COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 30B
DU 05 JUILLET 2022
N° RG 21/01350
N° Portalis DBV3-V-B7F-ULFU
AFFAIRE :
S.E.L.A.R.L. [R]
C/
S.C.I. [Adresse 2]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Janvier 2021 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 18/07948
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
- la SELEURL MINAULT TERIITEHAU,
-Me Stéphane DUMAINE-MARTIN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.E.L.A.R.L. DE KEATING, mandataires judiciaires
prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité au siège social
N° SIRET : 477 751 911
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20210079
Me Timothée DE HEAULME DE BOUTSOCQ de l'ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT et associés, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : E1979
APPELANTE
****************
S.C.I. [Adresse 2],
représentée par son gérant en exercice, M. [C] [U]
N° SIRET : 398 926 840
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté par Me Stéphane DUMAINE-MARTIN, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : D0062 - N° du dossier 3747
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 Mai 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie LAUER, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Michèle LAURET, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 03 juin 2015, la société civile immobilière (S.C.I.) [Adresse 2] a donné à bail commercial à la société Incisiv un local commercial et deux places de parking constituant les lots n°1 et 20 d'un ensemble immobilier situé [Adresse 2] (Hauts de Seine) pour une durée de neuf ans à compter du 1er juillet 2015 et selon un loyer trimestriel d'un montant de 8.250 euros hors taxes et hors charges.
Le 17 juin 2016 et par avenant au bail commercial du 03 juin 2015, la S.C.I. Berlander 11/ 13 a donné à bail commercial à la société Incisiv une remise formant le lot n° 47 selon un loyer trimestriel d'un montant de 750 euros hors taxes et hors charges.
Par jugement rendu le 03 août 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Incisiv. La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (S.E.L.A.R.L.) [R], représentée par M. [R], ès qualités, liquidateur judiciaire, et la société [T] Morhange, représentée par Mme [T], en qualité de commissaire priseur.
La société [T] Morhange a établi en date du 16 août 2017 un inventaire des actifs de la société Incisiv.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 25 septembre 2017, la S.E.L.A.R.L [R] a notifié à la S.C.I. [Adresse 2] la résiliation du bail commercial susvisé avec effet immédiat.
Faute de proposition amiable de reprise des actifs corporels appartenant à la société Incisiv, par ordonnance rendue le 20 septembre 2017, le juge commissaire à la liquidation judiciaire a ordonné la vente aux enchères publiques des actifs mobiliers inventoriés qui est intervenue le 2 février 2018.
Par courrier recommandé en date du 07 février 2018, la S.C.I. [Adresse 2] a demandé à S.E.L.A.R.L. [R] la restitution des locaux situés [Adresse 2] (Hauts de Seine) et de régler la totalité des loyers dus depuis le 25 septembre 2017.
Par courrier du 12 février 2018, la S.E.L.A.R.L [R] a invité la société bailleresse à prendre contact avec la société [T] Morhange pour la restitution des clés des locaux susvisés ou à changer les serrures.
Le 20 février 2018, les clés des locaux situés [Adresse 2] (Hauts de Seine) ont été restitués à la S.C.I. [Adresse 2] par la société [T] Morhange.
Par courrier recommandé du 21 mars 2018, la S.C.I. [Adresse 2] a sollicité auprès de la S.E.L.A.R.L. [R] le règlement de sa créance correspondant à l'occupation des locaux situés [Adresse 2] (Hauts de Seine) pour la période du 03 août 2017 au 20 février 2018.
Par courrier du 22 mai 2018, la S.E.L.A.R.L. [R] a indiqué que la créance locative de la S.C.I. [Adresse 2] n'était pas utile à la procédure de liquidation et quand bien même elle serait fondée, la S.E.L.A.R.L. [R] ne disposerait pas de fonds suffisants pour la régler.
Par exploit d'huissier de justice du 17 juillet 2018, la S.C.I. [Adresse 2] a fait assigner la S.E.L.A.R.L. [R] aux fins, en particulier, d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 17.280,73 euros à titre de dommages intérêts.
Par jugement contradictoire rendu le 25 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- Condamné la S.E.L.A.R.L. [R] à payer à la S.C.I. [Adresse 2] la somme de 13.760 euros à titre de dommages intérêts,
- Condamné la S.E.L.A.R.L. [R] à payer à la S.C.I. [Adresse 2] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- Condamné la S.E.L.A.R.L. [R] aux dépens, dont distraction au profit de M. Dumaine-Martin, ès qualités, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- Prononcé l'exécution provisoire de la présente décision.
La S.E.L.A.R.L. [R] a interjeté appel de ce jugement le 01 mars 2021 à l'encontre de la S.C.I. [Adresse 2].
Par dernières conclusions notifiées le 02 mars 2022, la S.E.L.A.R.L. [R] demande à la cour de :
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Nanterre.
Statuant à nouveau, de :
- Débouter la S.C.I. [Adresse 2] de l'ensemble de ses demandes, en ce compris son appel incident,
- Condamner la S.C.I. [Adresse 2] à payer à la S.E.L.A.R.L. [R] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des procédures de première instance et d'appel.
- Condamner la S.C.I. [Adresse 2] aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la S.E.L.A.R.L. Minault Teriitehau agissant par Mme Teriitehau, ès qualités, avocat, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 02 mars 2022, la S.C.I. [Adresse 2] demande à la cour de :
- Dire et juger la S.C.I. [Adresse 2] recevable et bien fondée en son appel incident.
Vu l'article 1240 du code civil,
- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a retenu la responsabilité personnelle de la S.E.L.A.R.L. [R],
- Infirmer le jugement dont appel en sa disposition ayant limité à la somme de 13.760 euros le montant des dommages intérêts auxquels a été condamnée la S.E.L.A.R.L. [R].
Statuant à nouveau, de :
- Condamner la S.E.L.A.R.L. [R] à payer à la S.C.I. [Adresse 2] la somme de 19.229,80 euros à titre de dommages intérêts,
- Débouter la S.E.L.A.R.L. [R] de ses demandes,
- Condamner la S.E.L.A.R.L. [R] à payer à la S.C.I. [Adresse 2] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la S.E.L.A.R.L. [R] aux dépens de l'instance lesquels seront recouvrés directement par Mme Dumaine-Martin, ès qualités, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 17 mars 2022.
SUR CE, LA COUR,
Les limites de l'appel
Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d'appel se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.
La responsabilité de la société [R]
Pour être engagée sur le fondement de l'article 1240 du code civil, qui dispose que tout fait quelconque de l'homme oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, la responsabilité du liquidateur judiciaire nécessite la triple démonstration d'une faute et d'un préjudice en lien de causalité avec la faute. Il appartient à celui qui entend l'engager de rapporter cette triple preuve.
La faute
Moyens des parties
La société [R] poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute à son encontre. À l'appui, elle fait valoir que suite à la résiliation du bail, le 25 septembre 2017, elle a correctement informé et renseigné le bailleur ; qu'elle n'est pas responsable du délai mis par le commissaire-priseur pour réaliser les actifs et pour restituer les clés ; qu'elle ne disposait d'aucun fonds pour un déménagement et un garde-meuble ; que dans ces conditions, elle n'avait d'autre choix que de laisser les actifs sur place, le temps de la réalisation de la vente aux enchères dans des délais incombant exclusivement au commissaire-priseur ; que le liquidateur n'est tenu que d'une obligation de moyens et, en l'espèce, a procédé aux diligences requises par les opérations de liquidation judiciaire, et, dans des délais à tout le moins, parfaitement raisonnables ; que " la jurisprudence constante " invoquée par le tribunal n'existe pas et serait du reste incompatible avec le fondement de l'article 1382 ancien du code civil qui suppose l'existence d'une faute dans l'exécution de la mission, ce qui exclut toute responsabilité automatique en cas de non restitution des locaux après la résiliation du bail commercial comme semble toutefois l'avoir considéré les premiers juges ; que le mandataire judiciaire n'est pas le garant des dettes du débiteur ; que sa responsabilité personnelle doit s'apprécier au regard des circonstances particulières de chaque affaire et plus particulièrement des raisons pouvant expliquer le retard dans la restitution des clés, qui peut exister en dehors de toute faute du mandataire judiciaire ; qu'en l'espèce, le tribunal judiciaire a ignoré qu'un commissaire-priseur était chargé des opérations d'inventaire puis de la vente des actifs, opération qui ne pouvait intervenir en un trait de temps ; qu'autrement dit, ce n'est pas parce que le bail a été résilié que le mandataire judiciaire est en mesure de restituer immédiatement le local ; qu'en décider autrement aboutit purement à une obligation de résultat ; que le tribunal n'a nullement caractérisé les diligences qui auraient permis de faire cesser l'occupation des locaux plus rapidement alors qu'il ne dispose d'aucun pouvoir de coercition sur le commissaire-priseur ; que l'arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 2020 cité par la partie adverse ne s'est pas prononcé sur les possibles causes d'exonération de responsabilité dont l'appréciation relève au demeurant exclusivement du juge du fond, l'arrêt de la cour d'appel ayant été censuré au motif que le liquidateur répond personnellement des conséquences dommageables des fautes qu'il commet dans l'exercice de ses fonctions.
La SCI [Adresse 2] conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la faute de la société [R]. À l'appui, elle fait valoir que le mandataire de justice qui décide de ne pas poursuivre le bail commercial a l'obligation personnelle de libérer les lieux loués et d'enlever les objets qui les garnissent comme le reconnaît la jurisprudence et engage donc sa responsabilité personnelle à ce titre ; qu'il ne peut donc se retrancher derrière l'attitude passive du commissaire-priseur chargé de la vente des actifs ; que cette responsabilité est engagée sur le terrain délictuel, ce qui exclut toute appréciation d'une obligation de moyens ou de résultat qui ne concerne que la responsabilité contractuelle ; que seule la force majeure serait de nature à exonérer la société [R] ; qu'en l'espèce, aucune des circonstances invoquées par celle-ci n'est de nature à constituer un cas de force majeure ; qu'en tout état de cause, la discussion engagée par la société [R] sur sa coordination avec le commissaire-priseur ne lui est d'aucun secours, sa responsabilité étant engagée quelles que soient les circonstances qui ont conduit à restituer les locaux avec retard.
Appréciation de la cour
Par courrier recommandé du 25 septembre 2017, la société [R] a notifié à la société [Adresse 2] la résiliation du bail commercial du 3 juin 2015 avec effet immédiat en application de l'article L 641-12 du code de commerce. Elle a précisé en outre au bailleur que les clés du local commercial lui seraient remises par la société [T] Morhange, commissaire-priseur, une fois les opérations d'inventaire réalisées. À défaut, elle a invité le bailleur à procéder au changement des serrures.
Cependant, les clés n'ont été remises à la société [Adresse 2] que le 20 février 2018 malgré les diverses demandes du bailleur auprès du liquidateur par courriers des 2 octobre 2017 et 30 novembre 2017, celui-ci se contentant de renvoyer le bailleur vers le commissaire-priseur.
En définitive les lieux n'ont été restitués que cinq mois après la résiliation du bail commercial.
Il résulte de ces circonstances que lorsqu'il a informé le bailleur de la résiliation du bail, la société [R] ès qualités savait qu'à cette date elle n'était pas en mesure de restituer les locaux à leur propriétaire parce que s'y trouvaient entreposés les actifs dépendant de la liquidation judiciaire qu'elle devait réaliser, alors qu'elle reconnaît elle-même qu'elle n'avait pas les moyens de les entreposer ailleurs et qu'elle ne maîtrisait pas les délais d'intervention du commissaire priseur et du juge commissaire nécessaires à cette réalisation.
En résiliant le bail dans des conditions ne permettant pas la restitution immédiate des locaux loués, la société [R] a commis une faute de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil, sans qu'elle ne soit fondée à invoquer les contraintes temporelles inhérentes à la procédure collective ou le propre retard des diligences du commissaire-priseur, sa responsabilité n'étant pas subsidiaire.
Enfin, contrairement à ce qu'elle soutient, la jurisprudence citée par la société [Adresse 2] est parfaitement pertinente puisque la cour d'appel a caractérisé la faute du liquidateur même si son arrêt a été cassé pour avoir retenu que cette faute avait été commise dans l'exercice des fonctions du liquidateur alors que cette faute n'engage que la responsabilité personnelle de ce dernier.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la faute de la société [R].
Le préjudice et le lien de causalité
Moyens des parties
La société [R] poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à payer à la SCI [Adresse 2] la somme de 13 760 euros de dommages et intérêts. Subsidiairement, elle fait valoir que le bailleur ne rapporte pas la preuve d'un préjudice en lien causal avec la faute reprochée ; que la SCI ne peut faire valoir un préjudice correspondant au calcul mathématique des indemnités d'occupation et accessoires impayés à compter du 25 septembre 2017 ; que le préjudice ne peut s'analyser tout au plus qu'en une perte de chance d'avoir pu relouer le local si celui-ci avait été restitué plus tôt ; que toutefois l'attestation produite par la SCI [Adresse 2] n'est pas susceptible de caractériser sérieusement cette perte de chance ; qu'il s'agit de simples affirmations énoncées des années plus tard dans une attestation sollicitée pour les besoins de l'action en responsabilité et qui ne peut suppléer l'absence de production d'éléments justificatifs en date des faits litigieux ; qu'il n'est versé aux débats aucun courrier d'un amateur intéressé par la relocation à une date concomitante à la résiliation du bail ; qu'il n'est pas plus justifié qu'une agence immobilière a été saisie en vue de trouver un nouveau locataire à des conditions équivalentes ; que le tribunal ne pouvait donc se fonder sur une simple attestation mentionnant une relocation au 1er juillet 2018 alors que le bail de relocation n'est pas produit et ne peut donc être considéré, sur le terrain probatoire, que comme inexistant ; qu'en toute hypothèse, compte tenu de l'absence de toute preuve sérieuse, la perte de chance ne pouvait être fixée à 90 % ; qu'enfin et en toute hypothèse, il doit être tenu compte, dans l'évaluation du préjudice de la conservation par le bailleur du dépôt de garantie.
La SCI [Adresse 2] a formé appel incident de cette disposition du jugement déféré. Elle revendique que la condamnation de la société [R] soit portée à la somme de 19 229,80 euros de dommages et intérêts. Elle affirme que son préjudice direct est équivalent dans son quantum au montant mensuel des loyers qui auraient pu être perçus si le bien avait pu être reloué et au montant des charges et taxes qui n'ont pu être récupérées sur cette même période. Elle oppose par ailleurs que l'indemnité d'occupation est toujours due en cas de non libération des locaux sans qu'il soit nécessaire de prouver la signature d'un nouveau contrat de bail ou d'une promesse de bail ; que le simple fait de ne pas pouvoir, en qualité de propriétaire, jouir de son bien y compris soi-même, est une atteinte aux droits de propriété constitutive d'un préjudice qui doit être intégralement réparé par une indemnisation correspondant à la valeur locative du bien en fonction de la durée de cette atteinte. En réplique, elle indique que le liquidateur ne peut se prévaloir d'aucune compensation entre la perte de chance de louer à un nouveau locataire et le dépôt de garantie puisqu'il n'est pas le débiteur des loyers ou des indemnités d'occupation, indépendamment du fait qu'aux termes du contrat de bail, il est expressément prévu que le dépôt de garantie n'est pas imputable sur les derniers mois de jouissance des locaux.
Appréciation de la cour
Pour condamner la société [R] à payer à la SCI [Adresse 2] la somme de 13 760 euros de dommages et intérêts, le jugement retient qu'il est manifeste au vu de l'attestation de M. [Y] qu'il existait une chance réelle et sérieuse pour la société [Adresse 2] dès la résiliation du bail de sorte que l'opportunité de pouvoir relouer les locaux est démontrée. De cette analyse, le tribunal a déduit que la société [R], en qualité de liquidateur d'un débiteur qui s'est maintenu sans droit ni titre dans les locaux sis [Adresse 2]) du 25 septembre 2017 au 20 février 2018, soit 149 jours, doit être condamné au paiement d'une indemnité d'occupation correspondant à la perte de chance d'avoir pu relouer le local plus tôt.
C'est à tort que le tribunal a statué ainsi.
En effet, la société [R] a résilié le bail commercial à effet du 25 septembre 2017. À cette date, le débiteur, la société Incisiv, s'est trouvé occupant sans titre et donc débiteur d'une indemnité d'occupation. Pour autant, en raison de la suspension des poursuites à son encontre depuis l'ouverture de la procédure collective, aucune condamnation ne peut être prononcée contre la société Incisiv. De son côté, la société [R] ne peut être condamnée qu'à réparer les conséquences dommageables de sa propre faute. Comme elle le fait justement valoir, elle n'est pas le garant du débiteur.
Le seul préjudice en lien avec le manquement retenu consiste en la privation du bailleur de la chance de relouer les locaux à compter du 25 septembre 2017 ou de pouvoir l'occuper lui-même.
Or, cette perte de chance s'entend comme la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. Elle suppose établie la preuve du sérieux de la chance perdue et, son indemnisation, qui implique un calcul de probabilité de survenance de l'événement irrémédiablement impossible, ne peut être égale au montant de la chance réalisée.
Il appartient donc au bailleur de démontrer la réalité de cette perte de chance. Or, la SCI [Adresse 2] à cet effet produit une unique pièce n° 20 qui consiste en une attestation rédigée comme suit :
" Je soussigné, [S] [Y], né à [Localité 7] le 8 janvier 1945 demeurant à [Adresse 6], président de la société SAS Smart Teams and Leaders certifie l'exactitude des faits ci-après, pour en avoir été le témoin direct :
- depuis le 9 septembre 2015, la SAS Smart Teams and Leaders était titulaire d'un bail commercial pour un local (lot n° 48) situé [Adresse 2], mitoyen du local commercial (lot n° 1) occupé par la SAS Incisiv,
- après la mise en liquidation de la SAS Incisiv fin juillet 2017, j'ai informé la SCI [Adresse 2] que nous entamions une réflexion quant à l'opportunité de nous installer dans les locaux précédemment occupés par la SAS Incisiv (lot n° 1),
- dès la libération des locaux, fin février 2018, nous avons entamé des négociations qui se sont conclues par la signature avec la SCI [Adresse 2] d'un bail commercial pour le local (lot n° 1) situé [Adresse 2],
- la SAS Smart Teams and Leaders occupe depuis le 1er juillet 2018 le local (lot n° 1) situé [Adresse 2] appartenant à la SCI [Adresse 2].
Je délivre la présente attestation à la SCI [Adresse 2] et je suis informé du fait que celle-ci doit le produire en justice, dans le procès qu'elle a engagé contre la Selarl [R].
J'ai connaissance qu'une fausse déclaration de ma part m'expose à des sanctions pénales. "
Ainsi, cette attestation établit que la SAS Smart Teams and Leaders a seulement entamé une réflexion pour reprendre les locaux occupés par la SAS Incisiv à compter de la mise en liquidation de cette dernière. Son président ne dit nullement que la société avait l'intention de reprendre le bail dès la résiliation par la société [R] du bail de la société Incisiv, soit le 25 septembre 2017 ni même dès le mois de février 2018, date à laquelle les locaux ont été effectivement restitués puisque la SAS Smart Teams and Leaders dit n'occuper les locaux que depuis le mois de juillet 2018, les conditions de relocation étant au demeurant totalement ignorées de la cour puisque, pas plus qu'en première instance, la SCI [Adresse 2] ne produit à hauteur de cour le contrat de bail correspondant.
La SCI [Adresse 2] ne rapporte donc pas la preuve que suite à la faute retenue à l'encontre de la société [R], elle a subi une perte de chance de relouer les locaux à compter de la date de résiliation du bail. En outre, si elle fait valoir qu'en tout état de cause, le propriétaire doit pouvoir jouir de son bien y compris en le louant ou même en l'occupant lui-même et subit une atteinte à son droit de propriété qui doit être réparée, force est de constater que la seule pièce qu'elle produit elle-même aux débats tend à démontrer au contraire qu'elle n'avait pas l'intention d'occuper les lieux elle-même. La SCI [Adresse 2] ne justifie d'aucune manière qu'elle avait effectivement une telle intention alors qu'il lui serait aisé de le faire, par exemple par la production d'une lettre de préavis de dénonciation de son propre bail ou autres.
Le jugement déféré ne peut donc qu'être infirmé en ce qu'il a condamné la société [R] à l'indemniser. Par voie de conséquence les demandes de la SCI [Adresse 2], formées dans le cadre de son appel incident, ne peuvent qu'être rejetées.
Les demandes accessoires
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a exactement statué sur les dépens ainsi que sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
En tant que partie perdante devant la cour, la SCI [Adresse 2] sera déboutée de sa propre demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. L'équité ne commande pas de faire applications desdites dispositions au bénéfice de la société [R].
Chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant contradictoirement et par arrêt mis à disposition,
DIT que la société [R] en ne restituant pas les locaux à la date de résiliation du bail a commis une faute,
INFIRME le jugement rendu le 25 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Nanterre sur la condamnation à payer des dommages et intérêts,
Et, statuant à nouveau de ce seul chef,
DÉBOUTE la SCI [Adresse 2] de sa demande de dommages et intérêts,
CONFIRME pour le surplus le jugement rendu le 25 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Nanterre,
Et, y ajoutant,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
LAISSE à chaque partie la charge de ses dépens d'appel.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie LAUER, conseiller pour le président empêché et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Conseiller,