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17/05/2022 | FRANCE | N°20/06120

France | France, Cour d'appel de Versailles, 13e chambre, 17 mai 2022, 20/06120


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 56C



13e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 17 MAI 2022



N° RG 20/06120

N° Portalis

DBV3-V-B7E-UGFW



AFFAIRE :



Société TOTAL ENERGIES SE



C/



S.A.S. HYDROCAZE POWER







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Novembre 2020 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 2018 F01

62



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Guillaume NICOLAS



Me Christophe DEBRAY



TC NANTERRE



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX SEPT MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 56C

13e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 17 MAI 2022

N° RG 20/06120

N° Portalis

DBV3-V-B7E-UGFW

AFFAIRE :

Société TOTAL ENERGIES SE

C/

S.A.S. HYDROCAZE POWER

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Novembre 2020 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 2018 F0162

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Guillaume NICOLAS

Me Christophe DEBRAY

TC NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX SEPT MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Société TOTAL ENERGIES SE

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentant : Me Guillaume NICOLAS de la SCP PIRIOU METZ NICOLAS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 255 - N° du dossier 200764

Représentant : Me Bénédicte GRAULLE du PARTNERSHIPS JONES DAY, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J001

APPELANTE

****************

S.A.S. HYDROCAZE POWER

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 20612

Représentant : Me Philippe CHEMOUNY de l'AARPI CHEMOUNY ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0505

INTIMEE

****************

Société TOTAL FACILITIES MANAGEMENT SERVICES

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Guillaume NICOLAS de la SCP PIRIOU METZ NICOLAS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 255 - N° du dossier 200764

Représentant : Me Bénédicte GRAULLE du PARTNERSHIPS JONES DAY, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J001

PARTIE INTERVENANTE

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Février 2022, Madame Marie-Andrée BAUMANN, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente,

Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,

Madame Delphine BONNET, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN

La SAS Hydrocaze Power (la société Hydrocaze) est une entreprise spécialisée dans l'entretien de réseaux d'assainissement et le nettoyage de canalisations. L'époux de sa présidente, M. [L] [Y] [K], était directeur du développement de la société.

La SAS Total facilities management services (la société TFMS), filiale de la société européenne Totalenergie SE, auparavant dénommée la SA Total (la société Total), regroupe les activités dites de services généraux pour toutes les sociétés du groupe Total et centralise les prestations de gestion immobilière des locaux appartenant ou exploités par la société Total, en particulier la gestion technique des immeubles et leur aménagement.

Les sociétés Total et Hydrocaze, selon divers bons de commande établis par la société Total, ont conclu des contrats de prestations de services de 2014 à 2017 pour l'entretien du réseau de canalisations et des gaines de ventilation sur le 'Site Michelet', tour de bureaux de la société Total à la Défense/Courbevoie.

Au cours de l'année 2016, diverses allégations ont été portées à la connaissance de la société Total concernant l'existence de faits de corruption et de surfacturation impliquant certains fournisseurs avec la complicité de salariés de la société TFMS, MM. [O] [N] et [C] [G], l'implication de M. [T] [S] étant découverte dans un second temps.

Dans ce contexte, les sociétés Total et TFMS ont mis en oeuvre différentes mesures d'investigation ; par ordonnance du 19 avril 2017 du président du tribunal de grande instance de Nanterre, la société TFMS a obtenu la désignation d'un huissier afin d'accéder aux équipements informatiques et de télécommunication professionnels de MM. [N] et [G].

Le 12 mai 2017, la société TFMS a licencié MM. [N] et [G] pour fautes graves constituant une violation grave, réitérée et délibérée de leurs obligations légales et contractuelles, des règles éthiques et d'intégrité ainsi que du code de conduite applicable au sein du groupe Total du fait de la commission d'actes susceptibles d'être qualifiés de corruption, de faux et d'usage de faux. Le 17 juillet 2017, M. [S] a également été licencié sur les mêmes fondements.

Par ordonnances des 25 janvier 2018 et 15 février 2018, rendues respectivement par le président du tribunal de commerce de Paris et par le président du tribunal de commerce de Pontoise sur requêtes des sociétés Total et TFMS, un huissier de justice a été désigné afin d'effectuer diverses mesures d'instruction respectivement au siège social de la société Hydrocaze ainsi qu'au domicile de sa présidente, pour notamment se faire remettre ou rechercher tout élément permettant de confirmer les pratiques de surfacturation et d'octroi d'avantages et de cadeaux, alléguées par la société Total.

Par lettre recommandée du 26 février 2018, le conseil des sociétés Total et TFMS a mis en demeure la société Hydrocaze et sa dirigeante de cesser toute pratique illicite et de donner leur accord sur la mainlevée amiable du séquestre portant sur les éléments saisis au domicile de cette dernière.

Puis, par actes d'huissier des 24 et 28 septembre 2018, la société Total, soutenant que M. [K], dont elle alléguait qu'il était dirigeant de fait, et la société Hydrocaze avaient notamment 'participé à un schéma de corruption et de surfacturation destiné à obtenir l'octroi préférentiel de marchés' à son préjudice, a saisi le tribunal de commerce de Nanterre qui, par jugement contradictoire du 19 novembre 2020, a :

- dit M. [K] recevable et bien fondé en son exception d'incompétence ;

- s'est déclaré incompétent pour juger M. [K] au profit du tribunal judiciaire de Pontoise ;

- dit la société Total irrecevable en sa demande de nullité des commandes n°4260014502 et 4260014503 du 11 mai 2017 pour défaut d'intérêt à agir ;

- condamné la société Hydrocaze à payer à la société Total la somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour comportement contractuel déloyal ;

- débouté la société Total de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

- débouté la société Total de sa demande de restitution des acomptes versés sur les commandes n°42600l4502 et 4260014503 du 11 mai 2017 ;

- dit n'y avoir lieu d'examiner la demande reconventionnelle de M. [K] ;

- débouté la société Hydrocaze de sa demande reconventionnelle ;

- condamné la société Hydrocaze à payer à la société Total la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Hydrocaze aux dépens.

Par déclarations des 8 décembre 2020 et 22 janvier 2021, la société Total a interjeté appel partiel du jugement.

La société TFMS est intervenue volontairement par conclusions du 20 mai 2021.

Les deux procédures ont été jointes sous le numéro de RG 20/6120 par ordonnance du 2 septembre 2021.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 11 février 2022, la société Total demande à la cour de :

- dire et juger que la société Hydrocaze a mis en place des pratiques corruptives destinées à obtenir l'octroi préférentiel de ses commandes et à pratiquer des surfacturations à son préjudice ;

- dire et juger que la société Hydrocaze est responsable de man'uvres dolosives et de manquements contractuels ;

- dire et juger que la société Hydrocaze a manqué à son obligation générale de bonne foi et de loyauté ;

En conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* retenu le caractère illicite et occulte des avantages octroyés par la société Hydrocaze à MM. [S] et [N] et que ces avantages avaient pour objectif d'obtenir indûment l'octroi préférentiel de commandes ;

* retenu que la société Hydrocaze a pratiqué des surfacturations à son préjudice et que celle-ci a engagé sa responsabilité à son égard et commis une faute envers elle pour comportement déloyal;

* débouté la société Hydrocaze de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

* condamné la société Hydrocaze à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance ;

- infirmer le jugement en ce qu'il :

* a limité à 35 000 euros le montant que la société Hydrocaze lui doit à titre de dommages-intérêts pour comportement contractuel déloyal ;

* l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

* a dit irrecevable sa « demande de nullité » des commandes n°4260014502 et 4260014503 du 11 mai 2017 pour défaut d'intérêt à agir et l'a déboutée de sa demande de restitution des acomptes versés sur lesdites commandes ;

Statuant à nouveau,

- condamner la société Hydrocaze à lui verser la somme de 283 735,79 euros ou, a minima, de 189 018,64 euros, à titre de dommages et intérêts pour comportement contractuel déloyal ;

- condamner la société Hydrocaze à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

En tout état de cause,

- rejeter l'appel incident de la société Hydrocaze et la débouter de l'ensemble de ses demandes, dont sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts à son encontre et de condamnation aux frais irrépétibles et dépens ;

- juger recevable l'intervention volontaire de la société TFMS à la présente instance aux fins de solliciter la restitution des acomptes d'un montant global de 20 030,58 euros versés à la société Hydrocaze au titre des commandes n°4260014502 et 4260014503 du 11 mai 2017 ;

- condamner la société Hydrocaze à lui verser la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ainsi que les entiers dépens de l'instance dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, qui seront recouvrés par maître Guillaume Nicolas, avocat.

La société TFMS, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 11 février 2022, demande à la cour de :

- la déclarer recevable en son intervention volontaire à titre principal, comme ayant un droit d'agir et un intérêt propre à solliciter la résolution judiciaire des commandes n° 4260014502 et n° 4260014503 conclues le 11 mai 2017 avec la société Hydrocaze en raison des agissements frauduleux de cette dernière et de la perte de confiance induite ;

- dire que cette question se rattache incontestablement à l'objet des demandes dont se trouve saisie la cour;

Et y faisant droit,

- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu le caractère illicite et occulte des avantages octroyés par la société Hydrocaze à MM. [S] et [N] et que ces avantages avaient pour objectif d'obtenir indûment l'octroi préférentiel de commandes ;

- prononcer la résolution judiciaire des commandes n° 4260014503 et 4260014502 du 11 mai 2017 conclues entre elle et la société Hydrocaze ;

- condamner en conséquence la société Hydrocaze à lui restituer la somme de 24 036,68 euros au titre des deux acomptes perçus le 26 juillet 2017 par la société Hydrocaze et correspondant à des prestations non réalisées ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Hydrocaze de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour résiliation unilatérale abusive des commandes n° 4260014503 et 4260014502 du 11 mai 2017 ;

- débouter la société Hydrocaze de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la société Hydrocaze à lui payer la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ainsi que les entiers dépens de l'instance dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, qui seront recouvrés par maître Guillaume Nicolas, avocat.

La société Hydrocaze, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 11 février 2022, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit la société Total irrecevable en sa demande de résolution des commandes n° 4260014502 et 4260014503 du 11 mai 2017 pour défaut d'intérêt à agir ;

* débouté la société Total de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral;

* débouté la société Total de sa demande de restitution des acomptes versés sur les commandes n°4260014502 et 4260014503 du 11 mai 2017 ;

- infirmer partiellement le jugement en ce qu'il :

* l'a condamnée à payer à la société Total la somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour comportement contractuel déloyal ;

* l'a déboutée de sa demande reconventionnelle ;

* l'a condamnée à payer à la société Total la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance ;

Et statuant à nouveau sur ces chefs,

- condamner la société TFMS à lui payer la somme de 14 021,40 euros à titre de dommages-intérêts pour résiliation unilatérale abusive des deux contrats du 11 mai 2017 ;

- débouter les sociétés Total et TFMS de toutes leurs demandes ;

- condamner chacune des sociétés Total et TFMS à lui payer la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum les sociétés Total et TFMS aux entiers dépens, tout en autorisant maître Christophe Debray, avocat, à en poursuivre le recouvrement dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 février 2022.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Il convient en préalable de déclarer recevable, en application des dispositions de l'article 554 du code de procédure civile, l'intervention volontaire de la société TFMS dont l'intérêt à intervenir n'est pas discuté et qui n'était pas partie en première instance.

Sur l'action en responsabilité à l'encontre de la société Hydrocaze :

Sur les manquements allégués à l'encontre de l'intimée :

Après avoir en préambule de ses dernières écritures notamment indiqué le chiffre d'affaires significatif réalisé par la société Hydrocaze entre 2014 et 2017 sur les installation et le nettoyage des gaines du site Michelet et expliqué que les techniciens 'maintenance /exploitation' spécifiquement en charge des relations avec les prestataires externes pour ce site étaient trois salariés de la société TFMS, dont MM. [S] et [N], lesquels avaient pour mission de sélectionner les entreprises et d'élaborer les demandes de devis et d'achat, la société Total décrit en premier lieu les pratiques occultes de la société Hydrocaze en précisant que les documents saisis dans le cadre des mesures d'investigation démontrent qu'à de nombreuses reprises, la société Hydrocaze a fourni, par l'intermédiaire de M. [K], à MM. [N] et [S] des cadeaux, en particulier des voyages ou services, dont elle donne le détail, d'une valeur très conséquente et dépourvus de tout rapport avec l'activité professionnelle de ces derniers ou l'activité de la société intimée, indiquant que le montant des cadeaux matériels pour lesquels elle dispose d'une preuve écrite s'élève à la somme de 52 158,58 euros dont elle prétend qu'elle n'en reflète qu'une partie, évaluant le montant de ces cadeaux a minima à 67 158,48 euros. Elle soutient qu'ils ne constituent, comme le tribunal l'a jugé, aucunement des frais professionnels ou de simples cadeaux d'entreprise mais que leur caractère manifestement illicite et leur nature corruptive découlent à l'évidence de leur nature, purement récréative, de leur valeur conséquente, de leur caractère dissimulé, des modalités occultes utilisées et surtout de la contrepartie manifestement attendue par la société Hydrocaze ; elle observe que l'intimée ne prouve aucunement que ces cadeaux auraient été validés par son commissaire aux comptes et comptabilités dans ses comptes de résultat et prétend que ces faits constituent des actes de corruption tant sur le plan civil que pénal, cette infraction s'appliquant quel que soit le statut professionnel et la nature du contrat de travail du corrompu.

Elle souligne que les avantages occultes fournis par l'intimée avaient pour objectif, comme l'a retenu le tribunal, d'obtenir un avantage indu, ces pratiques étant confirmées par deux tableaux de suivi financier des commandes effectuées à la société Hydrocaze, saisis sur les messageries électroniques de MM. [N] et [S], qu'elle analyse dans ses écritures en relevant qu'ils démontrent les surcoûts appliqués à son préjudice.

Elle fait valoir en second lieu que ces pratiques occultes engagent la responsabilité de la société Hydrocaze à son égard tant sur le fondement des manoeuvres dolosives que des manquements de l'intimée à ses obligations de bonne foi et de loyauté dans l'exécution de ses relations contractuelles.

Pour décrire les manoeuvres de la société Hydrocaze, elle fait pour l'essentiel état de la mise en place d'un schéma lui permettant, avec la complicité des deux salariés précités et au moyen de pratiques corruptives, d'obtenir l'attribution préférentielle de commandes en contournant la procédure normale d'appel d'offres et de surfacturer la valeur réelle de ses prestations. Elle souligne qu'il est 'évident' que si ces manoeuvres avaient été portées à sa connaissance, elle n'aurait pas contracté avec l'intimée.

Rappelant l'importance de la notion de bonne foi dans l'exécution des conventions, elle soutient aussi que les agissements de la société Hydrocaze sont en complète violation du principe général de bonne foi et de loyauté qui interdit au cocontractant d'avoir recours à des actes de corruption aux fins d'obtenir un avantage, l'intimée ne pouvant se considérer autorisée à procéder à des pratiques corruptives quand bien même elle prétend ne pas avoir eu connaissance des conditions générales d'exécution des travaux et services (CGETS) qui constituaient pourtant, comme l'a jugé le tribunal, les conditions générales d'achat applicables à l'ensemble de ses fournisseurs ainsi que spécifié sur chacune des commandes adressées à l'intimée.

L'appelante demande enfin à la cour d'écarter les arguments inopérants de la société Hydrocaze tenant d'une part à l'absence de pouvoir des deux salariés incriminés pour conclure des contrats dans la mesure où ceux-ci sélectionnaient les prestataires et avaient le pouvoir d'influencer l'octroi des commandes, soulignant à cette occasion que ces deux salariés n'ont jamais contesté leur licenciement pour faute grave, d'autre part à la prétendue absence de surfacturation alors que la preuve en ressort de la colonne 'surcoût' mentionnée dans les tableaux de suivi financier et enfin de sa prétendue responsabilité du fait d'un prétendu défaut de contrôle, observant notamment que la société Hydrocaze ne peut s'exonérer, même partiellement de son obligation d'indemnisation, compte tenu de la particulière gravité de ses agissements.

La société Hydrocaze, après avoir notamment décrit l'historique de ses relations avec la société Total à la suite du démarchage commercial de cette dernière, indiqué qu'au regard du chiffre d'affaires réalisé avec celle-ci, elle se trouvait dans une position de dépendance économique à son égard, insisté sur l'absence d'éléments fournis par la société appelante sur sa procédure d'appels d'offres malgré les sommations et évoqué la condamnation de la société Total par une juridiction française pour des faits de corruption internationale, critique la posture judiciaire de l'appelante qui n'a pas porté plainte 'vraisemblablement en raison de ses antécédents judiciaires et aux fins d'éviter une condamnation pénale pour corruption passive' compte tenu de son abstention ou de sa négligence fautive dans le processus de contrôle interne de ses services d'achat. Elle ajoute que les éléments constitutifs du délit de corruption incriminé à l'article 445-1 alinéa 1 du code pénal, ne sont manifestement pas réunis en l'espèce, regrettant que l'appelante ait omis d'en démontrer l'existence des principaux éléments constitutifs, tenant notamment à la fonction de direction que doit exercer le corrompu mais aussi à la capacité de celui-ci à fournir dans le cadre de ses fonctions la contrepartie attendue, ce qui n'est pas le cas en l'espèce au regard des fonctions purement techniques occupées par les salariés incriminés qui ne disposaient d'aucun pouvoir de décision quant à la passation des marchés. Elle souligne que l'appelante qui dénonce le contournement de sa procédure d'appel d'offres n'apporte cependant pas la moindre explication convaincante sur celle-ci, lui reprochant d'inverser la charge de la preuve.

Observant que les jurisprudences citées par l'appelante ne sont pas applicables, elle soutient qu'aucune faute ne peut être mise à sa charge en remarquant que compte tenu de la nature dolosive des faits reprochés, il appartient à la société Total de rapporter la preuve de leur caractère occulte et de sa volonté de surprendre son consentement.

Elle expose qu'au contraire et en premier lieu, alors même que l'octroi d'un avantage 'sans droit' est une condition incontournable du délit de corruption, y compris pour les juridictions civiles, elle était légitime à offrir des cadeaux d'entreprise. Après avoir rappelé l'article 39, 5. du code général des impôts et l'usage d'offrir des cadeaux d'affaire, consacré par la jurisprudence de la Cour de cassation, elle souligne qu'elle-même, pas plus que M. [K], n'a remis la moindre somme d'argent aux techniciens salariés de la société TFMS, ce que l'appelante ne prouve pas au demeurant et qu'elle n'a pas dépassé le cadre légal et usuel des cadeaux d'affaires faits à des partenaires commerciaux dont elle remarque qu'ils ont été, dans leur intégralité, comptabilisés dans ses comptes annuels établis par son cabinet d'expertise-comptable et certifiés par son commissaire aux comptes de sorte qu'il ne peut lui être reproché aucune manoeuvre de corruption d'autant que la signature des marchés ne dépendait pas des bénéficiaires de ces cadeaux.

Elle fait état en second lieu de l'absence de caractère occulte des cadeaux incriminés par l'appelante, évoquant l'absence de preuve par cette dernière de toute manoeuvre destinée à cacher ces cadeaux en précisant que le fait que la société Total ait obtenu des documents, par des mesures d'enquêtes intrusives, n'en fait pas pour autant des 'documents secrets'. Elle ajoute qu'elle n'avait aucune obligation d'annoncer à la société Total ou à la société TFMS les éventuels cadeaux réalisés dans la mesure où les conditions générales d'exécution de travaux et services (CGETS) qu'elle n'a jamais signées et dont la société Total ne prouve pas qu'elle en avait connaissance, ne lui étaient pas applicables, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, seules les conditions générales d'achat étant visées sur les commandes litigieuses.

Conformément aux dispositions de l'ancien article 1134 du code civil, reprises dans les articles 1103 et 1104 du même code depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites doivent être exécutées de bonne foi.

Il ressort des éléments versés aux débats par la société Total qu'à plusieurs reprises à compter de novembre 2014, au cours des années 2015, 2016 et jusqu'à l'été 2017, la société Hydrocaze, par l'intermédiaire de M. [K], a accordé à deux salariés de la société TFMS, MM. [N] et [S], des avantages en nature conséquents, représentant sur ces trois années une somme totale de 49 472,42 euros au vu des justificatifs communiqués et correspondant au paiement :

- à M. [N],

- d'un séjour au Club méditerranée pour cinq personnes en République dominicaine en avril 2015 et d'un séjour en village club (Pierres et vacances) en Espagne en août 2015, respectivement d'une valeur de 10 735 euros et de 6 295,27 euros, en ce compris l'hébergement et le transport ; d'un séjour de trois jours à l'hôtel pour deux personnes à Londres en juin 2015 d'une valeur de 2 378,74 euros, vol en avion compris ; du séjour et du transport en juin 2016 pour deux personnes au Fururoscope d'une valeur de 741 euros et d'un séjour de quatre jours pour quatre personnes en août 2016 en Espagne, au prix de 650 euros;

- d'un acompte de 7 688,96 euros sur des travaux réalisés en 2016 au domicile de M. [N], selon mails échangés en juin et juillet 2016 ;

- à M. [S],

- d'un séjour d'une semaine pour deux personnes à l'Ile Maurice en novembre 2014 d'une valeur de 7 612 euros comprenant la location d'une villa et le prix des billets d'avion ; de plusieurs voyages en avion au Portugal en mars et mai 2015 puis en mai 2016 pour un montant total de 2 733,02 euros ; d'un séjour en juillet 2016 dans une villa en Espagne outre les billets d'avion pour quatre personnes, pour un total de 3 677,72 euros ; d'un séjour de 14 nuits en août 2017 dans une villa sur la côte espagnole d'une valeur de 3 056 euros également réservé par M. [K] et facturé à son nom ;

- de l'achat de matériel de plongée, également facturé au nom de la société Hydrocaze, en 2015, 2016 et février 2017, pour un montant total de 3 904,71 euros.

Contrairement à ce que prétend la société Hydrocaze, ces cadeaux, par leur nature à usage purement privé et familial, leur montant élevé et leur caractère répété ne peuvent être considérés comme des cadeaux d'usage et excèdent, comme l'a justement relevé le tribunal, ce qui est admis en matière de cadeaux d'entreprise. La société Hydrocaze ne démontre pas que comme elle l'affirme ceux-ci étaient tous inscrits dans sa comptabilité dans la mesure où les comptes de résultats qu'elle fournit, arrêtés au 30 septembre 2014, 30 septembre 2015 et 30 septembre 2016, ne mentionnent qu'un montant global au titre du poste ' cadeaux à la clientèle', le montant annuel arrêté au 30 septembre 2016, d'un montant de 2 588 euros, étant bien inférieur au montant des cadeaux accordés pour cet exercice et représentant une somme supérieure à 13 000 euros.

Il n'est pas discuté que ces cadeaux ont été dissimulés par MM. [N] et [S] à leur employeur, la société TFMS, filiale de la société Total, en contravention avec les règles de probité applicables à toute entreprise et en contravention avec les règles de 'conformité et anti-corruption' visées dans la lettre de licenciement pour faute grave de chacun. De plus, les échanges auxquels ont donné lieu ces cadeaux ont eu lieu sur la messagerie personnelle de ces salariés et de M. [K], ce qui conforte la nature occulte de ces pratiques.

S'agissant du rôle de ces deux salariés, techniciens au service maintenance de la société TFMS, chargée sur le site Michelet de la maintenance et des travaux effectués pour le compte de la société Total et facturés à cette dernière jusqu'à la fin de l'année 2016, la description de leur poste de 'technicien service maintenance Michelet', confortée par l'attestation établie par leur supérieur hiérarchique, M. [P] [I], le 5 mars 2021 et complétée le 30 août 2021, établit qu'ils avaient notamment pour rôle, M. [S] à titre principal et en son absence, M. [N], de monter le dossier de consultation des entreprises, d'élaborer le descriptif des travaux ou du cahier des charges, de rechercher les entreprises, d'analyser les offres et de préconiser le prestataire à qui le marché est attribué, ceux-ci étant ensuite chargés du suivi des travaux ; ainsi, si la décision finale de conclusion du contrat ne leur appartenait pas, ils avaient cependant un rôle essentiel dans la décision contractuelle de la société Total, portant sur les travaux confiés aux sociétés prestataires, qu'ils avaient le pouvoir d'influencer. Les lettres de licenciement pour faute grave de ces deux salariés dont il est précisé, sans observation de l'intimée, qu'ils n'ont pas contesté la rupture de leur contrat de travail confirment leur rôle dans la gestion des appels d'offres. Les bons de commande adressés à la société Hydrocaze et versés aux débats mentionnent à plusieurs reprises, à propos de la commande elle-même, 'affaire suivie par M. [S]' ou 'affaire suivie par M. [N]', les trois autres salariées dont le nom figure alternativement en en-tête de ces commandes et dont l'appelante justifie pour deux d'entre elles qu'elles étaient assistantes administratives, n'étant pas en charge de la passation des commandes.

La société Hydrocaze n'est donc pas fondée en sa contestation tenant au poste occupé par ces deux salariés, étant observé que le délit de corruption peut être constitué quand bien-même la personne corrompue n'occupe pas un poste de direction.

Il est exact que la société Total n'a pas communiqué, à la suite de la sommation de la société Hydrocaze, d'éléments justifiant des appels d'offres aux termes desquels l'intimée a obtenu les marchés et que celle-ci ne verse aux débats que trois devis d'une autre société dénommée PEM technologies, proposant les mêmes prestations que la société Hydrocaze, avec une différence de prix relativement modérée, le coût des trois devis établis par l'intimée, qui a été finalement retenue après modification de son prix initial pour deux d'entre eux, n'étant supérieur que de 3,6 % à 6 % par rapport au coût des devis de sa concurrente ; il n'en demeure pas moins que la société Hydrocaze a manifestement cherché, par cette pratique occulte et réitérée à l'égard des salariés précités, à être favorisée dans l'attribution des marchés de la part de la société Total qui était un client important pour son activité, le chiffre d'affaires réalisé avec la société Total représentant 56,58 % et 36,57 % de son chiffre d'affaires total en 2015 et 2016. Il convient de relever que ces 'cadeaux' représentaient un coût certain pour la société intimée puisque le montant total qui est justifié correspond sur deux ans et demi à 10 % du chiffre d'affaires réalisé avec la société Total en 2015.

Enfin, s'il n'est démontré par l'appelante ni qu'elle avait transmis pour acceptation à la société Hydrocaze les conditions générales d'exécution des travaux et services (CGETS) dont elle fournit un exemplaire qui n'est pas signé par l'intimée ni qu'elle l'en avait informée dès lors que les commandes se réfèrent uniquement aux conditions générales d'achat dont il n'est pas établi qu'il s'agissait des CGETS, la société Hydrocaze n'ignore pas que les pratiques corruptives sont interdites par la loi de sorte qu'en ayant cherché à être favorisée dans l'attribution de marchés en offrant des avantages indus aux salariés qui avaient une part active dans le choix des prestataires de la société Total, elle n'a pas été loyale et de bonne foi dans l'exécution des contrats conclus sur la base des commandes prises par la société Total.

Sa faute est ainsi suffisamment caractérisée sans qu'il soit utile d'examiner le moyen de la société Total tenant à l'existence de manoeuvres dolosives.

Sur les préjudices et le lien de causalité :

La société Total qui critique le jugement sur le quantum de la condamnation prononcée expose que les manoeuvres dolosives et les manquements contractuels de la société Hydrocazee lui ont porté gravement préjudice dans la mesure où elle a payé un excès de prix du fait des pratiques corruptives et de surfacturation / facturation fictive mises en place par l'intimée et a perdu une chance de ne pas contracter si elle en avait eu connaissance.

Sur la base de la synthèse des informations issues des deux tableaux secrets de suivi financier des commandes attribuées à la société Hydrocaze, tels qu'ils ont été établis par MM. [N] et [S], la société Total soutient que son préjudice s'évalue à la somme de 283 735,79 euros correspondant à l'ensemble

des montants des surfacturations indiqués dans le tableau du 27 mai 2016, observant également qu'il ne peut être exclu que cette méthode de surfacturation ait été appliquée 'à plus grande échelle' et rappelant l'absence de contestation par les salariés de leur licenciement intervenu parce qu'il leur était précisément reproché d'avoir accepté des commissions et cadeaux occultes en contrepartie de l'attribution préférentielle de commandes et de la mise en place d'un système de surfacturation.

La société Total, pour le cas où la cour ne retiendrait pas ce montant, soutient que son préjudice consécutif au comportement contractuel déloyal de la société Hydrocaze ne peut s'élever à moins de 189 018,64 euros, somme correspondant au total des commissions occultes versées par l'intimée aux deux salariés licenciés au titre des commandes listées dans les tableaux, observant que le montant des cadeaux et avantages ne s'élève pas, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, à 35 000 euros mais à 67 158,48 euros.

Elle sollicite l'indemnisation de son préjudice moral en expliquant que le schéma frauduleux, impliquant l'intimée et M. [K], a porté préjudice à sa réputation commerciale de sorte que le jugement devra être infirmé, d'autant plus que la société Hydrocaze n'hésite pas à publiquement s'afficher comme étant victime d'une prétendue politique de rétorsion de sa part dans le cadre de sa 'nouvelle stratégie de communication' ; elle souligne qu'aucune affaire ne saurait servir de prétexte à l'intimée pour contourner ses obligations de bonne foi et de loyauté et justifier ses pratiques de corruption.

La société Hydrocaze conteste tant l'évaluation 'irréaliste' du préjudice invoqué par la société Total que le lien de causalité entre celui-ci et la faute alléguée.

Reprochant au tribunal son évaluation arbitraire du préjudice économique alors qu'il n'existe aucun lien de causalité avec la faute qu'il a retenue concernant son prétendu comportement contractuel déloyal, elle soutient qu'au regard de l'aléa induit par la perte de chance qui pour être réparée doit être certaine et du fait que la société Total ne développe pas l'éventualité favorable dont elle estime avoir été privée, celle-ci ne rapporte pas la preuve de cette perte de chance alors que les devis concurrents qu'elle verse aux débats et qui comportent des montants similaires à ceux qu'elle a facturés, prouvent qu'elle n'était pas en mesure de conclure un contrat à de meilleures conditions. Elle prétend que la société Total n'apporte aucune preuve de l'évaluation de son préjudice dans la mesure où elle ne peut sérieusement fonder sa demande indemnitaire sur un tableau qu'elle a réalisé à partir de conjonctures et d'éléments saisis sur les messageries de ses salariés, alors même que celui-ci ne se réfère pas à elle et que la somme dont la société Total prétend qu'elle aurait été surfacturée et reversée aux salariés représente près de 55% de son chiffre d'affaires, ce qui n'est pas réaliste et ne lui aurait pas permis de réaliser la moindre marge bénéficiaire; elle ajoute qu'au vu des devis de la société PEM technologies communiqués par l'appelante, les prix qu'elle pratique sont rigoureusement conformes aux valeurs de marché.

La société Hydrocaze conteste le préjudice moral allégué par l'appelante dans la mesure où celle-ci qui ne rapporte pas la preuve d'une éventuelle médiatisation du présent litige, ne peut prétendre à la réparation d'une atteinte à sa réputation commerciale qui est déjà sévèrement dégradée, indépendamment de la présente procédure.

Elle expose en outre que la société Total n'apporte aucune preuve d'un lien causal dont la démonstration implique nécessairement d'établir la faculté pour MM. [N] et [S] de conclure des contrats au nom et pour le compte de l'appelante alors que tout indique dans le dossier, au regard notamment des fonctions techniques qu'ils occupaient, qu'ils ne disposaient pas d'un tel pouvoir, rappelant également à cet égard que la société Total n'a pas répondu à sa sommation de communication des pièces relatives aux appels d'offres auxquels elle s'est portée candidate.

Elle ajoute enfin que les licenciements par la société Total de ses salariés qu'elle tient pour responsables constituent la reconnaissance d'un dysfonctionnement interne à l'entreprise à l'origine des prétendus préjudices dont elle excipe.

Pour justifier de son préjudice, la société Total a versé aux débats, outre les trois devis précédemment évoqués de la société PEM technologies, deux tableaux communiqués sous ses pièces 38 et 40, le premier ayant été transmis par message électronique de M. [S], daté du 13 mars 2015, à M. [N] sur sa boîte personnelle et le second transmis par mail du 27 mai 2016 par M. [N] à M. [S], ces documents ayant déjà été communiqués en première instance ; après avoir analysé ces tableaux, elle a récapitulé, en pages 22 et 23 de ses écritures, le montant des surfacturations résultant selon elle du tableau du 27 mai 2016, au regard des commandes effectivement passées à la société Hydrocaze et facturées par cette dernière.

Si le second tableau, par comparaison avec les factures communiquées par la société Hydrocaze, se rapporte à des commandes que lui a faites la société Total relativement notamment à des prestations de nettoyage de 'gaines' facturées en 2015 et 2016, dont le détail a été repris par le tribunal dans son jugement et dans les conclusions de l'appelante, la cour ne peut que constater, comme déjà relevé par le tribunal, que les montants analysés comme des surcoûts par la société Total pour un total de 283 735,79 euros sont démesurés par rapport au montant des marchés correspondants ; en effet, il est mentionné dans deux cas un surcoût correspondant respectivement à 76 % et 64 % de la somme facturée et dans le cas des travaux intitulés sur le tableau 'gaine 2016', il est indiqué que la surfacturation équivaut au montant facturé.

Une surfacturation d'une telle ampleur ne peut être démontrée par ce seul tableau alors même qu'il n'est pas fourni d'éléments de comparaison significatifs, à partir d'un échantillon représentatif de devis et de commandes, permettant d'établir la réalité d'une surfacturation avérée qui n'est pas prouvée par les trois seuls devis communiqués, étant observé que pour deux des commandes, objet de ces prestations, la société Hydrocaze a très nettement réduit le prix de son devis initial.

Dans ces conditions, la société Total à laquelle il incombe de prouver son préjudice et qui n'apporte aucun élément supplémentaire en appel, ne fait pas la preuve de la surfacturation qu'elle allègue de sorte qu'elle ne pourra qu'être déboutée de sa demande à hauteur de la somme de 283 735,79 euros.

Elle ne rapporte pas davantage la preuve des commissions occultes dont elle prétend qu'elles ont été réglées à MM. [S] et [N], le seul tableau communiqué sous sa pièce 40 étant insuffisant à faire la preuve de tels règlements alors même que les seuls documents probants versés aux débats justifient uniquement de cadeaux effectués au bénéfice de ces salariés pour le montant précédemment retenu par la cour.

Le préjudice de la société Total, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, ne peut s'évaluer au montant des avantages en nature consentis à ces salariés en l'absence de lien de causalité démontré entre la faute retenue à l'encontre de la société Hydrocaze et le montant de ces cadeaux ; il n'est pas démontré que de ce fait la société Hydrocaze a nécessairement surfacturé ses prestations à la société Total dès lors que la mise en place de ce système lui a déjà permis d'obtenir des marchés et a participé à son développement.

Il convient par conséquent, infirmant le jugement, de débouter la société Total de sa demande indemnitaire de ce chef.

La société Total ne démontre pas l'atteinte à sa réputation commerciale résultant de la déloyauté et du manquement à la bonne foi retenus à l'encontre de la société Hydrocaze, étant observé qu'il n'est notamment pas fait état d'un retentissement particulier de ce litige, la société Total ayant démontré, en procédant au licenciement pour faute grave de ses salariés impliqués dans ces pratiques occultes, sa volonté de ne pas les tolérer au sein de ces équipes.

Sur les demandes concernant les commandes du 11 mai 2017 :

La société TFMS qui explique que pour des raisons de réorganisation interne, elle a signé à compter de janvier 2017 les commandes conclues entre les sociétés Total et Hydrocaze dont notamment les deux commandes dont elle sollicite la résolution judiciaire sur le fondement des articles 1224 et suivants du code civil, expose qu'au moment de la découverte des faits dénoncés dans le cadre du présent litige, la société appelante et elle-même ont suspendu, en vue de leur résolution, la réalisation des commandes passées auprès de la société Hydrocaze et pas encore exécutées par cette dernière ; elle souligne qu'elles n'avaient pas d'autre choix, compte tenu de la perte de confiance engendrée par la révélation des pratiques frauduleuses d'une particulière gravité de l'intimée et de ses manquements à ses obligations de bonne foi et de loyauté ; elle s'estime bien fondée en sa demande de résolution judiciaire, observant que ce droit de résolution de plein droit était d'ailleurs prévu par les CGETS applicables à la relation contractuelle et que la gravité des pratiques mises en oeuvre par la société Hydrocaze justifiait la résolution immédiate des commandes.

Elle ajoute que contrairement à ce que la société intimée prétend, elle ne prouve pas les prétendues heures d'études et les importantes diligences qu'elle aurait effectuées concernant ces deux commandes portant sur les bâtiments B et C et dont l'intervenant volontaire conteste l'exécution, relevant aussi que les travaux préparatoires réalisés pour le marché du nettoyage des gaines du bâtiment A sur lequel la société intimée était intervenue avaient vocation à être utilisés pour les marchés des deux autres bâtiments. Elle sollicite par conséquent la restitution des acomptes versés à hauteur de 30 % de ces deux commandes et conclut au débouté de la demande indemnitaire de la société Hydrocaze dès lors que la résolution est justifiée par les graves manquements de la société Hydrocaze.

La société Hydrocaze, observant que cette demande de résolution judiciaire n'a aucun sens 'dans la mesure où la firme pétrolière a déjà rompu les deux contrats litigieux', considère que la résolution, au regard de l'article 1224 du code civil ne pourrait intervenir que sur le terrain de l'inexécution contractuelle dès lors qu'il n'est excipé d'aucune clause résolutoire. Elle fait valoir d'une part qu'elle n'est à l'origine d'aucune inexécution puisqu'elle a subi la suspension des deux contrats imposée par les sociétés Total et/ou TFMS de sorte qu'il lui est devenu impossible d'exécuter les contrats et que la cour constatera que les conditions légales de la résolution de ces contrats ne sont pas réunies de sorte que la demande à ce titre ne pourra qu'être rejetée. Elle observe que la société TFMS sollicite la résolution judiciaire des deux contrats afin d'échapper à sa propre responsabilité pour résiliation unilatérale abusive qui l'a conduite à ne percevoir que les acomptes sur ces commandes.

Elle soutient d'autre part que si la cour estime que les commandes litigieuses encourent une résolution judiciaire, elle devra constater que les répétitions requises sont impossibles dès lors qu'elle a réalisé des prestations importantes au titre des acomptes qu'elle a perçus du groupe Total pour les heures d'études préalables exécutées et les réunions qui se sont tenues pour définir notamment la méthodologie de l'intervention, rappelant que la partie qui a bénéficié d'une prestation qu'elle ne peut restituer doit s'acquitter du prix correspondant à cette prestation.

Elle maintient enfin sa demande reconventionnelle pour être indemnisée du préjudice subi du fait de la résiliation unilatérale et abusive des deux contrats. Faisant état d'une perte de chiffre d'affaires de 46 738 euros HT, elle soutient que son préjudice ne saurait être évalué à une somme inférieure à 30 % de ce chiffre d'affaires correspondant à la plus faible marge brute qu'elle aurait réalisée sur cette opération, soit la somme de 14 021,40 euros réclamée en réparation du gain dont elle a été privée.

Il ressort des pièces versées aux débats par la société TFMS que le 11 mai 2017, elle a passé deux commandes n° 4260014502 et 4260014503, chacune d'un montant de 33 384,29 euros, pour le nettoyage de gaines, l'une pour le bâtiment B et l'autre pour le bâtiment C du site Michelet, le bon de commande indiquant qu'il s'agissait d'affaires suivies par 'P.E.[S]' ; la société TFMS a réglé, par virements du 26 juillet 2017, les deux acomptes sur prestation sollicités par la société Hydrocaze à hauteur chacun de la somme de 12 018,34 euros correspondant à 30 % du total de la commande.

Il est indiqué en commentaire de la seconde commande qu'à compter du 1er janvier 2017, 'pour des raisons de réorganisation interne, les commandes conclues entre Total' et la société Hydrocaze 'seront signées par une nouvelle entité du groupe, TFMS et non plus par Total SA' ; le jugement doit par conséquent être confirmé en ce qu'il a déclaré la société Total irrecevable en ses demandes relative à ces deux commandes.

Selon l'article 1224 du code civil, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 applicable aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.

Il ressort des éléments précédemment développés sur les manquements de la société Hydrocaze que celle-ci a manqué à son obligation d'exécuter loyalement et de bonne foi les prestations la liant contractuellement à la société Total.

Ce comportement dont les éléments de preuve n'ont été appréhendés qu'après les investigations menées par la société Total a entraîné une perte de confiance incompatible avec la poursuite des relations contractuelles, perte de confiance qui a nécessairement affecté les relations de la société TFMS, filiale de la société Total, avec la société Hydrocaze, étant souligné que les deux commandes litigieuses avaient été passées avec le concours de M. [S], licencié en juillet 2017.

Dans ces conditions la société TFMS qui a suspendu l'exécution de la prestation contractuelle de la société Hydrocaze, est fondée à solliciter la résolution judiciaire de ces deux commandes que la cour prononcera ; la demande de la société Hydrocaze au titre de la résiliation abusive sera rejetée, étant observé qu'il n'est fait état d'aucun courrier de résiliation de la part de la société TFMS.

Il n'est pas démontré par la société Hydrocaze qu'elle aurait commencé à exécuter les études préalables aux travaux de nettoyage de gaines, objets des deux commandes litigieuses et prévus dans les bâtiments B et C du site Michelet ; elle ne justifie notamment pas des diligences qu'elle aurait réalisées à la suite de la réunion à laquelle elle a été convoquée par courrier du 31 mai 2017 'en vue de la réalisation d'un plan de prévention afin de fixer les mesures d'hygiène et de sécurité lors des prestations' qu'elle allait effectuer sur le site, étant par ailleurs justifié par la société TFMS que la société Hydrocaze était également intervenue pour les mêmes travaux de nettoyage des gaines dans le bâtiment A du site Michelet.

Dans ces conditions, la demande de la société TFMS en restitution des acomptes qu'elle a versée sera accueillie. Il convient, ajoutant au jugement, de condamner à ce titre la société Hydrocaze à verser à la société TFMS la somme totale de 24 036,68 euros.

La solution retenue par la cour au titre de la résolution judiciaire des deux commandes conduit à confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Hydrocaze.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire, dans la limite de l'appel,

Confirme le jugement du 19 novembre 2020 sauf en ce qu'il a condamné la société Hydrocaze power à payer à la société Total la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour comportement contractuel déloyal et la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Déboute la société Total de ses demandes de dommages et intérêts en lien avec le comportement contractuel déloyal de la société Hydrocaze power et d'indemnité procédurale ;

Y ajoutant,

Reçoit l'intervention volontaire de la société Total facilities management services ;

Dit que la société Hydrocaze power a eu un comportement contractuel déloyal ;

Prononce la résolution judiciaire des commandes n° 4260014502 et 4260014503 du 11 mai 2017 conclues entre les sociétés Total facilities management services et Hydrocaze power ;

Condamne la société Hydrocaze power à restituer à la société Total facilities management services la somme de 24 036,68 euros perçue à titre d'acompte ;

Condamne la société Hydrocaze power à payer à la société Total facilities management services la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Hydrocaze power aux dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés, pour ceux dont il a fait l'avance, par maître Guillaume Nicolas, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 13e chambre
Numéro d'arrêt : 20/06120
Date de la décision : 17/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-17;20.06120 ?
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