COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 97C
DU 19 AVRIL 2022
N° RG 21/02268
N° Portalis DBV3-V-B7F-UNUJ
AFFAIRE :
[H] [L] [N]
C/
S.A.S. [E] [P] & ASSOCIES
LE PROCUREUR GENERAL
Décision déférée à la cour : Décision rendue le 23 Avril 2014 par le Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 732/245957
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
-l'AARPI ARTEMONT,
-la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES,
-le Procureur Général
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF AVRIL DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dont le délibéré a été prorogé le 05 avril 2022, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :
DEMANDEUR devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation (CIV.1) du 03 février 2021 cassant et annulant partiellement l'arrêt rendu par la cour d'appel de PARIS (Pôle 2 Chambre 1) le 15 juin 2016
Monsieur [H] [L] [N]
né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 2]
assisté de Me François BERTHOD de l'AARPI ARTEMONT, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R120 - N° du dossier 200532
****************
DÉFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
S.A.S. [E] [P] & ASSOCIES
représentée par son président, M. [A] [E], et son directeur général, M. [Z] [P]
N° SIRET : 439 534 835
[Adresse 7]
[Localité 5]
représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2166967,
Me Thierry MAREMBERT de la SCP KIEJMAN & MAREMBERT, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P0200
****************
LE PROCUREUR GENERAL
COUR D'APPEL DE VERSAILLES
[Adresse 4]
[Localité 6]
PARTIE INTERVENANTE
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Janvier 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sixtine DU CREST, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
M. [H] [L] [N] a prêté serment en qualité d'avocat le 29 novembre 1978.
Par contrat du 19 octobre 2004, entré rétroactivement en vigueur le 1er octobre 2004, M. [H] [L] [N] a rejoint la société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) [E], [P] et associés (ci-après la société [E], [P] et associés) dans le cadre d'une vacation.
Cette vacation a été transformée en collaboration libérale, par contrat du 7 février 2006, entré en vigueur rétroactivement le 1er janvier 2006. M. [H] [L] [N] devait alors percevoir une rétrocession d'honoraires annuelle de 300 000 euros hors taxe (HT) à laquelle un complément d'honoraires pouvait s'ajouter.
Par contrat du 10 juillet 2007, entré rétroactivement en vigueur le 1er janvier 2007, M. [H] [L] [N] est devenu associé de catégorie B de la société [E], [P] et associés. Au titre de ce contrat, il devait percevoir une rétrocession d'honoraires annuelle fixée à 300 000 euros HT, " le montant annuel de cette rétrocession d'honoraires pouvant être réexaminé dans le cadre des assemblées générales de la société [E], [P] et associés, conformément aux statuts de cette dernière ".
Enfin, par contrat du 23 juillet 2010, entré rétroactivement en vigueur le 1er janvier 2009, M. [H] [L] [N] est devenu associé de catégorie A de la société [E], [P] et associés. Au titre de ce contrat, " le montant annuel et les modalités de versement de la rémunération de M. [H] [L] [N] devaient être examinés dans le cadre des assemblées générales de la société [E], [P] et associés, conformément aux statuts de cette dernière ".
A compter du 6 février 2013, M. [H] [L] [N] a été arrêté pour cause de maladie. Cet arrêt maladie a été prolongé à plusieurs reprises jusqu'à son départ de la société [E], [P] et associés à la fin de l'année 2013.
Le 29 août 2013, il a informé par courriel la société [E], [P] et associés de son intention de quitter le cabinet.
Par un deuxième courriel du 1er octobre 2013, M. [H] [L] [N] a formellement notifié à la société [E], [P] et associés sa " décision de mettre un terme à [son] activité en [sa] qualité dite d'associé A. Cette décision prendra effet à l'expiration de l'exercice 2013 ".
Un litige est alors né entre les parties, portant sur le montant des rémunérations dues à M. [H] [L] [N] par la société [E], [P] et associés depuis 2008.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 15 novembre 2013, la société [E], [P] et associés a convoqué M. [H] [L] [N] à une assemblée générale fixée au 25 novembre 2013, au cours de laquelle devait être envisagée son exclusion de la société.
Ce dernier ne s'est pas présenté à l'assemblée générale du 25 novembre 2013 et n'a pas été représenté. L'assemblée générale des associés a voté à l'unanimité des associés présents ou représentés l'exclusion de ce dernier, conformément à l'article 11.2 des statuts de la société.
M. [H] [L] [N] a fait valoir que sur cette période, une partie des rétrocessions d'honoraires qui lui étaient dues ne lui ont pas été versées. En outre, il a demandé la réparation du préjudice qu'il aurait subi à raison du " burn out " dont l'origine est, selon lui, directement imputable à la société [E], [P] et associés et " pour avoir été privé de la faculté de reprendre une activité professionnelle normale à compter du mois de septembre 2013 ".
Ces prétentions sont contestées par la société [E], [P] et associés.
Le différend des parties a été soumis à la commission règlement des difficultés d'exercice en groupe (CEG) le 21 novembre 2013, mais aucune conciliation n'a été possible.
M. [H] [L] [N] a alors saisi le bâtonnier d'une demande d'arbitrage par courrier du 20 décembre 2013 reçu par l'ordre des avocats de Paris le 23 décembre 2013.
Par décision du 23 avril 2014, le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris a :
- rejeté l'exception de prescription des demandes de M. [H] [L] [N] au titre de l'exercice 2008,
- constaté que la société [E], [P] et associés ne rapporte pas la preuve que le montant de la rémunération de M. [H] [L] [N] dû au titre de l'exercice 2008 a été modifié par rapport à celui prévu à son contrat de collaboration,
- en conséquence, condamné, avec exécution provisoire, la société [E], [P] et associés à régler à M. [H] [L] [N] la somme de 50 000 euros HT au titre de rétrocession d'honoraires pour l'exercice 2008, augmentée de la TVA au taux en vigueur au jour du paiement,
Sur les autres demandes de rappel d'honoraires :
- constaté que M. [H] [L] [N] a été réglé de l'intégralité des sommes dues conformément aux contrats liant les parties,
- l'a débouté en conséquence de ses demandes à ce titre,
Sur les demandes de préjudice :
- constaté que M. [H] [L] [N] ne rapporte pas la preuve des préjudices allégués,
- l'a débouté en conséquence de ses demandes à ce titre,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires à ce qui vient d'être jugé,
- dit n'y avoir lieu à paiement d'une quelconque indemnité au titre de frais irrépétibles supportés par les parties et laissé, à chacune d'elles, la charge des dépens éventuels.
M. [H] [L] [N] a interjeté appel de cette sentence arbitrale.
Par un arrêt du 15 juin 2016, la cour d'appel de Paris a :
- confirmé la sentence arbitrale du 23 avril 2014 sauf en ce qu'elle a condamné la société [E], [P] et associés à payer à M. [H] [L] [N] la somme de 50 000 euros H.T au titre de la rétrocession d'honoraires pour l'exercice 2008,
Statuant à nouveau de ce chef,
- débouté M. [H] [L] [N] de sa demande en paiement de la somme de 50 000 euros H.T au titre de la rétrocession d'honoraires pour l'exercice 2008,
Y ajoutant,
- débouté M. [H] [L] [N] de sa demande en annulation de la résolution n°1 votée par l'assemblée générale le 25 novembre 2013 et de ses demandes en rétrocession d'honoraires pour l'année 2013 et en dommages-intérêts,
- condamné M. [H] [L] [N] à payer à société [E], [P] et associés la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [H] [L] [N] aux dépens.
M. [H] [L] [N] a alors formé un pourvoi en cassation.
Par un arrêt du 3 février 2021, la Cour de cassation a :
- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la délibération n° 1 votée lors de l'assemblée générale du 25 novembre 2013 et la demande de rétrocession d'honoraires pour l'année 2013, l'arrêt rendu le 15 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remis sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles,
- condamné la société [E], [P] et associés aux dépens,
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par la société [E], [P] et associés et l'a condamnée à payer à M. [L] [N] la somme de 3 000 euros,
- dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.
C'est dans ces circonstances que M. [H] [L] [N] a saisi la cour d'appel de Versailles par déclaration du 6 avril 2021.
Par ses dernières conclusions notifiées le 14 janvier 2022, M. [H] [L] [N] demande à la cour, au fondement des articles 1832, 1833, 1844-10, alinéa 3, 1231-6 et 1343-2 du code civil, de :
-infirmer la décision du bâtonnier du 23 avril 2014 en ce qu'il a jugé " Sur les autres demandes de rappel d'honoraires " (et ainsi sur la demande de rétrocession d'honoraires de l'année 2013) " que M. [H] [L] [N] a été réglé de l'intégralité des sommes dues conformément aux contrats liant les parties " et l'a " débouté en conséquence de ses demandes à ce titre ",
Statuant à nouveau de ce chef en application de l'arrêt de cassation partielle du 3 février 2021,
-annuler les délibérations votées lors de l'assemblée générale du 25 novembre 2013 ainsi que la délibération votée lors de l'assemblée générale du 20 décembre 2013 dans la mesure où cette dernière concerne M. [H] [L] [N],
-condamner la société [E], [P] et associés à payer à M. [H] [L] [N] la somme de 597 968,77 euros HT, somme majorée de la TVA au taux en vigueur au jour du paiement et assortie de l'intérêt au taux légal à compter du 23 décembre 2013, avec capitalisation au sens de l'article 1343-2 du code civil,
-condamner ladite société à payer à M. [H] [L] [N] la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner ladite société aux entiers dépens.
Par ses conclusions notifiées le 12 janvier 2022, la société [E], [P] et associés demande à la cour de :
-confirmer purement et simplement la décision du bâtonnier du 23 avril 2014 en ce qu'elle a débouté M. [H] [L] [N] de l'ensemble de ses demandes concernant sa rémunération au titre de l'exercice 2013,
-débouter M. [H] [L] [N] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
-condamner M. [H] [L] [N] à payer à la société [E], [P] et associés la somme d'un euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-le condamner aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR,
Sur la portée de la cassation et les limites de la saisine de la cour d'appel de Versailles
Les dispositions des articles 624, 625 et 638 du code de procédure civile prévoient respectivement que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce ; qu'elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la décision cassée et que l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation.
En l'espèce, dans son arrêt du 3 février 2021, la Cour de cassation a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la délibération n° 1 votée lors de l'assemblée générale du 25 novembre 2013 et la demande de rétrocession d'honoraires pour l'année 2013, l'arrêt rendu le 15 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.
Au visa des articles 1832, 1833 et 1844-10, alinéa 3, du code civil, elle a adopté les motifs suivants :
" 8. Il résulte du dernier de ces textes que la décision prise abusivement par une assemblée générale d'exclure un associé affecte par elle-même la régularité des délibérations de cette assemblée et en justifie l'annulation.
9. Pour rejeter la demande d'annulation de la résolution d'assemblée générale du 25 novembre 2013 et la demande en paiement de la rétrocession d'honoraires pour l'année 2013, l'arrêt énonce que, si l'exclusion prononcée par l'assemblée générale est abusive, dès lors que cette assemblée avait été convoquée pour prendre acte de la démission de M. [L] [N] et que la mesure prononcée était motivée par la volonté de résister à ses prétentions financières, seuls peuvent être alloués à celui-ci des dommages et intérêts s'il démontre que cette décision lui a causé un préjudice.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ".
La Cour de cassation a sanctionné le raisonnement de la cour d'appel qui, après avoir constaté le caractère abusif du procès-verbal d'assemblée générale du 25 novembre 2013, n'a pas prononcé la nullité de celui-ci, en estimant que seule l'allocation de dommages et intérêts sous réserve de la preuve d'un préjudice pouvait répondre à cette irrégularité.
Il en résulte que la cour d'appel de renvoi est saisie non seulement de la question de savoir si la résolution n°1 votée lors de l'assemblée générale du 25 novembre 2013 (ayant prononcé l'exclusion de M. [L] [N] de la société [E], [P] et associés) est abusive ou pas et doit, en conséquence, être annulée ou pas, mais elle est également saisie de la demande de ce dernier visant à obtenir le versement de sa rémunération variable au titre de l'année 2013 à hauteur de 597 968,77 euros.
A titre liminaire, sur la demande d'irrecevabilité des conclusions d'intimés signifiées le 21 janvier 2022
Moyens des parties
A l'audience, M. [L] [N] fait valoir qu'il a reçu les dernières conclusions adverses le soir du vendredi 21 janvier 2022 et n'a donc pas été en mesure d'y répondre pour l'audience prévue le lundi 24 janvier 2022 à 9 heures. Il sollicite par conséquent le rejet de ces conclusions.
La société [E], [P] et Associés réplique que ses conclusions signifiées le 21 janvier 2022 sont une réponse aux dernières conclusions de l'appelant signifiées le 14 janvier 2022 et que ce dernier avait la possibilité de demander le renvoi de l'affaire à une audience ultérieure.
Appréciation de la cour
Selon l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
En l'espèce, la société [E], [P] et Associés a signifié des conclusions le mercredi 12 janvier 2022. M. [L] [N] a ensuite signifié des conclusions le vendredi 14 janvier 2022, auxquelles la société [E], [P] et Associés a répondu par nouvelles conclusions le vendredi 21 janvier 2022 en vue de l'audience des plaidoiries prévues le lundi 24 janvier 2022 à 9 heures.
Il résulte de l'examen des deux derniers jeux conclusions du 12 et du 21 janvier 2022 de la société [E], [P] et Associés que cette dernière développe, dans ses conclusions du 21 janvier 2022, de nouveaux moyens de droit à l'appui de ses prétentions (qui demeurent cependant inchangées) et produit au débat cinq nouvelles pièces. Ainsi, pour la première fois dans ses conclusions du 21 janvier 2022, la société [E], [P] et associés développe une argumentation sur l'irrecevabilité pour défaut d'intérêt à agir de la demande d'annulation de la délibération de l'assemblée générale litigieuse (p.19) ; elle produit de nouveaux extraits d'articles de doctrine et une nouvelle jurisprudence (p.22, 24-25 et 27-28) ; surtout, elle développe un nouveau moyen tiré de l'article 7 du vadémécum afin de justifier l'annulation de l'assemblée générale du 18 novembre 2013 et de soutenir l'absence de caractère abusif de l'assemblée générale du 25 novembre 2013.
Compte tenu du caractère tardif de la signification de ces conclusions, qui comportent de nouveaux moyens et de nouvelles pièces, intervenue juste avant une fin de semaine précédant l'audience du lundi 24 janvier 2022 à 9 heures, il est démontré que M. [J] [N] n'a pas pu y répondre compte tenu du très court délai dont il disposait.
Dès lors, en application de l'article 16 du code de procédure civile, les conclusions de la société [E], [P] et associés signifiées le 21 janvier 2022 ainsi que les nouvelles pièces seront écartées des débats.
Seules ses conclusions signifiées le 12 janvier 2022 seront examinées.
Sur la teneur de la rémunération variable des associés de catégorie A au sein de la société [E], [P] et associés et sur le caractère abusif de l'assemblée générale du 25 novembre 2013
Moyens des parties
Poursuivant l'infirmation de la décision du bâtonnier du 23 avril 2014 en ce qu'il l'a débouté de sa demande de rétrocession d'honoraires pour l'année 2013, M. [L] [N] demande à la cour, au fondement des articles 1832, 1833 et 1844-10 alinéa 3 du code civil, d'annuler les délibérations votées lors de l'assemblée générale du 25 novembre 2013 ainsi que la délibération votée lors de l'assemblée générale du 20 décembre 2013.
Au soutien de sa demande, il fait valoir d'une part, que le mode de rémunération variable des associés A n'est pas dépendant de critères individuels mais des seuls résultats et trésorerie de la structure, et d'autre part, que son exclusion décidée au terme du procès-verbal d'assemblée générale du 25 novembre 2013, laquelle a été suivie d'un procès-verbal d'assemblée générale du 20 décembre 2013 relatif au maintien du niveau de rémunération des associés A pour l'année 2013, est abusive de sorte que les procès-verbaux doivent être annulés.
En premier lieu, il expose que le mode de rémunération des associés de catégorie A est constituée principalement par des rétrocessions d'honoraires, pour partie fixe et pour partie variable. Il précise que les deux associés fondateurs du cabinet, [A] [E] et [Z] [P] détiennent 90% des parts, de sorte que les associés de catégorie A ne possèdent qu'une part résiduelle d'action(s) ne leur ouvrant droit qu'éventuellement à des dividendes. Pour sa part, M. [L] [N] indique qu'il ne détenait qu'une action à 0,1 euro sur un capital de 4 millions. Contestant l'interprétation de l'intimée, il soutient que les statuts, notamment en leur article 11, ne concernent que les dividendes et non la rétrocession d'honoraires, de sorte que, selon lui, les statuts n'ont pas à s'appliquer.
Se fondant sur son contrat de collaboration d'associé et sur le document intitulé " Critères d'évolution de la rémunération des associés " (également dénommé " vademecum "), notamment en ses articles 2, 5, 6 et 7, M. [L] [N] expose que la rémunération des associés A se compose :
- d'une partie fixe (ou " de base ") évaluée en 2013 à 36 600 euros HT par an, soit 3050 euros par mois ;
- d'une partie variable, qui constitue l'essentiel de la rémunération, dont une partie est versée mensuellement et dont la majeure partie est versée après la fin de l'exercice, lors de l'année N+1. Se fondant sur l'article 6 du vademecum, il précise que le montant de la rémunération variable de chaque associé est décidé en assemblée générale en décembre de l'année N-1 et est versé au cours de l'année N+1 sur le seul fondement d'un critère de solvabilité globale de la structure (résultats suffisants et trésorerie disponible).
Il ajoute que l'appellation " variable " est trompeuse puisqu'il ne s'agit pas d'un bonus qui serait fonction du travail ou des performances individuelles de l'associé au cours de l'année, mais qu'au contraire, la part variable est fixée avant même le début de l'année N et ne sera versée lors de l'année N+1 que si la trésorerie et les résultats de la structure sont suffisants, de sorte que les associés de catégorie A supportent sur un même pied d'égalité et collectivement le risque financier.
En second lieu, il fait valoir qu'après avoir porté à la connaissance de la direction, par courrier du 1er octobre 2013, sa volonté de démissionner avec effet au 31 décembre 2013, il a été convoqué par courrier du 8 novembre 2013 à une assemblée générale extraordinaire prévue le 18 novembre 2013 visant à entériner son retrait à compter du 4 novembre 2013 ; que cette assemblée générale a été annulée et qu'il a été de nouveau convoqué par courrier du 15 novembre 2013 à une assemblée générale extraordinaire le 25 novembre 2013 visant cette fois à prononcer son exclusion, au visa de l'article 11 des statuts, en raison d'une incapacité d'exercice professionnel pendant une période cumulée de 9 mois au cours d'une période totale de 12 mois. Il soutient que cette décision d'exclusion, prise avant le 31 décembre 2013, est abusive aux motifs que son exclusion a été adoptée alors même qu'il était démissionnaire ; que la notification par un associé de sa démission ne saurait constituer par essence un motif d'exclusion au prétexte qu'il ne partagerait plus l'affectio societatis ; et que la décision de l'exclure aurait eu en réalité pour finalité de le priver de sa rétrocession d'honoraires variable et de favoriser le groupe d'associés restant.
Il conteste comme inopérante la jurisprudence produite par l'intimée relative à l'abus de majorité (qui exige des actes contraires à l'intérêt social), en estimant que l'abus du droit d'exclure un associé ne se confond pas avec l'abus de majorité.
Il en déduit que le procès-verbal d'assemblée générale du 25 novembre 2013 ayant prononcé son exclusion doit être annulé.
Subséquemment, il demande l'annulation du procès-verbal d'assemblée générale du 20 décembre 2013, produit pour la première fois devant cette cour, qui a autorisé le maintien du niveau de rémunération des associés porteurs d'actions de catégorie A pour l'exercice 2013 suite au départ de deux associés, dont lui-même, au cours de l'année considérée.
Poursuivant la confirmation de la décision du bâtonnier ayant débouté M. [L] [N] de sa demande au titre de l'année 2013, la société [E], [P] et associés conteste le caractère abusif de l'assemblée générale du 25 novembre 2013.
Elle expose en premier lieu que la rémunération des associés de catégorie A comporte une partie fixe (de 36 600 euros HT par an) et une partie variable appelée " dividendes " jusqu'au 31 décembre 2018 et appelée " rétrocession d'honoraires " depuis le 1er janvier 2009. Elle explique que les titres de la société n'ont aucune valeur ; que les dividendes versés jusqu'au 31 décembre 2008 et les honoraires versés à partir du 1er janvier 2009 n'étaient et ne sont pas proportionnels aux droits que les associés détiennent dans le capital de la société, mais qu'au contraire, depuis la fondation du cabinet, le principe est que chaque associé soit rémunéré seulement au titre du travail effectué. Se fondant sur le vademecum, elle précise que cette rétrocession d'honoraires correspond à une répartition des bénéfices de la société de l'année N ; qu'un prévisionnel du montant des honoraires par associé est décidé en amont à la fin de l'année N-1 en fonction du poids économique de chacun dans le cabinet (apprécié en fonction d'un prévisionnel d'heures facturables, du nombre de dossiers dont l'associé est à la source ou est responsable, du nombre reconstitué d'avocats qu'un associé occupe sur la base de 1600 heures annuelles), et que le montant définitif de rétrocession d'honoraires est versé au cours de l'année N+1 après que l'assemblée générale des associés a approuvé les comptes de l'année N. Le versement de ce montant définitif dépend de conditions : que le prévisionnel de résultat disponible ait été atteint, que la trésorerie le permette et que l'associé de catégorie A ait respecté les conditions d'activité au cours de l'exercice écoulé (notamment un minimum de 1800 heures facturables). Elle ajoute que le prévisionnel voté au cours de l'année N-1 n'est pas un montant définitif mais correspond à un plafond. Elle considère par conséquent que la différence opérée par M. [L] [N] entre les dividendes d'une part, et la rémunération variable d'autre part, est de mauvaise foi et qu'il avait connaissance de ces conditions de rémunération ayant signé les statuts en 2006 et en 2008, lors de leur mise à jour, ainsi que le règlement intérieur et le vademecum à jour au 1er janvier 2009.
En second lieu, elle considère que l'exclusion de M. [L] [N] est régulière, en ce qu'il a été convoqué régulièrement et a été mis en mesure de se défendre, et qu'elle n'est pas abusive, puisque le motif de son exclusion est conforme aux statuts et qu'elle n'est pas constitutive d'un abus de majorité.
Selon la société [E], [P] et associés, la nullité n'est pas encourue dans la mesure où une décision abusive n'encourt la nullité que lorsqu'elle est constitutive d'un abus de majorité. Or, elle considère que M. [L] [N] ne démontre pas en quoi la décision concernant son exclusion serait contraire à l'intérêt social ni en quoi elle constituerait une rupture d'égalité entre les actionnaires de sorte qu'en l'absence de caractérisation d'un abus de majorité, la décision d'exclusion ne peut être entachée de nullité. Elle estime que l'arrêt du 3 février 2021, tel qu'il est rédigé, a également censuré les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel ayant considéré que la décision d'exclusion était abusive, et qu'il s'inscrit dans la continuité d'une jurisprudence restrictive constante de la Cour de cassation selon laquelle seule l'abus de majorité peut être à l'origine d'une annulation.
Appréciation de la cour
- Sur la rémunération variable des associés de catégorie A
Il n'est pas contesté que la rémunération des associés de catégorie A au sein de la société [E], [P] et associés est composée d'une partie fixe et d'une partie variable, cette dernière étant réglée au titre de l'année N pour partie mensuellement au cours de l'année N et pour partie annuellement au cours de l'année N+1.
Les parties s'opposent sur la teneur de la rémunération variable, M. [L] [N] soutenant d'une part, qu'elle est constituée d'une rétrocession d'honoraires, distincte des dividendes, de sorte que les statuts qui n'évoquent que les " dividendes " ne sont pas applicables, et d'autre part, qu'elle serait définitivement fixée en amont de l'exercice concerné, au cours de l'année N-1, et versée, sous réserve d'une trésorerie suffisante, au cours de l'année N+1.
Force est de constater que l'examen des pièces fixant la rémunération des associés de catégorie A démontre au contraire que la partie variable de leur rémunération correspond à une répartition des bénéfices réalisés au cours de l'année N, dont une prévision est estimée pour chaque associé en assemblée générale au terme de l'année N-1 et qui est versée, après l'approbation des comptes et sous réserve que certaines conditions soient remplies (notamment avoir effectué 1800 heures facturables), à l'issue d'une assemblée générale au cours de l'année N+1.
En effet, le contrat de collaboration associé de catégorie A signé le 23 juillet 2010 par M. [L] [N] stipule en son article 3.1 que " le montant annuel et les modalités de versement de la rémunération d'[H] [L] [N] sont examinés dans le cadre des assemblées générales de la SELAS [E], [P] et associés conformément aux statuts de cette dernière ".
L'article 3.2 précise que " le chiffre d'affaires afférent au traitement ou développement des dossiers est intégralement acquis à la SELAS [E], [P] et associés, [H] [L] [N] ne pouvant prétendre à un quelconque intéressement de quelque nature que ce soit, quand bien même il serait à la source dudit dossier ou l'aurait traité seul. Tout complément de rémunération ne pourra être envisagé que dans les conditions statutaires de la SELAS [E], [P] et associés " (pièce 4 de l'appelant).
Contrairement à ce que fait valoir M. [L] [N], les statuts de la société n'envisagent pas seulement le versement de dividendes mais plus largement la possibilité d'une répartition des bénéfices entre les associés (en ce compris les dividendes).
Ainsi, l'article 19 des statuts mis à jour le 9 octobre 2012 prévoit qu'il appartient à la collectivité des associés de décider des modalités de répartition entre les associés de catégorie A des bénéfices, des réserves et des droits dans l'actif social lors de toute distribution, amortissement ou répartition, au cours de la vie de la société.
L'article 21 des statuts précise qu'après approbation des comptes et constatation de l'existence d'un bénéfice distribuable, la collectivité des associés décide de l'inscrire à un ou plusieurs postes de réserve, dont elle règle l'affectation ou l'emploi, de le reporter à nouveau ou de le distribuer. Pour les associés A, conformément à la faculté offerte par l'article 1844-1 du code civil, les bénéfices sont mis en distribution et répartis selon un mode de répartition décidé chaque année par la collectivité des associés, statuant à la majorité requises pour l'adoption des décisions ordinaires, avant l'ouverture de l'exercice au titre duquel les bénéfices seront éventuellement distribués (pièce 5 de l'appelant).
En outre, l'article 2 du vademecum précise que " tout associé A voit sa base de rémunération d'honoraires fixée à 3000 euros HT/mois et le complément de sa rémunération variable est assuré par paiement de dividendes/honoraires exceptionnels ou tout autre forme de moyen décidée pour la collectivité des associés A ".
Selon l'article 8, " la rémunération d'un associé A est toujours fixée par rapport à un niveau de dividendes augmentés de la rémunération fixe de base annuel de 36 600 euros. Si les associés décident de verser la rémunération sous une autre forme, notamment sous forme d'honoraires, il est procédé à la détermination du montant correspondant de telle sorte que la modalité de versement soit neutre pour l'associé A ".
Il résulte de ces dispositions que la rémunération variable des associés de catégorie A correspond en réalité à une participation aux bénéfices de la société, qui peut être versée soit sous forme de dividendes (lesquels, en l'absence de définition dans les statuts et le vademecum, doivent être entendus comme la part des bénéfices attribuée à chaque actionnaire, conformément au droit commun), soit sous forme de rétrocession d'honoraires.
Une participation sous forme de rétrocession d'honoraires est en l'espèce cohérente avec la structure de la société dont la totalité des associés de catégorie A, à l'exception des deux fondateurs [A] [E] et [Z] [P], ne détiennent qu'un nombre très limité d'actions dont la valeur nominale est très faible. Il en résulte que leur rémunération variable n'est pas assise sur la part qu'ils détiennent dans le capital social de la société, mais sur la part distribuable des bénéfices réalisés pour l'année en cours.
S'agissant des critères de détermination et de versement de la rémunération variable des associés A, contrairement à ce que prétend M. [L] [N], elle n'est pas fixée de façon définitive à la fin de l'année N-1 et n'est pas versée à la seule condition d'une trésorerie suffisante constatée au cours de l'année N+1. Elle dépend également de critères individuels qui sont expressément listés dans le vademecum.
Le procès-verbal d'assemblée général du 20 décembre 2012 évoque en sa troisième résolution des " plafonds " fixés en application des principes arrêtés dans le vademecum (pièce 8 de l'appelant). Au reste, la partie variable des honoraires afférents à l'année 2013 des associés de catégorie A n'est pas la même selon les associés. L'annexe 1 du procès-verbal d'assemblée générale du 20 décembre 2012 indique un solde versé annuellement d'environ 1,4 millions d'euros pour les deux associés fondateurs et un solde compris entre 297 721 euros et 692 195 euros pour les huit autres associés. Il en résulte que la détermination de la partie variable de la rémunération est nécessairement fondée sur des critères individuels, distincts de la seule trésorerie disponible à la fin de l'exercice.
D'ailleurs, l'article 1 du vademecum définit des critères qu'il est nécessaire de satisfaire pour prétendre être associé de catégorie A et notamment :
- un chiffre d'affaires apporté et/ou généré fixé à 1 million d'euros HT minimum avec un ou deux équivalents temps plein collaborateurs,
-1800 heures facturables.
L'article 15 définit les critères déterminant le niveau et l'évolution de la rémunération des associés.
Enfin, l'article 16 du vademecum précise que l'objectif est de faire en sorte que la rémunération des associés A ne diminue pas. En pratique, l'augmentation sera fixée à partir du surplus de bénéfice constaté sur la base du prévisionnel établi en décembre de l'année N au titre des résultats de l'année N+1 (puis sera convertie en honoraires si le système des dividendes n'est pas appliqué) et se répartira comme suit :
- 10% du bénéfice net prévisionnel de l'année N+1 sont affectés à la réserve :
- les 90% restants du bénéfice net prévisionnel de l'année N+1 sont affectés :
oproportionnellement au service de la rémunération des tranches T1 et T2 (base année N) [correspondant aux deux premières tranches de la part variable de la rémunération] sous réserve du respect des critères susvisés et appréciés chaque année,
opour le surplus, répartition entre les associés en fonction des modalités ci-après définies : historique des associés au sein de la structure, critères positifs (développement commercial, nombre d'heures chargées, effet de levier sur collaborateur par associé, effet de levier sur apport de dossiers à autres avocats), critères négatifs (baisse des heures facturables, baisse de l'effet de levier, absence de synergie, compétences non mises à jour).
Il est dès lors démontré que, contrairement à ce que soutient M. [L] [N], la part variable de la rémunération des associés de catégorie A correspond à une répartition des bénéfices réalisés au cours d'une année, dont une prévision est estimée pour chaque associé en assemblée générale au terme de l'année précédente et qui est versée, après l'approbation des comptes et sous réserve que certains critères individuels soient remplis (notamment avoir effectué 1800 heures facturables), à l'issue d'une assemblée générale au cours de l'année suivante.
- Sur le caractère abusif de l'assemblée générale du 25 novembre 2013
L'article 1844-10, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2019-486 relative à la croissance et à la transformation des entreprises du 22 mai 2019, applicable au présent litige, dispose que la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du titre IV du livre III relative à la société ou de l'une des causes de nullité des contrats en général.
Selon l'article 1832 du code civil, la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. Les associés s'engagent à contribuer aux pertes.
L'article 11 des statuts de la société [E], [P] et associés prévoit la procédure d'exclusion d'un associé (souligné par la cour) :
" Tout associé peut faire l'objet d'une exclusion par décision de la collectivité des associés de la société dans les conditions ci-après.
Il est précisé, sans que cette énonciation soit exhaustive, que l'exclusion peut être prononcée (...) en cas d'incapacité d'exercice professionnel pendant une période cumulée de neuf mois au cours d'une période totale de douze mois (...).
L'exclusion est décidée par la collectivité des associés statuant à la majorité des deux-tiers en nombre des associés si celle-ci constitue toujours une règle impérative prévue par la loi ou, à défaut, aux conditions de majorité requises pour l'adoption des décisions extraordinaires.
Aucune décision d'exclusion ne peut être prise si l'associé concerné n'a pas été régulièrement convoqué à l'assemblée générale appelée à statuer sur l'exclusion, par lettre recommandée AR explicitant les motifs de l'exclusion envisagés, et s'il n'a pas été mis à même de présenter sa défense par lui-même ou par mandataire, sur les faits qui lui sont reprochés.
En cas d'exclusion d'un associé, ses titres sont rachetés par les associés ou par un tiers agréé ou par la société dans les conditions prévues à l'article 10 2.4 ci-dessus mutatis mutandis.
A compter de la décision d'exclusion, les actions détenues par l'associé exclu perdent leurs droits de vote et leurs droits financiers y attachés au titre du dernier clos dont les comptes n'ont pas encore été approuvés et de l'exercice en cours.
Par exception, l'associé exclu à la suite d'une incapacité et les ayants-droit de l'associé décédé, exclu de plein droit au jour de son décès, conservent leur droit aux dividendes :
- au titre du dernier clos dont les comptes n'ont pas encore été approuvés, le cas échéant,et
- au titre de l'exercice en cours, prorata temporis jusqu'à la date de l'exclusion (sur la base d'une année de 365 jours).
En ce qui concerne l'associé exclu à la suite d'une incapacité, la période de calcul du dividende est cependant réduite prorata temporis de la durée de son incapacité (sur la base d'une année de 365 jours) ".
L'article 7 précise que le départ d'un associé A pour quelque cause que ce soit (sauf décès, retraite et invalidité) entraînera renonciation immédiate à tout complément de rémunération variable par l'associé partant et remise en cause de la dernière autorisation du niveau de rémunération des autres associés A pour la période considérée avec obligation de revoir et fixer par voie d'assemblée le niveau de rémunération pour ladite période pour les associés restants.
Contrairement à ce que soutient la société [E], [P] et associés, l'examen du caractère abusif de l'exclusion d'un associé ne se résume pas à l'examen d'un abus de majorité (Com. 14 novembre 2016, 16-24.532). Il convient de rechercher si l'exclusion est justifiée par un motif grave ou si elle a été détournée de l'objectif dont elle se prévaut.
En l'espèce, il est constant qu'étant arrêté depuis le 6 février 2013, M. [L] [N] pouvait, en application de l'article 11 des statuts, être exclu de la société à compter du 6 novembre 2013.
Il n'est pas contesté que la société [E], [P] et associés, après l'avoir convoqué à une première assemblée générale le 18 novembre 2013 par courrier du 8 novembre 2013 visant à prendre acte de sa démission anticipée au 4 novembre 2013, à entériner son retrait et à agréer la cession de l'action qu'il détenait, a finalement annulé ladite assemblée générale et l'a convoqué, par courrier du 15 novembre 2013, à une assemblée générale le 25 novembre 2013 visant à prononcer son exclusion pour incapacité professionnelle pendant une période cumulée de 9 mois au cours d'une période totale de 12 mois (pièces 23 et 24 de l'appelant).
Il s'ensuit que les conditions d'exclusion prévues par les statuts étaient réunies et que M. [L] [N] a été dûment convoqué et mis en mesure de présenter ses observations lors de l'assemblée du 25 novembre 2013, ce point n'étant d'ailleurs pas contesté.
M. [L] [N] soutient qu'il était démissionnaire depuis son courriel du 1er octobre 2013 adressé à M. [E] et M. [P] dans lequel il leur notifie sa " décision de mettre un terme à son activité en qualité dite d'associé A ", sa démission prenant " effet à l'expiration de l'exercice 2013 " (pièce 13 de l'appelant).
La notification de cette démission n'empêchait pas pour autant la société [E], [P] et associés de procéder à l'exclusion de son associé, sous réserve de respecter les stipulations des statuts.
M. [L] [N] fait valoir que cette décision d'exclusion aurait été prise pour le priver de sa rémunération variable compte tenu de l'article 7 du vademecum.
La cour note cependant que l'article 7 du vademecum ne soumet pas la renonciation immédiate à la rémunération variable d'un associé démissionnaire ou exclu à un départ " en cours d'année ", pas plus qu'il ne soumet cette renonciation à un départ " en fin d'année " ou " au terme de l'exercice ".
Par ailleurs, il ressort de la lettre de convocation du 8 novembre 2013 (pièce 23) que ce jour-là, la société [E], [P] et associés n'avait pas été rendue destinataire d'un nouvel arrêt de travail de l'appelant depuis l'expiration du précédent au 31 octobre 2013 et en a, de ce fait, tiré toute conséquence en constatant sa démission anticipée au 4 novembre 2013 et en convoquant une assemblée générale.
M. [L] [N] ayant régularisé sa situation administrative, elle a annulé l'assemblée générale envisagée.
La lettre de convocation du 15 novembre 2013 (pièce 24) envisageant finalement son exclusion du cabinet pour incapacité professionnelle tel que le prévoient les statuts, énonce également les raisons de ce changement de comportement de la société : selon elle, la démarche de M. [L] [N] serait uniquement motivée par des considérations personnelles détachées de tout affectio societatis.
Il est établi par les courriels échangés entre ce dernier et M. [E] et M. [P] que dès le 29 août 2013, alors qu'il était en arrêt maladie, l'appelant évoque son souhait de quitter la société et manifeste le souhait de solliciter des collaborateurs pour les inviter à rejoindre sa nouvelle structure: " je pars pour finir plus en douceur ma vie professionnelle que je compte bien mener encore une bonne dizaine d'années (') je voudrais évoquer avec vous la perspective que certains collaborateurs puissent m'accompagner. Je veux dire, que je puisse les solliciter ' " (pièce 9 de l'appelant).
Or, l'affectio societatis implique, outre la vocation des associés à la répartition des bénéfices, une participation à la conduite des affaires de la société sur un pied d'égalité, un pouvoir de contrôle et de critique et un concours actif à l'administration de l'affaire.
Force est de constater que M. [L] [N], qui ne disposait que d'une action sur les 4000 qui formait le capital social de la société [E], [P] et associés, était manifestement dépourvu d'affectio societatis en affirmant vouloir quitter la société pour fonder une nouvelle structure avec d'autres collaborateurs qu'il souhaitait solliciter. Dès lors, nonobstant le fait que cela ne soit pas un motif d'exclusion prévu par les statuts, lequel était de toute façon caractérisé au titre de l'incapacité professionnelle, les raisons avancées dans la lettre de convocation du 15 novembre 2013 ne constituaient pas un détournement de procédure.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la décision d'exclusion prise le 25 novembre 2013 n'est pas abusive, qu'elle n'a donc pas lieu d'être annulée, et qu'il en est de même de la délibération subséquente votée lors de l'assemblée générale du 20 décembre 2013. Dès lors, la demande d'annulation de la résolution n°1 votée lors de l'assemblée générale du 25 novembre 2013 et de la délibération votée lors de l'assemblée générale du 20 décembre 2013 sera rejetée.
Sur la demande de rétrocession d'honoraires de 597 968,77 euros HT
Moyens des parties
Poursuivant l'infirmation de la décision du bâtonnier qui l'a débouté de sa demande, M. [L] [N] demande à la cour de condamner la société [E], [P] et Associés à lui verser 597 968,77 euros HT, majorée de la TVA en vigueur au jour du paiement et assortie de l'intérêt au taux légal à compter du 23 décembre 2013, avec capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil.
Il précise que lors de l'assemblée générale du 20 décembre 2012, il a été décidé, le concernant, d'une rétrocession pour l'année 2013 de 700 000 euros HT décomposée :
- d'une partie fixe versée mensuellement de 3050 euros par mois (soit 36 600 euros pour l'année),
- d'une partie variable d'un total de 663 400 euros HT, dont une partie devait être versée mensuellement (53 772 euros pour l'année) et le solde de 609 628 euros qui devait être versé au cours de l'année N+1.
Il ajoute que les résultats de la société pour l'exercice 2013 ont dégagé un bénéfice comptable de près de 2 millions d'euros (en hausse de 373,2% par rapport à l'exercice précédent) de sorte qu'aucune disposition ne permettait à la société [E], [P] et Associés de ne pas lui verser la rémunération convenue, à l'instar de ce qu'ont perçu les autres associés de catégorie A. Il conteste l'affirmation selon laquelle le vademecum poserait des critères de performance individuelle destinés à être appréciés postérieurement au vote de l'assemblée générale.
Il explique avoir perçu une rémunération variable de 65 431,23 euros calculée au prorata temporis de la période précédant son arrêt maladie (du 1er janvier au 5 février 2013, soit 36 jours sur une base de 365). Il en déduit que la société [E], [P] et Associés lui doit 597 968,77 euros (663 400 - 65 431,23).
Il considère comme incompréhensible et inopérante, car relative aux dividendes, la référence à l'article 11 des statuts opérée par l'intimée pour justifier le calcul de la part de rémunération variable au prorata temporis à hauteur de 65 431,23 euros.
Répliquant aux écritures de l'intimée qui conditionne le versement de la part variable à des critères de performance individuelle examinée postérieurement à l'exercice considérée, M. [L] [N] objecte que lors de l'assemblée générale du 5 février 2014, seuls ont été approuvés les comptes annuels 2013, mais qu'aucun critère de performance individuelle n'a été discuté ni aucune rétrocession variable répartie.
Enfin, il fait valoir avoir respecté son préavis de trois mois (entre le 1er octobre 2013 et le 31 décembre 2013) et précise qu'étant un acte unilatéral, sa démission n'avait pas à être acceptée par son destinataire ni approuvée par les associés de sorte qu'elle a produit son plein et entier effet.
Poursuivant la confirmation de la décision du bâtonnier ayant débouté M. [L] [N] de sa demande au titre de l'année 2013, la société [E], [P] et associés fait valoir que la totalité de la rémunération variable prévue par l'assemblée générale du 20 décembre 2012 n'est pas due à ce dernier.
A l'appui de sa demande, elle soutient que le montant de la rémunération variable prévue par l'assemblée générale du 20 décembre 2012 n'a jamais été définitif et qu'il ne s'agit que d'un plafond. Elle ajoute qu'à l'instar de la créance de dividende, la rémunération variable n'est due qu'au jour de la décision d'assemblée générale portant approbation des comptes annuels et constatation des sommes distribuables (Com, 23 octobre 1990, 83-13.999 ; Com., 28 novembre 2006, 04-17.486). Elle en déduit que, comme tous les associés de catégorie A, M. [L] [N] n'a aucun droit de créance sur le montant voté le 20 décembre 2012, ce montant n'ayant jamais été approuvé par l'assemblée des associés. Selon elle, en faisant application de la clause d'exclusion prévue à l'article 11.2 des statuts, les associés ont consenti à accorder à M. [L] [N] une partie de sa rémunération prévisionnelle au prorata de sa période de travail au sein du cabinet.
Elle ajoute, au fondement de l'article 7 du vademecum, qu'en démissionnant le 1er octobre 2013, M. [L] [N] a renoncé à toute rémunération variable au titre de l'exercice 2013. Elle précise qu'aucune période de préavis n'est prévue ni dans les statuts ni dans le contrat de collaboration, et que la procédure de retrait de l'article P46.3 du Règlement intérieur du barreau de Paris ne s'applique aux sociétés d'exercice libéral que lorsqu'elles l'ont prévue dans leurs statuts, ce qui n'est pas le cas de la société [E], [P] et associés. Elle en déduit que rien ne l'obligeait à accepter la prise d'effet de la démission au 31 décembre 2013, et que finalement, en l'absence de délai de préavis, aucune date de départ effectif n'ayant été fixée, M. [L] [N] aurait été dans l'incapacité de prouver qu'il aurait touché au moins une partie de sa rémunération variable s'il n'avait pas été exclu pour incapacité professionnelle.
Enfin, elle indique, au fondement des articles 1, 15 et 16 du vademecum, que le montant de la rémunération variable de ce dernier dépendait d'un certain nombre de critères qu'il n'a pas respectés, notamment l'obligation pour un associé de catégorie A de travailler au moins 1800 heures facturables par an. Elle précise qu'il n'a facturé que 88 heures de diligences pour l'exercice 2013 (pièce 12). Elle ajoute que si l'article 3.5 du contrat de collaboration d'associé prévoit, en cas d'incapacité professionnelle, le versement pendant deux mois de la rétrocession d'honoraires habituelle (soit 3050 euros HT par mois), aucune clause du contrat de collaboration d'associé, ni aucune clause des statuts ou du vademecum ne prévoit le versement de la rémunération variable.
Appréciation de la cour
Il résulte des éléments qui précèdent que la société [E], [P] et associés a fait une juste application de l'article 11.2 des statuts qui prévoit que l'associé exclu à la suite d'une incapacité conserve un droit au dividende au titre de l'exercice en cours, prorata temporis jusqu'à la date d'exclusion (sur la base d'une année de 365 jours).
M. [L] [N] ne conteste pas avoir perçu 65 431,23 euros HT, ce qui correspond à sa rémunération variable au prorata du travail effectué avant son arrêt maladie du 1er janvier au 5 février 2013.
Sa demande de rétrocession d'honoraires à hauteur de 597 968,77 euros HT avec intérêts et capitalisation sera par conséquent rejetée.
La décision du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris du 23 avril 2014 sera dès lors confirmée de ce chef.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Selon l'article 639 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée.
La décision du bâtonnier du 23 avril 2014, qui a dit n'y avoir lieu à paiement d'une quelconque indemnité au titre des frais irrépétibles supportés par les parties et laissé à chaque partie la charge de ses dépens, a exactement statué sur ce point et sera confirmé de ces chefs.
M. [L] [N], partie perdante, sera condamné aux dépens d'appel de l'instance cassée et de la présente instance. Sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera de ce fait rejetée.
L'équité commande d'allouer à la société [E], [P] et associés la somme d'un euro, comme réclamé, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition, dans les limites de sa saisine,
Vu la décision du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris du 23 avril 2014 (dossier n°732/245957),
Vu l'arrêt du 15 juin 2016 de la cour d'appel de Paris (RG 14/11533),
Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 3 février 2021 (pourvoi n° J 16-19.691),
ÉCARTE des débats les conclusions de la société [E], [P] et associés signifiées le 21 janvier 2022 et les pièces nouvelles produites (pièces 17 à 21 inclus) ;
CONFIRME la décision du bâtonnier du 23 avril 2014 en ce que, s'agissant de la demande de rétrocession d'honoraires pour l'année 2013, elle a constaté que M. [L] [N] a été réglé de l'intégralité des sommes dues conformément aux contrats liant les parties et l'a débouté en conséquence de ses demandes à ce titre ;
CONFIRME la décision du bâtonnier du 23 avril 2014 en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à paiement d'une quelconque indemnité au titre des frais irrépétibles supportés par les parties et laissé à chaque partie la charge de ses dépens ;
Y ajoutant,
REJETTE la demande d'annulation de la résolution n°1 votée lors de l'assemblée générale du 25 novembre 2013 et de la délibération votée lors de l'assemblée générale du 20 décembre 2013 ;
REJETTE la demande de rétrocession d'honoraires à hauteur de 597 968,77 euros HT majorée de la TVA au taux en vigueur au jour du paiement et assortie de l'intérêt au taux légal à compter du 23 décembre 2013, avec capitalisation, formée par M. [L] [N] ;
CONDAMNE M. [L] [N] aux dépens d'appel de l'instance cassée et de la présente instance ;
CONDAMNE M. [L] [N] à verser à la société [E], [P] et associés la somme de 1 euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres demandes.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,