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17/12/2020 | FRANCE | N°18/04504

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 17 décembre 2020, 18/04504


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES







21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 17 DECEMBRE 2020



N° RG 18/04504 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SXWG



AFFAIRE :



[E] [L]





C/

S.A.S. SAFRAN ELECTRONICS ET DEFENSE anciennement SAGEM ELECTRONICS ET DEFENSE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Septembre 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Chamb

re :

N° Section : E

N° RG : F 16/01053



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELARL O.B.P. Avocats



la SELEURL MINAULT TERIITEHAU







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRA...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 17 DECEMBRE 2020

N° RG 18/04504 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SXWG

AFFAIRE :

[E] [L]

C/

S.A.S. SAFRAN ELECTRONICS ET DEFENSE anciennement SAGEM ELECTRONICS ET DEFENSE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Septembre 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : F 16/01053

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL O.B.P. Avocats

la SELEURL MINAULT TERIITEHAU

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX SEPT DECEMBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [E] [L]

né le [Date naissance 3] 1964 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Olivier BONGRAND de la SELARL O.B.P. Avocats, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0136

APPELANT

****************

S.A.S. SAFRAN ELECTRONICS ET DEFENSE anciennement SAGEM ELECTRONICS ET DEFENSE

N° SIRET : 480 10 7 9 11

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 732

Représentant : Me Christine PELLISSIER de la SELAS FIDAL DIRECTION INTERNATIONALE, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : N702

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Novembre 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,

Madame Valérie AMAND, Président,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Engagé suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 18 avril 2006 par la société Sagem Mobile, M. [E] [L] a exercé la fonction de Directeur de Labinal, filiale du groupe au Mexique.

A son retour d'expatriation, il a signé un contrat de travail à durée indéterminée avec la Société Safran prenant effet le 1er octobre 2012, en qualité de Directeur de projet.

Suivant contrat de travail et 'convention de mutation concertée' en date du 28 février 2013, il a été transféré au sein de la société Sagem Défense Sécurité, désormais dénommée Safran Electronics et Défense (ci-après Safran ED) toujours en qualité de Directeur de projet et affecté à l'établissement du Ponant.

La société Safran ED, qui a pour activité principale la fourniture des prestations sur les marchés de l'électronique pour la défense, l'optronique, l'avionique et les logiciels critiques, est l'une des 10 sociétés du Groupe Safran, de dimension mondiale. La société occupe à titre habituel plus de dix salariés et applique la convention collective des Ingénieurs et Cadres de la Métallurgie.

Par avenant d'expatriation prenant effet au1er avril 2013, M. [L] était promu en qualité de Chief Executive Officer (CEO) de la société Colibrys, nouvellement intégrée à la société Safran ED, sans mandat social. Il était stipulé que le contrat d'expatriation, d'une durée prévisionnelle de trois ans, suspendait le contrat de travail initial du 28 février 2013, et que si la société Colibrys mettait fin au contrat de travail, « quelqu'en soit le motif », la société Safran ED assurerait le rapatriement de M. [L] et lui proposerait un poste, d'un niveau au minimum équivalent à celui occupé avant son départ tout en précisant que ce rapatriement ne présumerait en rien des suites qui seraient données à son contrat de travail.

Le 29 mars 2013, M. [L] concluait un contrat de travail local à durée indéterminée avec la Société Colibrys de droit suisse, représentée par son président, M. [X], qui exerce, par ailleurs, les fonctions de directeur de la Division avionique de la société Safran ED. Il était convenu un salaire de 203 000 francs suisses annuel soit 185000 € annuels outre 18000 francs suisses concernant divers avantages en nature.

Par lettre remise en main propre le 25 janvier 2016, signée par M. [X], M. [L] était informé que la rupture de son contrat de travail de droit suisse était envisagée et qu'il était mis à pied à titre conservatoire jusqu'à la décision définitive.

La rupture de son contrat Suisse avec effet immédiat au visa de l'article 337 du CO, lui était notifiée par correspondance du 2 mars 2016.

Suivant lettre recommandée avec avis de réception du 10 mars 2016, la société Safran E.D. prenait acte de la résiliation du contrat suisse et mettait fin à l'expatriation de M. [L] avec effet immédiat.

Convoqué par lettre du même jour, à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 21 mars 2016, reporté au 24 mars suivant, convocation assortie d'une mise à pied conservatoire, M. [L] a été licencié par lettre en date du 19 avril 2016 énonçant une faute grave.

Contestant le bien fondé de son licenciement, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 18 mai 2016, aux fins de voir juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société Safran à lui payer les sommes suivantes :

167 610,24 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre16 761,02 € à titre de congés-payés sur préavis,

117 327, 77 € à titre d'indemnité de licenciement,

335 220 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 27 septembre 2018, le conseil de prud'hommes a jugé que le licenciement pour faute grave de M. [L] par la société Safran ED du contrat de travail était fondé, a débouté M. [L] de l'ensemble ses demandes et la société de sa demande relative l'article 700 du code de procédure civile.

M. [L] a relevé appel de ce jugement par déclaration électronique le 27 octobre 2018.

Par ordonnance rendue le 7 octobre 2020, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 3 novembre 2020.

' Par dernières conclusions en date du 02 octobre 2020, M. [L] demande à la Cour d'infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu'il l'a débouté de ses demandes et de :

- annuler son licenciement et ordonner sa réintégration dans son poste de Directeur général de filiale ou à un poste équivalent et condamner la société Safran Electronics et Défense à lui verser 1 241 075 € d'indemnité nette au titre de sa réintégration pour la période du 19 avril 2016 au 19 novembre 2020.

- Subsidiairement à défaut de réintégration, M. [L] demande à la Cour de condamner la société Safran Electronics et Défense à lui payer les sommes suivantes :

161 052 € à titre d'indemnité de préavis outre 16 105 € de congés-payés afférents,

112 736 € à titre d'indemnité de licenciement,

500 000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse.

- En tout état de cause, condamner la société Safran Electronics et Défense à lui payer 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de son appel, il soutient qu'il a été licencié en violation de la liberté d'expression, de valeur constitutionnelle en ce qu'aucun abus n'est démontré et qu'en conséquence, son licenciement doit être déclaré nul. A titre subsidiaire, il fait valoir que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse puisque la procédure de licenciement a été engagée 45 jours après la notification de la mise à pied conservatoire, que le courrier de la société mère qui notifiait la fin du contrat d'expatriation constituait un courrier de sanction qui a épuisé le pouvoir disciplinaire de l'employeur, que les motifs invoqués dans la lettre de licenciement, qui ne pouvaient être identiques à ceux reprochés par la société Colibrys dans le cadre de la résiliation du contrat local, sont au surplus vagues, imprécis et nullement établis.

' Par conclusions signifiées le 3 septembre 2020, la société Safran Electronics et Défense demande à la cour qu'elle confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Boulogne Billancourt le 27 septembre 2018 et ce faisant :

- Sur la nullité du licenciement, qu'elle :

dise et juge que le licenciement de M. [L] par Safran Electronics et Défense n'est pas nul, qu'elle rejette en conséquence, la demande en réintégration de M. [L] et les demandes financières qui y sont associées,

- A titre subsidiaire si par extraordinaire la Cour d'appel de céans jugeait que le licenciement de M. [L] est nul, elle demande à la Cour de :

- dire et juger que la réintégration est impossible et en conséquence débouter M. [L] de sa demande en réintégration

- déduire les salaires et revenus de remplacement perçus par M. [L] pendant la période considérée, dont il appartiendra à M. [L] de justifier

- en tout état de cause cantonner la somme versée à la somme de 579 817 euros bruts sous déduction des sommes perçues par ailleurs par M. [L] pendant la période considérée.

- Sur le caractère réel et sérieux du licenciement, la société sollicite de la Cour de juger le licenciement de M. [L] comme fondé sur une cause réelle et sérieuse, de le débouter de ses demandes et de dire qu'il ne justifie d'aucun préjudice dont Safran Electronics et Défense serait responsable et par conséquent le débouter intégralement de sa demande en dommages intérêts.

- A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour d'appel de céans jugeait que le licenciement de M. [L] était dépourvu de cause réelle et sérieuse, qu'elle dise et juge que :

' l'indemnité conventionnelle de licenciement ne saurait excéder la somme de 104 672 euros,

' l'indemnité de préavis ne saurait excéder la somme de 63 252 euros bruts et l'indemnité de congés payés sur préavis la somme de 6325,2 euros

' M. [L] ne justifie d'aucun préjudice et par conséquent le débouter de sa demande en dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- A titre très subsidiaire si par extraordinaire la Cour d'appel de céans jugeait que le licenciement de M. [L] était infondé et que M. [L] est bien fondé à solliciter des dommages intérêts, qu'elle :

- dise et juge que le quantum des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne saurait excéder 6 mois de salaire tel que fixé par l'article L1235-3 du Code du travail dans sa rédaction en vigueur applicable aux licenciements notifiés avant le 23 septembre 2017.

- En tout état de cause, la société intimée demande à la Cour de débouter M. [L] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, de le condamner à lui verser la somme de 4 000 euros à ce titre et à supporter les entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Minault Teriitehau agissant par Maître Teriitehau Avocat et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que la demande relative à la nullité du licenciement est irrecevable et qu'en tout état de cause, le motif de son licenciement par Safran ED ne repose pas sur les propos tenus par le salarié. Elle soutient que le licenciement pour faute grave est justifié sans que la tardiveté entre la mise à pied à titre conservatoire et la convocation à entretien préalable puisse lui être reprochée, qu'en aucun cas la lettre du 10 mars 2016 mettant fin à l'expatriation et la mission en Suisse ne revêtait de caractère disciplinaire et que la rupture du contrat de droit suisse, tout comme celui de droit français est justifiée au regard des éléments probatoires produits.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

La proposition faite par la cour aux parties de recourir à une mesure de médiation judiciaire afin de rechercher, par elles-mêmes, sous l'égide d'un médiateur indépendant, une solution au litige qui les oppose n'a pas reçu leur assentiment.

MOTIFS

La société Colibrys a prononcé la résiliation avec effet immédiat du contrat de travail local par lettre du 2 mars 2016 énonçant les motifs suivants :

'Ces investigations ont permis d'établir que vous avez manqué gravement à vos obligations de directeur général et que les atteintes commises à l'encontre de notre personnel sont d'une telle importance qu'elle rompent définitivement le lien de confiance nécessaire à la poursuite de votre contrat de travail. En effet, nous avons recueilli de multiples témoignages concordants de salariés, anciens salariés de la société qui condamnent notamment vos méthodes de management, se traduisant par des actes de harcèlement moral, humiliations, insultes, portant atteinte à la dignité du personnel. Selon certains témoignages, vous allez même jusqu'à dénigrer publiquement le personnel Suisse et la culture suisse ainsi, vous ne supportez pas les salariés qui émettent des avis contraires aux vôtres et vous adoptez à leur encontre un comportement vexatoire, destiné à les rabaisser, voire à les mettre sous pression pour qu'ils quittent l'entreprise.

Ces méthodes condamnables, sont à l'origine d'une ambiance de travail exécrable qui se traduit par des arrêts maladie nombreux, des états dépressifs, et un taux de turn-over anormalement élevé.

De tels agissements sont totalement incompatibles avec les principes éthiques et le management de la société en particulier et du Groupe Safran en général.

Par ailleurs, il apparaît que dans le cadre de la gestion de la société, vous faites preuve d'un manque de constance dans les décisions que vous imposez à vos collaborateurs, sans prendre aucunement en compte leur avis; adoptant des directives contradictoires incomprises du personnel tant au regard des objectifs à atteindre que des moyens à mettre en 'uvre.

Vous avez instauré au sein de la société un climat de défiance vis-à-vis de Sagem, la société-mère, de toute évidence dans le but de masquer vos agissements condamnables, ayant même été jusqu'à modifier les résultats d'une enquête de satisfaction réalisée en mai 2015 auprès du personnel de la société, conduisant à cacher la gravité de la situation de la société résultant de vos agissements.

Ce faisant vous avez donc gravement porté atteinte aux intérêts de vos subordonnés et de votre employeur.

Un tel comportement ne saurait être toléré au sein de notre société et nous conduit donc, à résilier votre contrat de travail avec effet immédiat pour juste motif.'

La lettre de licenciement notifiée le 19 avril 2016 par la société Safran ED, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

'Nous faisons suite à l'entretien préalable en date du 24 mars 2016 au cours duquel vous étiez présent et aviez choisi de vous faire assister par M. [F] [R], salarié de l'entreprise.

Nous vous avons fait part des motifs pour lesquels nous envisagions votre licenciement et avons recueilli vos observations. Cependant, les explications que vous nous avez fournies lors de cet entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

En conséquence, et comme exposé lors de l'entretien préalable, nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, pour le motif exposé ci-après :

Dans le cadre de la mission qui vous a été confiée par Sagem Défense Sécurité, vous avez été expatrié pour une durée de trois ans à compter du 1er avril 2013 au sein de notre filiale suisse la Société Colibrys S.A. afin d'y occuper les fonctions de Chef Executive Officer, filiale avec laquelle vous étiez lié par un contrat de travail.

Pendant la durée de votre expatriation, votre contrat de travail avec notre société a été suspendu.

Le 3 mars 2016, la société Colibrys S.A. a mis un terme à votre contrat de travail avec effet immédiat conformément au droit suisse et à cette même date, nous avons mis fin prématurément à votre mission d'expatriation en Suisse.

Votre contrat de travail avec Sagem Défense Sécurité a alors été automatiquement réactivé du fait de la rupture de votre contrat suisse et nous avons été contraints d'envisager la rupture de votre contrat de travail pour les raisons suivantes.

A la suite d'une enquête, diligentée auprès des salariés de Colibrys S.A à partir du 29 janvier 2016 et pendant tout le mois de février 2016, il est ressorti que vos méthodes de management avaient mis en danger la santé et la sécurité de vos collaborateurs se traduisant notamment par des insultes et des actes d'humiliations répétés à l'encontre de certains de vos collaborateurs. Ce comportement a eu notamment pour conséquence un turn-over important au sein de notre filiale suisse et un nombre d'arrêts de travail anormalement élevé.

Nous avons également appris dans le cadre de cette enquête que, pour justifier de tels agissements, vous n'avez pas hésité à expliquer à vos collaborateurs qui s'inquiétaient de l'ambiance délétère au sein de Colibrys qu'il s'agissait de méthodes approuvées par notre société et que vous étiez chargé de les mettre en place à la suite de l'intégration récente de Colibrys S.A. par Sagem Défense Sécurité.

En outre, cette enquête a révélé que vous avez à plusieurs reprises fait des commentaires déplacés sur le personnel et la culture suisse, en les dénigrant par rapport aux salariés et à la culture française alors qu'il vous avait été rappelé expressément au début de votre expatriation l'importance que nous attachons au respect de ces règles par nos salariés expatriés qui sont des représentants du groupe dans le pays d'affectation.

Vous avez ainsi créé un climat de défiance des collaborateurs de Colibrys S.A. à l'égard de notre société.

Par ailleurs, vous n'avez pas hésité à modifier les résultats d'une enquête de satisfaction menée auprès des salariés de Colibrys S.A. au cours de l'année 2015 nous empêchant de prendre la mesure de la situation au sein de notre filiale et de pouvoir vous aider à mener les actions appropriées pour rétablir un climat serein.

Un tel comportement est inacceptable de la part d'un salarié de votre niveau à qui il appartient de veiller à la bonne intégration au groupe d'une filiale récemment acquise.

En effet, compte tenu de la position que vous occupez au sein du Groupe Safran, il était attendu de vous un comportement irréprochable traduisant les valeurs de notre société et du groupe auquel elle appartient en général, tant dans vos fonctions de manager que dans les relations que vous entreteniez avec vos collaborateurs.

Ces faits portent atteinte au renom et à l'image de notre société et du groupe dans son ensemble, dans ses rapports avec le personnel de la société Colibrys, notre filiale. Le personnel local pense que ce mode de management a été voulu par le groupe et cela entretient une image négative de Sagem Défense Sécurité et du groupe, qui est aussi exportée hors de l'entreprise notamment pour ceux qui ont été contraints de quitter le groupe de manière volontaire ou forcée à la suite de vos agissements.

Vous avez également rompu la nécessaire confiance que Sagem Défense Sécurité doit avoir dans un salarié occupant des fonctions comme les vôtres car il nous est impossible de vous confier une nouvelle mission au sein de notre société ou d'une quelconque société du groupe, considérant les graves carences que vous avez démontrées dans votre management, mission inhérente à la fonction de dirigeant d'une filiale étrangère.

Pour toutes ces raisons, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.

La rupture de votre contrat de travail prendra effet à compter de la date de première présentation de la présente lettre de licenciement.'

I - sur la rupture du contrat de travail :

I - a) sur la demande nouvelle en cause d'appel fondée sur la nullité du licenciement :

La liberté d'expression est consacrée par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. S'agissant des droits et libertés dans l'entreprise, le Code du travail a adopté une disposition spécifique, issue de la loi du 31 décembre 1992 qui dispose sous l'article L 1121-1:

'Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché.'

Il en ressort que, sauf abus, le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées et que le licenciement intervenu en raison de l'exercice non abusif de la liberté d'expression est nul.

Pour la première fois en cause d'appel, M. [L] reproche à l'employeur d'avoir fondé son licenciement sur l'exercice de sa liberté d'expression.

' sur la recevabilité de ce moyen :

Il résulte des articles 8 et 45 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 que les dispositions de l'article R. 1452-7 du code du travail, aux termes desquelles les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel, demeurent applicables aux instances introduites devant les conseils de prud'hommes antérieurement au 1er août 2016.

En l'espèce, la saisine du conseil de prud'hommes datant du 18 mai 2016, soit antérieurement à l'entrée en vigueur des dispositions du décret du 20 mai 2016 à ce titre, la présente instance était encore soumise au principe de l'unicité de l'instance en sorte que M. [L] était recevable à former en cause d'appel une demande nouvelle.

L'exception d'irrecevabilité opposée par la société Safran ED n'est pas fondée et doit être rejetée.

' sur la nullité du licenciement :

Au fond, M. [L] relève que la lettre de licenciement mentionne qu'à 'la suite d'une enquête, diligentée auprès des salariés de Colibrys S.A à partir du 29 janvier 2016 et pendant tout le mois de février 2016, il est ressorti que vos méthodes de management avaient mis en danger la santé et la sécurité de vos collaborateurs se traduisant notamment par des insultes et des actes d'humiliations répétés à l'encontre de certains de vos collaborateurs... Nous avons également appris dans le cadre de cette enquête que, pour justifier de tels agissements, vous n'avez pas hésité à expliquer à vos collaborateurs qui s'inquiétaient de l'ambiance délétère au sein de Colibrys qu'il s'agissait de méthodes approuvées par notre société et que vous étiez chargé de les mettre en place à la suite de l'intégration récente de Colibrys S.A. par Sagem Défense Sécurité. En outre, cette enquête a révélé que vous avez à plusieurs reprises fait des commentaires déplacés sur le personnel et la culture suisse, en les dénigrant par rapport aux salariés et à la culture française alors qu'il vous avait été rappelé expressément au début de votre expatriation l'importance que nous attachons au respect de ces règles par nos salariés expatriés qui sont des représentants du groupe dans le pays d'affectation'.

Tout en réfutant catégoriquement ces griefs, constitutifs d'abus à la liberté d'expression, dont il soutient que l'employeur ne les caractérise nullement, aucun propos litigieux n'étant cité ni davantage contextualisé, M. [L] considère qu'il ressort de cette lettre des motifs de licenciement relevant directement de la violation de sa liberté d'expression.

La société Safran ED objecte qu'il ne s'agit là que du rappel des faits qui ont fondé la rupture de son contrat de travail avec Colibrys, contrat de travail distinct soumis au droit suisse, lesquels n'ont été mentionnés dans la lettre de licenciement que pour expliquer le motif sur lequel la rupture du contrat de travail liant M. [L] à elle a été prononcée, à savoir les répercussions sur son image et son renom du comportement de M. [L] et de la perte de confiance.

M. [L] ne peut soutenir la nullité d'un licenciement qui est fondé sur des abus à la liberté fondamentale d'expression, formulés dans des termes généraux, sans qu'aucune citation ne soit faite, et qui ne sont donc pas caractérisés.

En d'autres termes, reprocher à un salarié des insultes, propos humiliants, dénigrements ou autres propos déplacés, que l'employeur vise dans la lettre de licenciement en des termes vagues et imprécis et, par suite, insusceptibles de fonder une cause de licenciement, ne saurait caractériser, ainsi que le plaide M. [L], de la part de l'employeur une violation à la liberté fondamentale d'expression devant emporter la nullité du licenciement.

Les demandes nouvelles formées en cause d'appel en nullité du licenciement, en réintégration et en paiement d'une indemnité pour licenciement nul, recevables mais injustifiées, seront rejetées.

II - b) sur la cause réelle et sérieuse du licenciement :

Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat.

Il incombe à l'employeur qui l'invoque d'en apporter la preuve.

En application du principe 'non bis in idem', dès lors que le salarié a déjà été sanctionné pour des faits considérés comme fautifs par l'employeur, les mêmes faits ne peuvent fonder un licenciement.

' sur la pluralité de sanctions, l'épuisement du pouvoir disciplinaire et la violation de la règle non bis idem :

En premier lieu, M. [L] reproche à la société Safran ED d'avoir tardé à engager la procédure de licenciement ensuite de la mise à pied conservatoire dont il indique avoir fait l'objet par lettre remise en main propre le 25 janvier 2016.

Nonobstant le fait que la correspondance litigieuse soit établie à en-tête de la société Safran ED, il ressort clairement de cette lettre, qui est signée de M. [X] - dont il est constant qu'il préside le conseil d'administration de la société Colibrys - aux termes de laquelle il est fait expressément référence au projet de rupture du 'contrat de travail de droit suisse', que cette mise à pied ne concernait pas le contrat de travail de droit français dont il est constant qu'il était à cette date suspendu par application de l'avenant d'expatriation conclu le 6 mars 2013. Dans le cadre du présent litige, M. [L] n'est pas fondé à se prévaloir de cette correspondance.

En deuxième lieu, il est constant que dans le cadre de la relation contractuelle le liant à la société Safran ED, M. [L] a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire notifiée le 10 mars 2016. Par ce même courrier, il était convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 21 mars, reporté au 24 mars 2016 et licencié par lettre recommandée avec avis de réception en date du 19 avril 2016.

Une durée de quatorze jours séparant la notification de la mise à pied conservatoire de l'entretien préalable, permettant au salarié de présenter ses observations relativement aux griefs qui lui sont faits, n'est pas excessive. Le moyen soutenu par M. [L] selon lequel une telle durée transformerait cette mise à pied conservatoire en mise à pied disciplinaire et entraînerait, par voie de conséquence l'épuisement du pouvoir disciplinaire de l'employeur sera rejeté.

En troisième lieu, M. [L] soutient que la lettre notifiée le 10 mars 2016, aux termes de laquelle la société Safran ED, prenant acte de la décision de la société Colibrys de rompre le contrat local, met un terme à l'expatriation, constitue une sanction en sorte que l'employeur avait préalablement au prononcé du licenciement litigieux épuisé son pouvoir disciplinaire. Il reproche en outre à l'employeur de ne pas avoir respecté le délai de prévenance applicable en cas de réduction de la mission énoncé à l'article II de l'avenant d'expatriation.

L'avenant d'expatriation stipule :

- d'une part, sous un article II intitulé 'durée de la mission', que « la durée prévisionnelle en Suisse est de trois ans », qu'il s'agit d'une « durée strictement indicative », et qu' « en cas de réduction de la durée prévisible de l'expatriation, un délai de prévenance de trois mois sera donné par la société »,

- d'autre part, sous un article XX-II, intitulé 'fin de contrat local' que « si la société Colibrys met fin au contrat, quel qu'en soit le motif, la société Sagem Défense Security assurera votre rapatriement en France conformément à l'article X du présent avenant. A votre retour la Société Sagem Défense Sécurité ou le Groupe Safran vous proposera un poste, tenant compte de l'expérience et de la compétence acquise lors de votre mission ou, a minima un poste de niveau au moins équivalent à celui que vous occupiez avant votre départ. Ce rapatriement ne présume en rien des suites qui seront données à votre contrat de travail français ».

Contrairement à ce que soutient le salarié, ce dernier article ne se limite donc pas à organiser les modalités financières du rapatriement, à savoir les frais de déménagement et d'installation, observation faite que l'employeur a maintenu au profit de sa famille les avantages liés au logement jusqu'en juillet 2016, mais organise la reprise des effets du contrat de travail le liant avec la société Safran ED.

La lettre litigieuse qui vise expressément la décision prise par la société Colibrys de rompre à effet immédiat le contrat local à effet du 03 mars 2016, ne consiste en réalité, nonobstant la terminologie employée, à savoir 'nous sommes amenés à prendre les décisions suivantes', 'nous mettons un terme à votre mission en Suisse [...]', qu'en la mise en oeuvre des stipulations contractuelles convenues à l'article XX-II, qui ne prévoit aucun délai de prévenance dans l'hypothèse de la rupture du contrat local par la société Suisse.

La lettre du 10 mars 2016 ne s'analysant donc pas en une sanction disciplinaire, l'argumentation développée par le salarié selon laquelle l'employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire de ce chef n'est pas fondée.

' sur le licenciement verbal :

M. [L] déduit de la mention figurant dans la lettre de licenciement selon laquelle 'et comme exposé lors de l'entretien préalable, nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, pour le motif exposé...' un aveu de l'employeur lui même.

La société Safran ED objecte que cette expression, qui se lit dans la continuité des deux paragraphes précédant, ainsi libellés, « Nous vous avons fait part des motifs pour lesquels nous envisagions votre licenciement et avons recueilli nos observations. Cependant les explications que vous nous avez fournies lors de cet entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits. En conséquence, et comme exposé lors de l'entretien préalable, nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, pour le motif exposé », ne s'analyse pas en un aveu d'un licenciement verbal.

Il ressort de la lettre d'observations adressée par le salarié le 11 mai 2016, suite à son licenciement, qu'au cours de l'entretien le représentant de la société lui a indiqué que « si rupture du contrat de travail français il devait y avoir, ce ne serait pas pour les mêmes motifs que pour celle de mon contrat suisse » (pièce n° 27).

Il ne résulte pas de ces éléments que le salarié rapporte la preuve qui lui incombe d'un licenciement verbal prononcé avant le terme de l'entretien préalable. Ce moyen sera rejeté.

' sur la violation de l'article L. 1231-5 du code du travail :

Conformément aux dispositions de ce texte, « lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein. Si la société mère entend néanmoins licencier ce salarié, les dispositions du présent titre sont applicables. Le temps passé par le salarié au service de la filiale est alors pris en compte pour le calcul du préavis et de l'indemnité de licenciement ».

Il est de droit que dans cette situation, l'employeur initial ne peut alors prononcer un licenciement que pour un motif qui lui est propre et nécessairement distinct de celui ayant provoqué le premier licenciement.

La société Safran ED le concède expressément et indique que les mentions visant les faits commis au sein de la société Colibrys et fondement de la décision prise par sa filiale de rompre le contrat avec effet immédiat, n'ont été reprises dans la lettre de licenciement qu'à seule fin de présenter un 'contexte', mais qu'ils ne constituent en aucune façon des reproches au soutien de la rupture du contrat de travail français, lequel ne repose en définitive que sur les seuls griefs suivants :

- Manquement à ses obligations contractuelles (porter les valeurs du groupe),

- Atteinte au renom et à l'image de la société et du groupe dans ses rapports avec le personnel,

- Perte de confiance reposant sur ces carences managériales.

Elle ajoute que 'seule la Chambre patrimoniale cantonale Suisse sera compétente pour décider, et ce conformément au droit suisse et non pas au droit français, si les emails (qu'elle verse aux débats) ont force probante pour démontrer une atteinte grave aux intérêts des subordonnés et de l'employeur Colibrys, tel que visé dans la lettre de licenciement suisse et qu'il n'appartient pas à la Cour d'appel de céans d'en décider.'

Se prévalant d'un arrêt rendu le 17 novembre 2010 (n°19-42.695), par lequel la Cour de cassation a jugé que 'les manquements commis par le salarié au cours de son détachement auprès d'une filière étrangère avaient porté atteinte au renom de la société mère française dans ses rapports avec sa clientèle et son personnel et que la cour d'appel a pu en déduire que ces agissements rendaient impossibles son maintien dans l'entreprise justifiant son licenciement pour faute grave', elle demande à la cour d'appel de décider si elle était bien fondée à déduire que ces faits avaient porté atteinte à son image, à son renom et entraîné une perte de confiance.

M. [L] objecte avoir été licencié par la société Safran ED sur les mêmes griefs que ceux retenus par la société Colibrys. Il plaide en outre que les courriers électroniques communiqués par l'employeur, qui ne constituent pas des attestations rédigées en bonne et due forme, sont dépourvus de force probante.

À l'examen comparé de la lettre de résiliation à effet immédiat notifiée par la société Colibrys le 02 mars 2016 et la lettre de licenciement en date du 19 avril 2016, il ressort que les griefs suivants, figurant dans la lettre de résiliation ne peuvent être pris en considération, ce dont ne disconvient pas l'employeur qui plaide ne les avoir mentionnés qu'à seule fin de rappel contextuel :

1) A la suite d'une enquête, diligentée auprès des salariés de Colibrys S.A à partir du 29 janvier 2016 et pendant tout le mois de février 2016, il est ressorti que vos méthodes de management avaient mis en danger la santé et la sécurité de vos collaborateurs se traduisant notamment par des insultes et des actes d'humiliations répétés à l'encontre de certains de vos collaborateurs. Ce comportement a eu notamment pour conséquence un turn-over important au sein de notre filiale suisse et un nombre d'arrêts de travail anormalement élevé.

2) En outre, cette enquête a révélé que vous avez à plusieurs reprises fait des commentaires déplacés sur le personnel et la culture suisse, en les dénigrant par rapport aux salariés et à la culture française alors qu'il vous avait été rappelé expressément au début de votre expatriation l'importance que nous attachons au respect de ces règles par nos salariés expatriés qui sont des représentants du groupe dans le pays d'affectation.

3) Par ailleurs, vous n'avez pas hésité à modifier les résultats d'une enquête de satisfaction menée auprès des salariés de Colibrys S.A. au cours de l'année 2015 [...].

En revanche, et alors que l'avenant d'expatriation précisait expressément que M. [L] représentait « le groupe Safran en Suisse' Etant dans un pays étranger, votre comportement devra être parfaitement civique avec le respect qui s'impose d'un hôte étranger, tous manquements aux lois du pays sont susceptibles d'entraîner pour vous de sérieuses complications. Ces manquements sont également susceptibles de constituer des fautes au sens du droit du travail, de nature à constituer une cause réelle et sérieuse de rupture de votre contrat de travail », force est de relever que la lettre de résiliation à effet immédiat du 03 mars 2016 ne comporte aucune référence aux griefs suivants :

a) Nous avons également appris dans le cadre de cette enquête que, pour justifier de tels agissements, vous n'avez pas hésité à expliquer à vos collaborateurs qui s'inquiétaient de l'ambiance délétère au sein de Colibrys qu'il s'agissait de méthodes approuvées par notre société et que vous étiez chargé de les mettre en place à la suite de l'intégration récente de Colibrys S.A. par Sagem Défense Sécurité.

Sur ce point pour preuve de la faute reprochée, la société Safran ED verse aux débats un courriel établi par Mme [H], 'Business development manager Russia, Asia', qui après avoir qualifié la politique managériale menée par M. [L] de 'stalinienne', se concrétisant par de multiples licenciements de cadres, porteurs du savoir faire de Colibrys, témoigne de ce que les collaborateurs 'aiment leur société et leur métier et comptent sur M. [X] pour mettre un terme à ce management suicidaire pour la société'. Elle ajoute que 'les salariés de Colibrys ont commencé d'associer la politique managériale de M. [L] à la politique managériale de Sagem, la 'politique managériale française' comme ils disent...'.

Il ne résulte pas de ce témoignage ni d'aucun autre élément que l'employeur rapporte la preuve de ce que le salarié aurait ainsi présenté mensongèrement la politique de management qu'il mettait en oeuvre comme celle approuvée par la société Safran ED. Ce grief n'est pas établi.

b) Vous avez ainsi créé un climat de défiance des collaborateurs de Colibrys S.A. à l'égard de notre société.

À ce titre, l'employeur se prévaut du témoignage de Mme [C], responsable ressources humaines de la société Colibrys, qui indique notamment que « [E] a mis en place un réel système de terreur pour toute personne qui serait sujette à remettre en cause ses décisions ou ses opinions. Il considère qu'il s'agit d'une attaque personnelle. Comme il me l'a dit à plusieurs reprises, on est avec lui ou contre lui ! Le comité de direction a pour mission d'être son mur de protection contre le personnel. Il a également sciemment mis à un climat de méfiance vis-à-vis de Sagem, raison pour laquelle, il n'y a pas eu de remontée avant de ma part. ».

Non circonstanciée, l'affirmation de la mise en oeuvre d'un 'climat de méfiance/défiance' vis-à-vis de la maison mère ne permet pas de caractériser un grief objectif distinct de ceux figurant dans la lettre de résiliation du contrat local, la cour relevant par ailleurs que le témoin justifie, par cette affirmation, la raison pour laquelle elle n'a pas signalé plus tôt cette situation au Président de la société et/ou de la société Safran ED.

La preuve de ce grief n'est pas rapportée.

c) Ces faits portent atteinte au renom et à l'image de notre société et du groupe dans son ensemble, dans ses rapports avec le personnel de la société Colibrys, notre filiale. Le personnel local pense que ce mode de management a été voulu par le groupe et cela entretient une image négative de Sagem Défense Sécurité et du groupe, qui est aussi exportée hors de l'entreprise notamment pour ceux qui ont été contraints de quitter le groupe de manière volontaire ou forcée à la suite de vos agissements.

Si Mme [H] a déclaré que les salariés de Colibrys ont commencé à associer la politique managériale de M. [L] à la politique managériale de Sagem, force est de relever, ainsi que l'objecte M. [L] qu'il ressort de plusieurs des courriels communiqués par l'employeur que certains salariés concernés ont déclaré garder toute leur confiance au groupe Sagem et à la société Safran ED. C'est ainsi que :

- M. [S] déclare :"je crois au Groupe Safran, je crois en ses valeurs'" (pièce n°13),

- Mme [H] : "il est reconnu que le groupe Safran/Sagem - dont Colibrys fait partie - ont la culture du respect des collaborateurs. »,

- M. [I] joint son curriculum vitae à son courriel 'dans le cas où vous seriez à la recherche d'un cadre dirigeant'. (pièce n°13),

- M. [W], dont le contrat de travail prend fin au 31 mars 2016 demande à ses interlocuteurs, de bien vouloir envisager de le réintégrer (pièce n° 29).

Il ressort des pièces communiquées par la société Safran que si les témoins ont une piètre image de leur ancien directeur général, aucun élément probant ne permet d'étayer l'impact négatif que son comportement, tel qu'il est dénoncé dans ces messages, aurait déteint sur l'image de la société Safran ED.

Ce grief n'est pas démontré.

Au jour de la clôture, les autorités judiciaires suisses compétentes ne se sont pas prononcées sur la résiliation du contrat local à effet immédiat et les griefs reprochés au salarié par la société Colibrys.

Faute pour l'employeur de rapporter la preuve d'un manquement disciplinaire distinct de ceux visés dans la lettre de résiliation du contrat local avec effet immédiat, rendant impossible la poursuite de la relation de travail, le jugement sera infirmé en ce qu'il a jugé le licenciement fondé sur une faute grave.

Reste le motif fondé sur le fait d'avoir « également rompu la nécessaire confiance que Sagem Défense Sécurité doit avoir dans un salarié occupant des fonctions comme les vôtres car il nous est impossible de vous confier une nouvelle mission au sein de notre société ou d'une quelconque société du groupe, considérant les graves carences que vous avez démontrées dans votre management, mission inhérente à la fonction de dirigeant d'une filiale étrangère. »

S'il n'appartient pas à la présente cour d'apprécier les griefs reprochés à M. [L] dans la lettre de rupture du 02 mars 2016, force est de constater que la société Safran ED communique une dizaine de courriels rédigés par des cadres, responsables de service pour certains d'entre eux, ou collaborateurs directs de l'intéressé (Mme [G], assistante administrative), lesquels, dans des termes, que l'appelant considère imprécis mais qui s'avèrent à tout le moins concordants, décrivent un management caractérisé par :

- l'exercice 'de pressions', ce qui conduit son assistante administrative à lui notifier par mail le 20 janvier 2016 qu' 'elle rentre chez elle, ne pouvant continuer son travail l'après-midi' et à demander un 'entretien en présence de la responsable des ressources humaines',

- des 'directives contradictoires, le manque de clarté sur les objectifs, les priorités changeantes',

- des 'propos inappropriés, vexants' ; 'he became quite distant. He was mostly abusive, aggressive and often insulting to certains employees',

- un manque de maîtrise de soi, 'capable de s'emporter de manière virulente contre son adjointe administrative à la cafétéria devant les employés pour un souci mineur', des 'crises de rage incontrôlée accompagnées de hurlements et coups de poing sur la table',

- la déstabilisation de l'interlocuteur,

- l'incapacité à entendre un avis différent du sien, à déléguer, à faire confiance à son collaborateur, ce qui le conduit à 'sur contrôler', à faire preuve de reconnaissance pour le travail accompli,

management qualifié de 'stalinien', de 'terreur digne du 18ème siècle',de 'climat de peur et d'insécurité', conduisant au départ de forces vives de la société,

que la mission confiée par la société Safran ED à l'intéressé tendant, selon M. [L], à restructurer une société en difficultés économiques et à assurer son intégration au sein du groupe Safran ne saurait justifier.

En l'état de ce constat, et M. [L] n'ayant pu ignorer la répercussion de ce management sur le personnel de l'entreprise, au regard, d'une part, des conclusions du rapport Synoa, organisme indépendant ayant procédé à l'audition d'une dizaine de salariés de l'entreprise (pièce n° 43), dans le cadre d'un complément de l'enquête d'intégration menée par Swiss-test, qui font état de critiques particulièrement sévères sur le management mis en oeuvre au sein de l'entreprise ('mode directif, dictatorial, sans dialogue, manque de confiance, de respect, de reconnaissance'[...]), lesquelles ont été portées à sa connaissance le 21 avril 2015 et, d'autre part, du signalement que lui a fait Mme [C], ressources humaines, en septembre 2015 de la dégradation de l'indicateur des absences, la société Safran ED établit à tout le moins des carences managériales, lesquelles bien que commises en dehors de l'exécution stricte du contrat de travail, alors suspendu, objectivent la rupture du lien de confiance entre l'employeur et un salarié, dont les fonctions essentielles consistent à manager des équipes, qui caractérise ainsi une cause réelle et sérieuse de licenciement.

C'est donc à bon droit que le conseil de prud'hommes a estimé que le licenciement de M. [L] reposait sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement injustifié.

III - sur l'indemnisation du licenciement :

Conformément aux dispositions de l'article L. 1231-5 du code du travail, lorsque la société mère ne réintègre pas le salarié après son licenciement par la filiale étrangère, les indemnités de rupture auxquelles le salarié peut prétendre doivent être calculées par référence aux salaires perçus par celui-ci dans son dernier emploi.

Le licenciement de M. [L] n'étant pas fondé sur une faute grave, le salarié a droit au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, qui conformément à l'article L. 1234-5 du code du travail doit correspondre à la rémunération brute qu'il aurait perçue s'il avait travaillé pendant la période du délai-congé, des congés payés afférents, d'une indemnité conventionnelle de licenciement.

En l'espèce, le salarié n'est pas fondé à invoquer le salaire suisse qui était définitivement perdu ensuite de la résiliation à effet immédiat de son contrat local. Tenant compte du salaire dont bénéficiait le salarié au sein de la société Safran, de la durée du délai congé (six mois), l'indemnité de préavis s'établit à la somme de 63 252 euros bruts outre 6 325,20 euros au titre des congés payés afférents.

En ce qui concerne l'indemnité de licenciement, celle-ci se calcule conformément aux dispositions conventionnelles sur la moyenne des douze derniers mois, précédant la notification du licenciement, soit en l'espèce d'avril 2015 à mars 2016.

M. [L] invoque un salaire mensuel de référence s'élevant à 26 842 euros, calculé sur le salaire perçu au cours des douze derniers mois en Suisse de mars 2015 à février 2016 (mars 2015 à février 2016 : 353.972 CHF de salaire / 12 = 29497 x 0,91 = 26842 €).

La société Safran ED retient un salaire de référence de 24 922 euros qui est fondé sur les salaires de mai 2015 à avril 2014 qu'elle détaille dans ses écritures.

La moyenne des douze derniers mois de salaire détermine un salaire de référence de 25 483 euros (322104 - 26842 + 10542 /12).

Les parties s'accordant sur les modalités de calcul, l'indemnité allouée sera fixée à la somme de 35676,20 + 53 514,3 = 89 190,5 +20% = 107 028,60 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement était fondé sur une faute grave et en ce qu'il a débouté M. [L] de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, augmentée des congés payés afférents, et d'indemnité de licenciement.

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Juge le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Safran ED à verser à M. [L] les sommes suivantes :

' 63 252 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 6 325,20 euros au titre des congés payés afférents,

' 107 028,60 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

Y ajoutant,

Déclare recevables mais mal fondées les demandes nouvelles formées en cause d'appel en nullité du licenciement, en réintégration et en paiement d'une indemnité pour licenciement nul.

Déboute M. [L] de ces chefs,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Safran ED aux entiers dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur TAMPREAU, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21e chambre
Numéro d'arrêt : 18/04504
Date de la décision : 17/12/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 21, arrêt n°18/04504 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-12-17;18.04504 ?
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