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05/11/2020 | FRANCE | N°18/03661

France | France, Cour d'appel de Versailles, 05 novembre 2020, 18/03661


COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES




Code nac : 89E
5e Chambre


ARRET No


CONTRADICTOIRE


DU 05 NOVEMBRE 2020


No RG 18/03661 JOINT au RG 19/00456


No Portalis DBV3-V-B7C-SS7S


AFFAIRE :


SA MONOPRIX EXPLOITATION




C/


CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS








Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Mai 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de NANTERRE
No RG : 13-02001/N




Copies exécutoire

s délivrées à :


Me Frédérique BELLET


la SELARL KATO & LEFEBVRE ASSOCIES


Copies certifiées conformes délivrées à :


SA MONOPRIX EXPLOITATION


CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS






le : RÉPUBL...

COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES

Code nac : 89E
5e Chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 05 NOVEMBRE 2020

No RG 18/03661 JOINT au RG 19/00456

No Portalis DBV3-V-B7C-SS7S

AFFAIRE :

SA MONOPRIX EXPLOITATION

C/

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Mai 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de NANTERRE
No RG : 13-02001/N

Copies exécutoires délivrées à :

Me Frédérique BELLET

la SELARL KATO & LEFEBVRE ASSOCIES

Copies certifiées conformes délivrées à :

SA MONOPRIX EXPLOITATION

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS

le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SA MONOPRIX EXPLOITATION
[...]
[...]

Représentée par Me Frédérique BELLET- Avocat au barreau de PARIS( C0881)

APPELANTE et INTIMEE sous le No RG 19/00456

****************

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS
[...]
[...]

Représentée par Me Florence KATO et LEFEBVRE ASSOCIES-Avocat au barreau de Paris ( D1901)

INTIMEE et APPELANTE sous le No RG 19/00456

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue le 10 Septembre 2020, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Madame Valentine BUCK, Conseiller,,
Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Morgane BACHE, greffier et de Mme Clémence VICTORIA, greffier placé

Mme D... E..., salariée de la société Monoprix exploitation (ci-après, la ‘Société' ou ‘Monoprix') en qualité d'hôtesse de caisse, a souscrit une déclaration de maladie professionnelle le 30 juillet 2007 au titre d'une "tendinite aigüe épaule gauche", selon certificat médical initial en date du 3 juillet 2007.

Le 16 novembre 2007, la caisse primaire d'assurance maladie de Paris (ci-après, la ‘CPAM' ou la ‘Caisse') a rendu une décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle constatant que la maladie déclarée est inscrite au ‘tableau 57- épaule douloureuse'.

Le médecin conseil de la CPAM a fixé la date de consolidation de l'état de Mme E... en rapport avec cette maladie professionnelle au 23 juin 2009.

Le 31 août 2009, la CPAM a informé la Société de l'attribution à Mme E... d'un taux d'incapacité permanente de 7 %.

Le 17 octobre 2012, la Société a saisi la commission de recours amiable de la Caisse afin de contester la décision de prise en charge.

En l'absence de décision expresse de la commission de recours amiable, la Société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine (ci-après, le ‘TASS'), le 7 octobre 2013 à l'encontre de la décision implicite de rejet.

Par jugement contradictoire en date du 22 mai 2018, le TASS a :
- déclaré la Société irrecevable en son recours contestant la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris de prendre en charge la maladie souscrite par Mme E..., au titre de la législation professionnelle ainsi que les arrêts et soins prescrits à celle-ci au cours de l'année 2007 ;
- déclaré la Société recevable en son recours contestant la décision de la CPAM de prendre en charge l'ensemble des arrêts et soins prescrits à Mme D... E... postérieurement au 1er janvier 2008 ;
- ordonné la réouverture des débats à l'audience du 25 septembre 2018 à 13h30 ;
- dit que la Caisse devra conclure avant le 30 juin 2018 et la Société avant le 11 septembre 2018.

Par déclaration reçue le 6 août 2018, la Société a interjeté appel de ce jugement "en ce qu'il a déclaré irrecevable son recours contre la décision de la caisse de prendre en charge au titre de la législation professionnelle la maladie professionnelle de Mme E... du 3 juillet 2017 ainsi que son recours contre la décision de la caisse de prendre en charge les lésions, soins et arrêts de travail au cours de l'année 2007".

Par jugement en date du 6 août 2018, le TASS a déclaré inopposable à la Société les soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris à compter du 1er janvier 2008 afférents à la maladie professionnelle du 3 juillet 2007 déclarée par Mme E....

Par déclaration reçue en date du 14 février 2019, la caisse a interjeté appel de ce jugement.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 31 janvier 2020 en ce qui concerne le premier jugement.
Lors de l'audience du 31 janvier 2020, la CPAM a sollicité le renvoi en collégiale.
Les parties ont alors été convoquées à l'audience collégiale de la cour du 10 septembre 2020 pour qu'il soit procédé à l'examen des deux recours.

Par conclusions écrites soutenues à l'audience, la Société sollicite l'infirmation du jugement et la cour de :
- constater que les dispositions de l'article 2224 du code civil ne sont pas applicables au contentieux général ;
- constater que la Caisse ne rapporte pas la preuve de l'existence entre elle et la Société d'une action personnelle ou mobilière susceptible de faire courir le délai de prescription de cinq ans ;
- constater que les seules dispositions applicables sont celles dérogatoires au droit commun de la prescription prévues par l'article L. 243-6 du code de la sécurité sociale prévoyant une prescription triennale de l'action en remboursement des cotisations indues ;

- constater qu'à supposer qu'il y ait une créance, celle-ci est suspendue dans l'attente d'une décision définitive permettant à la Société de solliciter la rectification des taux de cotisation accidents du travail ;
- constater qu'aucune décision de la Caisse ayant généré la rectification des cotisations accidents du travail n'étant intervenue, le recours de la Société n'est pas prescrit ;
- constater que dans ces conditions la Caisse ne peut se prévaloir de la prescription quinquennale extinctive de l'article 2224 du code civil ;
- constater que la décision de prise en charge de la maladie adressée à la Société est une simple information et ne constitue pas une notification au sens des textes applicables au présent litige et ne fait donc courir aucun délai de recours ;
En conséquence,
Infirmer le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts de Seine le 22 mai 2008,
Statuant à nouveau,
Déclarer que son action n'est pas prescrite et n'est pas forclose ;
En conséquence,
Sur le fond : sur l'absence de clôture de l'instruction adressée à l'employeur
- constater que la Caisse a ouvert une instruction afin de se prononcer sur le caractère professionnel de la maladie déclarée par Mme E...,
- constater que la Caisse ne l'a toutefois pas avisée de la clôture de l'instruction , des éléments susceptibles de faire grief, de la possibilité de consulter le dossier de Mme E... ni de la date à laquelle elle entendait prendre sa décision,
En conséquence,
- lui déclarer inopposable la décision de prise en charge par la Caisse au titre de la législation professionnelle de la maladie du 3 juillet 2007 déclarée par Mme E...,
A titre subsidiaire,
- constater que l'employeur conteste les décisions de prise en charge de l'ensemble des prestations, soins et arrêts pris en charge par la Caisse au titre de la pathologie du 3 juillet 2007 déclarée par Mme E...,
- constater qu'en ne communiquant pas les certificats médicaux descriptifs de prolongation ni les avis de son médecin conseil, qu'elle a pris en charge, la Caisse ne peut établir la continuité de symptômes et de soins nécessaire à l'application de la présomption d'imputabilité au travail ;
En conséquence,
- dire et juger que les lésions soins et arrêts de travail pris en charge par la Caisse au titre de la pathologie du 3 juillet 2007 déclarée par Mme E... lui sont inopposables ;
A titre infiniment subsidiaire,
- constater que les prestations servies à l'assurée font grief à l'entreprise au travers de l'augmentation de ses taux de cotisation accidents du travail ;
- constater que la Caisse n'a pas communiqué à l'employeur l'ensemble des pièces constituant le dossier de Mme E...
- constater que la Caisse met l'employeur dans l'impossibilité d'articuler une critique argumentée à l'encontre de ses décisions de prise en charge des prestations postérieures au sinistre ;
- constater qu'il existe un litige d'ordre médical portant sur la réelle imputabilité de l'ensemble des lésions, prestations, soins et arrêts de travail indemnisés au titre de la pathologie déclarée par Mme E... ;
- ordonner avant dire droit une expertise médicale judiciaire, confiée à tel expert qu'il plairait à la cour de nommer, selon mission définie aux conclusions ;
En tout état de cause,
- débouter la caisse primaire d'assurance maladie de Paris de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Par conclusions écrites soutenues à l'audience, la Caisse demande à la cour de :
- ordonner la jonction des recours ;
A titre principal,
- confirmer le jugement du 22 mai 2018 en ce qu'il a retenu la prescription de l'action de la Société en contestation de la prise en charge de la maladie professionnelle de Mme E... et des prestations afférents pour l'année 2007 ;
- infirmer le jugement du 22 mai 2008 en ce qu'il a déclaré la Société recevable en sa contestation des soins et arrêts de travail pris en charge à compter du 1er janvier 2008 ;
En conséquence,
- déclarer la Société irrecevable, car prescrite en sa contestation de la décision de prise en charge de l'affection déclarée par Mme E... le 3 juillet 2007 ;
- déclarer irrecevable la contestation de l'employeur portant sur la durée de la prise en charge des soins et arrêts de travail consécutifs à la maladie professionnelle du 3 juillet 2007 ;
- annuler ou à tout le moins infirmer le jugement rendu le 4 décembre 2018 dans la mesure où il n'y a pas lieu de statuer sur une demande irrecevable ;
A titre subsidiaire,
- infirmer le jugement du 4 décembre 2018 en toutes ses dispositions ;
- débouter la Société de l'ensemble de ses demandes ;
A titre infiniment subsidiaire,
- fixer comme indiqué aux conclusions la mission d'expertise et mettre les frais d'expertise à la charge de la Société ;
En tout état de cause,
- condamner la Société en tous les dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions et pièces déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS

Sur la jonction

La Caisse sollicite la jonction des procédures RG 18/03661 et RG 19/00456.
La Société ne s'y oppose pas.

La cour observe que, si le premier dossier concerne un appel de la Société et le second un appel de la Caisse, ils concernent tous deux une procédure unique, ayant certes donné lieu à deux jugements distincts, mais enregistrées au tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine sous la seule référence 13-02001.

Il est d'une bonne administration de la justice de joindre les deux dossiers et ils le seront sous le seul numéro de répertoire général 18/03661.

Sur la prescription

La Société conteste que les dispositions de l'article 2224 du code civil, sur lequel se fonde la Caisse, soient applicable au litige. Cet article fait référence au droit personnel qui est un droit de créance. L'action personnelle est dirigée contre une personne obligée envers le demandeur par un contrat, quasi-contrat, un délit, un quasi-délit ou par l'effet de la loi.
Or, la Société considère que la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie ne fait naître à ce stade, aucun droit de créance en faveur de l'employeur. La décision contestée ne fait naître de droit à créance que dans ses conséquences, à travers la majoration subséquente du taux de cotisation AT/MP pour l'employeur et par conséquent l'acquittement des cotisations sociales.
La décision de la caisse relative à la prise en charge d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne fait grief à l'employeur que lorsqu'elle rentre dans le calcul de son taux accident du travail, qui le conduit à payer des cotisations supplémentaires. Or, les cotisations AT/MP étant acquittées auprès de l'URSSAF et non de la CPAM, le droit à créance né de la décision de prise en charge de l'accident ou de la maladie est détenu par la Société uniquement à l'égard de l'URSSAF.
L'action personnelle de la société, créancière qui consiste à demander à son débiteur, l'URSSAF le remboursement des cotisations indûment payées, est encadrée dans une prescription spéciale de trois ans, dérogatoire au droit commun à compter de la décision définitive ayant généré l'indu, conformément aux dispositions de l'article L. 243-6 du code de la sécurité sociale.
La Société en déduit qu'elle est en droit d'obtenir le remboursement de l'intégralité des cotisations qu'elle a indûment versées dès lors qu'elle en fait la demande dans un délai de trois ans à compter de la naissance de son obligation, laquelle n'intervient qu'à compter du moment où la décision ayant généré l'indu devient définitive, ce principe aurait été rappelé par une lettre circulaire ACOSS no 2015-0000025 du 15 juin 2015.
Elle en conclut que les demandes de l'employeur ne pouvant être dirigées que contre la CARSAT qui rectifie les taux ou contre l'URSSAF qui doit rembourser les cotisations payées, seules les dispositions de l'article L. 243-6 du code de la sécurité sociale sont applicables.

En revanche, aucune décision de la caisse ayant généré la rectification des cotisations AT n'étant intervenue, le recours de la Société ne peut être déclaré prescrit.
La Société fait également référence à une circulaire interministérielle du 12 juillet 2010 qui ne prévoirait aucune disposition concernant les recours des employeurs en la matière.
Si la Cour devait appliquer les dispositions de l'article 2224 du code civil, elle devrait préalablement constater la créance que détient l'employeur à l'égard de la Caisse. Celle-ci doit rapporter la preuve que dans ses rapports avec la Société, il existe entre elles une action personnelle ou mobilière susceptible de faire courir le délai de prescription de cinq ans, preuve que la Caisse ne rapporte pas.
En tout état de cause, la Société entend se prévaloir des dispositions de l'article 2233 du code civil, selon lesquelles la prescription ne court pas à l'égard d'une créance qui dépend d'une condition, jusqu'à ce que la condition arrive. Elle demande ainsi à la cour de constater qu'il ne pourrait y avoir une créance que lorsqu'elle sera en possession d'une décision définitive lui permettant de solliciter la rectification de ses taux de cotisations AT/MP.
La Société se fonde également sur l'arrêt rendu le 9 mai 2019 par la 2ème chambre civile de la Cour de cassation pour considérer que la prescription de droit commun ne s'applique pas en l'espèce.
S'agissant d'un dossier antérieur à l'entrée en vigueur du décret no 2009-938 du 29 juillet 2009, la Société indique que les dispositions de l'article R. 441-10 et suivants du code de la sécurité sociale prévoyant que les décisions motivées susceptibles de faire grief sont notifiées par la caisse par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception ne s'appliquent pas. Ainsi, l'information donnée en application de l'article R. 441-14 du même code, dans sa version applicable au litige, ne constitue pas une notification et ne fait pas courir les délais de recours.
La décision de prise en charge de la caisse constitue une simple information ne faisant pas courir les délais de recours contre l'employeur. L'action en cause n'est donc pas prescrite.

La Caisse fait tout d'abord valoir que les dispositions de l'article 2224 du code civil établissent une prescription quinquennale qui est la prescription de droit commun applicable à toutes les actions qui ne sont pas soumises à un délai de prescription prévu par une loi spéciale.
La Caisse rappelle qu'antérieurement à la réforme issue du décret de 2009, comme en l'espèce, la saisine de la CRA n'était pas un préalable obligatoire à la saisine du TASS par l'employeur. La saisine de la CRA par la Société, le 17 octobre 2012, n'a donc pas interrompu la prescription.
En revanche, la Société ayant signé l'accusé de réception du courrier du 16 novembre 2007, l'informant de la prise en charge de la pathologie de Mme E..., le 22 novembre 2007, disposait d'un délai de cinq ans, à compter du 19 juin 2008 (entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la prescription) pour engager une action en inopposabilité.
N'ayant saisi le TASS que le 7 octobre 2013, la Société se trouve "manifestement prescrite" en sa demande.
Plus généralement, la Caisse considère que "le principe de la sécurité juridique impose que (l'action de la Société) quand bien même il s'agirait d'une action sui generis soit soumise à un délai de prescription", en l'occurrence, celui de l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale.
A titre très subsidiaire, la Caisse plaide la rupture de l'égalité des armes. Alors qu'elle avait été informée de la décision de la Caisse dès le 22 novembre 2007, c'est près de cinq ans après que la Société a saisi la CRA, alors qu'en vertu de l'article D. 253-44 du code de la sécurité sociale, la Caisse n'est soumise qu'à un délai d'archivage de deux ans. Dès lors la Caisse "ne dispose plus des pièces nécessaires à sa défense" et d'autant plus qu'en 2007, l'époque n'était pas encore à la dématérialisation.

Sur ce

Il est constant que les dispositions du décret no 2009-938 du 29 juillet 2009, qui ont notamment modifié les articles R. 441-10 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale, sont entrées en vigueur le 1er janvier 2010, soit postérieurement aux faits de la cause.

En l'occurrence, la Société conteste avoir reçu notification de la décision de la Caisse de prendre en charge la pathologie déclarée par Mme E....

La Société ne peut valablement soutenir une telle position.
En effet, il résulte des pièces versées au débat que, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 16 novembre 2007, reçu le 22 novembre 2007, la Caisse a informé la Société, de la prise en charge de cette pathologie au titre de la législation professionnelle.

C'est à tort que la Société fait référence aux droits qui sont les siens au regard des cotisations qu'elles doit régler et qui se trouvent, de fait et en principe, majorées en cas d'accident ou de maladie professionnels.
La cour ne conteste en aucune manière que, s'agissant de l'action en remboursement de cotisations indues, la prescription est triennale.

C'est également à tort que la Caisse croit pouvoir invoquer les dispositions de l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, lequel concerne les droits pour une victime d'un accident du travail (ou ses ayants droit) de contester une décision de l'organisme social en matière de prestations ou d'indemnités.

En effet, le débat ne concerne en aucune manière les cotisations sociales, les prestations ou les indemnités, il a trait à l'opposabilité d'une décision de prise en charge d'une maladie professionnelle.

Aux termes de l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa version alors applicable :

Lorsqu'il y a nécessité d'examen ou d'enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l'employeur avant l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article R. 441-10 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. A l'expiration d'un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d'accidents du travail ou trois mois en matière de maladies professionnelles à compter de la date de cette notification et en l'absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu.
En cas de saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, mentionné au cinquième alinéa de l'article L. 461-1, le délai imparti à ce comité pour donner son avis s'impute sur les délais prévus à l'alinéa qui précède.
La décision motivée de la caisse est notifiée à la victime ou à ses ayants droit sous pli recommandé avec demande d'avis de réception. En cas de refus, le double de la notification est envoyé pour information à l'employeur.
Si le caractère professionnel de l'accident, de la maladie, ou de la rechute n'est pas reconnu par la caisse, celle-ci indique à la victime dans la notification les voies de recours et les délais de recevabilité de sa contestation.
Le médecin traitant est informé de cette décision. (souligné par la cour)

L'article R. 142-18 du même code, dans sa version applicable en septembre 2009, se lit :
Le tribunal des affaires de sécurité sociale est saisi, après l'accomplissement, le cas échéant, de la procédure prévue à la section 2 du présent chapitre, par simple requête déposée au secrétariat ou adressée au secrétaire par lettre recommandée dans un délai de deux mois à compter soit de la date de la notification de la décision, soit de l'expiration du délai d'un mois prévu à l'article R. 142-6.
La forclusion ne peut être opposée toutes les fois que le recours a été introduit dans les délais soit auprès d'une autorité administrative, soit auprès d'un organisme de sécurité sociale ou de mutualité sociale agricole. (souligné par la cour)

Dans le cas présent, la question ne porte pas sur le respect, par la Société, de ce délai de deux mois mais sur le délai écoulé entre la notification de la décision initiale de prise en charge de la Caisse et le recours de la Société devant le TASS.

La cour relève qu'il est exact que la Société a saisi la commission de recours amiable d'une contestation, le 17 octobre 2012. La Société a donc attendu presque cinq ans pour saisir la commission de recours amiable.

Au demeurant, la saisine de la CRA ne constituait pas, à l'époque, un préalable nécessaire et n'avait pas pour effet d'interrompre un quelconque délai de prescription.

La cour de céans a bien noté, que la Cour de cassation a pu statuer dans les termes suivants (recours 18-10909) :

Attendu que si la décision de la caisse primaire qui reconnaît le caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute fait grief à l'employeur qui est recevable à en contester l'opposabilité ou le bien-fondé dans les conditions fixées par les deux derniers de ces textes, le recours de l'employeur ne revêt pas le caractère d'une action au sens du premier ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la caisse primaire d'assurance maladie du Cher (la caisse) ayant pris en charge le 23 mai 2005, au titre de la législation professionnelle, la maladie d'un des salariés de la société MBDA France (l'employeur), celle-ci, après avoir infructueusement saisi le 5 mai 2015 la commission de recours amiable de la caisse en demandant que cette décision lui soit inopposable, a porté son recours devant une juridiction de sécurité sociale ;

Attendu que pour déclarer l'action prescrite, l'arrêt énonce qu'en l'absence de délai de prescription spécifique à l'action visant à voir reconnaître le caractère inopposable à l'employeur de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle du salarié, la caisse primaire est fondée à se prévaloir de la prescription quinquennale de droit commun de l'article 2224 du code civil ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt (...)

La cour a également connaissance d'un pourvoi no 18-13696, dont la décision retient que le recours de l'employeur ne revêt pas le sens d'une action au sens de l'article 2224 du code civil.

La cour doit cependant faire l'observation préliminaire que ces décisions ont été prises en formation restreinte de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation et sur les conclusions contraires de l'avocat général.

L'article 2224 du code civil se lit :

Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Il ne peut être valablement soutenu que le recours d'un employeur contre une décision de prise en charge d'une maladie professionnelle, laquelle a un effet direct sur le montant des cotisations qu'il doit régler, ne constitue pas une "action" au sens de cette disposition du code civil.

Le code de la sécurité sociale prévoit un certain nombre de dispositions, dont celles qui ont été rappelées ci-dessus, qui encadrent le droit de la sécurité sociale en ce qu'il a de spécifique.
A cette fin, diverses dispositions sont envisagées, qui règlent notamment la question de la prescription/de la forclusion, laquelle varie notamment selon que la ‘fraude', au sens du droit de la sécurité sociale, peut être retenue ou non, auquel cas le délai de prescription (ou de forclusion) se trouve allongé.

Les circulaires auxquelles la Société renvoie (circulaire du ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique ainsi que du ministre de la santé et des sports no DSS/2010/260 relative aux règles de prescription applicables en matière de sécurité sociale ; lettre circulaire de l'Acoss du 15 juin 2015) ne font aucunement mention du cas qui se présente devant la cour. Leur examen confirme, en revanche, qu'aucune disposition du code de la sécurité sociale ne fixe les règles de prescription en la matière.

Il est de principe que, lorsqu'aucune loi spéciale ne trouve à s'appliquer, c'est la loi générale qui fixe les principes applicables.

A cet égard, il est constant que les dispositions de l'article L. 243-6 du code de la sécurité sociale ne peuvent trouver à recevoir application ici.

Il convient d'ajouter que l'existence de délais de prescription a notamment pour but de garantir une forme de sécurité juridique. Ce qui est vrai en matière pénale (seul le crime de génocide est, à ce jour, imprescriptible) doit l'être bien davantage en matière civile et tout spécialement en matière de sécurité sociale, dans le cadre de laquelle il existe, déjà, une règle particulière qui est celle de l'indépendance des rapports caisse-salarié et caisse-employeur, laquelle est plus particulièrement susceptible de bénéficier à l'employeur.

Il peut être ajouté ici que l'ancienneté des faits rend particulièrement malaisée, sinon impossible, la production de pièces anciennes, le délai d'archivage de la Caisse étant, de droit, de deux ans et en pratique d'environ deux ans et demi, alors que les moyens électroniques de conservation des archives étaient à l'époque, il faut le souligner, à l'état d'ébauche pour ne pas dire inexistants dans la pratique.

Enfin, les termes mêmes de la saisine de la CRA par la Société démontrent que la Société a eu connaissance de la décision de la Caisse et de ses répercussions financières, puisque le recours fait expressément référence à "l'imputation de prestations importantes en relation avec l'affection déclarée par Mme E..." sur les relevés de compte employeur 2008 et 2009.
Le facteur déclenchant des sommes liées aux ‘prestations importantes' qu'un employeur aura à payer n'est pas le relevé de comptes, qui ne fait que détailler le montant des cotisations dues par l'employeur, relevé qui peut concerner d'autres occurrences que celles liées à tel ou tel accident du travail.
Le facteur déclenchant de ce que les cotisations d'un employeur seront majorées est la décision que prend une caisse primaire d'assurance maladie de prendre en charge un accident (ou une maladie) au titre de la législation du travail.

C'est cette décision qui est génératrice de droits ou d'obligations pour l'employeur.
Le relevé de cotisations ne peut servir de fondement à un calcul de délai que dans l'hypothèse, qui n'est pas que d'école, où l'employeur n'a pas été dûment informé de la décision de la caisse.

Dans le cas présent, la date du 22 novembre 2007, date de réception par l'employeur de la décision de la Caisse, constitue date certaine de la notification de la décision de la CPAM, laquelle porte nécessairement et directement atteinte aux droits de la Société.

D'ailleurs, dans son recours devant la CRA, la Société ne cesse de critiquer (ce qui est au demeurant son droit le plus strict) la ‘décision de prise en charge de la maladie du 3 juillet 2007'.

En ne saisissant le TASS que le 7 octobre 2013, alors que le délai de prescription de cinq ans résultant de l'application de la loi du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008, était dépassé, la Société a engagé son action au-delà du délai prévu par les dispositions de l'article 2224 du code civil.

Ce faisant, elle se trouve prescrite.

La cour confirmera le jugement entrepris sur ce point.

Sur la durée de la prise en charge des soins et arrêts de travail

La Société ne peut donc plus contester la décision de prise en charge elle-même.
En revanche, la Société a également contesté la durée des soins et arrêts de travail imputés à la maladie déclarée par Mme E....

Pour les raisons sus-indiquées, la Société n'est pas fondée à contester la prise en charge des arrêts de travail jusqu'au 6 octobre 2008 inclus.

En revanche, dès lors que cette prise en charge se poursuit, la Société peut légitimement la contester.

La Caisse considère que la Société n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause la prise en charge des soins et arrêts de travail dont a bénéficié Mme E... jusqu'à la date de consolidation.

Sur ce

La cour observe, tout d'abord, qu'il est constant que la Société (elle produit elle-même le document) a été informée par la Caisse, par courrier en date du 31 août 2009, de la date de consolidation et du taux d'incapacité permanente partielle retenu à l'égard de Mme E..., soit 7%, ce courrier précisant que la date d'effet de la décision était au 24 juin 2009.

La Société n'a jamais contesté cette décision.
Dans sa saisine de la CRA, le 17 octobre 2012, la Société a exclusivement contesté "les conditions de prise en charge de la maladie du 3 juillet 2007 déclarée par Madame E... ainsi que la durée des soins et arrêts pris en charge au titre de cette maladie".

La contestation formée par la Société devant le TASS n'a d'ailleurs porté que sur ces deux points.

En tout état de cause, le caractère professionnel de la pathologie déclarée par Mme E... (en l'espèce, une maladie du tableau 57 des maladies professionnelles), ne peut être, pour les raisons invoquées ci-dessus, remis en cause par la Société.

Il en résulte que les soins et arrêts de travail postérieurs bénéficient d'une présomption d'imputabilité à la déclaration initiale.
Il s'agit d'une présomption simple, qu'un employeur peut réfuter soit en apportant des éléments de preuve de nature à interrompre le lien entre ces soins et arrêts de travail avec la pathologie déclarée, soit en observant que la Caisse ne démontre pas cette continuité.

C'est ce que l'employeur fait en première instance, en reprochant à la Caisse de ne pas produire les arrêts de travail, et maintient devant la cour.

Mais, de fait, la Société n'apporte aucune démonstration d'une quelconque absence de continuité dans les soins et arrêts de travail ni aucun élément de nature à remettre en cause l'imputabilité à la pathologie initialement déclarée de l'ensemble des soins et arrêts de travail jusqu'à la date de consolidation (la cour observant d'ailleurs, à toutes fins, que la consolidation n'exclut pas des soins postérieurs, dès lors qu'elle aurait été considérée comme acquise avec séquelles - la question ne se pose cependant pas ici).

La cour relève, en outre, que la pathologie dont a souffert Mme E... a été suffisamment grave pour devoir faire l'objet, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier, d'une opération chirugicale.

La cour note, aussi, que la Société, alors que c'est en son pouvoir, n'a ni sollicité qu'il soit diligenté une visite par un médecin-contrôleur, ni recouru à l'assistance d'un médecin-conseil pour apprécier la situation médicale de Mme E....

Enfin, une mesure d'expertise ne saurait avoir pour but de pallier la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.

Il n'existe ainsi aucun motif de ne pas retenir la présomption d'imputabilité à la pathologie déclarée de la totalité des soins et arrêts de travail entre le 3 juillet 2007 et le 23 juin 2009, date de consolidation.

La cour infirmera donc le jugement entrepris en ce qui concerne la période de prise en charge des soins et arrêts de travail, consécutifs à la déclaration de maladie professionnelle dont a été victime Mme D... E..., et dira ceux-ci opposables à la Société jusqu'au 23 juin 2009.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure pénale

La Société, qui succombe à l'instance, supportera les dépens d'appel depuis le 1er janvier 2019.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par décision contradictoire,

Ordonne la jonction des procèdures enregistrées au greffe de la cour sous les numéros de répertoire général 18/03661 et 19/000456 sous la seule référence RG 18/03661 ;

Confirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine en date du 22 mai 2018 (13-02001) en toutes ses dispositions ;

Infirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine en date du 4 décembre 2018 (13-02001) en toutes ses dispositions autres que celle relative aux dépens ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare opposable à la société Monoprix exploitation la totalité des soins et arrêts de travail en relation avec la pathologie déclarée à compter du 3 juillet 2007 et ce jusqu'au 23 juin 2009, date de consolidation de Mme D... E..., pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris au titre de la législation professionnelle ;

Condamne la société Monoprix exploitation aux dépens d'appel ;

Déboute les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire ;

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Madame Morgane Baché, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 18/03661
Date de la décision : 05/11/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-11-05;18.03661 ?
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