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14/10/2020 | FRANCE | N°18/00938

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 14 octobre 2020, 18/00938


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 00A



15e chambre





ARRET N°





CONTRADICTOIRE





DU 14 OCTOBRE 2020





N° RG 18/00938



N° Portalis DBV3-V-B7C-SFDH





AFFAIRE :





[G] [L]





C/





SAS DIAGNOSTICA STAGO





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Décembre 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Nanterre


N° Section : Industrie

N° RG : 15/02466



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :





- Me Mehdi BOUZAIDA



- Me Alexandre LAMY





le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATORZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT,



La cour d'appel de V...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 00A

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 OCTOBRE 2020

N° RG 18/00938

N° Portalis DBV3-V-B7C-SFDH

AFFAIRE :

[G] [L]

C/

SAS DIAGNOSTICA STAGO

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Décembre 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Nanterre

N° Section : Industrie

N° RG : 15/02466

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

- Me Mehdi BOUZAIDA

- Me Alexandre LAMY

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [G] [L]

né le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 4], de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Mehdi BOUZAIDA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

SAS DIAGNOSTICA STAGO

N° SIRET : 305 151 409

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Alexandre LAMY de la SELARL ARSIS AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0018 et par Me Léa BENBOUAZIZ, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0018

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 septembre 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Perrine ROBERT, Vice-présidente placée chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Madame Isabelle MONTAGNE, Présidente,

Madame Perrine ROBERT, Vice-présidente placée,

Greffier, lors des débats : Madame Carine DJELLAL,

FAITS ET PROCEDURE,

La société Diagnostica Stago, qui fabrique et commercialise des instruments d'analyse à destination des laboratoires de biologie médicale et des hôpitaux, emploie plus de 11 salariés et relève de la convention collective de l'industrie pharmaceutique.

M. [G] [L], ci-après M. [L], a été embauché par cette société dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée du 6 mai 2009 avec reprise de son ancienneté en contrat de travail temporaire au 6 février 2009, en qualité de Pilote Instruments. A ce titre, il gérait une ligne de production, supervisant le processus de fabrication d'un instrument et les salariés qui y étaient affectés.

En mai 2010, M. [L] a été promu Technicien support, ce qui a étendu son périmètre d'attribution à un autre instrument. Il a concomitamment changé de supérieur hiérarchique.

Considérant que ses conditions de travail se dégradaient en raison du comportement d'autres salariés, M. [L] a saisi le service des ressources humaines de ces faits le 7 décembre 2010, lequel a diligenté une enquête et sanctionné trois salariés par un avertissement et deux mises à pied disciplinaires en février et mars 2011.

M. [L] a été désigné représentant syndical CGT le 31 octobre 2013, puis délégué syndical à l'issue des élections du mois de février 2014.

Le 9 février 2015, la société Diagnostica Stago a notifié à M. [L] un avertissement pour le non-respect d'une procédure de saisie sur papier.

M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre le 14 août 2015 de diverses demandes tendant à l'annulation de son avertissement et à la reconnaissance d'un harcèlement moral et d'une discrimination.

Par jugement contradictoire du 12 décembre 2017, le conseil de prud'hommes de Nanterre, section industrie, a :

- débouté M. [L] de l'ensemble de ses chefs de demandes fins et conclusions ;

- débouté la société Diagnostica Stago de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- mis les éventuels dépens à la charge de M. [L]

M. [L] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 7 février 2018.

Aux termes de ses dernières conclusions reçues au greffe le 20 janvier 2020, M. [L], appelant, demande à la cour de :

- réformer le jugement en toutes ses dispositions ;

- dire et juger que la société Diagnostica Stago a manqué à ses obligations de sécurité, de prévention et de protection contre le harcèlement moral ;

- dire et juger qu' il a subi des faits de harcèlement moral et de discrimination ;

- annuler l'avertissement daté du 9 février 2014 ;

- condamner la société Diagnostica Stago à lui payer les sommes suivantes :

- 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour la violation des obligations de sécurité, de prévention et de protection contre le harcèlement moral ;

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale ;

- dire que l'ensemble des condamnations portera intérêts au taux légal à compter de la demande en justice ;

- condamner la société Diagnostica Stago à verser à M. [L] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du CPC ;

- condamner la même aux entiers dépens de l'instance.

Pour sa part, la SAS Diagnostica Stago, intimée, demande à la cour, par dernières conclusions reçues au greffe le 2 août 2018, de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 12 décembre 2017 ;

- constater la régularité et le bien-fondé de l'avertissement notifié à M. [L] ;

- dire et juger que M. [L] n'a subi aucune discrimination ;

- dire et juger que M. [L] n'a subi aucun harcèlement moral ;

- dire et juger que la société a rempli l'ensemble de ses obligations de sécurité, prévention et traitement du harcèlement moral ;

- débouter M. [L] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner M. [L] à verser à la société la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [L] aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 22 janvier 2020.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé des litiges et demandes.

MOTIFS

1- Sur le harcèlement moral et la discrimination

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Comme énoncé à l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Par ailleurs aux termes de l'article L. 1132-1, dans sa rédaction applicable au litige, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n°2008-496 portant diverses mesures d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, en raison de l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race.

Comme énoncé à l'article L. 1134-1, dans sa rédaction applicable au litige, en cas de litige relatif à l'application de l'article L. 1132-1, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie à l'article 1er de la loi n°2008-496 portant diverses mesures d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

L'employeur est également tenu à une obligation de prévention des faits de harcèlement moral qui s'inscrit dans le cadre de l'obligation générale de prévention de la santé et de la sécurité au travail en application des dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Au soutien de ses allégations de harcèlement moral subi entre 2010 et 2015, M. [L] invoque les faits suivants :

- il aurait fait l'objet de harcèlement moral par trois salariés après sa promotion de mai 2010, dénoncé auprès de son supérieur hiérarchique, sans réaction, ce qui l'a conduit à saisir le service des ressources humaines qui a sanctionné les trois salariés,

- aucune action n'aurait ensuite été mise en 'uvre par l'employeur pour éviter que la situation ne perdure,

- son supérieur hiérarchique M. [M] aurait ensuite adopté un management spécifique à son encontre, constitutif de harcèlement moral et discrimination :

. M. [L] aurait ainsi été mis à l'écart du service : il aurait été privé de plusieurs attributions qu'il assumait auparavant et exclu des réunions de service (réunions sur l'organisation des préséries, réunions de déclarations d'incidents, il aurait également fait l'objet d'un isolement physique),

. un refus d'une formation en raison de son mandat et de ses heures de délégation,

. une dégradation de ses évaluations de décembre 2010 jusqu'au départ de M. [M], son supérieur, en août 2015,

. un ralentissement de carrière sur cette même période,

. une surveillance de M. [L] par les autres salariés,

. un avertissement infondé notifié le 9 février 2015,

Sur le harcèlement dénoncé à l'employeur en 2010

Il résulte des pièces produites que M. [L] a dénoncé auprès des ressources humaines le 7 décembre 2010 une situation de harcèlement moral dont il s'estimait victime, conduisant la société à entendre plusieurs salariés et à notifier un avertissement à M. [C] le 15 février 2011, une mise à pied disciplinaire à M. [V] le 15 février 2011 et une mise à pied disciplinaire à M. [Z] le 8 mars 2011.

La société a relevé au soutien des sanctions que les témoignages recueillis durant l'enquête concordaient avec les allégations de harcèlement moral de M. [L], que les salariés s'employaient à le déstabiliser depuis plusieurs mois en lançant des paroles blessantes devant les autres techniciens de l'atelier, qu'ils remettaient en question les compétences de M. [L] et sa capacité à tenir son poste, et qu'ils avaient un comportement totalement irrespectueux à son égard, dégradant l'ambiance de travail et créant un sentiment de malaise chez les techniciens.

M. [L] justifie avoir préalablement alerté son supérieur hiérarchique, M. [M], du comportement de M. [V] par courriel du 25 novembre 2010 et il est établi par l'entretien annuel de performance du 4 décembre 2010 que M. [M] était conscient des difficultés subies par M. [L] puisqu'il a écrit qu'«Il existe une atmosphère émise par quelques techniciens qui génère des tensions. A ce titre, il n'a pas pu exprimer en 2010 la totalité de son potentiel. Je compte sur lui pour réussir à affirmer sa légitimité en 2011 afin qu'il puisse occuper son poste sereinement et mettre l'huile nécessaire dans les rouages pour que le système fonctionne correctement.»

Sont établis les faits suivants :

- La société a sanctionné trois salariés pour leurs agissements à l'encontre de M. [L] après sa dénonciation du harcèlement moral subi,

- M. [L] avait alerté son supérieur hiérarchique qui avait conscience de la tension présente au sein de l'atelier entre les salariés mais, à défaut de réaction de sa part, le salarié a été dans l'obligation d'alerter les ressources humaines ultérieurement ;

- la société n'a pris aucune mesure autre que les trois sanctions disciplinaires et n'a donc pris aucune mesure en vue de prévenir tout agissement ultérieur susceptible de constituer un harcèlement moral envers M. [L], alors même qu'il ressort des entretiens conduits durant l'enquête avec les autres salariés de l'atelier que les conditions de travail de M. [L] s'étaient déjà dégradées après la sanction d'un autre collègue pour l'avoir traité de « bon à rien » en juillet 2010.

Sur les faits de mise à l'écart suite à la dénonciation par M. [L] des faits de harcèlement moral en 2010

Sont établis par les pièces produites les faits suivants :

- le salarié ne figurait pas en destinataire des notes de service des 21 mai 2013 et 18 avril 2014 émises par son supérieur, M. [M] ;

- son supérieur hiérarchique lui a confirmé par courriel du 27 mars 2013 qu'il ne voyait aucun intérêt à ce que M. [L] soit destinataire des courriels sur les circuits de vérifications alors que le rôle de vérificateur faisait partie des fonctions de technicien support production instruments occupées par M. [L] ;

- le retrait de la tache de modification d'un rapport d'essai qu'il avait pourtant rédigé, au profit de M. [V], salarié qui avait fait l'objet d'une sanction disciplinaire pour les faits de harcèlement moral à son encontre.

- le retrait progressif des tâches de M. [L] confiées par M. [M] à M. [K] suite à sa promotion en mai 2013, établi par une attestation et un courriel de deux salariés ainsi que par l'entretien annuel portant sur l'année 2015 avec son nouveau supérieur hiérarchique M. [X] qui indique que « nous sommes conscients de la situation de doublon de poste que tu mentionnes » ;

- le retrait de M. [L] réunions de déclarations d'incidents à compter de 2014 selon une attestation d'un autre salarié M. [F] ;

- le refus par M. [M] de la demande de M. [L] d'être dans le même bureau que M. [K] dans un souci d'efficacité ;

- le refus initial par M. [M] le 30 mai 2014 d'une formation à M. [L] au motif que « les disponibilités nécessaires associées à tes délégations ne me permettent pas de donner mon accord par rapport au fonctionnement du service » ;

- la dégradation des évaluations de M. [L] à partir de 2011 jusqu'à son changement de supérieur hiérarchique en août 2015 :

. entretien annuel de performance 2011 du 12 décembre 2011 : apparaissent pour la première fois des appréciations négatives, des mauvaises notes dans l'évaluation de l'atteinte des objectifs (notes de C et D, note globale de C «a atteint une partie de ses objectifs»), mise en cause de sa capacité à organiser son temps de travail et son efficacité ;

. entretien annuel de performance 2012 du 22 janvier 2013 : mauvaises évaluations directement liées à sa maladie (absence de plusieurs semaines liées à la maladie de Lyme développée par M. [L]) : notes dégradées dans l'évaluation de l'atteinte des objectifs (notes de C et D et note globale de D « n'a pas atteint ses objectifs ») ;

. entretien annuel de performance 2013 du 28 janvier 2014 : notes de C et appréciation globale de D (« n'a pas atteint ses objectifs ») ;

. entretien annuel de performance 2014 du 25 mars 2015 : absence d'évaluation de plusieurs compétences avec la mention « N/A », sans que cela ne soit justifié, reproches techniques ;

. entretien annuel de performance 2015 du 18 mars 2016 réalisé avec le nouveau supérieur hiérarchique de M. [L] : la tenue du poste était à nouveau évaluée comme « répond aux attentes » et il lui était attribué une bonne note s'agissant de l'atteinte des objectifs, soit 2,3 correspondant à mieux que « a atteint en grande partie son objectif » ;

. entretien annuel de performance de 2016 : la tenue du poste « répond aux attentes » ; tous les objectifs sont atteints, commentaires positifs du manager, note globale de 3 correspondant à « a atteint son objectif » ;

- l'absence d'évolution de poste de M. [L] de 2010 jusqu'au départ de M. [M] en août 2015, alors qu'après son engagement en mai 2009, il avait bénéficié d'une promotion en mai 2010 et alors qu'un autre salarié a été promu au poste de responsable d'étude en mai 2013,

- l'absence d'augmentation de salaire entre 2012 et 2014 ;

- l'installation de Mme [H], manager d'un autre service, dans le bureau du supérieur de M. [L] durant les congés de M. [M] et du responsable d'étude M. [K] en février 2015, alors qu'elle n'était pas le supérieur de M. [L].

Ne sont en revanche pas établis les faits suivants :

- le retrait des fonctions relatives au processus d'approbation des plans de vigilance dès lors qu'il ressort des documents qu'il en était le rédacteur et non l'approbateur et que la délégation de pouvoir effectuée par son supérieur à un autre salarié concernait l'approbation des plans ;

- le retrait des responsabilités en termes d'organisation des pré-séries dès lors que les courriels produits impliquent M. [L] (« [G], les CD te seront fournis dans l'après midi , en même temps que les dossiers présérie de chaque instrument ['] pour que tu puisses t'organiser en conséquence » et qu'il figurait en copie des courriels ultérieurs.

Sur l'avertissement notifié par la société à M. [L] le 9 février 2015

La société a notifié un avertissement à M. [L] le 9 février 2015 dans les termes suivants :

« Nous avons constaté le 27 novembre 2014 que trois STA COMPACT étaient équipés de la version logicielle 108.06 au lieu de la version 108.08.

A cette occasion, nous avons découvert que vous ne respectiez pas la procédure PROD 5070-Anx05. Cette fiche est utilisée dans le cadre de la traçabilité, de la diffusion et du retrait d'une nouvelle version de logiciel, par les Techniciens Supports dont vous faites partie.

En effet, nous n'avons pas de trace de l'utilisation de la fiche concernant la gestion des entités informatiques qui selon vous a été volée. Nous n'avons pas non plus de trace de son enregistrement sur le serveur. A cette occasion nous avons également découvert que la fiche précédente n'avait pas été correctement renseignée, car il manque les données concernant le retrait des disquettes.

Vous avez vous-même reconnu à plusieurs reprises que vous utilisiez parfois des feuilles volantes pour la diffusion ou le retrait des disquettes et non les documents d'enregistrement qualité comme le veut la procédure interne. Vous n'êtes pas sans savoir que les enregistrements qualité ont pour but de conserver la trace de ce qui a été fait, d'apporter la preuve que les dispositions prévues ont été mises en 'uvre conformément aux différentes procédures. Enfin, ils permettent de faciliter la recherche des causes lors d'une non-conformité.

Ces documents doivent être à disposition en cas d'audit, d'inspection ou investigations par les autorités de santé.

Ce comportement met en péril notre volonté de livrer à nos clients des instruments fiables, robustes et de qualité.

En conséquence, nous vous notifions par le présent courrier un avertissement qui sera versé à votre dossier personnel. »

Il résulte des dispositions des articles L. 1332-2 et 1332-4 du code du travail que la sanction disciplinaire notifiée au salarié par l'employeur doit être motivée et qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.

Le contrôle du juge porte sur la régularité de la procédure, le bien-fondé de la sanction et sa proportion par rapport à la faute commise, au regard des éléments produits par l'employeur et de ceux produits par le salarié à l'appui de sa contestation, en application des dispositions de l'article L. 1333-1 du code du travail, qui dispose que le doute doit profiter au salarié.

M. [L] invoque la prescription des faits et leur absence de caractère fautif.

Il résulte des pièces produites par l'employeur que la version 108.06 du logiciel a été active du 19 novembre 2013 au 1er septembre 2014 sur un instrument. L'employeur reproche à M. [L] de ne pas avoir rempli la fiche de diffusion/retrait de cette version logicielle lors de son installation le 18 novembre 2013 et allègue avoir découvert les faits le 27 novembre 2014 puis lancé une enquête. L'employeur ne produit cependant aucune attestation ni aucun courriel ou document concernant l'alerte donnée le 27 novembre 2014 sur la mauvaise version du logiciel.

Or, la charge de la preuve du caractère non prescrit de l'action disciplinaire pèse sur la société Diagnostica Stago.

Ainsi, l'employeur ne démontre pas que les faits visés auraient été portés à sa connaissance dans les deux mois précédant l'engagement de la procédure disciplinaire soit postérieurement au 13 novembre 2014. Les faits fautifs ne pouvaient donc plus donner lieu à l'engagement de poursuites disciplinaires à la date de la convocation à l'entretien préalable le 14 janvier 2015.

Dans ces conditions, l'avertissement sera annulé.

Les faits ci-dessus retenus comme établis, pris en leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail de M. [L] susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail, agissements prenant notamment la forme d'une discrimination au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail.

Il incombe dès lors à la société Diagnostica Stago, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'une discrimination ou d'un harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et à tout harcèlement.

Concernant le harcèlement moral subi en 2010, la société invoque avoir effectué une enquête après la dénonciation des faits par M. [L] et avoir rapidement réagi en sanctionnant les trois salariés concernés, empêchant tout harcèlement moral.

D'une part, la notification de ces sanctions motivées par la concordance entre les allégations de harcèlement moral de M. [L] et les témoignages des salariés constitue une preuve de l'existence du harcèlement moral subi par M. [L] et de sa reconnaissance par l'employeur. Les agissements constitutifs de harcèlement moral ressortent également des comptes-rendus concordants des entretiens des six salariés auditionnés durant l'enquête, qui ont notamment procédé aux déclarations suivantes : « il doit être difficile pour M. [L] de se lever le matin », que ce qu'il vit « n'est pas normal », que les trois salariés sanctionnés disent de lui qu'il « ne sert à rien », qu'il y a un dénigrement ciblé et un acharnement contre lui, qu'il est un bouc émissaire, qu'ils ont de la « haine contre lui », que M. [L] aurait pu « se pendre chez lui ».

D'autre part, s'agissant de l'enquête, les notes des entretiens avec les autres salariés du service obtenues par M. [L] sont datés des 26 et 27 janvier 2011, soit plus d'un mois et demi après la dénonciation des faits et l'employeur ne justifie pas d'autres démarches durant ce délai. La société ne produit pas le compte-rendu de l'enquête diligentée avec les représentants du personnel et ne justifie pas d'autres mesures que les trois sanctions prises à l'encontre des salariés, alors qu'ils sont ensuite restés dans le même service et qu'aucun aménagement de poste ni formation n'ont été mis en place par l'employeur. La société ne justifie pas plus avoir pris des mesures pour s'assurer que les conditions de travail entre M. [L] et son supérieur hiérarchique n'étaient pas dégradées dans un tel contexte et alors que le salarié avait dénoncé auprès de lui les actes d'autres salariés du service, sans réaction.

La preuve est rapportée d'agissements répétés commis par MM. [C], [V] et [Z] constitutifs de harcèlement moral et subis par M. [L] durant au moins les six derniers mois de l'année 2010.

Concernant la promotion de M. [K] au poste de responsable d'équipe en mai 2013, offre d'emploi dont M. [L] n'a pas eu connaissance alors qu'il avait plus d'ancienneté sur le poste de technicien support et qui a mené à un « doublon de poste » (entretien annuel 2015), la société ne démontre pas que cette décision aurait été justifiée par un élément objectif étranger à tout harcèlement.

S'agissant du ralentissement de carrière et l'absence d'augmentation de salaire entre 2012 et 2014, la société indique que les évaluations de M. [L] étaient négatives et qu'il a en tout état de cause bénéficié d'une proposition de poste en novembre 2015 qu'il a refusée et d'un changement de poste en septembre 2016 accompagné d'une évolution salariale de 5 %. La société se contente d'invoquer les évaluations annuelles négatives mais celles-ci constituent des faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement et ne sont donc pas des éléments objectifs. Il est en outre rappelé que M. [L] invoque un harcèlement moral et une discrimination syndicale ayant existé jusqu'à son changement de supérieur hiérarchique en août 2015, prenant notamment la forme d'une absence d'évolution de poste ainsi que de l'absence d'évolution de salaire entre 2013 et 2014.

Tant l'absence d'augmentation de salaire après sa désignation en qualité de représentant syndical en octobre 2013 que l'absence d'évolution de carrière de M. [L] entre décembre 2010, date de sa dénonciation du harcèlement moral, et le départ de son supérieur hiérarchique en août 2015, ne sont justifiées par aucun élément étranger à toute discrimination ou à tout harcèlement moral envers le salarié. A contrario, les arguments de la société sur la proposition de poste en novembre 2015 et sa promotion en 2016 démontrent que le salarié a eu l'opportunité d'évoluer dès son changement de supérieur hiérarchique.

Le refus initial d'une formation en mai 2014 est motivé par son supérieur directement par les activités syndicales de M. [L] (« les disponibilités nécessaires associées à tes délégations ne me permettent pas de donner mon accord par rapport au fonctionnement du service ») et aucun élément objectif étranger à toute discrimination ne justifie donc ce refus.

La société énonce que l'installation de Mme [H], manager, dans le bureau de M. [M] durant les congés de celui-ci en février 2015 était justifiée par la nécessité de lui déléguer la supervision de l'unité. Toutefois, aucun élément n'est produit sur cette délégation (échange de courriels, attestations) et la société ne démontre donc pas que le fait que Mme [H] se soit installée dans le bureau de M. [M] lorsque M. [L] était seul était justifié par un élément objectif étranger à tout harcèlement et toute discrimination syndicale, dès lors que cela intervient après les désignations syndicales du salarié.

La preuve est en conséquence rapportée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres faits dénoncés retenus comme établis, d'agissements répétés de harcèlement moral, prenant notamment la forme de discrimination en raison des activités syndicales du salarié, qui ont eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de M. [L] susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Les obligations résultant des articles L. 1132-1 et L. 1152-1 du code du travail sont distinctes, de sorte que la méconnaissance de chacune d'elles, lorsqu'elle entraîne des préjudices différents, ouvre droit à des réparations spécifiques.

Au vu du préjudice moral résultant pour le salarié de la privation d'une partie de ses tâches et de l'atteinte à sa dignité, il convient d'infirmer le jugement entrepris l'ayant débouté de ses demandes de dommages-intérêts de ces chefs et de condamner la société à payer au salarié la somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et celle de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination.

L'absence de mesure prise par la société après le constat du harcèlement moral en janvier 2011, autre que l'avertissement et les mises à pied disciplinaires notifiés aux salariés, pour prévenir toute réitération d'agissements constitutifs de harcèlement moral envers M. [L] constitue un manquement à son obligation de prévention du harcèlement moral. Le préjudice du salarié est caractérisé dès lors qu'il a été jugé qu'il a subi ensuite des agissements constitutifs de harcèlement moral. Pour ce motif, la société sera condamnée à verser la somme de 5 000 euros au salarié à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à ce titre.

2- Sur les dépens et sur l'indemnité de procédure

Il sera statué sur les dépens et sur l'indemnité de procédure dans le dispositif.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement déféré seulement en ce qu'il a débouté la société Diagnostica Stago de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

ANNULE l'avertissement notifié par la société Diagnostica Stago à M. [G] [L] le 9 février 2015,

CONDAMNE la société Diagnostica Stago à verser à M. [G] [L] les sommes suivantes :

- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre des agissements constitutifs de harcèlement moral,

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre de la discrimination syndicale,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre du manquement à l'obligation de prévention du harcèlement moral,

- 2 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision,

DÉBOUTE la société Diagnostica Stago de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Diagnostica Stago aux dépens,

- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Carine DJELLAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 18/00938
Date de la décision : 14/10/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 15, arrêt n°18/00938 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-14;18.00938 ?
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