité 7] anciennement dénommée SPIE BATIGNOLLES TMB

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 02 Juillet 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de POISSY

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 18/00161

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Claire RICARD

Me Franck LAFON

le : 07 Juillet 2022

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant,fixé au 09 Février 2022,puis prorogé au 23 Mars 2022, puis au 11 Mai 2022, puis au 08 Juin 2022, puis au 06 Juillet 2022,les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [K]

né le 03 Avril 1973 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Claire RICARD, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 - Représentant : Me Marie GIL ROSADO, Plaidant, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 87

APPELANT

****************

Société SPIE BATIGNOLLES PRESANCE [Localité 7] anciennement dénommée SPIE BATIGNOLLES TMB

N° SIRET : 332 265 032

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Sabine ANGELY MANCEAU, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0492 - Représentant : Me Franck LAFON, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 décembre 2021 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Président,

Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,

Madame Perrine ROBERT, Vice-présidente placé,

Greffier lors des débats : Stéphanie HEMERY,

Greffier lors du prononcé: Madame Elodie BOUCHET-BERT

FAITS ET PROCÉDURE

M. [P] [K] a été engagé à compter du 1er mars 2016 par la société Spie Batignolles TMB par contrat à durée indéterminée en qualité de directeur commercial, cadre, position C1, pour 217 jours de travail par an, moyennant une rémunération annuelle brute (hors prime de congés) de 80 000 euros, payée à raison de 6 153,90 euros sur treize mois, une rémunération annuelle variable de 0 à 14% et pouvant atteindre 20%, selon les résultats de l'entreprise et les résultats qu'il obtiendra par rapport aux objectifs fixés, et un avantage en nature (véhicule de fonction) évalué en dernier lieu à 223,80 euros brut par mois.

Les relations entre les parties sont soumises à la convention collective nationale des cadres du bâtiment.

M. [K] a été en arrêt de travail pour maladie du 10 février 2017 au 8 mai 2017 et du 20 juin au 9 juillet 2017, avec maintien de son salaire fixe.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 22 juin 2017, la société a convoqué M. [K] à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'au licenciement qui s'est tenu le 5 juillet 2017, puis par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 12 juillet 2017, elle lui a notifié son licenciement pour insuffisance professionnelle et l'a dispensé de l'exécution de son préavis. Il a perçu une indemnité de licenciement de 1 493,93 euros.

M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Poissy par requête reçue le 18 juin 2018 afin de contester son licenciement et d'obtenir le versement de diverses sommes.

Par jugement du 2 juillet 2019, auquel la cour renvoie pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Poissy a :

- dit que le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. [K] par la société Spie Batignolles TMB est fondé ;

- condamné la société Spie Batignolles TMB à verser à M. [K] avec intérêts légaux à compter du 20 juin 2018, date de réception de la convocation pour le bureau de conciliation et d'orientation par la partie défenderesse, les sommes suivantes :

*9 333,33 euros bruts au titre de la rémunération variable pour la période de mars à décembre 2016; *6 066,67 euros bruts au titre de la rémunération variable pour la période du 1er janvier au 12 juillet 2017 ;

*1 540 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;

* 642,37 euros à titre de solde d'indemnité légale de licenciement ;

- rappelé que l'exécution est de droit à titre provisoire sur les créances visées à l'article R.1454-14 alinéa 2 du code du travail.

- fixé la moyenne mensuelle des salaires en application des dispositions de l'article R 1454-28 du Code du travail à la somme de 6 928,55 euros bruts ;

- ordonné à la société Spie Batignolles TMB de délivrer à M. [K] l'attestation Pôle Emploi conforme aux dispositions de la présente décision, au plus tard dans les 15 jours suivants la notification du présent jugement sans qu'il y ait lieu de l'assortir d'une astreinte.

- débouté M. [K] du surplus de ses demandes.

- débouté la société Spie Batignolles TMB de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- fait masse des éventuels dépens, qu'elle a partagés par moitié à la charge des parties.

Par déclaration au greffe du 13 août 2019, M. [K] a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 14 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [K] demande à la cour de :

-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Spie Batignolles TMB, devenue la société Spie Batignolles Présance [Localité 7], de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, a fixé la moyenne mensuelle des salaires à la somme de 6928,55 euros bruts et a condamné la société Spie Batignolles TMB, devenue la SAS Spie Batignolles Présance [Localité 7], à verser à M. [K] les sommes suivantes :

* 9333,33 euros bruts au titre de sa rémunération variable pour la période de mars à décembre 2016

* 6066,67 euros bruts au titre de sa rémunération variable pour la période du 1 er janvier au 12 juillet 2017

* 642,37 euros à titre de solde d'indemnité légale de licenciement

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

-a dit que son licenciement pour insuffisance professionnelle est fondé,

-a condamné la société Spie Batignolles TMB à lui verser 1540 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

-l'a débouté M. [K] du surplus de ses demandes,

-a partagé les dépens par moitié à la charge des parties ;

Statuant à nouveau,

-déclarer son licenciement pour insuffisance professionnelle dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- dire qu'il a été victime de faits de harcèlement moral au travail ;

- condamner la société Spie Batignolles Présance [Localité 7], anciennement dénommée Spie Batignolles TMB, à lui verser les sommes suivantes :

* 30 400 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1866,67 euros bruts à titre de solde d'indemnité compensatrice de préavis,

* 1726,67 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral subi,

* 2000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamner la société Spie Batignolles Présance [Localité 7] aux entiers dépens de première instance;

- déclarer la société Spie Batignolles Présance [Localité 7] mal fondée en son appel incident,

-débouter la société Spie Batignolles Présance [Localité 7] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

Y ajoutant,

-ordonner à la société Spie Batignolles Présance [Localité 7], anciennement dénommée Spie Batignolles TMB, de lui remettre une attestation Pôle emploi conforme à la décision à intervenir, ce, sous astreinte de 80 euros par jour de retard, à compter du 7 ème jour suivant le prononcé de l'arrêt à intervenir ;

-condamner la société Spie Batignolles Présance [Localité 7] à lui verser la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

-condamner la société Spie Batignolles Présance [Localité 7] aux entiers dépens d'appel.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 26 août 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Spie Batignolles Presance [Localité 7] anciennement dénommée la société Spie Batignolles TMB, demande à la cour de :

-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [K] de ses demandes tendant à ce qu'elle soit condamnée au paiement des sommes suivantes :

* 30 400 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

* 1 866,67 euros bruts à titre de solde d'indemnité compensatrice de préavis,

* 1 726,67 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

* 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

* 2 000 euros au titre des frais irrépétibles;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [K] :

* 9 333,33 € bruts au titre de la rémunération variable pour la période de mars à décembre 2016,

* 6 066,67 € bruts au titre de la rémunération variable pour la période du 1 er janvier au 12 juillet 2017,

* 1 540,00 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

*642,37 € à titre de solde d'indemnité légale de licenciement,

-infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la délivrance à M. [K] de l'attestation Pôle emploi conformément aux dispositions de la présente décision au plus tard dans les quinze jours suivants la notification du jugement,

-infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés du jugement :

¿ à titre principal, de :

- débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [K] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

¿ à titre subsidiaire :

- dire que le rappel de la rémunération variable ne saurait excéder la somme de 2 333,33 euros pour la période de mars à décembre 2016 et 1 516,66 euros pour la période du 1er janvier au 12 juillet 2017 et que l'indemnité compensatrice de congés payés ne saurait excéder la somme de 431,66 euros ;

- condamner M. [K] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 17 novembre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 applicable aux faits commis à compter de son entrée en vigueur le 10 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l'appui du harcèlement moral dont il prétend avoir été victime, M. [K] invoque les faits suivants :

-des contraintes horaires excessives:

*alors qu'il résidait à [Localité 6], à proximité d'[Localité 3], soit à 135 km de son lieu de travail à [Localité 5], ce qui lui occasionnait un temps de trajet d'approximativement 1h30 pouvant aller jusqu'à 1h45 en cas d'affluence, ce que son employeur savait parfaitement, le directeur général a planifié à de nombreuses reprises des réunions où sa présence était obligatoire, à des heures très matinales ou très tardives;

*le directeur général a reporté ou avancé à plusieurs reprises des points contacts, multipliant ainsi pour lui les contraintes d'organisation ;

*le directeur général l'a à plusieurs reprises fait attendre plusieurs heures lors des réunions prévues ;

*il lui a demandé d'être présent le vendredi 3 mars à 18 heures pour le 70ème anniversaire du lycée [11] à [Localité 10];

-le non-respect des temps de repos et de congés, le directeur général continuant à le solliciter durant ses congés et le reproche qui lui a été fait de privilégier son intérêt personnel sur l'intérêt collectif au regard des congés qu'il prenait;

-l'absence de suite donnée à sa dénonciation de faits de harcèlement moral lors d'un rendez-vous avec le président de la société le 10 février 2017;

-sa mise à l'écart de plusieurs réunions stratégiques;

-des reproches injustifiés devant ses collègues de travail lors de la réunion du 14 juin 2017;

-l'attribution d'un véhicule de fonction de catégorie inférieure à celle correspondant à son niveau de responsabilité ;

-la dégradation de son état de santé, en produisant:

*un arrêt de travail pour maladie du 10 février 2017 au 8 mai 2017 et la prescription d'un somnifère le 10 février 2017;

*un courrier de son médecin généraliste du 3 avril 2017 l'adressant à une psychologue clinicienne, en lui écrivant que M. [K] est actuellement à ses dires en souffrance dans son milieu professionnel et il désirerait faire le point avec elle;

*un certificat de travail du 3 mai 2017 établi par une psychologue clinicienne qui le suit depuis le 5 avril 2017, qui mentionne qu'il évoque des situations conflictuelles avec son supérieur hiérarchiques, faisant état de paroles irrespectueuses et rabaissantes répétées et décrit des symptômes tels que troubles du sommeil, irritabilité, sensations d'oppressions réactionnelles à l'angoisse;

*un avis de contre-indication médicale temporaire au travail du médecin du travail du 19 juin 2017 ;

*un arrêt de travail pour maladie du 20 juin au 9 juillet 2017.

Il est établi par les pièces produites:

-que le directeur général a planifié à de nombreuses reprises des réunions où la présence de

M. [K] était requise à des heures très matinales ou très tardives, alors qu'il savait que sa résidence était très éloignée: point contact le 15 mars 2016 de 7h30 à 8h30, le 20 juin 2016 de 19h à 20h, le 21 juin 2016 de 19h à 20h, le 23 janvier 2017 de 19h à 19h45, le 14 février 2017 de 18h30 à 19h30 (même si celle-ci n'a pu finalement avoir lieu, le salarié étant en arrêt de travail pour maladie);

-que le directeur général a reporté ou avancé à plusieurs reprises des points contacts avec M. [K], multipliant ainsi les contraintes d'organisation de celui-ci : point contact du vendredi 7 octobre avancé au mercredi 5 octobre 2016 à 18h par mail du jour-même à 15h14; point contact du mardi 6 décembre avancé au lundi 5 décembre 2016 à 15h00 par mail du jour-même à 14h10;

-qu'il a reporté son entretien annuel d'évaluation fixé initialement le 27 janvier 2017 de 16h30 à 17h30 au 6 février de 19h à 20h, puis le 6 février à 17h10 au 7 février 2017 de 18h30 à 19h30 ;

-que le directeur général a sollicité M. [K] de manière insistante à plusieurs reprises durant ses congés ou RTT:

*durant ses congés du 15 au 29 juillet 2016 : sms adressé à M. [K] le 24 juillet à 23h59, mail adressé à M. [K] le 26 juillet à 10h56, participation de M. [K] à une réunion le 27 juillet à 14h;

*durant la période de congé et RTT du 30 janvier 2017 au 3 février 2017, validés le 4 janvier 2017, obligation faite d'assister le 2 février de 14h à 15h à une réunion de négociation avec la SNCF;

-que dans le compte-rendu de l'entretien annuel d'évaluation du 7 février 2017, le directeur général lui a reproché de privilégier son intérêt personnel par rapport à l'intérêt collectif, ce à quoi le salarié a répondu que la prise de congés était un droit et non un intérêt personnel;

-que le directeur général a sollicité M. [K] durant son arrêt maladie, en demandant le lundi 13 février 2017 à ce qu'il adresse un compte-rendu de sa présentation à la SAERP du jeudi 9 février 2017 ;

-que le directeur général lui a demandé par une mention manuscrite 'VTHE à JFREY, Etre présent', sans plus d'explication de se rendre le vendredi 3 mars à 18 heures à une invitation pour le 70ème anniversaire du lycée [11] à [Localité 10];

-qu'après son retour d'arrêt maladie le 9 mai 2017, M. [K] a été écarté du projet Base Arrière Taxis d'[Localité 8] pour [Localité 9] Aéroport, n'étant pas invité à l'oral de présentation le 15 mai 2017, n'étant pas convié aux réunions intermédiaires de groupement et n'étant pas convié au bouclage de la 2ème offre, le 9 juin 2017 ;

-que l'état de santé de M. [K] s'est dégradé.

Au vu de l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux produits, les éléments de fait matériellement établis qu'il présente, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à la société de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Les relevés de la carte essence de M. [K] des mois de janvier et mai 2017, qui mentionnent, s'agissant des achats d'essence effectués à [Localité 3], cinq achats au cours de la période du 3 au 27 janvier 2017 et 7 achats au cours de la période du 9 au 31 mai 2017, ne sont pas à eux seuls significatifs d'une bonne articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle du salarié.

La société ne justifie par aucun élément objectif étranger à tout harcèlement moral que le directeur général ait planifié à de nombreuses reprises des réunions où la présence de M. [K] était requise à des heures très matinales ou très tardives, alors qu'il savait que sa résidence était très éloignée, qu'il ait reporté ou avancé à plusieurs reprises des points contacts avec lui, compromettant ainsi leur préparation, peu important que le salarié, en position de subordination, ne s'y soit pas opposé, de tels faits ne pouvant être considérés, compte-tenu de leur caractère répété, comme étant inhérents à la vie de l'entreprise. La société ne justifie par aucun élément objectif pertinent étranger à tout harcèlement moral que M. [K] ait été sollicité à plusieurs reprises durant ses congés, qu'il lui a été reproché de privilégier son intérêt personnel par rapport à l'intérêt collectif et qu'il a été écarté de réunions importantes à son retour d'arrêt maladie.

Le harcèlement moral est en conséquence établi. Il a causé à M. [K] un préjudice que la cour fixe à la somme de 3 000 euros. Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société à payer ladite somme à M. [K] à titre de dommages-intérêts de ce chef.

Sur la rémunération variable

Le contrat de travail de M. [K] stipule qu'il bénéficie d'une rémunération annuelle variable de 0 à 14% et pouvant atteindre 20%, selon les résultats de l'entreprise et les résultats qu'il obtiendra par rapport aux objectifs fixés, sans autre précision.

M. [K], qui n'a perçu aucune rémunération variable au cours de sa période d'emploi au sein de la société, fait valoir que l'objectif de prise de commande de 15 millions d'euros pour l'année 2016, fixé unilatéralement par l'employeur, a été fixé tardivement, pour avoir été fixé le 1er août 2016, 5 mois après son embauche, ce qui ne lui laissait que 5 mois pour atteindre cet objectif annuel, que cet objectif individuel était irréalisable, que l'employeur ne justifie pas des résultats de l'entreprise sur l'année 2016 et sur le premier semestre de l'année 2017 et qu'il n'a jamais eu connaissance des modalités de calcul de sa rémunération variable au cours de sa période d'emploi.

L'employeur doit porter à la connaissance du salarié en temps utile les conditions précises définissant l'étendue et les limites de son engagement de payer la rémunération variable, ce qui lui impose de communiquer au salarié ses objectifs et les modalités de calcul de sa rémunération mensuelle brute au début de chaque période de référence. Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve qu'il a satisfait à ces exigences.

Lorsque la partie variable de la rémunération contractuelle du salarié dépend de la réalisation d'objectifs fixés chaque année unilatéralement par l'employeur et que celui-ci n'a pas précisé au salarié les objectifs à réaliser, ni les conditions de calcul vérifiables de sa part variable, pour les exercices en cause, cet élément de rémunération doit être versé intégralement pour chacun de ces exercices.

Si la société produit en pièce 6 un document intitulé 'Annexe : modalités d'attribution de la rémunération variable annuelle', ce document est trop imprécis pour permettre au salarié de calculer ses droits à rémunération variable et il n'est pas même justifié que M. [K] pouvait y accéder sur le site intranet de l'entreprise.

Il est établi en l'espèce que la société a notifié à M. [K] :

-le 1er août 2016 son objectif individuel pour l'année 2016, à savoir 15 millions d'euros de prise de commandes ;

-lors de l'entretien annuel initialement fixé au 27 janvier 2017 mais reporté au 7 février 2017 ses objectifs individuels pour l'année 2017, à savoir 15 millions d'euros de prise de commandes, soit 1,5 millions d'euros par mois.

La société ne produit aucun élément de nature à établir que les objectifs qu'il a fixés à M. [K] à titre de condition de versement d'une rémunération variable étaient réalisables. Il s'ensuit que cette rémunération est due.

La rémunération variable due au salarié pour l'année 2016 est égale à (80 000 euros x 14%) x 10/12 = 9 333,33 euros bruts.

La rémunération variable due pour l'année 2017 au salarié, qui avait droit au maintien de son salaire durant son arrêt maladie, est égale à (80 000 euros x 14%) x 6,5/12 = 6066,67 euros bruts.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société à payer à M. [K] la somme de 9 333,33 euros bruts au titre de la rémunération variable pour la période de mars à décembre 2016 ainsi que la somme de 6066,67 euros bruts au titre de la rémunération variable pour la période du 1er janvier au 12 juillet 2017.

La rémunération variable prévue par le contrat de travail de M. [K] n'étant pas une prime allouée globalement pour l'année entière, période de travail et de congés payés confondues, mais une rémunération assise sur des résultats produits par le travail personnel du salarié, nécessairement affectés pendant la période de congés, cet élément de rémunération doit être inclus dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés. Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société à payer à M. [K] la somme de 1 540 euros bruts au titre des congés payés afférents à la rémunération variable.

Sur le solde d'indemnité compensatrice de préavis

En application de l'article L. 1234-5 du code du travail, la dispense par l'employeur de l'exécution du préavis n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis d'une durée de deux mois qu'il revendique.

Si la rémunération de ce dernier est composée d'une partie fixe et d'une partie variable, il convient de se référer à la moyenne annuelle de la rémunération pour calculer le montant de cette indemnité.

L'indemnité compensatrice de préavis versée par la société à M. [K] ayant été calculée uniquement sur sa rémunération fixe, la salarié est bien fondé à prétendre à un complément d'indemnité compensatrice de préavis prenant en compte sa rémunération variable, soit la somme de 1 866,67 euros qu'il revendique.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société à payer à M. [K] la somme de 1 866,67 euros à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis ainsi que la somme de 186,67 euros au titre des congés payés afférents.

Sur le solde d'indemnité de licenciement

Selon l'article L. 1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte une année d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.

Selon l'article R1234-1 du code du travail, l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9 ne peut être inférieure à une somme calculée par année de service dans l'entreprise et tenant compte des mois de service accomplis au-delà des années pleines. Selon l'article R1234-2, l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d'ancienneté.

M. [K] a perçu une indemnité de licenciement de 1 493,93 euros. Compte-tenu de son ancienneté d'un an et six mois complet à l'expiration du préavis de deux mois qu'il revendique et de la rémunération variable ci-dessus allouée, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société à payer à M. [K] la somme de 584,64 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement.

Sur les dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail

Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur à l'appui du licenciement forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Il en résulte que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement n'incombe pas particulièrement à l'une ou à l'autre partie.

L'énoncé dans la lettre de licenciement d'insuffisance professionnelle constitue un motif matériellement vérifiable au sens de l'article L. 1232-6 du contrat de travail qui peut être précisé et discuté devant le juge du fond.

Le licenciement pour motif personnel doit être fondé sur les éléments objectifs imputables au salarié.

La société reproche à M. [K] une absence de maîtrise des processus relatifs aux études commerciales.

L'employeur reproche au salarié d'être régulièrement absent lors des réunions de bouclage de façon injustifiée alors qu'il a accepté l'invitation dans son agenda électronique et que les bouclages permettent de définir la stratégie globale de remise des offres et de préparer les échanges commerciaux avec les clients, si bien qu'il ne connaît pas suffisamment les affaires et la stratégie associée.

Le salarié soutient qu'il a été présent à la très grande majorité d'entre elles, qu'il n'a été absent qu'à quelques réunions de bouclage et s'est présenté à plusieurs de celles pour lesquelles on lui reproche son absence, mais qu'elles avaient déjà pris fin à son arrivée, les participants ne l'ayant pas attendu bien qu'il ait prévenu de son retard et qu'elles concernaient des affaires portées par les chefs de secteur.

Il est établi que M. [K] a été absent à seulement 8 bouclages sur 39 entre avril 2016 et janvier 2017, ce qui ne caractérise en soi aucune insuffisance dans le suivi des processus commerciaux.

Il n'est pas établi non plus qu'il ne connaissait pas suffisamment les affaires et la stratégie associée.

L'employeur reproche également au salarié de ne pas réaliser les matrices d'action commerciale pour toutes les études concernant les affaires 'projet', ce qui ne permet pas de disposer des informations suffisantes pour arbitrer sur les affaires à étudier.

Le salarié soutient que toutes les matrices d'action commerciale (MAC) des affaires dont il avait la charge étaient rédigées. Il justifie avoir adressé le 6 octobre 2016 à 12h09 les 9 matrices d'action commerciale qu'il avait créées, évoquées lors de la revue de processus du matin, de sorte qu'il n'en manquait qu'une. Il n'est pas établi, aucune relance ne lui ayant été adressée, qu'il n'ait pas répondu à la demande d'envoi de la matrice d'action commerciale adressée par le directeur général le 7 décembre 2016 pour l'appel d'offre pour l'extension 4 temps ou à la demande d'envoi des matrices d'action commerciale des affaires mentionnées dans son tableau du 21 décembre 2016, adressée le 22 décembre 2016. Le salarié justifie en outre avoir enregistré le 12 janvier 2017 les matrices d'action commerciale qu'il a créées dans un fichier commun.

L'employeur reproche au salarié de ne pas avoir réalisé ses objectifs de prise de commande et de s'être montré incapable de développer le portefeuille client, faisant valoir qu'il n'a atteint que 2% de son objectif de prise de commande en 2016 et n'a traité aucune affaire depuis le début de l'année 2017, qu'il n'a apporté que 6 dossiers en 2017, dont 3 dossiers concernant des clients récurrents ou avec lesquels l'entreprise avait déjà travaillé et que, parmi ces dossiers seuls 2 d'entre eux ont été retenus au titre du suivi d'action commerciale 2017, que l'absence de réseau et de proactivité de sa part contraint l'entreprise à mettre en oeuvre des actions commerciales supplémentaires.

M. [K] soutient que :

- l'objet fixé par l'employeur pour 2016 était irréalisable et qu'il ne saurait lui être reproché une non-atteinte des objectifs pour l'année 2017 alors qu'il a été en arrêt de travail pour maladie sur la moitié du premier semestre;

-qu'en un an d'activité, il a apporté plus de 60 affaires et de nouveaux clients à la société et que la perte de certaines affaires ne lui est pas imputable dans la mesure où il n'avait aucun moyen d'action sur la partie technique et l'élaboration des prix des offres ;

-que les répercussions du harcèlement moral dont il a été victime ont largement contribué à la non-réalisation de ses objectifs.

L'employeur ne justifie pas que les objectifs fixés à M. [K] le 1er août 2016 pour l'année 2016 étaient réalisables. Il ne saurait reprocher au salarié son absence de résultats pour l'année 2017, alors que le salarié n'a été en activité que durant moins de trois mois au total et qu'il a été écarté de réunions importantes à compter de son retour d'arrêt maladie le 9 mai 2017.

L'absence de réseau reprochée à M. [K] ne caractérise aucune insuffisance professionnelle de sa part. Son absence de proactivité est démentie par les mails et par le reporting qu'il produit.

L'appréciation portée par le directeur général sur le travail de M. [K], contestée par ce dernier, ne peut être retenue comme fiable au regard du harcèlement moral dont ce dernier a souffert.

En l'absence de faits susceptibles d'être imputés au salarié caractérisant une insuffisance professionnelle, il convient d'infirmer le jugement entrepris et dire le licenciement de M. [K] dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail

Au moment de son licenciement, M. [K] avait moins de deux ans d'ancienneté. Il résulte de l'article L. 1235-5 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice, dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue.

En raison de l'âge du salarié au moment de son licenciement, 44 ans, de son ancienneté dans l'entreprise, du montant de la rémunération à laquelle il pouvait prétendre, de son aptitude à retrouver un emploi ainsi que des justificatifs produits, il convient d'infirmer le jugement entrepris et d'allouer à M. [K], en réparation du préjudice matériel et moral qu'il a subi du fait de la perte injustifiée de son emploi, la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail.

Sur la remise d'une attestation Pôle emploi conforme

Il convient d'ordonner à la société de remettre à M. [K] une attestation Pôle emploi rectifiée conforme au présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'ordonner une astreinte.

Sur les dépens et l'indemnité de procédure

La société qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera condamnée à payer à M. [K] en application de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 2 000 euros pour les frais irrépétibles qu'il a exposés en première instance ainsi que la somme de 1 000 euros pour les frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,

INFIRME PARTIELLEMENT le jugement du conseil de prud'hommes de Poissy en date du 2 juillet 2019 et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

DIT le licenciement de M. [K] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Spie Batignolles Présance [Localité 7], anciennement dénommée Spie Batignolles TMB, à payer à M. [K] les sommes suivantes :

* 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,

* 1866,67 euros bruts à titre de solde d'indemnité compensatrice de préavis,

* 186,67 euros bruts au titre des congés payés afférents au préavis,

* 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'il a exposés en première instance ;

ORDONNE à la société Spie Batignolles Présance [Localité 7], anciennement dénommée Spie Batignolles TMB, de remettre à M. [K] une attestation Pôle emploi rectifiée conforme au présent arrêt ;

DIT n'y avoir lieu d'ordonner une astreinte ;

CONFIRME pour le surplus les dispositions non contraires du jugement entrepris ;

Y ajoutant :

CONDAMNE la société Spie Batignolles Présance [Localité 7] à payer à M. [K] la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel ;

CONDAMNE la société Spie Batignolles Présance [Localité 7] aux dépens de première instance et d'appel.

- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Elodie BOUCHET-BERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 19/03271
Date de la décision : 06/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-06;19.03271 ?
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