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27/05/2020 | FRANCE | N°16/03027

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 27 mai 2020, 16/03027


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80A



15e chambre



ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE





DU 27 MAI 2020





N° RG 16/03027



N° Portalis DBV3-V-B7A-QYUG





AFFAIRE :





SNC LIDL





C/





[W] [D]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Mai 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'Argenteuil



Section : Commerce

N° RG : 15/00501





Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :





- Me Romain SUTRA



- Me Tassadit ACHELI





le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT SEPT MAI DEUX MILLE VINGT,



La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 27 MAI 2020

N° RG 16/03027

N° Portalis DBV3-V-B7A-QYUG

AFFAIRE :

SNC LIDL

C/

[W] [D]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Mai 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'Argenteuil

Section : Commerce

N° RG : 15/00501

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

- Me Romain SUTRA

- Me Tassadit ACHELI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SEPT MAI DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant, fixé au 06 mai 2020 puis prorogé au 27 mai 2020, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

SNC LIDL

N° SIRET : 343 262 622

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Romain SUTRA de la SCP SUTRA CORRE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0171 substitué par Me Clémentine DEBECQUE, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

Madame [W] [D]

née le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 7] (95), de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

comparante en personne, assistée de Me Tassadit ACHELI, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 148

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 février 2020, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Maryse LESAULT, Présidente chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Maryse LESAULT, Présidente,

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Stéphanie HEMERY,

FAITS ET PROCÉDURE,

La société LIDL est spécialisée dans le maxi-discount, emploie plus de 25 000 salariés et relève de la convention collective nationale du commerce de détail et gros à prédominance alimentaire.

Mme [W] [D], ci-après Mme [D], a été engagée à compter du 20 juin 2002 selon un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, en qualité de caissière employée libre-service.

Elle était affectée dans un magasin situé à [Localité 7] (95).

Mme [D] a été en congé parental du 14 septembre 2006 au 25 avril 2009, puis du 14 décembre 2009 au 30 juillet 2012.

Durant le premier trimestre de l'année 2015, une enquête du CHSCT a été sollicitée par la direction à la suite de la dénonciation par Mme [D] d'agissements constitutifs selon elle d'un harcèlement moral dirigé à son encontre.

Le 10 avril 2015, la Direction Régionale a présenté à Mme [D] les conclusions de l'enquête, à savoir l'absence de situation de harcèlement moral constatée à son encontre et la circonstance qu'elle était, pour partie, la source des dysfontionnements constatés au sein du magasin de [Localité 7].

Le même jour, l'employeur a informé Mme [D] qu'elle était mutée sur le magasin situé à [Localité 6] (95) à compter du lendemain, le 11 avril 2015, et lui a remis à cette fin un avenant à son contrat de travail.

Mme [D] a refusé de signer cet avenant et s'est présentée au magasin de [Localité 7] le 11 avril 2015, date à laquelle elle a été mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 13 avril 2015, Mme [D] a été convoquée à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé au 24 avril 2015.

Le 6 mai 2015, la société LIDL a notifié à Mme [D] son licenciement pour faute grave.

Mme [D] a saisi le conseil de prud'hommes d'Argenteuil le 11 mai 2015, contestant en dernier lieu le bien fondé de son licenciement et sollicitant la requalification de son contrat de travail en un contrat à temps complet.

Par jugement contradictoire du 6 mai 2016, le conseil de prud'hommes d'Argenteuil a :

- dit le licenciement pour faute grave injustifié,,

- requalifié le licenciement pour cause réelle et sérieuse,

- requalifié le contrat de travail à temps partiel en un temps complet,

- condamné la SNS LIDL à verser à Mme [D] les sommes suivantes :

13 046,37 euros au titre de rappel de salaires du 8 septembre 2012 au 6 mai 2015,

1 304,63 euros au titre des indemnités de congés payés y afférents,

1 475,86 euros au titre de la mise à pied conservatoire,

147,58 euros à titre de congés payés y afférents,

3 555,04 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

355,50 euros à titre de congés payés y afférents,

2 133,02 euros au titre de l'indemnité conventionnelle,

1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné à la SNC LIDL la remise des documents, de l'attestation Pôle emploi, le certificat de travail et du bulletin de paie, à compter du 15ème jour de la notification,

- dit que le conseil se réserve la liquidation de l'astreinte sur simple demande de la salariée,

- ordonné l'exécution provisoire de l'ensemble de la présente décision en application de l'article 515 du code de procédure civile,

- dit que les intérêts légaux sont de droit à compter de la saisine et de leurs demandes respectives au sens des articles 1153, 1153-1 et 1154 du code civil,

- fixé le salaire de Mme [D] à la somme de 1 777,52 euros en qualité de chef caissière à temps complet,

- débouté les demandes plus amples ou contraires de Mme [D],

- condamné la SNC LIDL aux entiers dépens ainsi qu'aux frais d'exécution éventuels d'huissier de justice en cas d'exécution forcée de la présente décision.

La société LIDL a formé un appel total à l'encontre dudit jugement par déclaration du 1er juin 2016.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives déposées à l'audience, la société LIDL demande à la Cour de :

A titre principal :

- la Déclarer recevable et bien fondée en ses demandes,

En conséquence :

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Argenteuil,

- dire et juger bien fondé le licenciement pour faute grave de Mme [D],

- débouter Mme [D] de l'ensemble de ses demandes à ce titre,

- débouter Mme [D] de sa demande visant à voir requalifier son contrat de travail à temps partiel en un contrat de travail à temps plein,

En conséquence :

- débouter Mme [D] de l'ensemble de ses demandes à ce titre.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives déposées à l'audience, Mme [D] demande à la cour de :

- fixer son salaire à 1 777,52 euros en qualité de chef caissière à temps complet,

- condamner la SNC LIDL à :

la requalification du contrat de travail à temps partiel en un temps plein depuis le 8 septembre 2012,

13 046,37 euros au titre de rappel de salaire du 8 septembre 2012 au 6 mai 2015,

1 304,63 euros au titre des indemnités de congés payés y afférents,

21 330,24 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1 475,86 euros au titre de la mise à pied conservatoire,

147,58 euros à titre de congés payés y afférents,

3 555,04 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

355,50 euros à titre de congés payés y afférents

2 133,02 euros au titre de l'indemnité de licenciement conventionnelle

50 euros par document et par jour de retard pour la remise de l'attestaion Assedic, le certificat de travail et du bulletin de paie

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Exécution provisoire

Intérêt au taux légal

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé des litiges et demandes.

MOTIFS,

1- Sur la requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps complet

Mme [D] sollicite la requalification en invoquant trois moyens :

- elle fait valoir que la convention collective applicable prohibe, en matière de temps partiel, le dépassement d'une demi-journée de travail de cinq heures mais que l'accord d'entreprise LIDL du 22 mars 2011 autorise des demi journées de 6 heures. Elle en conclut que son contrat de travail à temps partiel doit être requalifié en un contrat de travail à temps complet,

- elle fait valoir que la requalification s'impose dans la mesure où elle a régulièrement dépassé la durée légale hebdomadaire de travail,

- elle soutient que l'absence de précision de la répartition du temps de travail sur les avenants "faisant fonction" qu'elle a signés emporte la présomption d'un contrat de travail conclu à temps complet.

La société LIDL fait valoir que :

- le dépassement de demi-journées de travail de cinq heures ne saurait justifier une requalification automatique du contrat en un contrat à temps plein et est licite dès lors que l'accord d'entreprise le prévoit,

- Mme [D] ne démontre pas avoir dépassé la durée mensuelle légale du travail, condition pourtant nécessaire à la démonstration d'un contrat de travail à temps plein,

- elle avait connaissance de ses plannings à l'avance et n'avait pas à se tenir à la disposition de son employeur.

Sur ce,

Il résulte des dispositions de l'article L. 3123-1 du code du travail qu'est considéré à temps partiel le salarié dont la durée du travail est inférieure à la durée légale du travail (35 heures par semaine, 151,67 heures par mois ou 1 607 heures par an) ou à la durée inférieure, fixée par accord de branche ou d'entreprise, ou appliquée dans l'établissement. La durée de référence s'apprécie ainsi dans le cadre de la semaine, du mois ou de l'année.

Le contrat de travail à temps partiel doit impérativement comporter certaines mentions parmi lesquelles (article L. 3123-14 du code du travail) :

- la durée exacte de travail hebdomadaire, mensuelle, pluri-hebdomadaire ou annuelle prévue,

- la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine, pour les salariés occupés sur une base hebdomadaire, ou entre les semaines du mois pour les salariés occupés sur une base mensuelle,

- les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié,

- les limites dans lesquelles peuvent être effectuées les heures complémentaires au-delà du temps de travail fixé par le contrat.

En revanche, la tranche horaire dans laquelle les heures de travail doivent être exécutées n'a pas à être précisée dans le contrat de travail. Il appartient au salarié demandant la requalification de son contrat de travail en temps plein, de rapporter la preuve qu'il devait travailler chaque jour selon des horaires dont il n'avait pas eu préalablement connaissance, ce qui lui imposait de rester en permanence à la disposition de l'employeur.

La non-conformité du contrat de travail à temps partiel ou de ses avenants constitue une présomption simple de temps complet. L'employeur peut donc apporter la preuve de la réalité du travail à temps partiel : la durée exacte de travail, mensuelle ou hebdomadaire, convenue et sa répartition, le fait que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur.

S'agissant des heures complémentaires, leur nombre ne peut pas en principe être supérieur au dixième de la durée du travail prévue au contrat (article L. 3123-17), ou au tiers si cela est prévu par convention ou accord collectif de branche étendu ou d'entreprise (article L. 3123-18). Le nombre d'heures complémentaires effectuées par le salarié ne peut pas avoir pour effet de porter la durée du travail au niveau de la durée légale du travail, ou de la durée conventionnelle (article L. 3123-17 du code du travail). Dès lors que la durée de travail d'un salarié à temps partiel atteint 35 heures par semaine, le contrat à temps partiel peut, pour ce seul motif, être requalifié en temps complet par le juge.

En l'espèce, la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire prévoit que la demi-journée de travail des salariés à temps partiel est définie comme 5 heures de temps de travail effectif maximum, sans coupure.

L'accord d'entreprise conclu au sein de la société LIDL le 22 mars 2011 déroge à cette disposition en prévoyant que la demi-journée de travail est d'une durée maximale de 6 heures avant pause de 30 minutes ou coupure.

Il résulte des dispositions de l'article L. 2253-3 du code du travail qu'en matière de salaires minima, de classifications, de garanties collectives complémentaires mentionnées à l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale et de mutualisation des fonds de la formation professionnelle, une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement ne peut comporter des clauses dérogeant à celles des conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels.

Dans les autres matières, la convention ou l'accord d'entreprise ou d'établissement peut comporter des stipulations dérogeant en tout ou en partie à celles qui lui sont applicables en vertu d'une convention ou d'un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large, sauf si cette convention ou cet accord en dispose autrement.

La stipulation de l'accord ne concerne pas les matières d'ordre public visées par l'article L. 2253-3 du code du travail et peut donc déroger à un accord de champ plus large. Le premier moyen invoqué par Mme [D] au soutien de sa demande de requalification de son contrat en temps plein n'est pas fondé.

S'agissant du moyen tenant à l'absence d'indication dans les avenants "faisant fonction de chef caissière" de la répartition des heures de travail, il est rappelé que la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein suppose d'établir que le salarié est placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il devait se tenir constamment à la disposition de l'employeur.

Les avenants conclus entre Mme [D] et la société LIDL selon lesquels la salariée faisait fonction de chef caissière pour les périodes du 14 janvier 2013 au 5 mai 2013 puis du 23 décembre 2013 au 6 avril 2014 et du 9 juin 2014 au 3 août 2014, ont modifié la durée du travail de Mme [D] en passant d'une durée mensuelle à une durée hebdomadaire de 31,5 heures.

La répartition des heures entre les jours de la semaine n'était pas indiquée dans ces avenants. En conséquence, il existait une présomption simple de travail à temps complet à compter du 14 janvier 2013, qu'il appartient à l'employeur de renverser.

En application de la convention collective nationale, les plannings devaient être transmis au salarié à temps partiel au moins deux semaines à l'avance. C'est d'ailleurs ce délai qui a été prévu dans l'avenant du 1er octobre 2014 pour le poste de chef caissière. Or, il ressort du compte-rendu de l'enquête du CHSCT effectuée le 23 mars 2015 dans le magasin où travaillait Mme [D] que les plannings n'étaient pas affichés avec deux semaines d'avance, mais seulement pour la semaine en cours et la semaine suivante, le rédacteur du rapport relevant que cela pouvait être compliqué pour les salariés, et que les horaires n'étaient pas du tout adéquats pour les temps partiels et ne respectaient pas les accords de l'entreprise.

Il ressort en outre des bulletins de paie produits et de la durée de travail mensuelle de la salariée récapitulée dans les écritures de la société que cette durée variait tous les mois (133,13 heures en janvier 2013, 136,18 heures en février 2013, 141,39 heures en mars 2013, 146,19 heures en avril 2013, 140,55 heures en mai 2013, etc.). Le nombre d'heures complémentaires effectuées par Mme [D] était différent chaque mois et celle-ci effectuait également des heures qualifiées d' "heures supplémentaires" selon ses bulletins de paie.

La société ne rapporte pas la preuve que Mme [D] pouvait prévoir à l'avance son rythme de travail et, du fait de la variation chaque mois du nombre d'heures complémentaires, ne rapporte pas plus la preuve qu'elle n'avait pas à se tenir à la disposition permanente de son employeur.

Le contrat de travail sera requalifié en contrat à temps plein à compter du 14 janvier 2013.

Avant cette date, le contrat de travail de la salariée mentionnait bien la répartition des heures de travail entre les semaines du mois, il n'y avait donc pas de présomption de travail à temps complet. Il appartient alors à la salariée de fournir à la cour des éléments de nature à étayer sa demande tandis que l'employeur doit fournir les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Antérieurement au 14 janvier 2013, la salariée se contente d'affirmer qu'elle a dépassé la durée légale du travail en octobre 2012 puisque son bulletin de paie de novembre 2012 fait figurer 0,50 heure supplémentaire. Elle ne détaille toutefois pas la répartition des heures effectuées, ne produit pas son planning, ne produit aucun décompte par semaine ni le nombre total d'heures effectuées sur le mois. Sa demande n'est pas suffisamment étayée.

En défense, l'employeur rappelle que son contrat prévoit une durée mensuelle de travail ainsi que la possibilité d'effectuer des heures complémentaires dans la limite d'un tiers de la durée mensuelle prévue par le contrat. Il procède au calcul du nombre total d'heures effectuées sur le mois d'octobre 2012 (128,93 heures), lequel est inférieur à la durée légale du travail (151,67 heures).

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a requalifié le contrat de travail à temps partiel en temps complet, mais sera réformé sur la date d'effet de la requalification qui sera fixée au 14 janvier 2013, date du premier avenant irrégulier.

Le rappel de salaire pour un temps plein pour la période du 14 janvier 2013 jusqu'à la date du licenciement sera fixé à la somme de 3 136,96 euros, outre la somme de 313,69 euros au titre des congés payés afférents, correspondant à la différence entre le salaire réglé pour le temps partiel et le salaire dû pour un temps plein (11 322,70 euros, dont à déduire la somme de 8 185,74 euros versée durant la période au titre des heures complémentaires et supplémentaires).

2- Sur le licenciement pour faute grave

Par courrier du 6 mai 2015, qui fixe les limites du litige, la société LIDL a notifié à Mme [D] son licenciement pour faute grave pour les motifs suivants :

"Madame.
Nous faisons suite à l'entretien préalable du 24 Avril 2015. Les faits qui vous sont reprochés sont les suivants
Par courrier du 15 janvier 2015, vous dénonciez des faits de « harcèlement moral » à votre encontre par l'un de vos supérieurs hiérarchiques. Nous avons décidé de mettre en oeuvre toutes mesures utiles pour faire la lumière sur la réalité des éléments que vous portiez à notre connaissance.
Le CHSCT a été informé de la situation au cours de la réunion extraordinaire du 06 Février 2015, à la suite de laquelle une enquête en date du 23 Mars 2015 a été diligentée à ce titre.
Cette enquête du CHSCT a mis en évidence qu'aucune situation de harcèlement moral n'existe sur le magasin.
Cependant, le CHSCT a constaté dans son rapport que votre comportement en magasin était inadapté et dégradait le climat social du magasin.
Compte tenu de cette situation et afin de respecter notre obligation de sécurité et de santé de nos salariés, nous avons pris la décision de vous muter sur un magasin proche de votre domicile à compter du 11 Avril 2015.
Or, le 11 avril, vous vous êtes présentée sur le magasin de [Localité 7], refusant catégoriquement votre mutation sur le magasin d'[Localité 6].
Madame [T], Responsable des Ventes Secteur, vous a demandé à plusieurs reprises de quitter le magasin de [Localité 7] et de vous rendre sur votre nouveau magasin d'affectation. Vous lui avez alors répondu sur un ton agressif « Je ne bougerai pas du magasin, vous n'avez qu'à appeler la police ».
Votre comportement est intolérable.
Les explications que nous avons recueillies lors de cet entretien ne sont pas de nature à modifier notre appréciation des faits.
En conséquence, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité, celui-ci prenant effet à la date d'envoi de ce courrier."

La société LIDL fait valoir que la mobilité était inhérente aux fonctions de la salariée, ainsi que le mentionnait expressément l'article 1 bis de son contrat de travail et que Mme [D] ne pouvait dès lors refuser la mutation, alors que la nouvelle affectation se trouvait dans le même secteur géographique et à moins de 25 kilomètres de sa précédente affectation. La société ajoute que le délai de prévenance ne trouvait pas à s'appliquer car il s'agissait d'un cas d'urgence, à savoir la sauvegarde de la sécurité et la santé de l'ensemble des salariés.

En outre, la société indique que Mme [D] a été agressive à l'égard de Mme [T], responsable ventes secteur, lorsqu'elle s'est présentée au magasin de [Localité 7] au lieu du magasin d'[Localité 6].

Mme [D] fait valoir qu'il appartenait à l'employeur d'obtenir son accord express afin de mettre en oeuvre la mesure de mutation et de respecter le délai contractuel de prévenance de 7 jours en ce que la mutation ne relevait pas d'un remplacement temporaire mais d'une mutation définitive et, de surcroît, sans motif de remplacement.

Sur ce,

La faute grave s'entend d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La charge de la preuve de la faute grave repose sur l'employeur.

Le contrat de travail de Mme [D] contenait une clause de mobilité :

"Vu la structure multi établissements de notre société, nous nous réservons la possibilité de vous muter ultérieurement dans un autre de nos établissement, cette clause étant essentielle au présent contrat.

Toute mutation, en dehors des urgences de remplacement temporaire, (absentéisme, maladie, etc...) devra faire l'objet d'un délai de prévenance de 7 jours.

Les mutations définitives ne nécessiteront pas votre accord express si elles interviennent dans un rayon inférieur ou égal à 25kms autour de l'établissement auquel vous avez été contractuellement affecté(e)".

En l'espèce, la société précise que le magasin d'[Localité 6] était situé à 4,7km de la précédente affectation à [Localité 7] et rendait donc la mutation possible.

La société a notifié à Mme [D] sa mutation dans l'urgence après les conclusions du CHSCT rendues après enquête suite aux dénonciations de harcèlement moral par la salariée. Elle allègue qu'en raison de cette urgence, le délai de prévenance ne s'appliquait pas.

Le CHSCT a considéré après enquête dans le magasin de Mme [D], que le harcèlement moral n'était pas caractérisé et a préconisé pour Mme [D] "une mutation sur un magasin proche de son habitation hors secteur de Mme [T] pour éviter toute représaille".

L'employeur a ainsi pris en compte les préconisations du CHSCT et décidé de muter Mme [D].

Si la mutation était justifiée et dans le secteur géographique prévu par le contrat de travail, son motif ne rentrait pas dans les cas d'exonération du respect du délai de prévenance, prévues uniquement pour les urgences de remplacement temporaire, ce qui n'était pas le motif de mutation de Mme [D].

La société a informé Mme [D] le 10 avril 2015 de sa décision de la muter sur le magasin d'[Localité 6] à compter du 11 avril 2015.

La société ne conteste pas ne pas avoir respecté le délai de prévenance de sept jours prévus par le contrat de travail. Elle invoque l'urgence de la sauvegarde de la sécurité et la santé de l'ensemble des salariés, dont Mme [D], pour justifier ce défaut de respect du délai de prévenance.

Toutefois, il appartenait à la société de se conformer aux prescriptions contractuelles et de respecter le délai de prévenance, en prévoyant d'autres dispositions telle qu'une dispense de se présenter sur son lieu de travail durant les sept jours précédant la mutation.

Le refus de Mme [D] de se présenter à son nouveau lieu d'affectation ne pouvait pas justifier son licenciement.

S'agissant du comportement de Mme [D], il ressort des attestations produites que la salariée a refusé de quitter le magasin de [Localité 7] pour aller au magasin d'affectation d'Enghien les bains et qu'elle a indiqué à Mme [T], responsable ventes du secteur, sur un ton agressif qu'elle ne bougerait pas du magasin et qu'elle n'avait qu'à appeler la police.

Le comportement agressif de Mme [D] à l'encontre de sa supérieure hiérarchique est établi.

Toutefois, au regard de la mutation irrégulière imposée par la société à la salariée, ces faits n'étaient pas d'une gravité telle qu'il rendaient impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise durant le préavis.

Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse.

La société LIDL sera condamnée à verser à Mme [D] les sommes suivantes :

- 1 033,76 euros retenue au titre de la mise à pied,

- 103,37 euros au titre des congés payés afférents,

- 2 086,82 euros au titre de l'indemnité conventionnelle, montant calculé sur la base d'un salaire à temps plein.

Le jugement sera réformé sur ces montants.

3- Sur les dépens et sur l'indemnité de procédure

La société LIDL, qui succombe dans la présente instance, doit supporter les dépens.

Au regard de la situation respective des parties, il apparaît équitable de condamner la société LIDL à verser à Mme [D] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés.

PAR CES MOTIFS,

La COUR,

Statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SNC LIDL à verser à Mme [W] [D] les sommes suivantes :

13 046,37 euros au titre de rappel de salaires du 8 septembre 2012 au 6 mai 2015,

1 304,63 euros au titre des indemnités de congés payés y afférents,

1 475,86 euros au titre de la mise à pied conservatoire,

147,58 euros à titre de congés payés y afférents,

2 133,02 euros au titre de l'indemnité conventionnelle,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le contrat de travail de Mme [W] [D] était à temps complet depuis le 14 janvier 2013,

CONDAMNE la SNS LIDL à verser à Mme [W] [D] les sommes suivantes :

- 3 136,96 euros à titre de rappel de salaire pour le travail à temps plein,

- 313,69 euros au titre des congés payés afférents,

- 1 033,76 euros retenue au titre de la mise à pied,

- 103,37 euros au titre des congés payés afférents,

- 2 086,82 euros au titre de l'indemnité conventionnelle,

- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SNC LIDL aux dépens.

- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Madame Maryse LESAULT, Présidente et par Madame Carine DJELLAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 16/03027
Date de la décision : 27/05/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 15, arrêt n°16/03027 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-05-27;16.03027 ?
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