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17/05/2022 | FRANCE | N°20/03073

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 17 mai 2022, 20/03073


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section





ARRÊT N°







CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B





DU 17 MAI 2022





N° RG 20/03073

N° Portalis DBV3-V-B7E-T5WT







AFFAIRE :



[U], [F], [X], [R], [D] [D] [M]

C/

[H], [T] [A]





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Mai 2020 par le Tribunal Judiciaire de PONTOISE

N° Chambre :

N° Section : >
N° RG : 18/08783



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-Me [U] [E],



-Me Magali DURANT- GIZZI





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX SEPT MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versail...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B

DU 17 MAI 2022

N° RG 20/03073

N° Portalis DBV3-V-B7E-T5WT

AFFAIRE :

[U], [F], [X], [R], [D] [D] [M]

C/

[H], [T] [A]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Mai 2020 par le Tribunal Judiciaire de PONTOISE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/08783

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-Me [U] [E],

-Me Magali DURANT- GIZZI

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX SEPT MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Maître [U], [F], [X], [R], [D] [D] [M]

né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 2]

75008 PARIS

représenté par Me Philippe CHATEAUNEUF, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643 - N° du dossier 2020057

Me Sabine DU GRANRUT de l'AARPI FAIRWAY, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : K0190

APPELANT

****************

Madame [H], [T] [A]

née le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 5]

représentée par Me Magali DURANT-GIZZI, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 671 - N° du dossier 200055

Me Elisabeth MORAND DE GASQUET, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : E1180

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

En 2011, Mme [H] [A] a sollicité l'assistance de M. [U] [M], avocat, dans le cadre d'une procédure de divorce à l'encontre de son époux M. [P] [B].

À la suite à la délivrance d'une requête en divorce par Mme [A], le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Pontoise, a rendu le 28 février 2012 une ordonnance de non-conciliation aux termes de laquelle il a désigné M. [Y] [V], notaire, aux fins d'établissement d'un projet de liquidation du régime matrimonial et de partage des lots lequel devait être déposé au greffe dans les six mois de la consignation de ses frais par M. [B].

Ce dernier n'a pas consigné dans le délai de deux mois et a, par l'intermédiaire de son conseil, déposé une requête en relevé de caducité de 1'ordonnance de non-conciliation.

Plusieurs relances ont ensuite été adressées au notaire lequel n'a rendu son projet que le 30 octobre 2014.

Un additif a également été déposé le 2 avril 2015, M. [V], notaire, s'expliquant sur le mode de calcul de la valeur des parts sociales de la société KB Diffusion effectué par Mme [W], expert comptable, intervenue en qualité de sapiteur pour procéder à l'évaluation des parts sociales.

Par lettre officielle du 25 août 2016, M. [M] a informé le conseil de M. [B] qu'il entendait déposer une nouvelle requête devant le juge aux affaires familiales, la précédente ordonnance de non-conciliation étant devenue caduque du fait de la durée de la procédure.

Par courriel du 28 juin 2017, M. [M] a informé Mme [A] qu'il n'entendait plus l'assister, le lien de confiance les unissant étant rompu selon lui, et il précisait avoir obtenu un effort financier important de M. [B] lequel abandonnait une partie importante de ses créances à l'encontre de Mme [A].

Par acte d'huissier de justice des 16 et 18 octobre 2018, Mme [A] a fait citer M. [M] devant le tribunal de grande instance de Pontoise.

Par jugement contradictoire rendu le 25 mai 2020, le tribunal judiciaire de Pontoise a :

- constaté que M. [M] a commis une faute engageant sa responsabilité professionnelle,

- condamné M. [M] à verser à Mme [A] les sommes de :

* 60 000 euros au titre de la perte de chance,

* 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [M] aux dépens, dont distraction selon l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire à concurrence des deux tiers de l'indemnité allouée et en totalité en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens.

M. [M] a interjeté appel de ce jugement le 8 juillet 2020 à l'encontre de Mme [A].

Par ses dernières conclusions notifiées le 22 avril 2021, M. [M] demande à la cour, au fondement de l'article 1113 du code de procédure civile et de l'article 829 du code civil, de :

- le déclarer tant recevable que bien fondé en son appel, et y faisant droit,

-infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Mme [A] de sa demande de dommages et intérêts relative au montant des parts sociales de la société KB Diffusion,

Puis statuant à nouveau, de :

- juger qu'il n'a pas manqué à son obligation de conseil à l'égard de sa cliente, Mme [A], et qu'il n'a pas engagé sa responsabilité professionnelle à son égard,

- débouter Mme [A] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire,

- le condamner au paiement de la somme maximale de 15 500 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de percevoir une indemnité d'occupation par Mme [A],

- débouter Mme [A] de ses autres demandes,

En tout état de cause,

- condamner Mme [A] à lui payer la somme de 7 500 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [A] aux entiers dépens, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions notifiées le 25 mars 2021, Mme [A] demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Pontoise,

- débouter M. [M] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [M] à lui payer la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [M] aux entiers dépens suivant les dispositions de l'article 699 code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 6 juin 2021.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de l'appel,

Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d'appel se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges si ce n'est que Mme [A] ne sollicite plus la réparation du préjudice résultant de la perte du montant des parts sociales de la société KB Diffusion qu'elle alléguait en première instance, demande qui a été rejetée par le tribunal ce qui n'est pas querellé par les parties.

Le jugement en ce qu'il rejette la demande de Mme [A] au titre d'un préjudice lié à la perte du montant des parts sociales de la société KB Diffusion est dès lors devenu irrévocable.

Sur la faute de M. [M]

Le tribunal a retenu qu'en n'assignant pas en divorce, dans le délai de trente mois suivant l'ordonnance de non-conciliation, en ne faisant pas signifier l'ordonnance de non-conciliation rendue le 28 février 2012 à M. [B], M. [M], en sa qualité de conseil de Mme [A], avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

' Moyens des parties

M. [M] poursuit l'infirmation du jugement en ce qu'il retient l'existence d'une faute à son encontre de nature à engager sa responsabilité alors qu'il n'a pas manqué de vigilance, mais que les circonstances particulières de l'espèce, indépendantes de sa volonté, justifient cette situation.

En premier lieu, il invoque l'inertie du notaire et fait ainsi valoir que :

* M. [V], notaire, a mis plus de 32 mois après l'ordonnance de non-conciliation pour rédiger l'état liquidatif, inaction du notaire contre laquelle il ne disposait d'aucune action ; ce délai s'explique en particulier par l'absence de versement de la provision par M. [B] et a fait perdre plusieurs mois aux parties et au notaire désigné pour parvenir à établir le projet d'état liquidatif,

* M. [V], notaire, s'est montré d'une grande inertie malgré ses relances dont il justifie l'existence par ses productions (pièces 13, 14, 15) ; en raison du désaccord entre les époux au sujet de la valeur vénale des parts de la société KB Diffusion, le notaire a dû procéder à la rédaction d'un additif afin d'expliquer sa méthode de calcul et le prix retenu, additif transmis au juge aux affaires familiales le 2 avril 2015, soit 38 mois après l'ordonnance de non-conciliation (pièce 25) ; la persistance de ce désaccord entre les époux a conduit le conseil de M. [B] à solliciter un complément d'expertise par lettre du 26 mai 2015, demande restée sans réponse.

M. [M] rappelle que la caducité de l'ordonnance de non-conciliation n'affectait en rien la validité du projet d'état liquidatif, mais qu'assigner en divorce sur le fondement de celle-ci sans ce projet alors qu'il s'agissait de l'élément fondamental pour que le divorce de Mme [A] et M. [B] puisse être envisagé, était dépourvu de sens.

En deuxième lieu, l'appelant fait valoir que Mme [A] a retardé de près de quatre mois le dépôt de la nouvelle requête en ne retournant pas les exemplaires signés du projet qu'il lui avait adressé en octobre 2015 (pièce 6). Selon lui, le délai que Mme [A] a pris démontre qu'elle entendait prolonger autant que possible la procédure de divorce de sorte qu'elle ne peut, sans mauvaise foi, reprocher à son avocat un défaut de diligences de nature à justifier le préjudice allégué.

En troisième lieu, M. [M] souligne que Mme [A] a toujours été informée de la situation et des conséquences du retard pris par le notaire sur les suites du divorce ce qui est justifié par ses productions (pièces 1 et 4 et pièces adverses 3 et 4). Il en conclut qu'elle ne peut pas sérieusement affirmer qu'elle comptait voir son divorce s'achever dans l'année 2012, voire 2013 alors qu'elle avait parfaitement conscience des désaccords persistants des époux s'agissant de la liquidation et du partage des biens détenus avec son époux, désaccords qui ressortent de nombreux dires et échanges dans le cadre de la procédure de liquidation, ce qu'elle ne conteste pas dans ses dernières conclusions.

Enfin, M. [M] conteste les affirmations de son adversaire selon lesquelles la procédure serait repartie de zéro, alors que le projet d'état liquidatif rendu par M. [V], notaire, n'était pas frappé de caducité et qu'il avait sollicité qu'il soit entériné par le juge aux affaires familiales (pièce 23).

Il en conclut que c'est à tort que le premier juge a retenu l'existence d'une faute de sa part pour ne pas avoir assigné dans les 30 mois suivant l'ordonnance de non-conciliation puisqu'il résulte des éléments susmentionnés qu'il a été diligent, mais que cette situation est le résultat d'éléments indépendants de sa volonté et d'un défaut de diligence du notaire qui privait l'introduction d'une assignation en divorce de tout intérêt.

Mme [A] poursuit la confirmation du jugement de ce chef, s'approprie les motifs du jugement sur ce point et rétorque que les moyens développés par M. [M] sont inopérants au regard des manquements retenus contre lui, à savoir, en particulier, la caducité de l'ordonnance de non-conciliation.

' Appréciation de la cour

C'est par d'exacts motifs, adoptés par la cour, que le premier juge a retenu l'existence de fautes à l'encontre de M. [M] pour ne pas avoir fait assigner M. [B] dans le délai de trente mois à compter de l'ordonnance de non-conciliation et pour ne pas avoir signifier cette ordonnance de non-conciliation à M. [B].

Les moyens soulevés par M. [M] sont inopérants en ce qu'ils ne sont pas de nature à justifier le non-respect par cet avocat des délais qui lui étaient impartis. Il convient de rappeler en effet que le respect des délais de procédure constitue pour l'avocat une obligation de résultat et que tout manquement de sa part est de nature à engager sa responsabilité professionnelle.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les préjudices et le lien de causalité

Le tribunal a condamné M. [M] en réparation des préjudices subis par Mme [A] à lui verser la somme de 60 000 euros.

Il a d'abord souligné que seule la perte de chance de percevoir les sommes auxquelles elle aurait pu prétendre si la procédure de divorce initiale avait pu être menée à son terme peut donner lieu à réparation, à condition que la demanderesse, Mme [A], démontre le lien de causalité entre les préjudices allégués et la faute retenue.

C'est ainsi que relevant que le rapport d'expertise du 30 octobre 2014 et son additif du 2 avril 2015, déposé par M. [V], notaire, démontraient l'importance des acquêts de la communauté au moment de la procédure de divorce initiale, l'actif net de communauté ayant été évalué à 541 004,52 euros et que la situation avait évolué négativement par la suite, elle n'a pas pu obtenir les sommes auxquelles elle aurait pu prétendre. Selon lui, cette situation s'analysait en une perte de chance pour Mme [A] de percevoir des sommes en raison de la faute de son conseil.

Il a ensuite rappelé que les préjudices consommés par la faute ainsi retenue s'analysaient en des préjudices directs devant être intégralement indemnisés.

Il a ainsi retenu que Mme [A] justifiait l'existence d'un préjudice lié à la perte de l'indemnité d'occupation de l'ancien logement familial occupé par M. [B] puisque l'ordonnance de non-conciliation du 28 février 2012 l'attribuait à ce dernier et mettait à sa charge le paiement d'une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 1 000 euros, ce qui n'était plus le cas dans l'ordonnance de non-conciliation du 24 juillet 2017, le bien ayant été vendu en décembre 2017. Il a souligné que cette ordonnance de non-conciliation de 2012 n'ayant pas été signifiée dans les délais, Mme [A] n'avait pu toucher aucune somme à ce titre et avait donc perdu le bénéfice de cette condamnation pour la période allant du 28 février 2012 au mois de décembre 2017, date de la vente de ce bien. Selon le tribunal, ce préjudice était consommé et ne pouvait pas être qualifié de perte de chance.

Il a également considéré que le préjudice moral allégué par Mme [A] était justifié par la durée anormalement longue de cette procédure de divorce, soit sept années, et qu'il avait été directement causé par la faute de M. [M].

' Moyens des parties

M. [M] poursuit l'infirmation du jugement de ce chef et soutient que les préjudices matériels allégués par Mme [A] ne peuvent être indemnisés qu'au titre de la perte de chance. Il rappelle que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance, si elle s'était réalisée (1re Civ., 9 avril 2002, pourvoi n° 00-13.314, Bulletin civil 2002, I, n° 116 ; 1re Civ., 13 février 1996, pourvoi n° 94-10.522).

S'agissant du préjudice retenu par le tribunal au titre de la perte de l'indemnité d'occupation, M. [M] souligne que l'absence de signification de l'ordonnance de non-conciliation n'implique pas que la somme aurait été versée, M. [B] pouvant rechigner, différer le paiement de ces sommes. Il observe en outre que Mme [A] ne démontre pas que son ex conjoint ne lui a pas versé de sommes au titre de l'indemnité d'occupation.

Il ajoute que l'ordonnance de non-conciliation rendue le 24 juillet 2017 a relevé que le logement familial n'existait plus et que Mme [A] ne sollicitait pas d'indemnité d'occupation (pièce adverse 7, page 7 et pièce adverse 51). Selon M. [M], le fait que Mme [A] n'ait pas sollicité cette indemnité au mois de février 2017 démontre qu'une telle demande n'était pas fondée à ce moment-là et qu'elle ne saurait faire l'objet d'une quelconque indemnisation au titre de la perte de chance. Il en conclut que, sur la somme de 42 000 euros pouvant être demandée par Mme [A] au titre de la période postérieure aux 30 mois suivants la première ordonnance de non-conciliation, il convient de déduire au moins la somme de 11 000 euros (1 000 euros par mois pendant 11 mois entre février et décembre 2017 inclus) puisque aucune perte de chance ne peut être alléguée à ce titre. Il soutient donc que Mme [A] n'aurait pu prétendre, dans l'hypothèse d'une réparation intégrale de son préjudice, qu'à la somme de 31 000 euros.

M. [M] fait en outre valoir que c'est à tort que le tribunal a considéré qu'au titre de la perte de l'indemnité d'occupation, Mme [A] avait subi un préjudice direct et non une perte de chance laquelle devait nécessairement être réduite. Il ajoute qu'il s'agit d'examiner la probabilité que Mme [A] aurait pu percevoir 1 000 euros par mois jusqu'à la vente du logement si l'ordonnance de non-conciliation n'avait pas été frappée de caducité et que l'avocat avait assigné en divorce dans les 30 mois. Or, selon lui, le versement d'une telle indemnité n'ayant pas été sollicité au mois de février 2017, soit 11 mois avant la vente, cela tend à démontrer que le juge du divorce aurait eu de fortes probabilités de réduire ou de supprimer l'indemnité d'occupation au regard de la valeur du bien, de la situation financière du mari et/ou d'éventuels accords intervenus entre les parties.

Il s'ensuit, selon lui, que, eu égard à l'aléa important en matière de détermination de la valeur locative du logement, le jugement ne pourra qu'être infirmé en ce qu'il le condamne à verser à Mme [A] une somme représentant la réparation intégrale du préjudice et statuant à nouveau il invite la cour à retenir que le préjudice dont la réparation est réclamée au titre de la perte de chance de percevoir une indemnité d'occupation, à la supposer avérée, ne saurait excéder la somme de 50% de 31 000 euros soit une indemnité maximale de 15 500 euros.

M. [M] critique encore le jugement en ce qu'il retient l'existence d'un préjudice moral. Il fait en particulier valoir que la réalité d'une procédure anormalement longue n'est pas justifiée par les productions et que Mme [A] ne démontre pas plus, par ses nouvelles pièces (pièces 5, 6 et 20) de pure complaisance, son impossibilité de travailler pendant 4 mois en raison des fautes de son conseil. Il soutient que le divorce a été prononcé en novembre 2020, ce qui n'apparaît pas particulièrement long, et que, sous couvert d'un préjudice moral, Mme [A] tente d'être indemnisée de la souffrance ressentie dans le cadre de sa procédure de divorce laquelle est inhérente à tout litige judiciaire et ne saurait être assumée par son conseil.

En définitive, M. [M] sollicite le rejet de la demande de réparation du préjudice moral.

Mme [A] poursuit la confirmation du jugement de ce chef.

S'agissant de la perte de l'indemnité d'occupation, elle maintient que cette ordonnance n'ayant pas été signifiée, elle n'est pas devenue exécutoire de sorte qu'elle n'a pas conservé le bénéfice des dispositions de l'ordonnance de non-conciliation pour une période de 30 mois à compter du 28 février 2012. Elle prétend en outre que son ex époux ne lui a rien versé à ce titre. Elle ajoute que l'indemnité d'occupation allouée par le juge aux affaires familiales était en deçà de ses prétentions et que le fait qu'elle n'ait rien réclamé à ce titre dans l'instance de divorce ayant abouti à son prononcé le 3 novembre 2020 n'est pas de nature à démontrer qu'elle y a renoncé, mais seulement que le logement commun ayant été vendu en décembre 2017, aucune indemnité d'occupation n'aurait pu être mise à la charge de M. [B] dans le cadre de la procédure de divorce.

En définitive, selon elle, l'ordonnance de non-conciliation du 28 février 2012 n'ayant pas été signifiée et M. [B] étant resté dans les lieux jusqu'à la vente, en décembre 2017, elle dit avoir perdu six ans d'indemnité mensuelle s'élevant à 1 000 euros de sorte qu'elle pouvait prétendre au paiement de la somme de 72 000 euros. Elle ajoute que si l'ordonnance de non-conciliation rendue le 24 juillet 2017 ne fait plus état du logement et de cette indemnité c'est parce que le logement a été vendu en décembre 2017 pour un montant de 450 000 euros sur lequel elle a perçu 200 000 euros.

S'agissant du préjudice moral, Mme [A] rappelle que la procédure de divorce a duré huit années, de 2012 à 2020. Elle indique avoir sollicité l'allocation de la somme de 5 000 euros à ce titre en première instance. Elle verse différentes attestations aux débats (pièces 43, 44, 45, 46, 53, 54) émanant de sa famille et de ses amis qui rapportent son état de désarroi lorsqu'elle a compris que M. [M], son conseil, en qui elle avait entière confiance, avait commis différentes fautes préjudiciables pour elle, qu'elle s'est sentie trahie et humiliée par le manque de diligences et de professionnalisme de son conseil.

En réparation, elle sollicite la somme de 15 000 euros de nature à réparer son préjudice moral directement imputable à la faute de M. [M].

' Appréciation de la cour

* La perte de chance au titre du versement de l'indemnité d'occupation

Il est établi et nullement contesté que l'ordonnance de non-conciliation rendue le 28 février 2012 est devenue caduque 30 mois après son prononcé, qu'elle fixait l'indemnité due par M. [B] au versement mensuel de la somme de 1 000 euros et qu'elle n'a pas été signifiée à M. [B].

Il ne résulte ni des productions ni de la procédure que Mme [A] a reçu de son ex conjoint cette indemnité qu'il aurait versée spontanément.

Mme [A] n'a pas sollicité le versement de cette indemnité dans le cadre de la seconde procédure de divorce qu'elle a introduite le 13 février 2017 devant le juge aux affaires familiales de Pontoise alors que le bien commun occupé par son conjoint n'a été vendu qu'en décembre 2017.

Il s'ensuit que Mme [A] démontre avoir perdu une chance d'obtenir le versement de la somme de 1 000 euros à compter de février 2012 jusqu'en février 2017, soit durant soixante mois : 1 000 euros x 60 mois = 60 000 euros.

Pour autant, cette indemnité était payable par M. [B], et non par M. [M] de sorte qu'il s'agit bien en l'espèce de réparer la perte de chance subie par Mme [A] en raison de la faute de son avocat. En d'autres termes, doit être appréciée la chance de succès de Mme [A] d'obtenir le paiement de cette somme par son débiteur.

Il ne fait aucun doute que le versement de la somme mensuelle de 1 000 euros a été prononcé par le juge aux affaires matrimonial de sorte que l'aléa judiciaire est très faible en l'espèce. En revanche, reste l'aléa du paiement de cette somme par son débiteur. Or, il ressort des productions qu'en avril 2015, l'actif net de la communauté était évalué à 541 004, 52 euros, que M. [B] percevait un salaire moyen de 3 453 euros à l'époque de la première instance en divorce et qu'en 2017, il percevait un salaire moyen de 4 722,45 euros. Il s'ensuit que si la première procédure de divorce était venue à son terme plus rapidement, compte tenu notamment de l'actif de la communauté en 2015 et de l'absence d'aléa judiciaire, Mme [A] aurait eu de grandes chances d'obtenir le paiement de cette indemnité, notamment au moment de la liquidation de la communauté dans l'hypothèse d'une résistance de son époux à exécuter cette décision. Il s'ensuit que les chances de Mme [A] de pouvoir obtenir le versement du montant total de l'indemnité d'occupation au cours de la procédure ou au moment de la liquidation de la communauté seront évaluées à 90%, donc 90% de la somme de 60 000 euros, soit 54 000 euros.

* Le préjudice moral

Il est clairement établi que les fautes de M. [M] ont causé un préjudice moral à Mme [A]. Ainsi, il résulte de nombreuses attestations émanant d'une amie de longue date de l'intimée (pièce 44), de sa mère (pièce 45) et de son compagnon (pièce 46) qu'elle a été ébranlée dans la confiance qu'elle avait placée dans les compétences, l'assistance efficace de son avocat durant la procédure de divorce et qu'elle a réalisé tardivement, à l'occasion de la seconde instance, que ce dernier avait laissé passer les délais empêchant la procédure de divorce d'être menée à son terme. Il est en outre patent que sans les fautes de son avocat, la procédure de divorce n'aurait pas duré huit années.

Il s'ensuit qu'elle démontre que M. [M] est directement responsable du préjudice moral qu'elle a subi et en réparation, il sera condamné à lui verser la somme de 6 000 euros.

En définitive, le jugement en ce qu'il condamne M. [M] à verser à Mme [A] la somme de 60 000 euros sera confirmé (54 000 euros + 6 000 euros).

Sur les demandes accessoires

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

M. [M], partie perdante, supportera les dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Par voie de conséquence, l'équité ne commande pas d'accueillir sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande en revanche d'allouer la somme de 5 000 euros à Mme [A] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, que M. [M] sera condamné à lui verser.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

Dans les limites de l'appel,

CONFIRME le jugement ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [M] aux dépens d'appel ;

DIT qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [M] à verser à Mme [A] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toutes autres demandes.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 20/03073
Date de la décision : 17/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-17;20.03073 ?
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