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20/04/2022 | FRANCE | N°19/03892

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 20 avril 2022, 19/03892


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



15e chambre



ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE





DU 20 AVRIL 2022





N° RG 19/03892



N° Portalis DBV3-V-B7D-TQZA





AFFAIRE :





[N] [S] épouse [J]

...



C/





Association ASS SAUVEGARDE DE L'ENFANCE ET DE L'ADOLESCENCE DU VAL D'OISE





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Septembre 2019 par le

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Pontoise

N° Section : Encadrement

N° RG : F 18/00106



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :





- Me Vincent LECOURT



- Me Stéphane PICARD





le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FR...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 20 AVRIL 2022

N° RG 19/03892

N° Portalis DBV3-V-B7D-TQZA

AFFAIRE :

[N] [S] épouse [J]

...

C/

Association ASS SAUVEGARDE DE L'ENFANCE ET DE L'ADOLESCENCE DU VAL D'OISE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Septembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Pontoise

N° Section : Encadrement

N° RG : F 18/00106

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

- Me Vincent LECOURT

- Me Stéphane PICARD

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT AVRIL DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant fixé au 15 décembre 2021 puis prorogé au 19 janvier 2022 puis prorogé au 16 février 2022 puis prorogé au 30 mars 2022 puis prorogé au 20 avril 2022 les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Madame [N] [S] épouse [J]

née le 15 Juillet 1957 à [Localité 7] (92), de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Comparante, assistée par Me Vincent LECOURT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 218

SYNDICAT CFDT DES SERVICES DE SANTÉ ET DES SERVICE S SOCIAUX DU VAL D'OISE

Au siège de l'Union Départementale CFDT

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Vincent LECOURT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 218

APPELANTS

****************

Association ASS SAUVEGARDE DE L'ENFANCE ET DE L'ADOLESCENCE DU VAL D'OISE

N° SIRET : 784 115 263

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Stéphane PICARD de la SELEURL PICARD AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1367

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 octobre 2021 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Jean-Yves PINOY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,

Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé,

Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,

FAITS ET PROCÉDURE,

Le 22 octobre 2013, Mme [N] [S], chef de service au sein du foyer départemental de l'enfance du conseil général du Val d'Oise, a sollicité son détachement de la fonction publique territoriale au sein de l'association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise (ADSEA95), structure de droit privé.

Le 1er décembre 2013, par arrêté du Président du conseil général du Val d'Oise, Mme [S] a été détachée pour une durée d'un an auprès de l'association. Un contrat à durée indéterminée a alors été signé le 1er décembre 2013 pour les fonctions de cadre socio-éducatif.

Le détachement a été renouvelé chaque année par le Président du conseil général du Val d'Oise et, en dernier lieu, par arrêté du 06 juin 2017 à compter du 1er décembre 2016 pour une durée d'un an.

Le 20 juin 2017, Mme [S] a été élue membre du CHSCT.

Le 04 août 2017, l'association a rappelé à la Maison Départementale de l'Enfance que le détachement de la salariée prenait fin le 30 novembre 2017.

Par lettre remise en main propre le 07 août 2017, Mme [S] a été informée de la teneur du courrier du 04 août 2017.

Mme [S] a repris ses fonctions de chef de service au sein de la Maison Départementale de l'enfance à compter du 01 décembre 2017.

Soutenant que l'association a pris l'initiative du non-renouvellement de son détachement et aurait dû en conséquence solliciter l'autorisation administrative pour rompre le contrat, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Cergy Pontoise le 06 mars 2018 afin d'obtenir le versement de diverses sommes au titre notamment de la violation de son statut protection et de la discrimination syndicale subie.

Par jugement du 26 septembre 2019, auquel la cour renvoie pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise a :

- débouté Mme [S] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté le syndicat CFDT des services de santé et des services sociaux duVal d'Oise de l'ensemble de ses demandes,

- débouté l'association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise de ses demandes,

- mis les éventuels dépens à la charge de Mme [S].

Mme [S] et le syndicat CFDT ont interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 24 octobre 2019.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 24 janvier 2020, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, Mme [S] et le syndicat CFDT des services de santé et des services sociaux du Val d'Oise, appelants, demandent à la cour de :

- infirmer le jugement ;

- recevoir l'intervention volontaire à titre principal du syndicat ;

- constater la violation du statut protecteur attaché au mandat d'élue ;

- dire et juger que le refus de renouvellement du détachement de Mme [S] constitue une discrimination illicite,

- dire et juger que la cessation du détachement est nulle ;

- condamner l'association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise à verser à Mme [S] les sommes de :

- dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation du statut protecteur : 90 787,26 euros ;

- dommages-intérêts pour discrimination syndicale : 15 000 euros ;

- dommages-intérêts au titre de la réparation du préjudice subi du fait de la cessation du détachement nul : 20 000 euros ;

- condamner l'association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise à verser au Syndicat CFDT des services de santé et des services sociaux du Val d'Oise la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice subi ;

- condamner l'association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise à verser à Mme [S] la somme de 4 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner l'association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise à verser à verser au Syndicat CFDT des services de santé et des services sociaux du Val d'Oise la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner l'association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 24 avril 2020, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, l'association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise, intimée, demande à la cour de :

A titre principal :

- confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise, section encadrement, numéro de RG F 18/00106 en toutes ses dispositions ;

A titre subsidiaire :

- prononcer la caducité du contrat de travail ;

- juger que les règles de protection en faveur des salariés protégés ne sont dès lors pas applicable ;

En conséquence :

- confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise, section encadrement, numéro de RG F 18/00106 en toutes ses dispositions ;

Très subsidiairement :

- prononcer la consignation des condamnations versées à Mme [S] ainsi qu'au Syndicat CFDT sur un compte séquestre « CARPA » ;

- à défaut, prononcer un calendrier de versement des condamnations sur une période de 24 mois à compter de la notification du jugement aux parties ;

En tout état de cause :

- condamner Mme [S] au versement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner le SYNDICAT CFDT au versement de la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [S] et le Syndicat CFDT aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 septembre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail et le statut protecteur de la salariée

Mme [S] conteste la rupture de son contrat de travail et la violation d'un statut protecteur lui étant attaché en sa qualité de membre élue du CHSCT, lié au défaut de saisine préalable de l'inspection du travail pour procéder à la fin de son détachement.

Elle demande à voir condamner son employeur à lui régler la somme de 90 787,26 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son statut protecteur.

L'association soutient que le détachement de Mme [S] est parvenu à son terme de sorte que le contrat a été naturellement rompu sans nécessité de saisir préalablement l'inspection du travail d'une demande d'autorisation quelconque en raison de son statut protecteur.

Elle expose ne pas avoir à demander d'autorisation à l'inspecteur du travail dès lors qu'aucune poursuite du détachement n'a été demandée par la salariée.

Aux termes des dispositions des articles L.2411-1 et L.2411-13 du Code du travail dans leur rédaction applicable au moment des faits, les représentants du personnel au Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail bénéficient de la procédure d'autorisation de licenciement par l'autorité administrative.

Mme [S] justifie de ce qu'elle a été élue par les représentants du personnel en qualité de membre du CHSCT le 20 juin 2017 et était ainsi salariée protégée

Selon l'article 67 de la loi du 26 janvier 2004, à l'expiration d'un détachement le fonctionnaire est obligatoirement réintégré dans son corps d'origine et réaffecté dans l'emploi qu'il occupait antérieurement et il en résulte que l'employeur privé n'est pas tenu à l'expiration du détachement à son terme normal de solliciter une autorisation administrative de mettre fin au contrat dans l'hypothèse d'un salarié protégé, sauf lorsqu'il s'est opposé au renouvellement du détachement demandé par le fonctionnaire, ou que ce non renouvellement est dû à son fait.

Ainsi, si l'arrivée du terme du détachement ne rend pas en principe nécessaire d'obtenir l'accord de l'inspecteur du travail, c'est toutefois à la condition que l'employeur privé ne soit pas à l'origine de la fin du détachement du salarié protégé et qu'il ne porte pas la responsabilité de l'absence de son renouvellement.

Il y a donc lieu de rechercher au préalable si l'Association est à l'origine de la fin du détachement de Mme [S] et si elle porte la responsabilité de l'absence de son renouvellement.

En l'espèce, il est rappelé en liminaire, qu'aucune demande d'autorisation de mettre fin au contrat de la salariée membre du CHSCT, n'a été sollicitée auprès de l'Inspection du Travail.

De même, les représentants du personnel au sein de l'Association la Sauvegarde n'ont jamais été consultés.

Il est établi par les pièces produites que l'Association la Sauvegarde a signifié à Mme [S] qu'elle devrait réintégrer son corps d'origine à l'issue du terme de son détachement.

Cette décision a été prise par l'employeur pendant les congés de la salariée, et lui a été annoncée à son retour de congés.

L'employeur a pris l'initiative d'écrire directement à la directrice de la Maison de l'Enfance un courrier le 04 août 2017 visant à demander la réintégration de Mme [S] dans son corps d'origine à l'expiration de la période de son détachement.

Aux termes d'un courrier adressé à la salariée il lui a en outre été précisé :" À l'expiration prochaine de votre arrêté de détachement en cours, vous réintégrerez votre corps d'origine, soit à compter du 30 novembre 2017. "

Le mécanisme du détachement est fondé sur une relation tripartite qui nécessite l'accord de chacune des parties : l'administration d'origine, l'organisme d'accueil et le fonctionnaire.

Ni le fonctionnaire, ni l'administration ne peuvent cependant passer outre le refus de l'organisme d'accueil au sein duquel le fonctionnaire est détaché s'il prend l'initiative du non renouvellement du contrat.

Il est établi que lors de son retour de congés, la salariée a été convoquée par son employeur qui lui a annoncé la fin du détachement et son refus de le renouveler au-delà de la période courante.

Mme [W], une de ses collègues de travail, témoigne à la fois des conditions dans lesquelles elle a appris le départ de sa collègue, des conditions dans lesquelles son remplacement a été opéré immédiatement et du fait qu'en aucun cas Mme [S] n'avait jamais envisagé de réintégrer le poste occupé au sein de la Maison de l'Enfance, son administration d'origine.

M. [C], psychologue du service, témoigne notamment de l'état de Mme [S], au début du mois de septembre 2017 et fait état de sa conversation avec elle : " Début septembre 2017, à mon retour de congés, [N] [S] chef de service du SAF m'apprend que le détachement de son administration d'origine validé chaque année depuis son embauche à la Sauvegarde du Val d'Oie n'est, cette fois-ci, pas renouvelé. Émue et pleine d'amertume car elle ne souhaitait pas du tout quitter le poste de travail qu'elle occupait avec beaucoup d'investissement depuis quatre ans. [N] [S] rajoute que cette décision s'applique aussi à [M] [W], collègue dans la même situation administrative qu'elle. Chaque membre de l'équipe (') est très déçu et même choqué de cette décision prise par notre hiérarchie. "

M. [R], délégué syndical, témoigne également de ce qu'il a interrogé la direction lors de la réunion plénière du CHSCT, laquelle a clairement assumé son choix de ne pas renouveler les détachements, expliquant l'absence de concertation par le fait que les salariées pouvaient se douter d'une telle éventualité en raison de la survenance du terme et précisant n'avoir aucune obligation à ce titre.

L'association la Sauvegarde ne verse aux débats aucun témoignage ou document établissant la preuve du contraire, ni la teneur de ses échanges avec l'administration à ce propos.

Enfin, le procès verbal de la réunion des délégués du personnel du 19 septembre 2017 établit les réponses portées par l'association. Il est signé de la directrice du service. À la question de savoir si l'accord des deux salariées (Mmes [S] et [W]) dont le détachement n'a pas été renouvelé a-t-il été recueilli avant la décision, la réponse a été : " non "

À la question de connaître les raisons de la décision ainsi prise, la Sauvegarde a répondu : " Cette décision relève de la responsabilité de l'employeur. La recherche d'un accord n'a pas lieu d'être dans ce type de situation. Un détachement est une situation provisoire qui peut être rompue par le salarié, par l'administration de référence ou son employeur. Les salariés dans cette situation de détachement connaissent cette disposition et font le choix de ce double statut qui leur offre la possibilité de réintégrer leur administration ou d'en démissionner pour avoir un statut unique de fonctionnaire ou de salarié de l'association. "

À la question de connaître les motifs de ces fins de détachement, l'Association a répondu : "Mme [T] (Directrice générale) a répondu à cette question lors de la réunion institutionnelle du 15/09/2017. Il s'agit d'une possibilité de l'employeur. L'association s'en est saisie pour produire une dynamique nouvelle au sein du service. "

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que c'est bien l'employeur qui s'est opposé au renouvellement du détachement de la salariée protégée, qui aurait ainsi du nécessiter l'accord préalable de l'inspecteur du travail, Mme [S] étant membre du CHSCT et salariée protégée.

Il s'avère ainsi que l'autorisation préalable administrative de mettre fin à la mise à disposition de la salariée était requise, alors qu'il est établi que l'employeur a décidé le non renouvellement du détachement sans en avertir l'inspection du travail.

Dès lors, en l'absence d'une autorisation de l'inspecteur du travail, il y a lieu de constater la violation du statut protecteur de Mme [S] qui ouvre droit à réparation mais ne rend pas nulle pour autant la fin de son détachement.

En cas de violation du statut protecteur de la salariée, l'indemnité forfaitaire versée ne peut être inférieure au montant des salaires qu'elle aurait perçu jusqu'au terme de la période de protection en cours.

En l'espèce, le mandat de membre du CHSCT de Mme [S] devait en principe expirer le 8 avril 2019, la fin de la période de protection expirant le 8 octobre 2019, compte tenu de la protection dont bénéficie un ancien membre du CHSCT, une fois parvenu au terme de son mandat.

Le montant du salaire de Mme [S] s'établit à la somme de 4 078,85 euros mensuelle.

Le montant de l'indemnité doit prendre en compte les salaires pour la période comprise entre le 30 novembre 2017, date de la fin du détachement et le 8 octobre 2019 date de l'expiration de la période de protection.

La cour fait droit à la demande de Mme [S] et condamne l'association la Sauvegarde à lui payer la somme de 90 787,26 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de son statut. Le jugement est infirmé.

Sur la discrimination syndicale

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail :

'Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de (...) de sa situation de famille, (...) de ses activités syndicales (...)'.

Par ailleurs, l'article L2141-5 du code du travail dispose :

'Il est interdit à tout employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en ce qui concerne notamment l'embauchage, la conduite et répartition du travail, la formation professionnelle, l'avancement, la rémunération et l'octroi d'avantages sociaux, les mesures de discipline et de congédiement.

Il est interdit à tout employeur de prélever les cotisations syndicales sur les salaires de son personnel et de les payer au lieu et place de celui-ci.

Le chef d'entreprise ou ses représentants ne doivent employer aucun moyen de pression en faveur ou à l'encontre d'une organisation syndicale quelconque.

Toute mesure prise par l'employeur contrairement aux dispositions des alinéas précédents est considérée comme abusive et donne lieu à dommages et intérêts.

Ces dispositions sont d'ordre public'..

Enfin, aux termes de l'article L. 1134-1 du même code :

'Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'

Mme [S] considère que son éviction des effectifs de l'Association la Sauvegarde est directement en lien avec son mandat de membre élu au CHSCT et d'adhérente de la CFDT.

Conformément aux dispositions de l'article L1134-1 du Code du Travail, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence de la discrimination.

Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il est établi par les pièces produites que la discrimination alléguée à l'encontre de la salariée protégée a été vécue par une autre salariée Mme [W], également membre du CHSCT et appartenant à la CFDT.

Mme [S] n'est pas la seule à avoir fait l'objet d'un refus de renouvellement de son détachement.

Mme [W], sa collègue, s'est également vue annoncer la fin de son détachement et ce, concomitamment.

Elle venait d'être élue le 20 juin 2017 au CHSCT, après avoir été présentée sur une liste de la CFDT.

Les conditions de l'annonce de son éviction des effectifs sont rigoureusement identiques à celle vécue par Mme [W].

Mme [S] a également été informée d'un refus de renouvellement de son détachement, après que l'employeur ait pris sa décision.

Ces mesures visant deux salariées détachées n'ont concerné que ces seules deux salariées toutes deux affectées au sein du SAF.

Toutes deux venaient de prendre des responsabilités au sein d'une institution représentative du personnel et avaient fait connaître leur engagement syndical auprès de la CFDT.

Ces éléments de fait permettent de faire présumer la discrimination.

Il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

L'Association la Sauvegarde invoque en premier lieu la caducité du contrat de travail du fait de l'absence d'arrêté de détachement pour prétendre que la salariée ne peut bénéficier du statut protecteur.

Or, le contrat a trouvé son terme précisément parce que l'employeur s'est opposé à la poursuite du détachement, rendant par son attitude impossible que l'autorité administrative puisse poursuivre le détachement au-delà de son terme.

L'Association la Sauvegarde considère ensuite que les éléments portés à sa connaissance ne permettent pas d'établir un lien entre la fin de la mise à disposition des salariées et les mandats détenus par ces dernières pour prétendre qu'il n'y aurait pas de discrimination.

Elle soutient n'être pas à l'initiative de la fin de la relation contractuelle et que la salariée a été traitée comme les autres salariées en détachement.

Il a été précédemment retenu que la décision de non renouvellement du détachement a été prise par l'employeur sans même en avoir discuté préalablement avec la salariée, et ce, pour un motif lié à un changement souhaité par la direction de l'Association.

Il lui a été indiqué qu'il s'agissait pour la Sauvegarde de « renouveler l'équipe » pour « produire du changement ».

Ces propos ont été repris devant les délégués du personnel avec un vocabulaire sensiblement différent. Il s'agit de « produire une dynamique nouvelle au sein du service ».

Or, il ne s'agit en aucune manière d'un critère objectif de nature à permettre d'écarter la discrimination.

Il n'est pas établi en quoi les deux salariées concernées auraient pu être un frein à la production d'une dynamique nouvelle, ni même de quelle dynamique il serait question.

L'employeur n'établit ainsi pas que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La cour retient dès lors l'existence d'éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination et l'absence d'élément objectif justifiant le choix opéré par l'employeur.

Elle évalue le préjudice subi par Mme [S] en raison de sa discrimination syndicale à la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts que l'employeur sera condamné à lui verser. Le jugement est infirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait d'une cessation du détachement

L'article 67 de la loi no 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale dispose : "A l'expiration d'un détachement de courte durée, le fonctionnaire est obligatoirement réintégré dans son corps ou cadre d'emplois et réaffecté dans l'emploi qu 'il occupait antérieurement. A l'expiration d'un détachement de longue durée, le fonctionnaire est, sauf intégration dans le cadre d'emplois ou corps de détachement, réintégré dans son corps ou cadre d'emplois et réaffecté à la première vacance ou création d'emploi dans un emploi correspondant à son grade relevant de sa collectivité ou de son établissement d'origine. Il est tenu compte, lors de sa réintégration, du grade et de l'échelon qu'il a atteint dans le corps ou cadre d'emplois de détachement sous réserve qu'ils lui soient plus favorables. Toutefois, cette disposition n'est pas applicable au fonctionnaire dont le détachement dans un corps ou cadre d'emplois pour l'accomplissement d'un stage ou d'une période de scolarité n'est pas suivi dune titularisation. Lorsque le fonctionnaire détaché refuse l'emploi proposé, il ne peut être nommé à l'emploi auquel il peut prétendre ou à un emploi équivalent que lorsqu'une vacance est ouverte ou un poste créé. Il est, en attendant, placé en position de disponibilité d'office. Lorsqu'aucun emploi n'est vacant, le fonctionnaire est maintenu en surnombre pendant un an dans sa collectivité d'origine dans les conditions prévues à l'article 97. Si, au terme de ce délai, il ne peut être réintégré et reclassé dans un emploi correspondant à son grade, le fonctionnaire est pris en charge dans les conditions prévues à l'article 97 soit par le Centre national de la fonction publique territoriale pour les fonctionnaires relevant de l'un des cadres d'emplois de catégorie A auxquels renvoie l'article 45, soit par le centre de gestion dans le ressort duquel se trouve la collectivité ou l'établissement qui les employait antérieurement à leur détachement pour les autres fonctionnaires.

Le fonctionnaire a priorité pour être affecté dans un emploi correspondant à son grade de la collectivité ou de l'établissement d'origine. Le fonctionnaire détaché qui est remis à la disposition de sa collectivité ou de son établissement d'origine avant l'expiration normale de la période de détachement pour une cause autre qu'une faute commise dans l'exercice de ses fonctions et qui ne peut être réintégré dans son corps ou cadre d'emplois d'origine faute d'emploi vacant continue d'être rémunéré par l'organisme de détachement au plus tard jusqu'à la date à laquelle le détachement devait prendre fin. Lorsque l'intéressé était détaché auprès d'une personne physique ou auprès d'une administration d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, il est obligatoirement réintégré dans son corps ou cadre d'emplois et réaffecté dans l'emploi qu'il occupait antérieurement. Lorsque cet emploi n'est pas vacant, le fonctionnaire est réintégré dans les conditions fixées par le troisième alinéa du présent article. Le fonctionnaire a priorité pour être affecté dans son emploi d'origine".

Mme [S], à l'issue de son détachement, a réintégré son corps d'origine. Elle ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui déjà indemnisé par l'octroi de dommages et intérêts pour violation de son statut protecteur.

Elle sera déboutée de sa demande dommages et intérêts à ce titre et le jugement confirmé.

Sur la demande de dommages et intérêts violation de l'obligation de consultation du Comité d'entreprise

Aux termes des dispositions de l'article L.2323-1 du Code du travail, dans sa rédaction alors applicable :

" Le comité d'entreprise a pour objet d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production.

Il est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle, lorsque ces questions ne font pas l'objet des consultations prévues à l'article L. 2323-6. "

S'il est admis qu'un employeur n'a pas nécessairement à consulter le comité d'entreprise en ce qui concerne une mesure prise à l'encontre d'un individu, il n'en est pas de même lorsque cette mesure est la conséquence d'une décision relative à la gestion de celle-ci, lorsque la consultation préalable du comité d'entreprise est obligatoire.

En l'espèce, la décision de mettre un terme au détachement de plusieurs salariés avec la conséquence d'une volonté de " produire une dynamique nouvelle ", nécessitait une consultation préalable du comité d'entreprise.

Or, le comité d'entreprise n'a pas été saisi par la direction de la Sauvegarde préalablement à sa décision de mettre un terme au renouvellement des détachements en vue de produire une dynamique nouvelle, pas davantage qu'il n'a défini cette dynamique nouvelle.

Cependant, Mme [S] ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui déjà indemnisé par l'octroi de dommages et intérêts pour violation de son statut protecteur et sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

Sur la demande de dommages et intérêts pour le caractère brutal de la décision de non renouvellement du détachement

L'employeur est tenu d'exécuter de bonne foi le contrat de travail. À cet égard, il doit s'abstenir de toute mesure brutale ou vexatoire et prévenir notamment les risques pour la santé psychologique du salarié.

Mme [S] soutient que la rupture soudaine du contrat de travail par la décision de ne pas renouveler son détachement qui l'avait été pendant plus de trois ans est fautive et lui a provoqué un traumatisme.

Toutefois, Mme [S] ne justifie encore pas d'un préjudice distinct de celui déjà indemnisé par l'octroi de dommages et intérêts pour violation de son statut protecteur et sera déboutée de ses demandes de dommages et intérêts à ce titre.

Sur la demande de consignation du montant des condamnations

L'Association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise demande à titre subsidiaire à la cour, de prononcer la consignation des condamnations versées à Mme [S] sur un compte séquestre «CARPA » et à défaut de prononcer un calendrier de versement des condamnations sur une période de 24 mois à compter de la notification de l'arrêt aux parties ;

Le pourvoi n'étant pas suspensif de l'exécution du présent arrêt, la demande de consignation demeure sans objet.

Il n'appartient pas non plus à la cour de prononcer un calendrier de versement du montant des condamnations qu'elle prononce en l'absence de tous justificatifs .

L'Association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise sera dès lors déboutée de ces demandes.

Sur les demandes du syndicat CFDT

Mme [S] avait un mandat d'élue au CHSCT de l' ADSEA 95 et possédait à ce titre un mandat du syndicat CFDT des services de santé et des services sociaux au niveau national, lequel justifie d'un préjudice porté à ses intérêts collectifs. La cour condamne en conséquence l'Association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise à lui payer la somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice porté à ses intérêts collectifs. Le jugement est infirmé.

Sur les dépens et l'indemnité de procédure

L'Association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et déboutée de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il convient de la condamner à payer à Mme [S] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et 500 euros au Syndicat CFDT sur le même fondement

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes Cergy Pontoise en date du 26 septembre 2019 et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

CONDAMNE l'Association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise à payer à Mme [N] [S] les sommes suivantes :

- 90 787,26 euros à titre de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur,

- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,

CONDAMNE l'Association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise à payer au Syndicat CFDT les sommes suivantes:

- 800 euros à titre de dommages et intérêts,

DIT que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

CONFIRME pour le surplus les dispositions non contraires du jugement entrepris ;

Y ajoutant :

DÉBOUTE l'Association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise de sa demande de consignation des condamnations prononcées et de calendrier imparti pour leur versement.

CONDAMNE l'Association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise à payer à Mme [N] [S] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE l'Association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise à payer au Syndicat CFDT la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE l'Association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

CONDAMNE l'Association Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Val d'Oise aux dépens de première instance et d'appel.

- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Carine DJELLAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 19/03892
Date de la décision : 20/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-20;19.03892 ?
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