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07/05/2020 | FRANCE | N°18/01616

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 07 mai 2020, 18/01616


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 07 MAI 2020



N° RG 18/01616 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SIKL



AFFAIRE :



SA AXA ASSISTANCE FRANCE





C/

[V] [F]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 25 Janvier 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 16/00406



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELARL CAPSTAN LMS



Me Michel TUBIANA







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SEPT MAI DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 07 MAI 2020

N° RG 18/01616 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SIKL

AFFAIRE :

SA AXA ASSISTANCE FRANCE

C/

[V] [F]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 25 Janvier 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 16/00406

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL CAPSTAN LMS

Me Michel TUBIANA

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEPT MAI DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SA AXA ASSISTANCE FRANCE

N° SIRET : 311 338 339

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentant : Me Alexandra LORBER LANCE de la SELARL CAPSTAN LMS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, substituée à l'audience par Me CAREL Charlotte, avocate au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

Madame [V] [F]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentant : Me Michel TUBIANA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1657

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Mars 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe FLORES, Président,

Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Stéphanie HEMERY,

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [V] [F] a été engagée à compter du 1er juin 2006, avec reprise d'ancienneté au 15 juin 1992, en qualité de cadre opérationnel par la société Axa Assistance France, moyennant, en dernier lieu, un salaire mensuel de base de 4 083,95 euros bruts, outre des primes et majorations diverses. Elle était affectée à la direction de l'assistance, plateau nuit.

L'entreprise, qui exerce une activité d'assistance, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des sociétés d'assistance.

Le 15 janvier 2016, Mme [F] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 25 janvier 2016 et mise à pied à titre conservatoire.

Le 26 janvier 2016, Mme [F] a sollicité la réunion du conseil de conciliation prévu à l'article 42b de la convention collective. Elle s'est tenue le 5 février 2016.

Le 11 février 2016, Mme [F] a été licenciée pour faute grave.

Par requête du 18 février 2016, Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt afin de contester la rupture de son contrat de travail.

Par jugement rendu le 25 janvier 2018, le conseil (section encadrement) a :

- fixé le salaire mensuel moyen de Mme [F] à 5 883 euros bruts,

- jugé que le licenciement pour faute grave de Mme [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Axa Assistance France à verser à Mme [F] les sommes suivantes :

5 883 euros bruts au titre de la période de mise à pied conservatoire et 588,30 euros bruts au titre des congés payés afférents,

17 649 euros bruts au titre du préavis et 1 764 euros bruts au titre des congés payés afférents,

64 469,21 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

106 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné le remboursement par la société Axa Assistance France aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Mme [F] du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence de 6 mois,

- condamné la société Axa Assistance France aux dépens,

- débouté les parties du surplus de leur demandes.

Le 21 mars 2018, la société Axa Assistance France a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 19 février 2020, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 3 mars 2020.

Par dernières conclusions écrites du 17 février 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société Axa Assistance France demande à la cour de :

A titre principal,

- infirmer le jugement en ce qu'il a requalifié la rupture du contrat de travail de Mme [F] en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- dire que le licenciement de Mme [F] est fondé sur une faute grave,

- débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner Mme [F] à verser à la société Axa Assistance France la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

- dire que le licenciement de Mme [F] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- confirmer les sommes retenues par le conseil de prud'hommes au titre du solde de tout compte de la salariée, à savoir :

- fixer le salaire de référence de la requérante à hauteur de 5 882,95 euros bruts,

- fixer l'indemnité de licenciement de la salariée à hauteur de 64 469,21 euros bruts,

- fixer la somme sollicitée par Mme [F] au titre d'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 17 648,67 euros bruts et de 1 764,87 euros bruts au titre de congés payés afférents,

- fixer la somme sollicitée par la salariée au titre de rappel de salaire pour mise à pied conservatoire à hauteur de 5 882,95 euros bruts,

- débouter la salariée du surplus de ses demandes,

à titre infiniment subsidiaire,

- ramener les prétentions indemnitaires de la salariée à de bien plus justes prétentions.

Par dernières conclusions écrites du 16 août 2018, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, Mme [F] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit le licenciement sans motifs réels ou sérieux,

- dire que son salaire mensuel moyen est de 6 056,62 euros,

réformant pour le surplus,

- condamner la société Axa Assistance France à payer, en deniers ou quittance valable, à Mme [F] :

6 056,62 euros au titre de la période de mise à pied et 605 euros de congés payés,

18 170 euros au titre du préavis et 1 817 euros de congés payés,

69 348,30 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

avec intérêts de droit à compter du 25 février 2016, date de convocation en conciliation et capitalisation à compter du 25 février 2017,

- condamner la société Axa Assistance France à payer à Mme [F] :

400 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ou sérieuse, avec intérêts au taux légal dans la limite de 106 000 euros à compter du 25 janvier 2018 et anatocisme à compter du 25 janvier 2019,

20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Axa Assistance France aux dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au bénéfice de M. [S] [J].

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée':

'Le 4 septembre 2015 votre responsable hiérarchique vous demandait de lisser les nuits vous restant à effectuer de manière équilibrée sur les mois de novembre et décembre.

Il relevait que vous aviez modifié la nuit qui vous avait été affectée le 20 octobre 2015, ce qui occasionnait un rythme de 7 nuits travaillées en 9 jours puis 15 jours consécutifs de repos, ce qui n 'était pas acceptable en matière de répartition de votre charge de travail.

Suite à vos réponses, votre responsable hiérarchique vous indiquait, explicitement par courrier le 15 septembre :

"Je reviens sur le sujet donc pour la dernière fois je l'espère : Il n 'est pas acceptable de planifier 7 nuits en 9 jours.

Tu as plusieurs solutions et suffisamment de plages de repos pour aérer tes présences dans le respect des règles du planning.

Je te remercie donc d'aérer tes plages."

Or, le 5 janvier 2016, votre responsable hiérarchique découvrait les plannings de l'équipe de nuit pour les mois de janvier et février 2016.

Il y portait une attention particulière, car il avait remarqué que vous n'appliquiez pas ses consignes. En effet, outre son courriel du mois de septembre, il vous avait également entretenu au mois d'octobre dernier pour vous indiquer qu 'il n'était pas possible de vous accorder de manière permanente deux jours de repos entre les séries de trois jours de travail.

Votre responsable hiérarchique était alors en arrêt de travail tout le mois de novembre, mois de la réalisation du planning de janvier 2016. A son retour en décembre, il avait constaté que vous aviez persisté à maintenir votre rythme de prédilection pour le planning de janvier. Le planning ayant été établi en son absence, il avait de facto été entériné.

Pour la réalisation du mois de planification suivant, février, votre responsable hiérarchique constatait que vous bénéficiiez de nouveau d'une planification en 2 fois 3 nuits/2repos/3nuits.

Suite à cette constatation étonnante -car il avait validé un planning comprenant sur la dernière série 3nuits/3repos/3nuits afin de mieux lisser la moyenne de représentation des managers sur le mois- il vous indiquait par courriel le 11 janvier 2016 :

" En regardant les plannings de janvier et février, je constate que tu ne réalises que des séries de 3 nuits 2 jours 3 nuits, alors que je t'avais précisé en octobre dernier que ce n 'était pas envisageable. Tu peux m'expliquer pourquoi stp '"

Vous lui répondiez le 12 janvier :

" en effet nous avons abordé le sujet planning ensemble au mois d'octobre. A cette occasion je t 'avais bien exposé les raisons qui me conduisent à planifier de la sorte mon rythme de travail, je vais te les énumérer à nouveau..."

et concluiez ainsi :

" Ce rythme n'interfère aucunement dans mon travail bien au contraire, et en ce qui concerne la gestion de mon équipe, dans tous les cas de figure nous sommes tous tributaires des plannings des uns et des autres, donc encore une fois pas d'incidence particulière non plus à ce niveau, Au mois de juillet prochain cela fera 24 ans que je pratique ce rythme de travail, est-ce bien raisonnable de le remettre en cause au risque de provoquer un déséquilibre physiologique qui pourrait s'avérer préjudiciable" opposant ainsi une fin de non-recevoir aux directives pourtant très claires de votre responsable hiérarchique quant à l'établissement de votre planning.

Par ailleurs nous avons découvert à cette occasion que pour parvenir à rétablir vos propres souhaits de planification vous aviez modifié le 21 décembre 2015 votre propre planification (à 23h29) pour la journée du 15 février 2015 en affectant à son insu et sans solliciter son accord la journée qui vous avait été attribuée à votre collègue M. [Z] [B]-[S] (à 23h35) alors en congés au moment de son action sur le planning.

Il est à noter que, suite à notre entretien disciplinaire du 25 janvier, nous avons procédé aux vérifications de vos déclarations auprès du service planification quant à la légitimité de la modification de la journée du 15 février 2016 initialement affectée à M. [Z] [B]-[S].

Il est apparu qu'une fois le planning en ligne, vous l'aviez bien modifié sans en informer qui que ce soit pour rétablir le planning prévu lors de l'ébauche selon vos souhaits.

Nous vous avons alors indiqué que le planning du mois de février avait pourtant justement été élaboré par le service planification et votre responsable hiérarchique pour le motif même qu'il ne respectait pas les directives qui vous avaient été données quant à votre planification.

Il ressort de ces éléments que vous avez sciemment violé des directives managériales claires et avez, de surcroît, modifié à l'insu de tous ' notamment de l'un de vos collègues- le planning établi pour le mois de février 2016 pour établir vos propres desiderata de planification. Les faits commis sont d'autant plus fautifs que vous vous êtes servie de vos prérogatives et accès informatiques en votre qualité de responsable d'équipe pour parvenir à vos fins'.

La société Axa Assistance France conclut à l'infirmation du jugement entrepris. Elle fait grief à la salariée d'avoir refusé de modifier le rythme de ses nuits de travail en dépit des demandes réitérées de son supérieur hiérarchique et d'avoir manipulé le planning établi pour le mois de février 2016 afin d'imposer ses souhaits, à savoir un rythme de 3 nuits, 2 jours de repos, 3 nuits. La société soutient qu'il lui appartenait d'aménager les horaires de la salariée et la répartition de ses nuits travaillées, dans le respect des dispositions conventionnelles.

Mme [F] conclut à la confirmation du jugement entrepris. Elle expose qu'elle exerçait depuis 1992 son activité au rythme de 3 nuits, 2 jours de repos, 3 nuits, qu'elle n'avait jamais fait l'objet d'observations de son supérieur avant le mois d'octobre 2015, lequel n'a pas émis de directive écrite, et que s'agissant de la modification du planning de février, il s'agit d'une erreur. Elle précise que la cause réelle de son licenciement réside dans le montant de son salaire et la durée de son travail, plus favorables que ceux de ses collègues.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. L'employeur doit rapporter la preuve de l'existence d'une telle faute, et le doute profite au salarié.

La modification des horaires de travail, comme la répartition du temps de travail sur la semaine du salarié engagé à temps plein, ne constitue qu'un changement des conditions de travail qui peut être imposé par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, sauf à porter une atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos.

Le contrat de travail de Mme [F] du 22 mai 2006 mentionnait son engagement à durée indéterminée à temps complet avec une organisation du temps de travail effectif s'établissant sur une base annuelle de 1 241 heures réparties sur 124,10 présences de nuit, d'une durée de dix heures sur la plage horaire 22h15 - 8h15. Il n'était mentionné aucun rythme entre les nuits travaillées et les jours de repos.

L'article 60 de la convention collective de l'Assistance prévoit que le temps de repos faisant suite à une période de travail de nuit doit être au moins égal à la moitié de la période travaillée en plages de nuits, sauf disposition plus favorable résultant d'un accord d'entreprise et que 'en tout état de cause, la succession de 4 plages de nuits constitue une limite exceptionnelle qui ne peut en aucun cas être dépassée'.

L'accord d'entreprise d'Axa Assistance France en date du 30 mai 2005 relatif au travail de nuit prévoit en son article 4.2 que 'la période de repos suivant une période travaillée en horaire de nuit est au moins égale à la moitié de celle-ci. Une série de 3 nuits consécutives maximum peut être travaillée en horaires de nuit et doit être suivie obligatoirement de 2 nuits consécutives de repos'.

Il résulte de ces dispositions que l'employeur peut aménager les horaires des salariés et la répartition de leurs nuits travaillées, sous réserve que leur temps de repos soit égal au moins à la moitié des plages de travail de nuit, la succession de trois plages de nuits travaillées étant une limite maximum, devant être suivie d'une période de repos de deux jours minimum.

Au soutien de la mesure de licenciement, la société fait état de plusieurs échanges de mails entre Mme [F] et son supérieur M. [N] (directeur du service de nuit).

Le 4 septembre 2015, il lui écrivait dans les termes suivants : 'Bonjour [V], J'ai fait un point avec [H] sur ton planning de fin d'année (...), d'ici la fin de l'année, merci stp de lisser les nuits qui te restent de manière équilibrée (novembre et décembre) (...), en faisant ce point, je remarque que pour assister à la réunion des managers du 1er octobre, tu déplaces une nuit qui était planifiée le 20 octobre. Cela occasionne 7 nuits travaillées en 9 jours, du 27/09 au 5/10, puis les 15 jours consécutifs de repos. Tu comprends bien, comme maintes fois évoqué, que ce n'est pas possible. Je te laisse donc remodifier ton planning afin de respecter davantage de plages de repos pendant cette concentration de nuits (...)', puis à nouveau le 15 septembre, après une première réponse de la salariée 'Bonjour [V], Je pense que tu n'as pas compris mon message, peut-être n'ai-je pas été clair. Je reviens sur le sujet donc pour la dernière fois je l'espère : Il n'est pas acceptable de planifier 7 nuits en 9 jours. Tu as plusieurs solutions et suffisamment de plages de repos pour aérer tes présences dans le respect des règles du planning. Je te remercie donc d'aérer tes plages'. Par mail du 1er octobre 2015, la salariée a répondu favorablement, en faisant constater à son supérieur l'allégement de son planning.

Le 11 janvier 2016, M. [N] demandait des explications à Mme [F] dans ces termes : 'Bonjour [V], en regardant les plannings de janvier et février, je constate que tu ne réalises que des séries de 3 nuits / 2 jours / 3 nuits, alors que je t'avais précisé en octobre dernier que ce n'était pas envisageable. Tu peux m'expliquer pourquoi stp '', la salariée, répondant le 12 janvier 2016 comme suit : 'En effet, nous avons abordé le sujet planning ensemble au mois d'octobre. A cette occasion, je t'avais bien exposé les raisons qui me conduisent à planifier de la sorte mon rythme de travail, je vais te les énumérer à nouveau. Depuis le premier juillet 1992, j'ai adopté cette cadence de travail qui représente pour moi un rythme physiologiquement équilibré, qui est important pour conserver une bonne santé. Par ailleurs, je respecte mon contrat de nuit en effectuant mes 124 nuits, et en appliquant les règles relatives au travail de nuit chez AXA : L'article 4.2. Période de repos : la période de repos suivant une période travaillée en horaire de nuit est au moins égale à la moitié de celle-ci. Une série de 3 nuits consécutives maximum peut être travaillée en horaires de nuit et doit être suivie obligatoirement de 2 nuits consécutives de repos.

Ce rythme n'interfère aucunement dans mon travail bien au contraire, et en ce qui concerne la gestion de mon équipe, dans tous les cas de figure nous sommes tous tributaires des plannings des uns et des autres, donc encore une fois pas d'incidence particulière non plus à ce niveau. Au mois de juillet prochain cela fera 24 ans que je pratique ce rythme de travail, est-ce bien raisonnable de le remettre en cause au risque de provoquer un déséquilibre physiologique qui pourrait s'avérer préjudiciable.

J'espèce que mes explications trouveront une écoute bienveillante et je reste à ta disposition'.

Il ressort de ces échanges que si la salariée, en octobre 2015 a fini par respecter les directives de son supérieur qui lui demandait d'alléger son planning d'octobre, une nouvelle difficulté est apparue en janvier et février 2016 puisque les plannings produits aux débats montrent une planification habituelle de Mme [F] en trois nuits travaillées, deux jours de repos et à nouveau trois nuits travaillées, en contradiction avec la demande de son supérieur formulée lors d'un entretien en octobre 2015.

En effet, si comme le soulève Mme [F], aucune directive écrite de son supérieur ne lui a été adressée concernant le rythme de ses nuits travaillées, il n'en demeure pas moins que l'échange de mails en date des 11 et 12 janvier 2016 établit que M. [N] lui avait signifié en octobre 2015 qu'il n'était pas possible de planifier son travail selon le rythme précédemment appliqué (3-2-3). De même, la circonstance que ce rythme que Mme [F] souhaitait conserver ait été appliqué durant des années ou soit conforme aux dispositions conventionnelles ou encore n'ait fait l'objet d'aucune réclamation de ses collègues, ne saurait priver l'employeur de la faculté de modifier l'organisation du travail au sein de ses services, laquelle relève de son pouvoir de direction et dont il n'a pas à justifier, étant encore relevé que Mme [F] fait état, en cas de modification de son cycle, 'd'un risque de provoquer un déséquilibre physiologique qui pourrait s'avérer préjudiciable', sans plus de précision, ni justificatif.

Par ailleurs, si comme la société l'indique elle même, le planning de janvier 2016, établi en novembre 2015 lors de l'arrêt de travail du supérieur de Mme [F] a été entériné, il ressort de deux captures d'écran de la planification établie pour le mois de février 2016 sur l'outil informatique que Mme [F] a modifié, de sa propre initiative, son planning afin de rétablir son cycle de 3-2-3. En effet, il apparaît que le planning a été validé le 21 décembre 2015 à 16 heures mais que le même jour Mme [F] a, à 23h29, supprimé le 15 février de son affectation pour l'attribuer, à 23h35, à son collègue M. [B]. La salariée ne peut être suivie lorsqu'elle affirme qu'il s'agit d'une erreur puisqu'elle a effectué deux opérations distinctes, la première sur son compte pour supprimer cette date et une seconde sur le compte de son collègue, quelques minutes après, pour la lui attribuer en 'remplacement'. Du fait de cette modification, Mme [F] devait travailler les 16, 17 et 18 février, être en repos les 19 et 20 février pour reprendre ensuite son activité pendant trois nuits.

Le non respect des directives de son supérieur est ainsi avéré, comme la modification du planning après sa validation, ce qui caractérise une cause réelle et sérieuse de licenciement. Pour autant, cette faute commise par une salariée ayant plus de vingt ans d'ancienneté, ne rendait pas impossible son maintien au sein de l'entreprise, ce qui conduit à écarter la qualification de faute grave retenue par l'employeur. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur les demandes pécuniaires

La faute grave n'ayant pas été retenue, Mme [F] est bien fondée à obtenir le paiement d'un rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, une indemnité compensatrice de

préavis correspondant, conformément à l'article L. 1234-5 du code du travail, à la rémunération brute que la salariée aurait perçue si elle avait travaillé pendant la période du délai-congé et une indemnité de licenciement, calculée sur la moyenne des salaires des douze derniers mois ou sur le tiers des trois derniers mois avec proratisation des éléments de salaire non mensuels, ainsi qu'il résulte de l'article R. 1234-4 du code du travail.

Les parties s'accordent pour retenir un calcul fondé sur les douze derniers mois travaillés en totalité, soit l'année 2015. Il ressort de l'examen des fiches de paie que si, comme soutenu par la société il n'y a pas lieu de retenir la somme de 237,54 euros versée au mois de janvier 2015 à titre de rappel de salaire 2014, il convient de prendre en compte la somme de 2 084,68 euros versée en avril 2015 au titre de la rémunération variable calculée sur l'année 2014 et exigible en 2015, étant relevé que la rémunération variable calculée sur l'exercice 2015 (2 126,35 euros) a été versée en février 2016.

Par conséquent, eu égard aux fiches de paie produites, il sera alloué la somme de 5 882,95 euros bruts et les congés payés afférents au titre du rappel de salaire durant la période de mise à pied conservatoire, comme proposé à titre subsidiaire par l'employeur, la somme de 18 110,46 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents et enfin la somme de 66 103 euros bruts au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

La salariée sollicite également l'allocation de la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi. Elle expose avoir été mise à pied pour des faits manifestement infondés dans des conditions pouvant laisser penser à des agissements graves de sa part.

Le licenciement a été reconnu justifié par une cause réelle et sérieuse. En outre, si effectivement, à la suite d'un dysfonctionnement postal, Mme [F] n'a été avisée de sa mise à pied conservatoire qu'à son arrivée à l'entreprise, elle ne justifie ni de circonstances vexatoires ayant accompagné cette notification, ni d'un préjudice distinct qui ne soit déjà réparé par le versement du rappel de salaire alloué pour la période de mise à pied.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur les autres demandes

Conformément à l'article 1231-6 du code civil, les créances de nature contractuelle porteront intérêt à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes. Les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Eu égard au sens de la présente décision, il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses dépens et frais irrépétibles engagés en cause d'appel. En revanche, les condamnations prononcées en première instance de ces chefs seront confirmées.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté la demande au titre du préjudice moral, et en ce qu'il a condamné la société au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que le licenciement de Mme [F] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

REJETTE la demande d'indemnité pour licenciement injustifié,

CONDAMNE la société Axa Assistance France à payer à Mme [F] les sommes suivantes:

5 882,95 euros bruts au titre de la période de mise à pied et 588,30 euros bruts de congés payés afférents,

18 110,46 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 1 811,04 euros bruts de congés payés,

66 103 euros bruts au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter du 25 février 2016 et capitalisation des intérêts à compter du 25 février 2017,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

DIT que chacune des parties gardera à sa charge ses dépens exposés en appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Philippe FLORES, Président et par Monsieur TAMPREAU, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21e chambre
Numéro d'arrêt : 18/01616
Date de la décision : 07/05/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 21, arrêt n°18/01616 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-05-07;18.01616 ?
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