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24/05/2022 | FRANCE | N°20/06055

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 24 mai 2022, 20/06055


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section





ARRET N°







CONTRADICTOIRE

Code nac : 63C





DU 24 MAI 2022





N° RG 20/06055

N° Portalis DBV3-V-B7E-UGAN







AFFAIRE :



S.E.L.A.R.L. [G]

C/

[L], [N], [F] [B]

et autres...





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Octobre 2020 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE

N° Chambre :

Section :

N° RG : 16/14585



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-Me Isabelle TOUSSAINT,



-l'AARPI PARRINELLO VILAIN & KIENER



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT QUATRE MAI DEUX MILLE VINGT ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 63C

DU 24 MAI 2022

N° RG 20/06055

N° Portalis DBV3-V-B7E-UGAN

AFFAIRE :

S.E.L.A.R.L. [G]

C/

[L], [N], [F] [B]

et autres...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Octobre 2020 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 16/14585

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-Me Isabelle TOUSSAINT,

-l'AARPI PARRINELLO VILAIN & KIENER

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT QUATRE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 10 mai 2022 et le 17 mai 2022, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

S.E.L.A.R.L. [G]

mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur de l'[Adresse 11] ([Adresse 11]) dont le siège social est situé [Adresse 6], désigné à cette fonction par décision rendue le 7 juillet 2009 par le tribunal de grande instance de Longwy

N° SIRET : 429 209 851

[Adresse 5]

[Localité 9]

représentée par Me Isabelle TOUSSAINT, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 249

Me Pierre-Edouard GONDRAN DE ROBERT, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : G0210

APPELANTE

****************

Monsieur [L], [N], [F] [B]

né le [Date naissance 3] 1956 à [Localité 12] (MADAGASCAR)

Monsieur [J], [W] [U]

né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 7] ([Localité 7])

de nationalité Française

[Adresse 2]

S.A.S. C.P.A. COMPTABLE

N° SIRET : 444 594 162

tous trois domiciliés [Adresse 2]

[Localité 8]

S.A. MMA IARD, venant aux droits de COVEA RISKS

N° SIRET : 440 048 882

[Adresse 4]

[Localité 10]

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, venant aux droits de COVEA RISKS

N° SIRET : 775 652 126

[Adresse 4]

[Localité 10]

représentés par Me Florence VILAIN de l'AARPI PARRINELLO VILAIN & KIENER, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : R098

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Février 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente et Madame Nathalie LAUER, Conseiller chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

Personne morale de droit privée exerçant une activité économique, l'[Adresse 11] (ci-après " l'[Adresse 11] ") gérait des établissements d'hébergement et de soins participant au service public et hospitalier. Elle était, à ce titre, placée sous le contrôle du directeur de l'Agence régionale d'hospitalisation de Lorraine, devenue Agence régionale de santé de Lorraine en 2009. Ses comptes étaient certifiés par la société [U] Prêcheur et associés, avec pour associés signataires M. [J] [U], pour les exercices 2005 et 2006, puis MM. [J] [U] et [N] [B], pour les exercices 2007 et 2008 (ci-après " les commissaires aux comptes ").

Confrontée à d'importantes difficultés financières et sociales, l'[Adresse 11] a subi, en 2005, un déficit de 2 233 756 euros. Une restructuration a été engagée, qui a permis une amélioration de la situation à l'issue de l'exercice 2006. Les comptes clos au 31 décembre 2007 n'en ont pas moins présenté un déficit de 2 402 246,73 euros, cette baisse entraînant une aggravation des prévisions initiales des recettes et des dépenses pour 2008.

Le 17 juillet 2008, les commissaires aux comptes ont déclenché une procédure d'alerte, en application des dispositions de l'article L. 234-2 du code de commerce, estimant que le déficit de l'exercice 2007 et les pertes prévisionnelles du budget 2008 étaient de nature à compromettre la continuité d'exploitation de l'association. Ils ont toutefois indiqué, par lettre adressée au président de l'[Adresse 11] le 11 août 2008, ne pas poursuivre cette procédure en phase 2 en raison du dialogue de gestion engagé entre l'association et son organisme de contrôle afin de mettre en place un plan de retour à l'équilibre.

Ce plan ayant été refusé le 29 septembre 2008, une nouvelle procédure d'alerte a été déclenchée le 6 octobre 2008.

Par jugement du 28 octobre 2008, le tribunal de grande instance de Briey a prononcé le redressement judiciaire de l'[Adresse 11] et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 28 octobre 2008. Ce redressement a été converti en liquidation judiciaire le 7 juillet 2009, la société [G] (ci-après " le liquidateur ") étant désignée liquidateur judiciaire.

Par assignation des 23 et 25 septembre 2009, le liquidateur a sollicité du tribunal de grande instance de Briey qu'il fixe la date de cessation des paiements au 28 avril 2007. Cette demande a été rejetée par jugement du 30 août 2012, confirmé en toutes ses dispositions par la cour d'appel de Nancy suivant arrêt du 28 mars 2018.

Une procédure pénale a été concurremment engagée à l'initiative du liquidateur qui, agissant ès qualités, a saisi le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Nancy le 24 novembre 2009 d'une plainte avec constitution de partie civile contre X pour abus de confiance, recel, faux et confirmation d'informations mensongères.

Par actes des 2 et 7 juin 2010, le liquidateur a fait assigner la société [U] Prêcheur et associés, M. [U] et M. [B], ainsi que leur assureur, la société Covea Risks, aux droits de laquelle viennent les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, devant le tribunal de grande instance de Nanterre, sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code civil, aux fins de voir engager leur responsabilité civile pour avoir certifié sans réserve les comptes des exercices 2005, 2006 et 2007 et n'avoir pas déclenché à temps la procédure d'alerte.

Par ordonnance du 13 octobre 2011, le juge de la mise en état a ordonné qu'il soit sursis à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale, une ordonnance de retrait du rôle étant rendue le 23 octobre 2014.

Par arrêt du 8 janvier 2015, la cour d'appel de Nancy a dit n'y avoir lieu à poursuite contre quiconque dans la procédure pénale engagée à la suite de la plainte déposée par le liquidateur le 24 novembre 2009. Le pourvoi formé contre cette décision a fait l'objet d'un arrêt de non-admission le 9 mars 2016.

Une nouvelle plainte avec constitution de partie civile du liquidateur, du chef de confirmation d'informations mensongères par un commissaire aux comptes, déposée le 20 novembre 2014, a par ailleurs fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité du juge d'instruction, la cour d'appel constatant l'incompétence territoriale de ce juge pour connaître de la plainte, par arrêt du 28 mai 2015.

L'affaire a été rétablie au rôle de la juridiction de Nanterre sur conclusions du liquidateur du 21 décembre 2016.

Par lettre du 4 avril 2017, le parquet près la JIRS de Nancy a autorisé que soit versée au dossier de la présente procédure la copie des pièces de la procédure pénale définitivement clôturée.

Par jugement contradictoire rendu le 29 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- débouté la société [G] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société [U] Prêcheur et Associés, M. [U], M. [B], les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles de leur demande reconventionnelle pour procédure abusive,

- condamné la société [G] à payer à la société [U] Prêcheur et associés, à M. [U], M. [B], ainsi qu'aux sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, la somme de 5 000 euros chacun, soit un total de 25 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société [G] aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Etude [G] a interjeté appel de ce jugement le 4 décembre 2020 à l'encontre de M. [N] [B], M. [J] [U], la société [U] Prêcheur et associés - Lorraine d'expertise comptable et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles.

Par dernières conclusions notifiées le 19 janvier 2022, la SELARL Etude [G] demande à la cour de :

Vu notamment les articles L. 822-17, L. 822-18, L. 823-9, L. 612-1 et suivants du code de commerce,

Vu l'article 1240 du code civil (ancien article 1382 du code civil),

Vu l'article L. 124-3 du code des assurances,

Vu l'article 32-1 du code de procédure civile,

A titre principal,

- infirmer le jugement du 29 octobre 2020 du tribunal judiciaire de Nanterre,

- dire et juger que dès le 28 juin 2007 la société [U] Prêcheur et associés - C.P.A, M. [N] [B], M. [J] [U], n'auraient pas dû certifier les comptes, connaissant ou ayant dû connaître l'aggravation de la situation quant à la continuité d'exploitation de l'[Adresse 11], alors que l'analyse de leurs dossiers de travail ne démontre aucun justificatif traduisant le respect de leurs normes professionnelles qu'ils revendiquent pourtant avoir respectées dans leurs rapports annuels,

- condamner in solidum la société [U] Prêcheur et associés - C.P.A, M. [N] [B], M. [J] [U], les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, à payer à la SELARL [G], ès qualités de liquidateur de l'[Adresse 11], la somme de 8 450 000 euros,

A titre subsidiaire,

- désigner tel technicien qu'il plaira sur le fondement de l'article 146 du code de procédure civile, avec pour mission de chiffrer le préjudice résultant des fautes et négligences commises par les commissaires aux comptes dans le cadre de leur mission,

- condamner in solidum la société [U] Prêcheur et associés - C.P.A, M. [N] [B], M. [J] [U], les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, à payer à la SELARL [G], ès qualités de liquidateur de l'[Adresse 11], la somme de 6 000 000 euros à titre de provision,

En toute hypothèse,

- débouter la société [U] Prêcheur et associés - C.P.A, M. [N] [B], M. [J] [U], les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner in solidum la société [U] Prêcheur et associés - C.P.A, M. [N] [B], M. [J] [U], les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles au paiement à la SELARL [G] ès qualités de la somme de 100 000 euros pour procédure abusive et celle 50 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner in solidum aux entiers dépens avec distraction.

Par dernières conclusions notifiées le 18 janvier 2022, la société à responsabilité limitée (SARL) CMB Experts-comptables demande à la cour de :

Vu le jugement entrepris du 29 octobre 2020,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- débouter la SELARL [G] ès qualités de liquidateur de l'[Adresse 11] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société [U] Prêcheur et associés - C.P.A, de M. [N] [B], de M. [U] et des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de Covea Risks,

Et y ajoutant :

Vu la jurisprudence,

Vu l'article 32-1 du code de procédure civile,

- condamner la SELARL [G] au paiement de la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif,

- condamner la SELARL [G] au paiement de la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens de l'instance d'appel.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 20 janvier 2022.

SUR CE, LA COUR,

I - les limites de l'appel

Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d'appel se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.

La cour rappelle que l'article 954 du code de procédure civile oblige les parties à énoncer leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions et que la cour ne statue que sur celles-ci.

Par prétention, il faut entendre, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, une demande en justice tendant à ce qu'il soit tranché un point litigieux.

Par voie de conséquence, les "dire et juger" ne constituent pas des prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l'examen des griefs formulés contre le jugement et à la discussion des prétentions et moyens, pas dans le dispositif. La cour ne répondra de ce fait à de tels "dire et juger" qu'à condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée en appel et énoncée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif de son arrêt, mais dans ses motifs.

II - moyens des parties

La société Etude [G] poursuit l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions. Le liquidateur explique en effet que la tarification T2A est devenue le principal mode de rémunération des établissements de santé dès 2005, en remplacement progressif du système antérieur de dotation globale annuelle, ce qui a perturbé de nombreux établissements de santé dont l'association hospitalière du bassin de [Localité 7], particulièrement en raison de sa mauvaise gestion et de la non vigilance, fautive des commissaires aux comptes ; que dès 2005, l'association a été confrontée à d'importantes difficultés financières et que le 28 octobre 2008, le tribunal de grande instance de Briey a prononcé son redressement judiciaire en fixant la date de cessation des paiements au 28 octobre 2008, procédure convertie en liquidation judiciaire le 7 juillet 2009. Il soutient que dès 2005, de nombreux rapports montrent que l'association était en situation de " cavalerie " et que cette situation ayant été déniée par les premiers juges, tous leurs développements sur ce point, avec leurs incidences, sont dès lors inopérants ; qu'ainsi malgré des alertes répétées venant de tous bords, les commissaires aux comptes n'ont pas réagi, sauf en déclenchant de stériles procédures d'alerte ; qu'en défense, ces derniers ne communiquent aucune pièce qui permettrait de constater qu'ils ont attiré l'attention des dirigeants sur l'application de la nouvelle tarification et ne semblent même pas avoir compris les reproches formulés contre eux. Il en déduit que la perte de chance des créanciers de récupérer leur créance s'élève à 8 450 000 euros ; qu'en l'absence des clignotants que devaient déclencher les commissaires aux comptes, les créanciers n'ont pas été en mesure d'apprécier la situation réelle et de prendre en temps utile les précautions d'usage pour protéger leurs droits. Par ailleurs, il reproche aux premiers juges de s'être contentés de viser certains des clignotants sans les prendre en compte dans leur argumentation alors que dans ses dernières conclusions, il avait souligné ces alarmes et avertissements. Il fait valoir qu'en procédant à des analyses inadéquates, le tribunal, par-delà d'erreurs manifestes d'appréciation, semble avoir plus travaillé la notion de " cessation de paiements " que celle de continuité d'exploitation qui seule faisait débat. Il souligne que la question de la cessation des paiements a été réglée depuis l'ouverture de la procédure collective, dès le 28 octobre 2008 et qu'il n'y a donc pas lieu d'y revenir. Il affirme qu'en revanche devait être examiné le préoccupant problème de la continuité d'exploitation parce que, compte tenu de la situation de cavalerie chronique, les commissaires aux comptes devaient sans retard dénoncer tous les faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation, sans s'immiscer bien évidemment dans la gestion de l'association. Il conclut que les commissaires aux comptes ont failli à leur mission en ne dénonçant pas les faits tels que la situation de cavalerie de nature à compromettre la continuité de l'exploitation et que des dommages ont été par ce fait occasionnées aux créanciers qui ont droit à réparation.

La société [U] Prêcheur et associés, M. [N] [B], M. [J] [U], la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances mutuelles concluent à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et au rejet de l'intégralité des demandes de la société Etude [G]. Les intimés demandent en outre de condamner cette dernière au paiement de la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif outre à une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Ils font valoir que les commissaires aux comptes n'ont pas commis de faute ; qu'il n'y a eu ni cessation de paiements avant l'ouverture de la procédure collective ni situation de cavalerie ; qu'il n'y avait pas d'éléments susceptibles de remettre en cause la continuité d'exploitation avant juillet 2008 ; que le courrier des commissaires aux comptes du 26 septembre 2007 constatant la fragilité de l'association ne saurait être critiqué en ce qu'il témoigne au contraire du suivi vigoureux des commissaires aux comptes, en cours d'exercice, de la continuité d'exploitation, lesquels demandaient en outre à être informés de toute évolution de la situation financière ; qu'ainsi, ils s'étaient entretenus avec le dirigeant, et avaient vérifié que des mesures de gestion avaient été mises en place ; que les banques soutenaient au surplus l'association à long terme ; qu'une procédure d'alerte en septembre 2007 n'aurait pas permis d'adopter d'autres mesures que celles qui avaient été mises en place avec les organismes de tutelle et les partenaires financiers ; que dans ces conditions, une procédure à cette date aurait été inutile, voire fautive. Ils ajoutent que leur opinion sur les comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2007 ne pouvait être modifiée par l'aggravation des prévisions de trésorerie 2008, cette situation ayant été portée à leur connaissance lors du conseil d'administration du 25 juin 2008, soit le jour suivant l'émission de leur rapport de certification sur l'exercice 2007. Ils répliquent en outre que les immobilisations comptabilisées dans les comptes de l'association hospitalière du bassin de [Localité 7] n'ont pas été surévaluées puisque le repreneur a comptabilisé les actifs dans ses propres comptes à la même valeur. Par ailleurs, ils concluent à l'absence de préjudice et au rejet de la demande d'expertise. Estimant enfin que l'action conduite par le liquidateur est empreinte de légèreté blâmable dès lors qu'il a persévéré à interjeter appel sans apporter d'éléments nouveaux en cause d'appel, ils revendiquent sa condamnation à des dommages et intérêts.

Pour l'exposé détaillé des moyens des parties et en application de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément référé à leurs écritures susvisées (respectivement 58 et 56 pages).

III - appréciation de la cour

Il convient de rappeler que par application de l'article 1240 du code civil, pour voir la responsabilité professionnelle des commissaires aux comptes engagée, il incombe au liquidateur de rapporter la preuve non seulement des fautes reprochées mais encore d'un préjudice en lien causal avec ces fautes.

les fautes reprochées aux commissaires aux comptes

La cessation de paiements et la situation de cavalerie au 31 décembre 2007

S'il est fait grief aux commissaires aux comptes de ne pas avoir dénoncé cette situation, ce reproche n'est en rien fondé dès lors qu'aucun incident de paiement n'est documenté avant l'année 2008 et que le tribunal de commerce, confirmé par la cour d'appel de Nancy, a refusé de faire remonter la date de cessation de paiements avant le jugement d'ouverture de la procédure collective. Quant à la situation de cavalerie, elle ne peut résulter de ce que le 28 juin 2007, l'[Adresse 11] a obtenu de la part de ses banques, Dexia et la BECL, deux concours à long terme d'un million et demi d'euros chacun. En effet, il doit être rappelé que le terme de " cavalerie " désigne une pratique consistant à recourir à l'emprunt pour rembourser des emprunts préexistants. Or, il est démontré par les productions, en particulier le rapport d'enquête établi dans le cadre de la procédure pénale (pièce n° 47 de l'appelant) que l'association avait toujours financé ses investissements sur fonds propres et qu'afin de remédier à l'épuisement de ses réserves propres, elle a finalement décidé de les refinancer au moyen d'emprunts bancaires à long terme, comme le confirmait aux enquêteurs M. [Z] [R] responsable régional clients institutionnels de Dexia, longuement entendu. Il précisait d'ailleurs que l'endettement au 31 décembre 2006 n'était pas alarmant et même faible, que sa banque avait accordé le crédit après une étude des risques, que l'association avait toujours fait face à ses remboursements et que les risques courus par ses partenaires bancaires avaient été limités par la validation des organes de tutelle, la caution de la communauté de communes de l'agglomération de Longwy ou du conseil général de Meurthe-et-Moselle et les mesures de sûreté prises sur les biens. Il apparaissait néanmoins des déclarations de l'intéressé que sans l'aval de l'agence régionale d'hospitalisation, son établissement n'aurait pas consenti le dernier prêt.

Quoi qu'il en soit, il en résulte que les financements obtenus en 2007 ne répondent pas à une situation de cavalerie puisque ceux-ci étaient au contraire de nature à remédier à l'épuisement à court terme de la trésorerie.

En outre, le rapport de la mission régionale d'expertise économique et financière de la trésorerie générale de la Meurthe-et-Moselle établi en octobre 2006 (pièce n° 79 de l'appelant) n'est pas plus de nature à démontrer l'existence d'une situation de cavalerie en 2007 puisque la " cavalerie " qu'il croit pouvoir relever concerne l'exercice 2005 et que, l'exercice 2006 a, au contraire, connu un redressement temporaire. D'ailleurs, il croit pouvoir faire ce constat en l'absence de ressources suffisantes pour couvrir l'annuité en capital de la dette, ce qui ne signifie pas en soi que l'association a eu recours à l'emprunt pour rembourser des emprunts préexistants, cette situation n'étant pas documentée comptablement aux termes de ce rapport.

Quant au rapport de l'agence régionale d'hospitalisation, établi a posteriori en 2009 (pièce n° 10) de l'appelant, s'il indique que depuis 2005, l'autofinancement de l'établissement présentait un niveau faible qui ne permettait par le remboursement des emprunts, de sorte que la structure avait pris l'habitude de financer ses remboursements par de nouveaux emprunts, force est de constater qu'il n'est étayé d'aucune démonstration comptable de la situation de cavalerie dénoncée. A fortiori, cette situation n'est pas démontrée au 31 décembre 2007.

L'absence de justification des documents de travail et la conscience du problème de continuité d'exploitation dès 2007

Le liquidateur se fonde sur sa pièce n° 41, composée :

- d'une note de synthèse générale de l'exercice 2007 établie par le commissaire aux comptes. Étant rappelé qu'il reproche à ce dernier de ne pas avoir déclenché de procédure d'alerte en 2007, il convient d'observer que le contrôle des comptes de l'exercice 2007 n'est intervenu qu'en 2008, année au cours de laquelle les comptes de l'exercice 2007 ont donc été portés à sa connaissance. Ce document, comme le font justement valoir les intimés, est donc totalement inopérant pour accréditer la thèse que les commissaires aux comptes auraient eu conscience du risque pesant sur la continuité de l'exploitation en 2007. En tout état de cause, il y a lieu d'observer que les éléments financiers préoccupants consignés, outre qu'ils témoignent de l'attention du commissaire aux comptes, ont bien conduit au déclenchement de la procédure d'alerte en 2008, sur laquelle il sera revenu plus avant,

- du rapport de l'agence régionale d'hospitalisation établi en 2009, donc a posteriori, et plus précisément, après la cessation de paiements de 2008 : la section III de ce document consacrée aux éléments financiers note une politique financière exsangue, des recettes en fuite, une baisse d'activité qui n'a donné lieu à aucun ajustement des moyens qui sont inadaptés aux soins et surdimensionnés, des capacités d'investissement nulles. Il est noté que les investissements sont financés de manière atypique et coûteuse, la structure n'obtenant plus l'appui de la communauté de communes de l'agglomération de [Localité 7] pour se porter caution et les réalisant sans financement extérieur, d'où une tension sur la trésorerie. La cour remarque à cet égard que ce constat va à l'encontre de la situation de cavalerie alléguée par les liquidateurs. L' ARH relève encore que la dégradation était telle que la communauté de communes de l'agglomération de Longwy a finalement accepté de se porter caution pour la souscription d'emprunts de rééquilibrage de trésorerie en 2007 et que les emprunts initialement prévus sur 10 à 15 ans pour couvrir les dépenses d'investissement, ont été finalement souscrits pour une durée de cinq à sept ans. Elle conclut que ces tensions, disproportionnées par rapport aux ressources de la structure, ont inéluctablement amené à la cessation de paiements, un patrimoine non entretenu et non renouvelé, un immobilier vétuste, des équipements obsolètes et un besoin urgent d'investissement.

Ce constat a posteriori, restitué dans le contexte du refus en 2008 de l'ARH de valider le plan de retour à l'équilibre de l'[Adresse 11] et, somme toute vague puisque non corroboré d'éléments chiffrés précis, ne permet en aucune manière de démontrer que les commissaires aux comptes auraient dû déclencher la procédure d'alerte en 2007 au vu d'une continuité de l'exploitation mise en cause.

- La note de synthèse générale sur les comptes de l'exercice 2007 : outre qu'elle comporte une analyse précise des facteurs de nature à affecter la continuité d'exploitation de l'[Adresse 11], il est inopérant pour le liquidateur d'invoquer ce document puisque précisément, le commissaire aux comptes a bien déclenché la procédure d'alerte le 17 juillet 2008 comme ce document en reconnaît la nécessité. Il sera néanmoins revenu sur ce document à l'occasion de l'examen du grief tiré de l'absence de justification de l'opinion du commissaire aux comptes sur les comptes de l'exercice 2007.

- L'absence de justification de l'opinion émise par le commissaire aux comptes sur les exercices clos le 31 décembre 2007

Le liquidateur se fonde essentiellement sur le rapport de M. [T], non contradictoire, expert mandaté par le liquidateur et rédigé le 12 juin 2018, (pièce n° 33).

Après une analyse de la situation financière de l'[Adresse 11] identique à celle des autres rapports antérieurs, M. [T] pointe différents défauts de diligences qu'il impute aux commissaires aux comptes que la cour examinera au titre du lien de causalité.

Elle note cependant d'emblée que la note de synthèse de l'exercice 2007, certifié le 24 juin 2008, comporte bien une analyse de la continuité d'exploitation. Ainsi, cette note constate que sur le premier semestre 2008, l'[Adresse 11] n'a connu aucun incident de paiements, sa courbe de trésorerie le démontrant car elle est restée dans les limites des découverts autorisés par les banques. Elle relève en revanche que pour le second semestre 2008, compte tenu des charges sociales du deuxième semestre 2008, la trésorerie va se détériorer sensiblement et atteindre les 3 millions euros de découvert car l'activité n'est pas bonne ; que des reports de paiement ont été demandés et acceptés par l'URSSAF et les caisses de retraite ; qu'en revanche, le maintien à un niveau aussi élevé du découvert dépend essentiellement de l'attitude de l'autorité de tutelle, à savoir l'agence régionale d'hospitalisation ; que l'état prévisionnel des recettes et de dépenses 2008, avalisé par un conseil d'administration du 25 octobre 2007 et basé sur une hypothèse irréaliste de redressement de l'activité n'a pas été accepté par l'agence régionale d'hospitalisation car il présentait un déficit trop important de 4 545 000 euros de pertes ; que le 1er septembre 2008, l'agence régionale d'hospitalisation a enjoint l'association de lui présenter un plan pluriannuel de retour à l'équilibre financier. Le commissaire aux comptes note en conséquence que l'avenir de l'association est donc beaucoup fonction de la question de savoir si, au titre de l'aide à la contractualisation du passage à la nouvelle tarification, l'ARH est disposée à lui accorder un soutien moyennant un effort de restructuration à définir vu le manque de moyens financiers. Il conclut donc qu'une procédure d'alerte s'impose vu l'incertitude sur ce sujet à ce jour.

C'est donc à tort que M. [T] relève n'avoir constaté aucune remarque, réserve ou observation sur la continuité d'exploitation.

Par ailleurs, il est fait grief aux commissaires aux comptes, au titre de l'opinion qu'il a émise sur les comptes de l'exercice 2007 de ne pas avoir fait état des événements postérieurs à la clôture dans la synthèse de ses travaux, ce qui, selon M. [T] constitue un non-respect de la norme professionnelle. Ce dernier indique encore que le rapport sur les comptes annuels, sans observations sur la continuité d'exploitation, ni réserve, ni justification des appréciations sur la continuité d'exploitation a été signé le 24 juin 2008 alors que le déclenchement de la procédure d'alerte en phase I a été fait par courrier du 17 juillet 2008, soit 23 jours après sans qu'aucun élément du dossier de travail ne permette de justifier une différence d'appréciation entre ces deux dates. Il ajoute que le budget, évoqué dans le courrier de la phase 1 de la procédure d'alerte faisant état d'une perte 2008 de 4,5 millions d'euros a été présenté lors du conseil d'administration du 25 octobre 2007 et lors de l'assemblée générale du jour de sorte que le commissaire aux comptes disposait de cette information lors de la signature de son rapport sur les comptes annuels 2007. Il en déduit que dans le respect de la norme relative aux événements postérieurs, cet événement significatif, relatif à la continuité d'exploitation et postérieur à la clôture de l'exercice, devait être appréhendé par le commissaire aux comptes dans son opinion sur les comptes annuels de l'exercice 2007.

Toutefois, la constatation d'une menace sur la continuité d'exploitation au mois de juin 2008 n'est pas de nature à remettre en cause l'opinion du commissaire aux comptes sur la sincérité des comptes au 31 décembre 2007, étant observé qu'il n'a pas constaté cette menace à cette date.

S'agissant des orientations principales des contrôles annuels, cette note indique avoir retenu un seuil de signification de 10 % du résultat courant en termes de résultats et de 10 % en termes de reclassement, soit un montant total de 254 000 euros en termes de résultats et un montant de 254 000 euros en termes de reclassement, le seuil tenant compte du caractère non lucratif de l'établissement et du niveau des capitaux propres. Le seuil de signification retenu est donc justifié, contrairement à ce qu'indique M. [T].

Le déclenchement tardif et inapproprié de la procédure d'alerte

En application de l'article L612-3 du code de commerce, régissant la situation des associations, donc de l'[Adresse 11], lorsque le commissaire aux comptes d'une personne morale visée aux articles L. 612-1 et L. 612-4 relève, à l'occasion de l'exercice de sa mission, des faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation de cette personne morale, il en informe les dirigeants de la personne morale dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

A défaut de réponse dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat, ou si celle-ci ne permet pas d'être assuré de la continuité de l'exploitation, le commissaire aux comptes invite, par un écrit dont la copie est transmise au président du tribunal de grande instance, les dirigeants à faire délibérer l'organe collégial de la personne morale sur les faits relevés. Le commissaire aux comptes est convoqué à cette séance. La délibération de l'organe collégial est communiquée au comité d'entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel et au président du tribunal de grande instance.

En cas d'inobservation de ces dispositions, ou si le commissaire aux comptes constate qu'en dépit des décisions prises la continuité de l'exploitation demeure compromise, une assemblée générale est convoquée dans des conditions et délais fixés par décret en Conseil d'Etat. Le commissaire aux comptes établit un rapport spécial qui est présenté à cette assemblée. Ce rapport est communiqué au comité d'entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel.

Si, à l'issue de la réunion de l'assemblée générale, le commissaire aux comptes constate que les décisions prises ne permettent pas d'assurer la continuité de l'exploitation, il informe de ses démarches le président du tribunal et lui en communique les résultats.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsqu'une procédure de conciliation ou de sauvegarde a été engagée par les dirigeants en application des articles L. 611-6 et L. 620-1.

En l'espèce, le liquidateur juge inapproprié le déclenchement de la procédure d'alerte par les commissaires aux comptes le 17 juillet 2008 puis le 6 octobre 2008 pour avoir commis une erreur manifeste d'appréciation sur l'existence des faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation. Il estime que dans les tous premiers mois qui ont suivi sa désignation, le Commissaire aux comptes aurait dû constater la situation de cavalerie dès lors que le niveau du découvert autorisé par les banques principales (DEXIA et BECM) était maintenu à un niveau toujours très élevé et que par ailleurs l'ARH a refusé dès le conseil d'administration du 25 octobre 2007 de prendre le risque de provoquer un déficit encore plus important (4.545.000 euros de perte). Il conclut qu'une procédure d'alerte s'imposait dès le 4ème trimestre 2007.

Pour autant, la cour renvoie à ses développements précédents sur l'absence de preuve de la situation de cavalerie dénoncée dès lors qu'en dépit des différents rapports évoquant cette situation, elle n'est toutefois pas documentée par les pièces comptables. Il suffit également de rappeler qu'il résulte de l'audition du dirigeant de la Dexia que les concours bancaires octroyés le 28 juin 2007 l'ont été en particulier au vu d'un niveau d'endettement jugé faible par les banques. La contradiction des différentes pièces produites par le liquidateur ne peut donc qu'être constatée et, par voie de conséquence, la cour ne peut suivre le liquidateur dans ses conclusions injustifiées car téméraires.

Le liquidateur se fonde sur de nombreux rapports (Freund pièce n° 80, mission d'expertise économique et financière de la trésorerie générale de Meurthe-et-Moselle pièce n° 11, [T] pièce n° 33, [A] pièce n° 37 ) ayant constaté les difficultés financières récurrentes de l'association depuis l'année 2005.

Le rapport de la mission d'expertise économique et financière de la trésorerie générale de Meurthe-et-Moselle est intéressant en particulier en ce qu'il relate le cadre de ces difficultés. Il évoque ainsi le contexte de la précarisation croissante du pays haut lorrain du fait de son manque d'attractivité mais souligne aussi l'influence très positive de la proximité du Luxembourg. Il note une activité d'hébergement et des dépenses en haute progression et relève en particulier des difficultés de recrutement des praticiens hospitaliers qui expliquent en partie l'importance des charges de personnel.

Sur le plan financier, l'ensemble des rapports ont constaté, outre le déficit d'exploitation, une capacité d'autofinancement négative et un besoin de fonds de roulement négatif pesant sur la trésorerie de l'association alliés à une baisse d'activité et donc un manque de ressources du fait de la mise en place, suite à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, de la tarification à l'acte, venue remplacer la dotation globale.

Pour autant, un premier plan de retour à l'équilibre a été élaboré sous l'égide de l'agence régionale d'hospitalisation et les comptes de l'exercice 2006 ont été équilibrés.

Il est fait grief aux commissaires aux comptes d'avoir relevé une situation fragile dans un courrier du 26 septembre 2007, établi à la suite de leur examen des comptes de l'exercice 2006, (pièce n° 35 du liquidateur) sans avoir cru devoir déclencher la procédure d'alerte pour autant.

Dès lors que cette procédure d'alerte n'a pas été déclenchée à ce moment, c'est vainement que le liquidateur reproche au commissaire aux comptes de ne pas avoir avisé le président du tribunal de grande instance à cet instant. S'il lui est également reproché de s'être contenté d'un courrier alors que les recommandations du Haut-Commissariat des commissaires aux comptes préconisent un entretien confidentiel avec le dirigeant avant de déclencher la procédure d'alerte, ce que la pratique décrit comme la phase 0, les commissaires aux comptes répondent, sans être contredits sur ce point, que ce courrier fait précisément suite à cet entretien confidentiel, que la procédure d'alerte n'a pas été déclenchée à ce moment du fait des réponses apportées par les dirigeants de l'association et qu'ils ont demandé à ces derniers de continuer à les tenir informés de la situation.

Il a été vu ci-dessus que les tensions sur la trésorerie trouvaient leur origine dans le financement des investissements sur les fonds propres de l'association. Or, le 20 juin 2007, l'association s'est vue octroyer par les banques Dexia et BECM deux concours bancaire à long terme d'un montant de 1,5 millions d'euros chacun, ce qui était de nature à remédier non seulement à la tension pesant sur la trésorerie mais encore de réduire les coûts de financement, les emprunts à long terme étant moins onéreux que les concours à court terme. Dès lors qu'une solution de financement pérenne avait été trouvée au cours de l'exercice 2007, et alors de plus qu'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens avait été conclu le 28 mars 2007, il en résulte que la continuité d'exploitation n'était pas menacée au 26 septembre 2007 et que, l'existence de ces nouveaux emprunts ayant été portés à leur connaissance, il ne peut être fait grief au commissaire aux comptes de ne pas avoir déclenché la procédure d'alerte dans les suites de leur courrier du 26 septembre 2007.

Il convient de rappeler que si la responsabilité du commissaire aux comptes peut être engagée pour ne pas avoir déclenché de procédure d'alerte en dépit d'une menace constatée sur la continuité de l'exploitation, elle peut également être engagée pour un déclenchement inapproprié de cette procédure d'alerte. Ainsi, ayant obtenu des réponses de la direction, dissipant les craintes exprimées dans le courrier du 26 septembre 2007- la cour se rapporte aux éléments financiers ci-dessus rappelés- , il ne peut être fait grief aux commissaires aux comptes de ne pas avoir déclenché la procédure d'alerte dans les suites de ce courrier alors de plus que la perte de l'exercice 2007 ne sera portée à leur connaissance que lors de la certification des comptes de cet exercice, en juin 2008. D'ailleurs, s'il pointe des manquements aux normes professionnelles, le rapport [T] (pièce n° 33 des appelants) note lui-même que lorsque que le commissaire aux comptes identifie des faits ou événements susceptibles de remettre en cause la continuité de l'exploitation, il examine les plans d'action de la direction pour faire face aux problèmes relevés dans le but de poursuivre l'exploitation.

Quant au défaut de suivi de la procédure d'alerte déclenchée le 17 juillet 2008, il résulte des pièces produites aux débats qu'ont été portés à la connaissance des commissaires aux comptes un courrier du 30 juin 2008 de l'agence régionale d'hospitalisation (pièce n° 8) rédigé à l'occasion du dialogue de gestion mis en place qui devait se traduire par un futur contrat de retour à l'équilibre financier, lequel devait être finalisé pour le 1er septembre 2008 ; que, pour faire face à la menace qui pesait sur le paiement des charges sociales, la banque Dexia, le 1er septembre 2008, avait accordé un découvert d'un million d'euros jusqu'au 1er octobre 2008 (pièce n° 9-1des intimés) et que l'URSSAF par courrier du 23 juillet 2008 (pièce n° 10 des intimés) avait d'ailleurs accordé un moratoire de paiement.

Enfin, le déclenchement de la procédure d'alerte le 6 octobre 2008 n'a pu être suivi d'effet puisque par jugement du 28 octobre 2008, constatant l'état de cessation des paiements à cette date, le tribunal de grande instance de Briey a prononcé le redressement judiciaire de l'[Adresse 11].

Le reproche majeur fait aux commissaires aux comptes réside dans l'inexistence d'éléments de nature à justifier une différence d'appréciation entre l'opinion des commissaires aux comptes sur les comptes de l'exercice 2007 émise le 24 juin 2008 et le déclenchement de la procédure d'alerte le 17 juillet 2008, soit 23 jours après seulement. Il note en effet que le résultat prévisionnel 2008, laissant apparaître une dégradation majorée de la situation financière de l'association, avait été porté à la connaissance des commissaires aux comptes lors du conseil d'administration du 26 octobre 2007 de sorte que ceux-ci devaient en tenir compte dans l'opinion à émettre au titre de la continuité de l'exploitation.

Les commissaires aux comptes opposent d'une part que le résultat prévisionnel 2008 n'était pas de nature à modifier l'opinion émise au titre de la sincérité des comptes de l'exercice 2007 et que l'opinion en ce qui concerne la continuité de l'exploitation ne peut être impactée que lorsqu'une procédure d'alerte est effectivement en cours, ce qui n'était pas le cas à la clôture de l'exercice 2007. Ils ne sont pas contredits par le liquidateur sur ce point.

En définitive, les fautes ne sont pas clairement démontrées.

Le lien de causalité

Quoi qu'il en soit, il convient de rappeler que les modalités de déclenchement de la procédure d'alerte résultent la loi du 1er mars 1984 sur la prévention des difficultés des entreprises dont cette procédure est l'un des objectifs. Des difficultés financières récurrentes ne signifient pas ipso facto que la continuité de l'exploitation est menacée. Il résulte de l'ensemble du dossier que des plans de retour à l'équilibre ont été adoptés sous l'égide des organismes de tutelle et que, contrairement à ce qui est relevé dans différents rapports, sans documentation précise sur ce point au demeurant, aucun incident de paiement n'a été constaté avant 2008. Ainsi, et comme le constate le tribunal de Briey dans son jugement du 30 août 2012 (pièce n°16 des intimés), " non seulement il n'est pas justifié de l'état de cessation des paiements de l'[Adresse 11] au 27 avril 2007, mais au-delà l'[Adresse 11] justifie qu'au regard des concours bancaires régulièrement obtenus, ses besoins de trésorerie pour faire face à son passif exigible étaient couverts au moins jusqu'au mois d'octobre 2008 ".

À cet égard, il ne peut être fait grief au jugement déféré d'avoir construit en partie sa motivation sur l'absence d'état de cessation de paiement avant cette date dès lors que c'est bien la cessation de paiements qui remet en cause la continuité de l'exploitation. Le liquidateur ne dit pas autre chose quand il indique dans ses écritures que le préjudice vise, pour l'essentiel, " la rupture de la continuité d'exploitation ". Ainsi, la responsabilité du commissaire aux comptes ne peut-elle être engagée que si le demandeur établit non seulement l'existence des faits de nature à mettre en péril la continuité d'exploitation qui n'auraient pas dû échapper à sa vigilance mais également le rôle joué par son silence dans la cessation des paiements. Or, en l'espèce, il est établi que la cessation des paiements résulte du refus de l'agence régionale d'hospitalisation d'avaliser le second plan de retour à l'équilibre qui devait être examiné en septembre 2008, lequel a entraîné le désengagement des banques. Ce n'est donc pas, en l'espèce, l'absence de déclenchement de la procédure d'alerte en septembre 2007 qui est à l'origine de la cessation de paiement fixée par le jugement d'ouverture de la procédure collective au 28 octobre 2008. De plus, il n'est nullement démontré qu'un déclenchement plus précoce de la procédure d'alerte aurait permis de redresser la situation économique de l'association, ou de prendre d'autres mesures à cette fin qui n'auraient pas déjà été envisagées, dès lors que les dirigeants, accompagnés en cela par l'autorité de tutelle, n'ont pas cessé de prendre des mesures de redressement qui se sont toutefois révélées vaines par suite du seul désengagement des banques, consécutif lui-même au refus de l'agence régionale d'hospitalisation d'avaliser le second plan de retour à l'équilibre qui était prévu pour le mois de septembre 2008.

Le désengagement des banques est donc l'événement causal à l'origine de la cessation des paiements.

Ainsi, il n'y a pas de lien de causalité démontré entre les fautes reprochées aux commissaires aux comptes, tant au titre des normes professionnelles que de la procédure d'alerte, et l'état de cessation des paiements.

Enfin, la cour fait sienne la motivation surabondante du tribunal sur l'absence de preuve du préjudice. Il suffit d'ajouter qu'il ne peut être soutenu qu'un déclenchement plus précoce de la procédure d'alerte aurait contribué à limiter le passif, composé pour l'essentiel des créances des établissements bancaires. C'est le lieu de rappeler en effet que le responsable " clients institutionnels " de la banque Dexia a décrit, lors d'une longue audition par les enquêteurs de la procédure pénale, les garanties prises par sa banque qui ne s'est engagée, en tant que professionnel du crédit, qu'aux termes de sa propre analyse du risque.

En l'absence de lien de causalité entre les fautes alléguées et le préjudice, il n'y a pas lieu d'examiner la demande subsidiaire d'expertise judiciaire.

La demande de dommages et intérêts pour appel abusif

Compte tenu de la complexité de l'affaire, la société Etude [G] n'a pas abusé de son droit d'interjeter appel. En conséquence, les intimés seront déboutés de cette demande.

Les demandes accessoires

Compte tenu du sens du présent arrêt, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a exactement statué sur les dépens ainsi que sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

En tant que partie perdante tenue aux dépens, la société Etude [G] ne peut qu'être déboutée de sa propre demande sur ce même fondement.

L'équité ne commande pas de faire une application supplémentaire en cause d'appel des mêmes dispositions au bénéfice des parties intimées qui seront donc également déboutées de cette demande.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Nanterre,

Et, y ajoutant,

DÉBOUTE la société [U] Prêcheur et associés, M. [B], M. [U] et les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles de leur demande de dommages et intérêts pour appel abusif,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Etude [G] aux dépens d'appel.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 20/06055
Date de la décision : 24/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-24;20.06055 ?
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