COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 96C
DU 14 JUIN 2022
N° RG 20/05133
N° Portalis DBV3-V-B7E-UDSU
AFFAIRE :
Consorts [R]
C/
l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Etablissement Public de Santé [9]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Septembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 18/08113
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-la SELARL MAYET & PERRAULT,
-la SARL FRICAUDET LARROUMET SALOMONI,
-la SCP BERGER /BOSQUET/SAVIGNAT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 24 mai 2022, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Monsieur [G] [R]
né le 08 Février 1947 à [Localité 13] (ALGÉRIE)
Madame [U] [L] épouse [R]
née le 21 Mars 1954 à [Localité 11] (ALGÉRIE)
Monsieur [N] [R]
né le 03 Janvier 1979 à [Localité 10]
demeurant tous [Adresse 1]
[Localité 5]
représentés par Me Raphaël MAYET de la SELARL MAYET & PERRAULT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 393 - N° du dossier 16RM2288
APPELANTS
****************
l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Direction des affaires juridiques, sous-direction du droit
privé, [Adresse 7]
[Localité 3]
représenté par Me Florence FRICAUDET de la SARL FRICAUDET LARROUMET SALOMONI, avocat - barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : C0510 - N° du dossier AJE 1235
Etablissement Public de Santé [9]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège social
N° SIRET : 269 201 414 00019
[Adresse 2]
[Adresse 8]
[Localité 4]
représenté par Me Sandrine BOSQUET de la SCP BERGER/BOSQUET/SAVIGNAT, avocat postulant - barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 20 - N° du dossier 6330
Me Sharon ZAOUI-TAIEB substituant Me Gilles CARIOU de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P0141
INTIMÉS
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 Mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie LAUER, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
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FAITS ET PROCÉDURE
Sur décision du représentant de l'Etat (SDRE) le 3 septembre 2012, M. [N] [R] est admis en soins psychiatriques.
Sur décision du représentant de l'Etat à compter du 4 septembre 2012, M. [N] [R] fait l'objet d'une mesure de soins psychiatriques sous contrainte.
Le juge des libertés et de la détention conclut au maintien en hospitalisation complète le 11 décembre 2012.
Par la suite, de nombreux arrêtés modifiant la forme de la prise en charge et la mise en place de divers programmes de soins ont été pris par le préfet des Hauts de Seine et confirmés par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre afin d'adapter la prise en charge de M. [N] [R].
Par arrêté du préfet des Hauts de Seine du 18 août 2016 pris sur la base d'un certificat médical établi par le Docteur [Z] le 17 août 2016 en accord avec M. [G] [R] et Mme [L], son épouse, M. [N] [R] est réintégré en hospitalisation complète durant la période de vacances des époux [R] en Algérie.
Le 18 août 2016, le préfet des Hauts de Seine saisit le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre.
Le 23 août 2018, le juge des libertés et de la détention ordonne le maintien en hospitalisation complète de M. [N] [R].
Par arrêté en date du 28 septembre 2016, le préfet des Hauts-de-Seine ordonne la poursuite de la mesure de soins psychiatriques.
L'établissement public de santé [9] sollicite alors le transfert de M. [N] [R] dans une unité pour malades difficiles (UMD).
Par un arrêté du 29 septembre 2016, le préfet des Hauts-de-Seine ordonne le transfert de M. [N] [R] à l'unité pour malades difficiles de [12] à [Localité 6] dans le Vaucluse.
Ce transfert est ainsi effectué le 14 octobre 2016.
Le 7 octobre 2016, les parents de l'intéressé, les époux [R], saisissent le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre d'une demande de levée de la mesure d'hospitalisation en application de l'article L.3211 12 du code de la santé.
Par ordonnance du 13 octobre 2016, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nanterre rejette cette demande.
Le même jour, les époux [R] interjettent appel de cette ordonnance soulevant l'irrégularité du placement à l'isolement et de la mise sous contention de leur fils au regard des dispositions de l'article L.3222 5 1du code de la santé publique issu de la loi du 26 janvier 2016.
Le 14 octobre 2016, M. [N] [R] a été transféré à l'UMD de [12].
Par ordonnance du 24 octobre 2016, le premier président de la cour d'appel de Versailles constate l'irrégularité de cette mesure et ordonne la levée de la mesure d'hospitalisation complète de M. [N] [R].
Un pourvoi a été formé contre cette ordonnance par le centre hospitalier de [12] mais celui ci a été déclaré irrecevable par la Cour de cassation le 24 mai 2018.
Par actes introductifs d'instance des 8 et 9 août 2018, MM. et Mme [R] ont respectivement fait assigner l'Agent judiciaire de l'Etat et l'établissement public de santé [9] devant le tribunal de grande instance de Nanterre.
Par jugement contradictoire rendu le 04 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- déclaré recevable l'action de MM. et Mme [R] à l'encontre de l'établissement public de santé [9],
- rejeté les demandes de MM. et Mme [R] à l'encontre de l'Agent judiciaire de l'Etat et de l'établissement public de santé [9],
- rejeté les demandes des parties en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum l'établissement public de santé [9] à supporter les entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément à l'article 690 du code de procédure civile par les avocats en ayant fait la demande,
- ordonné l'exécution provisoire.
MM. et Mme [R] ont interjeté appel de ce jugement le 22 octobre 2020 à l'encontre de l'établissement public de santé [9] et l'Agent judiciaire de l'Etat.
Par dernières conclusions notifiées le 16 novembre 2021, MM. et Mme [R] demandent à la cour de :
Vu les articles 5 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
Vu l'article 9 du code civil,
Vu l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Versailles du 24 octobre 2016 et l'arrêt rendu par la 1re Civ de la Cour de cassation le 24 mai 2018, Vu l'article L.3222 5 1 du code de la santé publique,
Vu le référentiel de l'ANAES de juin 1998,
- infirmer le jugement entrepris,
Puis statuant à nouveau, de :
- condamner in solidum l'Agent judiciaire de l'Etat et l'établissement public de santé [9] d'[Localité 4] à payer à M. [N] [R] les sommes de :
· 50 000,00 euros en réparation du préjudice résultant de sa privation de liberté du 18 août au 25 octobre 2016,
· 20 000,00 euros en réparation du préjudice résultant de l'administration de traitements sous la contrainte,
· 5 000,00 euros en réparation de l'atteinte à sa vie privée et familiale.
- condamner in solidum l'Agent judiciaire de l'Etat et l'établissement public de santé [9] d'[Localité 4] à payer aux époux [R] les sommes de :
· 5 000,00 euros en réparation du préjudice résultant de l'atteinte à la vie familiale,
· 6 500,00 euros en réparation du préjudice financier.
- condamner in solidum l'Agent judiciaire de l'Etat et l'établissement public de santé [9] d'[Localité 4] à payer à MM. et Mme [R] chacun la somme de 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner les intimés aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distractions au profit de M. Mayet, ès qualités, avocat associé de la SELARL Mayet Perrault, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 01 avril 2021, l'Agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de :
A titre principal :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- Et, en conséquence, débouter MM. et Mme [R] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées contre l'Etat représenté par l'Agent judiciaire de l'Etat,
A titre subsidiaire :
si réformant le jugement, la cour entrait en voie de condamnation à l'encontre de l'Etat, de limiter à de justes proportions les sommes qu'elle accorderait à MM. et Mme [R],
En tout état de cause :
- condamner in solidum MM. et Mme [R] à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'Etat,
- condamner in solidum MM. et Mme [R] aux entiers dépens de première instance et d'appel avec faculté pour la SCP Fricaudet Larroumet d'en opérer le recouvrement conformément à l'article 699 du code de procédure civile .
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 20 janvier 2022.
SUR CE, LA COUR,
Les limites de l'appel
Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d'appel se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.
Moyens des parties
La responsabilité de l'État et de l'établissement public de santé [9]
M. [G] [R], Mme [U] [L] épouse [R] et M. [N] [R], (dénommés ci-après les consorts [R]), poursuivent l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il les a déboutés de toutes leurs demandes. À l'appui, ils invoquent un arrêt de cette cour du 7 septembre 2018 ayant jugé que l'illégalité de la mesure d'hospitalisation résultait de l'ordonnance du délégué du président définitive, laquelle constitue le fait générateur de l'obligation d'indemniser qui reposait en l'espèce sur le centre hospitalier. Ils ajoutent également que si le premier juge a retenu que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Versailles du 24 octobre 2016 n'avait pas autorité de la chose jugée à l'encontre de l'établissement public de santé [9], celui-ci n'a toutefois pas formé tierce-opposition à l'encontre de cette ordonnance.
Subsidiairement, ils font valoir que le référentiel de l'ANAES sur les mesures d'isolement et de contention, qui, contrairement à ce qu'a retenu le jugement déféré, a valeur réglementaire selon le conseil d'État, n'a pas été respecté, les prescriptions n'ayant pas été renouvelées exactement à 24 heures ou à 12 heures maximum, mais parfois 25 heures ou 13 heures plus tard.
L'agent judiciaire de l'État et l'établissement public de santé [9] poursuivent la confirmation du jugement déféré. Ils exposent, pour le premier, qu'aucune irrégularité n'entache les décisions préfectorales et pour le second que, contrairement à ce qu'a retenu l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Versailles du 24 octobre 2016, les dispositions de l'article L 3222-5-1 du code de la santé publique ont parfaitement été respectées ainsi que le démontrent les pièces produites aux débats par les appelants eux-mêmes.
L'établissement public de santé [9] oppose également qu' il ressort clairement du référentiel ANAES que " l 'objectif de l'Agence dans ce cadre n 'était pas de produire des règles et normes techniques relatives aux chambres d'isolement " (Pièce adverse n°28 page 7).
Pour l'exposé détaillé des moyens des parties et conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément référé à leurs écritures susvisées.
Appréciation de la cour
En vertu des dispositions des articles 1382 et 1383 (devenus 1240 et 1241) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
En l'espèce, c'est aux termes de motifs circonstanciés et exacts tant en droit qu'en fait, que le premier juge a débouté les consorts [R] de leurs demandes indemnitaires. Il suffit d'ajouter que l'arrêt de cette cour invoqué par les consorts [R] a statué dans le cadre d'une décision d'hospitalisation sous contrainte prise par un directeur d'établissement qui avait été jugée elle-même illégale par le premier président de la cour d'appel notamment au motif que le centre hospitalier ne justifiait pas avoir tenté de joindre les proches du patient, contrairement aux dispositions de l'article L 3212-1 du code de la santé publique. Or, dans le cadre du présent litige, la régularité des décisions préfectorales fondant la mesure d'hospitalisation n'était pas dans le débat ayant eu lieu devant le premier président de la cour d'appel de Versailles, celui-ci n'ayant statué que sur le déroulement de la mesure d'hospitalisation et sur le fondement des dispositions de l'article L 3222-5-1 du code de la santé publique, dont le respect n'était pas démontré à l'occasion de cette première instance. Il y a lieu également de rappeler que le juge des libertés et de la détention, et en appel le premier président de la cour d'appel, statuent sur la régularité d'une mesure privative de liberté, l'autorité judiciaire étant gardienne des libertés individuelles selon l'article 66 de la constitution. Le défaut de tierce-opposition de l'établissement public de santé [9] constitue donc un moyen inopérant. La présente action vise quant à elle à engager la responsabilité de l'État et de l'établissement public de santé [9] de sorte que les demandeurs, pour la voir prospérer, doivent démontrer tout à la fois une faute et un préjudice en lien causal avec cette faute. Or, il est établi par le dossier médical de M. [N] [R] produit aux débats que les dispositions de l'article L 3222-5-1 du code de la santé publique ont été respectées. Par ailleurs, un arrêt du conseil d'État (pièce n° 30 des appelants) annulant une décision du président de la Haute autorité de santé refusant d'annuler une recommandation de ladite autorité, ne saurait faire la preuve du caractère réglementaire des recommandations de l'ANAES pour de bonnes pratiques en matière de mesures de contention et d'isolement. De plus, aucune faute n'est démontrée à l'encontre de l'autorité préfectorale de sorte que la responsabilité de l'État ne saurait être engagée.
Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions y compris accessoires.
En tant que partie perdante tenue aux dépens, les consorts [R] seront déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aucune considération d'équité ne commande de faire applications desdites dispositions au bénéfice de l'agent judiciaire de l'État et de l'établissement public de santé [9] qui seront donc également déboutés de leur propre demande sur ce fondement.
Les dépens pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 4 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Nanterre,
Et y ajoutant,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [G] [R], Mme [U] [L] épouse [R] et M. [N] [R] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,