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15/10/2020 | FRANCE | N°20/01051

France | France, Cour d'appel de Versailles, 14e chambre, 15 octobre 2020, 20/01051


COUR D'APPEL


DE


VERSAILLES








Code nac : 35A





14e chambre





ARRET N°





CONTRADICTOIRE





DU 15 OCTOBRE 2020





N° RG 20/01051 - N° Portalis DBV3-V-B7E-TYEH





AFFAIRE :





T... G...








C/


SAS NEOCASE SOFTWARE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège












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Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 30 Janvier 2020 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE


N° chambre :


N° Section :


N° RG :





Expéditions exécutoires


Expéditions


Copies


délivrées le :


à :





Me Antoine DE LA FERTE





Me Anne-laure DUMEAU





RÉPUBLIQUE FR...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 35A

14e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 OCTOBRE 2020

N° RG 20/01051 - N° Portalis DBV3-V-B7E-TYEH

AFFAIRE :

T... G...

C/

SAS NEOCASE SOFTWARE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 30 Janvier 2020 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre :

N° Section :

N° RG :

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Antoine DE LA FERTE

Me Anne-laure DUMEAU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur T... G...

Né le [...] à STRASBOURG

de nationalité Française

[...]

[...]

SUISSE

Représenté par Me Antoine DE LA FERTE de la SELARL LEPORT & Associés, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 283 - R

Assisté de Me Emmanuel MOITIE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0428

APPELANT

****************

SAS NEOCASE SOFTWARE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 433 538 782

[...]

[...]

Représentée par Me Anne-laure DUMEAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628 - N° du dossier 42746

Assistée de Me Clotilde NORMAND de l'AARPI LOGELBACH ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0042 -

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Septembre 2020, Madame Marie LE BRAS, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Nicolette GUILLAUME, Président,

Madame Marie LE BRAS, Conseiller,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sophie CHERCHEVE

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SAS Software Neocase a pour activité l'acquisition, la vente, la location et la création de matériels et progiciels dans le domaine de la gestion des ressources humaines. Elle emploie une centaine de salariés basés majoritairement en Europe et aux Etats-Unis.

M. T... G... a été président de ladite société de septembre 2015 à janvier 2019. Il a démissionné de ses fonctions à la suite d'un désaccord avec l'actionnaire majoritaire, la société Iris Capital Fund II, concernant la stratégie de développement à adopter, tout en restant membre du comité stratégique de la SAS Software Neocase.

Lors de l'assemblée générale du 25 janvier 2019, la société EMR Consulting, dirigée par M. X..., a été désigné président de la société Software Neocase.

Le 28 janvier 2019, M. G... a passé un accord avec l'actionnaire majoritaire aux termes duquel ce dernier lui a conféré certains droits préférentiels en cas d'augmentation de capital.

Le capital de la SAS Software Neocase est aujourd'hui réparti de la façon suivante :

Iris Capital Fund II : 85,36 %

PGA Participations : 12,96 %

M. J... W... : 1,08 %

M. T... G... : 0,43 %

M. K... I... : 0,17 %

Un nouveau plan de développement de la société destiné à lui permettre de retrouver un résultat équilibré en 2020 et une forte croissance des bénéfices à partir de 2021 a été approuvé par le comité stratégique le 27 mars 2019, M. G... s'étant abstenu. Suite à cet accord, une recherche d`investisseurs a été lancée.

Le 10 octobre 2019, un premier investisseur, la société Entrepreneur Venture, a adressé une lettre d'intention à la société et à son actionnaire principal, rejointe ensuite par la société Sofiouest.

Le 21 octobre 2019, une offre a été faite : ces deux investisseurs ont proposé de souscrire des obligations convertibles en actions pour un montant total de 4 625 000 euros, l'actionnaire principal, Iris Capital, apportant pour sa part 875 000 euros, l'investissement global s'élevant à 5 700 000 euros.

L'offre a laissé la possibilité à la société Iris Capital de céder à M. G... 10 % de sa souscription, soit 87 500 euros maximum.

Les futurs investisseurs ont toutefois soumis cette offre à certaines conditions suspensives, notamment une modification des statuts devant être adoptée à l'unanimité afin que soient insérés un droit de préemption, un droit de sortie conjointe et une obligation de sortie.

L'offre ferme a été adressée par courriel le 13 décembre 2019 aux membres du comité stratégique en vue de sa réunion fixée le 17 décembre 2019 au cours de laquelle M. G... a refusé de voter les décisions destinées à donner pouvoir au président pour signer l'offre et finaliser les aspects juridiques, notamment pour convoquer l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires devant statuer à l'unanimité sur la modification des statuts.

Une assemblée générale extraordinaire a finalement pu se tenir le 26 décembre 2019 suivant convocation du 19 décembre 2019. Lors de cette assemblée, M. G... a voté en faveur du projet d'investissement mais contre la modification des statuts.

Malgré l'absence de vote unanime, les investisseurs ont accepté de maintenir leur offre jusqu'au 31 janvier 2020.

Par acte en date du 10 janvier 2020, la société Neocase Software a fait assigner en référé à heure indiquée M. G... afin d'obtenir la désignation d'un mandataire ad hoc afin de le représenter à la prochaine assemblée générale de la société Neocase Software et de voter en son nom dans le sens que commande l'intérêt social de la société, sans porter atteinte à l'intérêt légitime des associés minoritaires.

Par ordonnance contradictoire rendue le 30 janvier 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :

- désigné en qualité de mandataire ad hoc la SARL FHB mission conduite par Maître N... S..., avec pour mission de représenter M. G... à la prochaine assemblée générale qui sera convoquée afin de statuer sur une résolution unique correspondant à la 4ème résolution présentée à l'assemblée générale du 26 décembre 2019 et tendant à la modification des statuts pour y insérer un droit de préemption, un droit de sortie conjointe et une obligation de sortie,

- dit que Maître S... devra avant l'assemblée entendre la société représentée par son président, et M. G..., afin d'analyser la situation et de voter dans le sens de l'intérêt social sans porter atteinte à l'intérêt légitime de celui qu'il représente,

- dit que la mission prendra fin à l'issue de l'assemblée générale et au plus tard le 10 mars 2020,

- fixé à 3 000 euros la provision qui sera versée à Maître S... par la société Neocase,

- condamné à titre provisionnel et en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, M. G... à payer à la société Neocase la somme de 10 000 euros,

- dit que les dépens seront mis à la charge de M. G...,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration reçue au greffe le 14 février 2020, M. G... a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Lors de l'assemblée générale qui s'est tenue le 20 février 2020 à 15 heures, le mandataire ad hoc a voté pour l'adoption des nouveaux statuts après modification de l'article 13 relatif à l'obligation de sortie afin d'en restreindre l'application aux offres de cession présentées par un tiers et de l'exclure pour les offres émanant d'un associé.

Dans ses dernières conclusions déposées le 20 juillet 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. G... demande à la cour, au visa de l'article 873 du code de procédure civile, de :

- réformer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a jugé qu'il a commis un abus de minorité et causé un trouble manifestement illicite à la société Neocase Software, puis désigné un mandataire ad hoc et l'a condamné à payer 10 000 euros à la société Neocase Software au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- juger qu'il n'a commis aucun abus de minorité,

- juger la société Neocase Software irrecevable en ses demandes et l'en débouter ;

- juger qu'il n'a causé ni dommage imminent, ni trouble manifestement illicite, à la société Neocase Software ;

- juger que la désignation d'un mandataire ad hoc n'avait ni pour objet ni pour effet de procéder à une remise en état et que ladite mesure était dépourvue de tout caractère conservatoire ;

- en conséquence, juger mal fondée la demande de désignation d'un mandataire ad hoc, débouter la société Neocase Software de toutes ses demandes et les déclarer mal fondées ;

- juger nul, de nullité absolue et en tout état de cause comme lui étant inopposable, le vote émis en son nom le 20 février 2020 par le mandataire ad hoc de manière globale pour approuver les nouveaux statuts dans leur ensemble ;

- juger que sa condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile est dépourvue de fondement et de motivation et condamner la société Neocase Software à lui rembourser la somme de 10 000 euros qu'il lui a payée à ce titre ;

- débouter la société Neocase Software de sa demande indemnitaire formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Neocase Software à lui payer 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Neocase Software aux dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions déposées le 23 juin 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Neocase Software demande à la cour, au visa de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, de :

- confirmer l'ordonnance de référé du 30 janvier 2020 en toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

- débouter M. G... de sa demande d'annulation du vote émis par le mandataire ad hoc lors de l'assemblée générale extraordinaire du 20 février 2020 ;

- condamner M. G... à lui payer la somme complémentaire de 19 781,16 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

- condamner M. G... à lui rembourser la somme de 3 000 euros au titre du montant des honoraires du mandataire ad hoc ;

- condamner M. G... aux entiers dépens d'instance, dont distraction au profit de maître Anne-Laure Dumeau.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 août 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de "constatations" ou de 'dire et juger' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.

- sur la désignation du mandataire ad hoc :

Au soutien de son appel, M. G... conteste le bien fondé de la désignation d'un mandataire ad hoc pour voter en son nom sur la résolution relative à la modification des statuts de la SAS Neocase Software, affirmant que l'intimée échoue à établir avec l'évidence requise en référé la preuve de l'abus de minorité qu'elle allègue.

L'appelant fait valoir que la SAS Neocase Software ne démontre pas en quoi son vote lors de l'assemblée générale des actionnaires du 26 décembre 2019 contre l'adoption de ces nouveaux statuts aurait uniquement eu pour but de favoriser ses intérêts personnels au détriment de celui de la société et des autres associés.

Il explique qu'au contraire, son vote a bénéficié à l'ensemble des associés minoritaires dans la mesure où il visait à dénoncer les défauts intrinsèques des nouveaux statuts et le déséquilibre qu'ils induisaient au détriment des associés minoritaires, évoquant plus particulièrement le nouvel article 13 (clause d'obligation de sortie) qui aurait permis selon lui de forcer une cession d'actions entre associés à n'importe quel prix et au bon vouloir de l'actionnaire majoritaire. M. G... précise que le mandataire ad hoc a lui-même proposé un amendement de cette stipulation litigieuse afin de préserver les intérêts de tous les associés, préconisation adoptée à l'unanimité lors de l'assemblée générale du 20 février 2020.

Il prétend qu'en violation de l'article 16-1 des statuts, le projet modificatif initial n'a en outre pas été préalablement présenté au comité stratégique lors de sa réunion du 17 décembre 2019 et qu'il n'en a été rendu destinataire que le 19 décembre 2019, ce qui explique qu'il n'ait pu exprimer ses réserves et oppositions aux modifications envisagées avant son courriel du 24 décembre 2019.

L'appelant ajoute que dès le 2 janvier 2020, à la suite du vote de l'assemblée générale, il a proposé, sans aucune contrepartie, une nouvelle rédaction de l'article 13 des statuts pour trouver une issue à l'amiable et éviter une situation de blocage, proposition refusée par la partie adverse.

L'appelant affirme également que son vote n'a nullement été guidé par une intention de faire pression sur l'actionnaire majoritaire dans le cadre du différend qui les oppose sur l'application de l'accord conclu entre eux le 28 janvier 2019 relativement à son droit préférentiel de souscription de nouvelles obligations.

Il ajoute sur ce point qu'il a d'ailleurs émis lors de l'assemblée générale du 26 décembre 2019 un vote favorable à l'opération de financement en approuvant la résolution portant sur l'émission obligataire sans le conditionner à l'augmentation du nombre d'obligations auxquelles il aurait le droit de souscrire.

M. G... soutient par ailleurs que l'intimée ne peut prétendre pour démontrer le caractère abusif de son vote que les nouveaux statuts ne modifiaient pas les droits des actionnaires en raison de l'existence de clauses d'entraînement similaires (droit de préemption, clause de sortie obligatoire et droit de sortie conjointe) dans le pacte d'actionnaires signé en 2008 et prorogé sur ce point le 2 juillet 2018 pour une durée de 24 mois.

Il fait valoir à ce titre que la convention portant prorogation des clauses de sortie conjointe et d'obligation de sortie en limitait expressément l'application à l'hypothèse d'une cession d'actions à un tiers, l'excluant pour toute cession entre associés, et que le droit de préemption initialement prévu dans le pacte d'actionnaires de 2008 n'a quant à lui pas fait l'objet d'une telle prorogation. Il ajoute que les clauses prorogées l'ont été pour une durée déterminée et non pour une durée illimitée comme dans le projet de modification des statuts.

L'appelant soutient ainsi que la manoeuvre entreprise par la SAS Neocase Software et qu'il a combattue par son vote, a consisté à imposer de force par l'exigence d'un vote unanime des dispositions statutaires restreignant davantage les droits des actionnaires minoritaires.

M. G... fait en outre observer que la situation financière difficile de la SAS Neocase Software, dont il admet qu'elle était effectivement un sujet de préoccupation en fin d'année 2019 qui l'a incité par un courriel du 4 décembre 2019 à solliciter une accélération de la procédure de levée de fonds et à réclamer la communication rapide de la documentation juridique relative à cette opération, ne pouvait suffire à le contraindre à voter à l'aveugle la modification des statuts telle que soumise à l'assemblée générale du 26 décembre 2019.

Il ajoute, sur la base notamment du rapport de gestion du président de la SAS Neocase Software à l'assemblée générale du 20 février 2020 et du procès-verbal de l'assemblée générale du 30 juin 2020 approuvant les comptes de l'exercice 2019, que l'intimée, en entretenant selon lui à dessein une confusion entre les besoins de financement non urgents nécessaires à la mise en oeuvre de son projet d'expansion à long terme et les besoins de trésorerie immédiats, a exagéré son besoin de financement et n'est pas confrontée à une situation financière irrémédiablement compromise. Il soutient également que la société a à sa disposition d'autres solutions de financement immédiat et pouvait donc prendre le temps de renégocier l'accord avec les futurs investisseurs ou de trouver des financements alternatifs plus conformes à l'intérêt social.

M. G... prétend enfin que la mesure ordonnée par le premier juge ne constitue ni une remise en état, ni une mesure conservatoire au sens de l'article 873 du code de procédure civile dans la mesure où elle a créé une situation irréversible l'engageant pour l'avenir.

En réponse, la SAS Neocase Software expose en premier lieu qu'il est de pratique courante que des nouveaux investisseurs conditionnent leur apport financier à l'insertion par un vote unanime des actionnaires d'une clause de sortie obligatoire dans les statuts de la société bénéficiaire afin d'une part de s'assurer que l'intégralité du capital social de celle-ci pourra à terme être cédée à un acquéreur sans que des actionnaires minoritaires puissent s'y opposer en refusant de vendre leurs parts et d'autre part de se prémunir contre toute action en nullité de la clause de sortie qui est susceptible d'être assimilée à une clause d'exclusion.

Elle fait en second lieu valoir que si le droit de vote constitue une prérogative fondamentale des associés, le juge des référés a néanmoins la possibilité sur le fondement de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile de nommer un mandataire ad hoc pour voter en son nom afin de faire cesser le trouble manifestement illicite que constitue l'abus de minorité d'un associé qui s'opposerait à la réalisation d'une opération essentielle pour la société dans l'unique dessein de favoriser ses intérêts au détriment de ceux des autres associés.

L'intimée soutient qu'en l'espèce, les conditions d'application de l'article 873 précité sont ainsi réunies, l'abus de minorité commis par M. G... étant caractérisé et la société se trouvant de ce fait exposée à un dommage imminent compte tenu de sa situation financière difficile dont l'appelant était parfaitement informé.

La SAS Neocase Software précise sur ce point qu'à défaut de nouveaux investissements financiers, la pérennité de son activité était en jeu dès la fin d'année 2019 dans la mesure où suivant son prévisionnel de trésorerie, elle n'aurait plus été en mesure de faire face à sa dette devenue exigible d'un montant de plus de 1 900 000 euros à l'égard de la société Kreos, compte tenu de la baisse de ses fonds disponibles avec un solde négatif de trésorerie annoncé à partir de mars 2020.

Elle dément également les allégations de M. G... selon lesquelles des solutions de financement alternatives auraient pu être trouvées.

La SAS Neocase Software prétend par ailleurs que les critiques émises par M. G... à travers son vote négatif concernant les dispositions des futurs statuts ne sont que prétextes pour faire pression sur la société Iris Capital Fund II, actionnaire majoritaire, afin que celle-ci accepte d'appliquer l'accord qui la lie à M. G... concernant la souscription de nouvelles obligations dans un sens favorable à ce dernier.

L'intimée ajoute que M. G... avait été parfaitement informé dès la présentation de l'offre de la condition posée par les investisseurs d'un vote unanime sur la modification des statuts et précise que les dispositions statutaires critiquées ne portaient nullement atteinte à ses droits dès lors qu'elles ne sont pour l'essentiel que la reprise de dispositions déjà acceptées par M. G... dans le cadre du pacte d'actionnaires du 23 juillet 2008 dont les clauses d'entraînement ont été prorogées aux termes d'un accord du 2 juillet 2018.

En résumé, la SAS Neocase Software considère que M. G..., associé ultra-minoritaire, a tenté pour des motifs personnels de la priver d'un financement de 5 700 000 euros destiné à faire face à ses dettes et à financer son développement, au risque de menacer sa survie et les emplois de plus de 100 salariés.

Sur ce,

Aux termes de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce statuant en référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s'entend du 'dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer' et le trouble manifestement illicite résulte de 'toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit'.

Il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le premier juge a statué, et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage ou la violation d'une règle de droit dont la preuve incombe à celui qui l'invoque.

* sur le dommage imminent allégué par la SAS Neocase Software :

Selon l'intimée, le vote négatif de M. G... l'a exposée à un dommage imminent dans la mesure où le possible retrait des investisseurs, en l'absence d'unanimité des actionnaires sur les nouvelles dispositions statutaires, l'aurait privée de ressources financières indispensables à la pérennité de ses activités, compte tenu de ses besoins de trésorerie immédiats pour faire notamment face au règlement de sa dette devenue exigible d'un montant de 1 900 000 euros à l'égard de la société Kréos Capital III UK Ltd.

Toutefois, la SAS Neocase Software ne donne que peu d'éléments sur ce prêt qu'elle prétend devoir rembourser, M. G... relevant à juste titre qu'elle ne produit aucune pièce pour justifier que son créancier en ait exigé le règlement immédiat.

Au contraire, il sera noté que dans son prévisionnel de trésorerie commenté par son directeur administratif et financier (sa pièce 48), la SAS Neocase Software ne reporte cette dette à son passif qu'à raison de 15 000 euros par mois sur l'année 2020, ce qui apparaît correspondre à la poursuite 'comme les dernières années' du paiement des seuls intérêts ainsi que cela ressort de l'échange de courriels entre la société Kréos Capital et la SAS Neocase Software le 7 avril 2020 (pièce 52 de la SAS Neocase Software ).

Si la réalité de cette dette importante n'est pas discutée et obère nécessairement la situation financière de la SAS Neocase Software, il n'est pas établi par celle-ci, compte tenu du moratoire concédé par son créancier qu'elle avait un besoin immédiat de trésorerie pour procéder au remboursement du capital emprunté. D'ailleurs, dans le prévisionnel de trésorerie, il n'est fait aucun commentaire sur le risque financier tenant à l'exigibilité de cette dette.

En outre, s'il résulte de l'attestation de l'expert-comptable de la société (pièce 49 de l'intimée) qu'au 31 décembre 2019, le solde de la trésorerie de la SAS Neocase Software était positif pour 251 000 euros, le seul suivi de trésorerie de la société mère sur 2019 et son prévisionnel sur les 6 premiers mois de 2020 ne peuvent suffire à apprécier sa prétendue mauvaise santé financière en l'absence de communication du bilan de l'exercice 2019 et de son prévisionnel budgétaire 2020. Il ne peut également être fait abstraction des flux financiers existants entre l'intimée et ses filiales situées notamment aux Etats-Unis.

Or, le solde de trésorerie au 31 décembre 2019 pour l'ensemble du groupe était positif à hauteur de 781 217 euros et l'état réel de trésorerie pour le premier trimestre 2020 apparaît au final plus favorable que les prévisions émises avant l'audience de première instance même si une nette dégradation demeurait attendue à partir de mars 2020 (pièce 50 de la SAS Neocase Software).

Enfin, dans son rapport de gestion sur les comptes annuels clos le 31 décembre 2019 en vue de leur approbation par les associés (pièce 33 de M. G...), le président de la SAS Neocase Software indique notamment que le bilan s'est élevé à 23 millions d'euros contre 22,2 en 2018, avec un chiffre d'affaires qui a cru de 9,3%, un investissement en recherche et développement qui a bénéficié d'une croissance de 11,9% et des produits d'exploitation qui ont également augmenté.

Le président de la SAS Neocase Software conclut d'ailleurs son rapport en indiquant aux associés que 'le début de l'exercice 2020 a été marqué par une augmentation soutenue des opportunités commerciales et devrait se traduire par un maintien voire une progression du chiffre d'affaires malgré la crise récente due à l'épidémie de Covid-19".

Si les parties s'accordent pour dire que la la SAS Neocase Software a besoin d'un plan d'investissement pour assurer son développement et conforter sa situation financière encore préoccupante, il ne se déduit pas de l'ensemble des éléments précités qu'au jour où le premier juge a statué, la SAS Neocase Software avait un besoin de trésorerie immédiat d'une telle importance qu'elle aurait été exposée à un dommage imminent en l'absence de levée rapide de nouveaux fonds, sachant par ailleurs que l'échec de l'opération envisagée n'était pas encore acquis, les futurs investisseurs ayant accepté de proroger leur offre jusqu'au 31 janvier 2020, laissant ainsi le temps à la SAS Neocase Software de revoir la rédaction des nouvelles dispositions statutaires afin d'obtenir un vote unanime des associés, notamment de M. G....

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la demande de désignation d'un mandataire ad hoc de la SAS Neocase Software ne peut être accueillie sur le fondement de l'existence d'un dommage imminent.

* sur le trouble manifestement illicite allégué par la SAS Neocase Software :

Selon la SAS Neocase Software, par son vote négatif sur les nouvelles dispositions statutaires, M. G... aurait commis un abus de minorité constituant au sens de l'article 873 précité, un trouble manifestement illicite.

Pour caractériser l'abus de minorité, il doit être établi qu'en s'opposant à une opération essentielle pour l'intérêt social de la société, l'associé minoritaire a agi dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l'ensemble des associés.

En l'espèce, outre la contrariété du vote à l'intérêt social de la SAS Neocase Software, il doit ainsi être démontré par cette dernière qu'en votant contre la modification des statuts, M. G... a uniquement agi à des fins personnelles au détriment de l'intérêt des autres associés.

Au regard des précédents développements, le caractère essentiel pour la SAS Neocase Software de l'opération de financement envisagée n'apparaît pas sérieusement contestable, l'appelant reconnaissant d'ailleurs en page 22 de ses conclusions l'avoir toujours soutenue pour assurer le développement à long terme de la société, évoquant son courriel du 4 décembre 2019 aux termes duquel il s'inquiétait de la situation de trésorerie difficile de la société à la fin de l'année 2019 (pièce 20-1).

Cependant, la SAS Neocase Software échoue à rapporter la preuve que M. G... a agi à des fins uniquement personnelles et au détriment de l'ensemble des associés et que les motifs de son vote négatif n'étaient que des prétextes pour obtenir de la part de l'actionnaire majoritaire une application favorable à ses intérêts personnels de l'accord du 28 janvier 2019 concernant son droit de souscription de nouvelles obligations.

Si dans son courriel de 24 décembre 2019 adressé à M. X..., M. G... évoque effectivement son différend avec la société Iris Capital, il développe également des observations précises sur 5 clauses du projet de statuts modifiés tout juste portés à sa connaissance, estimant notamment que le seuil de 10% de détention du capital social prévu par l'article 11.3.3 pour qu'un actionnaire puisse contester le prix de cession de parts sociales et solliciter une expertise sur leur valeur est excessif et doit être ramené au seuil légal de 5%, mais surtout que l'article 13.2.3 relatif à l'obligation de sortie apparaît s'appliquer même en cas de cession entre associés et interdit aux actionnaires même dans cette hypothèse de faire réaliser une expertise de valorisation indépendante pour contester le prix d'exercice de la promesse.

Il ne peut être reproché à M. G... d'avoir attendu le 24 décembre 2019 pour formuler ses observations alors que le projet de statuts modifiés n'a été porté à sa connaissance que le 19 décembre 2019 en annexe de l'envoi de la convocation pour l'assemblée générale devant se tenir le 26 décembre suivant (pièce 12 de l'appelant), et ce malgré sa demande dès le 4 décembre 2019 d'une transmission rapide de la documentation juridique relative à l'opération, réitérée lors du comité stratégique du 17 décembre 2019 au cours duquel, selon le procès-verbal des délibérations (pièce 16 de l'intimée; pièce 8-1 de l'appelant), il a dénoncé l'absence d'informations détaillées sur les modifications statutaires.

L'intimée ne peut également soutenir que M. G... avait dès cette réunion du comité stratégique une connaissance suffisante des modifications statutaires envisagées à travers les éléments figurant dans l'offre des investisseurs alors que ce document se borne à indiquer que 'les statuts seront modifiés pour intégrer notamment un droit de préemption (par typologie de titres émis), un droit de sortie conjointe totale (tag along), une obligation de sortie (drag along). L'adoption de ces nouvelles clauses statutaires devra être approuvée à l'unanimité de tous les associés.', sans autre précision quant au contenu et conditions d'application desdites clauses (Pièce11 de l'intimée).

M. G... était d'autant plus en droit, en sa qualité d'associé minoritaire, d'attendre une information complète sur les nouveaux statuts qu'un vote unanime était exigé et que les clauses d'entraînement litigieuses se sont avérées différentes de celles figurant dans le pacte d'actionnaires de 2008 reconduites suivant accord du 2 juillet 2018.

En effet, ainsi que le relève à juste titre M. G..., l'objet de cet accord de 2018 était uniquement de définir les obligations de chacun dans l'hypothèse d'une cession à un tiers acquéreur, les actionnaires ayant accepté à cette fin de proroger l'application des clauses d'entraînement et notamment l'obligation de sortie pour une nouvelle durée de 2 ans (pièce 18 de la SAS Neocase Software).

Or, ainsi que l'a lui-même relevé le mandataire ad hoc dans son courrier du 13 février 2020, l'article 13 des statuts modifiés prévoit également cette obligation de sortie dans l'hypothèse beaucoup plus large de la cession de parts entre associés (pièce 44 de la SAS Neocase Software).

Par ailleurs, dans un tableau figurant dans son courriel du 10 janvier 2020, M. X... reconnaît que l'article 11.3.3 des futurs statuts concernant le seuil de 10% n'existait pas dans de précédents accords (Pièce 34 de la SAS Neocase Software).

Contrairement à ce qui est prétendu par l'intimée, ces dispositions, en comparaison avec les accords antérieurs, restreignent les droits des actionnaires minoritaires tout en renforçant leurs obligations, avec un risque d'entente entre 2 associés pour fixer la valeur des parts sociales sans contestation possible de la part des autres actionnaires.

M. G... était donc en droit de formuler ses critiques avant et pendant l'assemblée générale du 26 décembre 2019 pour tenter d'obtenir des explications et le cas échéant, une nouvelle écriture de ces clauses avant de procéder au vote dont il n'a cessé de rappeler à travers ses courriels qu'il 'serait libre'.

La SAS Neocase Software qui était pourtant parfaitement consciente du risque d'un vote négatif, ne justifie pas avoir apporté à M. G... avant l'assemblée générale du 26 décembre 2019 des explications précises concernant plus particulièrement l'article 13 des nouveaux statuts, aucune des correspondances produites par l'intimée n'évoquant la rédaction de cet article.

Enfin, les doléances exprimées par M. G... ne peuvent être qualifiés de mauvais prétextes à opposition puisque le mandataire ad hoc dans son courrier du 13 février 2020 a lui-même émis des griefs similaires contre l'article 13 des futurs statuts dans les termes qui suivent : 'il me semble que la rédaction de l'article 13 serait susceptible de porter atteinte aux intérêts des associés minoritaires. En effet, en l'état du projet soumis, un associé minoritaire ne dispose pas de la possibilité de recourir à une expertise en vue de permettre la détermination du prix de cession des titres de capital lors d'une cession entre associés. Cette situation laisse ainsi toute latitude à un majoritaire pour imposer aux associés minoritaires un prix de cession défavorable et ce à son seul bénéfice' avant d'en suggérer une nouvelle rédaction, la SAS Neocase Software proposant finalement de restreindre l'application de l'article 13 aux seules hypothèses de cessions à un tiers acquéreur sans lien avec un associé.

Il sera relevé que cette modification rédactionnelle de l'article 13 aurait pu être entreprise sans l'intervention du mandataire ad hoc, M. G... ayant donné son accord pour discuter d'une nouvelle rédaction de cette disposition statutaire dès son courriel du 2 janvier 2019.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la SAS Neocase Software ne rapporte pas la preuve que le vote négatif de M. G... était exclusivement guidé par ses propres intérêts financiers au détriment des autre actionnaires alors qu'il est établi par ce qui précède que certains articles contestés, et plus précisément l'article 13, étaient de nature à porter atteinte aux droits des 5 actionnaires minoritaires, 3 d'entre eux ayant moins de 2% des parts sociales.

La preuve du trouble manifestement illicite qui serait résulté d'un abus de minorité commis par M. G... n'étant ainsi pas rapportée par la SAS Neocase Software, il ne peut servir de fondement à la désignation d'un mandataire ad hoc.

Ni le dommage imminent, ni le trouble manifestement illicité n'étant caractérisé, il convient d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a désigné un mandataire ad hoc pour voter sur la modification des statuts de la SAS Neocase Software au nom de M. G... et d'annuler en conséquence les actes pris en exécution de ladite ordonnance, le vote émis par Maître S..., mandataire ad hoc, lors de l'assemblée générale du 20 février 2020 étant ainsi de nul effet.

- sur les demandes accessoires :

La SAS Neocase Software échouant en sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc, il convient également de la débouter de celle tendant à obtenir de la part de M. G... le remboursement des honoraires du mandataire désigné par le premier juge.

L'ordonnance entreprise sera par ailleurs infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la SAS Neocase Software ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.

Il est en outre inéquitable de laisser à M. G... la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. La SAS Neocase Software sera condamnée à lui verser une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME l'ordonnance entreprise en date du 30 janvier 2020 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

DIT n'y avoir lieu à référé sur la demande de la SAS Neocase Software tendant à la désignation d'un mandataire ad hoc pour voter au nom de M. T... G... ;

DIT en conséquence que le vote de Maître S..., mandataire ad hoc désigné par l'ordonnance infirmée, lors de l'assemblée générale des actionnaires de la SAS Neocase Software qui s'est tenue le 20 février 2020, est nul et de nul effet ;

CONDAMNE la SAS Neocase Software à payer à M. T... G... une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT que la SAS Neocase Software supportera les dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Nicolette GUILLAUME, Président et par Madame CHERCHEVE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 14e chambre
Numéro d'arrêt : 20/01051
Date de la décision : 15/10/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 14, arrêt n°20/01051 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-15;20.01051 ?
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