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06/02/2020 | FRANCE | N°18/01565

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 06 février 2020, 18/01565


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 06 FÉVRIER 2020



N° R 18/01565



AFFAIRE :



SAS CEOBUS





C/

[S] [F]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 février 2018 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de CERGY-PONTOISE



N° Section : C

N° R :



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

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la AARPI NMCG AARPI



Me Alexandre MERDASSI







le : 07 février 2020





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SIX FÉVRIER DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



SAS CEOBU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 FÉVRIER 2020

N° R 18/01565

AFFAIRE :

SAS CEOBUS

C/

[S] [F]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 février 2018 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de CERGY-PONTOISE

N° Section : C

N° R :

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la AARPI NMCG AARPI

Me Alexandre MERDASSI

le : 07 février 2020

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX FÉVRIER DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SAS CEOBUS

N° SIRET : 438 352 007

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentant : Me Arnaud BLANC DE LA NAULTE de l'AARPI NMCG AARPI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0007

substitué par Me Chloé PEREZ, avocat au barreau de Paris

APPELANTE

****************

Madame [S] [F]

née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 8]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Alexandre MERDASSI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2501

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 décembre 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe FLORES, Président,

Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Christine LECLERC,

Mme [F] a été engagée le 2 juin 2008 en qualité de conducteur receveur par la société Tim Bus selon contrat de travail à durée indéterminée. Son contrat de travail a été transféré à la société Ceobus à compter du 1er mars 2010 sur un poste de travail de nuit.

L'entreprise, qui exerce une activité de services de transport, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des transports routiers et auxiliaires de transport.

Mme [F] a déclaré avoir été victime d'un accident de travail le 13 novembre 2015 et a été placée en arrêt de travail à compter du 16 novembre 2015. Cet accident a été déclaré, avec réserves, par l'employeur à la caisse primaire d'assurance maladie le 17 novembre 2015. Le 18 février 2016, la caisse a reconnu le caractère professionnel de l'accident. Le 9 mai 2016, le médecin du travail a déclaré Mme [F] apte à la reprise sur un poste de service de jour.

Par requête du 10 avril 2017, Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise afin de solliciter la condamnation de son employeur au paiement de diverses sommes au titre de l'exécution du contrat de travail.

La société Ceobus a demandé au conseil de débouter Mme [F] de ses demandes et de la condamner à la somme 3 000 euros due au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 14 février 2018, le conseil (section commerce) a :

- dit et jugé que Mme [F] a été victime d'actes de harcèlement moral ;

- dit et jugé que la société Ceobus a manqué à son obligation de sécurité de résultat ;

- condamné la société Ceobus à verser à Mme [F] les sommes de 5 448,25 euros au titre de la prime de nuit, 1 550 euros au titre de la prime de dimanche, 909,72 euros au titre de la prime de 13ème mois, 220 euros au titre de la prime de présence, 12 000 euros au titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral, 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les sommes allouées emporteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation par la partie défenderesse pour les créances de nature salariale et à compter de la présente décision pour les créances de nature indemnitaire ;

- dit y avoir lieu à capitalisation au sens de l'article 1343-2 du Code civil ;

- condamné la Société Ceobus à délivrer à Mme [F] les bulletins de paie conformes au présent jugement sous astreinte et s'est réservé le droit de liquider l'astreinte ;

- dit y avoir lieu à exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile ;

- fixé le salaire de Mme [F] à la somme de 3 066,64 euros ;

- débouté Mme [F] du surplus de ses demandes ;

- débouté la société Ceobus de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- mis les éventuels dépens de l'instance à la charge de la Société Ceobus .

Le 19 mars 2018, la société Coebus a relevé appel partiel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 9 octobre 2019, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 10 décembre 2019.

Par dernières conclusions écrites du 28 novembre 2018, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société Coebus demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a dit et jugé que Madame [F] a été victime d'actes de harcèlement moral, dit et jugé que la Société Ceobus a manqué à son obligation de sécurité et de résultat, condamné la Société Ceobus à verser à Madame [F] les sommes de 5 448,25 euros au

titre de la prime de nuit, 1 550 euros au titre de la prime de dimanche, 909,72 euros au titre de la prime de 13ème mois, 220 euros au titre de la prime de présence, 12 000 euros au titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral, 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dit que les sommes allouées emporteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation par la partie défenderesse pour les créances de nature salariales et à compter de la présente décision pour les créances de nature indemnitaire, dit y avoir lieu à capitalisation au sens de l'article 1343-2 du code civil, condamné la société à délivrer à Madame [F] les bulletins de paie conformes au présent jugement sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la décision limitée à 30 jours, s'est réservé le droit de liquider l'astreinte, dit y avoir lieu à exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile, fixé le salaire de Mme [F] à la somme de 3 066,64 euros, débouté la société Ceobus de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter Mme [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner Mme [F] à verser à la société Ceobus la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [F] en tous les dépens.

Par dernières conclusions écrites du 31 mai 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, Mme [F] demande à la cour de :

- juger que Mme [F] a été victime d'actes de harcèlement moral ;

- juger que la société CEOBUS a manqué à plusieurs reprises à son obligation de sécurité envers Mme [F] ;

- confirmer le Jugement du conseil de Prud'hommes de Pontoise dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a fixé à 12 000 euros le montant des dommages et intérêts dus à Mme [F] au titre du harcèlement moral et du manquement de la société Ceobus ;

- condamner la société Ceobus à régler à Mme [F] la somme de 18 399,84 euros au titre du harcèlement moral dont Mme [F] a été victime et du manquement à l'obligation de sécurité caractérisé par l'absence de mise en place des mesures de prévention ou de réparation nécessaires pour mettre fin audit harcèlement moral, 18 399,84 euros au titre du manquement à l'obligation de sécurité caractérisé par l'exposition de Mme [F] au danger à l'origine de son accident de travail après le jugement du 14 février 2018 et le non-respect des prescriptions de la médecine du travail ;

- condamner la société Ceobus à régler à Mme [F] la somme de 2 327,22 euros bruts, au titre de la perte de prime de nuit entre août 2017 et mars 2018 ;

- ordonner la remise des bulletins de salaire, conformes aux demandes formulées ci- dessus, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement ;

- juger que l'ensemble des indemnités allouées à Mme [F] porteront intérêt de droit à compter de l'introduction de la demande ;

- juger qu'il y a lieu à application des articles 1153-1 et 1154 du Code civil au titre de l'anatocisme ;

- condamner la société Ceobus à payer à Mme [F] la somme de 5.000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles devant la Cour d'appel ;

- condamner la société Ceobus à tous les dépens, y compris les éventuels frais d'exécution du jugement à intervenir.

Motifs de la décision

Sur les rappels de salaires :

Quant aux primes de nuit et de dimanche :

L'employeur explique qu'à la suite des faits dénoncés par Mme [F], celle-ci a été repositonnée en travail de jour, ce qu'elle a manifestement et explicitement accepté, de sorte que la demande au titre des primes attachées aux sujétions liées au travail de nuit se sont pas fondées. L'employeur demande l'infirmation du jugement et le débouté de la salariée de ces chefs.

La salariée explique qu'au retour de son arrêt de travail son employeur a modifié son contrat de travail en la plaçant en service de jour alors qu'auparavant elle assurait un service de nuit. Elle précise que ce repositionnement constitue une sanction illicite, alors que son arrêt de travail était consécutif à un harcèlement. Elle ajoute que dans le courrier du 25 février 2016 elle a simplement déclaré qu'elle n'accepterait d'être placée en service de jour qu'à la condition expresse que son agresseur, M. [H], y soit également affecté afin qu'elle ne soit pas seule à subir une perte de salaire. La salariée considère qu'elle a subi une perte de rémunération du fait de cette modification unilatérale du contrat de travail et demande donc la confirmation du jugement en ce qu'il lui a accordé des rappels de salaire à titre de prime de nuit et de dimanche.

Le passage d'un horaire de nuit à un horaire de jour constitue une modification du contrat de travail qui nécessite l'accord exprès du salarié, lequel ne saurait résulter du fait que ce dernier a exécuté le contrat modifié.

A la suite de la dénonciation de faits de harcèlement imputés à M. [H], et à son retour d'arrêt pour cause d'accident de travail, l'employeur a relevé que 'les relations professionnelles et les contacts qui se seraient produits avec M. [H] seraient étroitement liés à [son] arrêt de travail, et a recherché des solutions pour prévenir ces contacts'. Dans une lettre du 25 février 2016, la salariée a expliqué que le changement de dépôt ne lui convenait pas pour des raisons de distance, le changement de prise de service de nuit non plus car ses services lui convenaient parfaitement et qu'elle était ouverte à un passage de jour si M. [H] passe de service de jour aussi. Elle précisait : 'pour que ce soit équitable des deux côtés car sinon je serais perdante en salaire si lui reste de nuit, cette solution vous permet de rester impartial'.

Le passage de Mme [F] d'un service de nuit à un service de jour a été décidé par l'employeur sans qu'aucun avenant ne soit conclu entre les parties. Dans ces conditions, en l'absence de preuve du consentement exprès à cette nouvelle affectation, qui entraînait également une baisse de rémunération, la modification du contrat de travail a été mise en oeuvre de façon unilatérale par l'employeur et, par suite, de façon irrégulière. La salariée est donc en droit de réclamer le paiement des éléments de salaire dont elle a été privée injustement par l'effet de cette modification du contrat de travail.

La salariée qui était contractuellement affectée à un service de nuit est en droit de réclamer le paiement de la prime de nuit dont elle a été privée à compter de son affectation unilatérale en service de jour.

La prime de dimanche n'est pas prévue dans le contrat de travail et se trouve donc attachée à la sujétion d'un travail le dimanche, l'employeur indique dans ses conclusions que la salariée n'exerçait plus ses missions le dimanche, de sorte qu'aucune prime ne pouvait en tout état de cause lui être due à ce titre. Il en résulte que le travail de nuit emportait pour la salariée des services le dimanche, avec perception de la prime afférente, élément de rémunération dont elle a été privée à la suite de la modification unilatérale du contrat de travail. Elle est donc en droit de prétendre au paiement cette prime.

Le jugement sera donc confirmé de ces chefs.

Quant à la prime de présence :

La salariée sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il lui a alloué la somme de 220 euros bruts au titre de la prime de présence entre décembre 2015 et mai 2016, alors que son absence était due à un accident de travail.

L'employeur reprend l'argument selon lequel la salariée a été repositionnée en travail de jour, avec son accord, et qu'elle doit être déboutée de sa demande de ce chef. Il ajoute qu'elle n'a pas perçu une telle prime entre novembre 2015 et mai 2016 car elle se trouvait alors en arrêt de travail.

Dès lors que l'absence de la salariée résulte du harcèlement moral retenu ci-dessous, c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes a condamné l'employeur à verser une prime qui n'avait pas été payée en raison de l'absence maladie de la salariée. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Quant à la prime de 13ème mois :

La salariée demande la confirmation du jugement en ce qu'il a fait droit à sa demande au titre du treizième mois, soit 909,72 euros. En effet, les dispositions de l'article 26 de l'ARTT du 18 avril ne prévoient pas d'exclusion au bénéfice de cette prime en cas d'absence pour maladie.

L'employeur fait valoir, comme précédemment, la réalisation d'un travail de jour de Mme [F], avec un consentement clair et non équivoque de sa part.

Comme pour le défaut de paiement de la prime de présence, dès lors que l'absence de la salariée résulte du harcèlement moral qui est retenu ci-dessous, c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes a condamné l'employeur à verser une prime de treizième mois qui n'avait pas été payée en raison de l'absence maladie, consécutive au harcèlement, de la salariée. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Quant aux demandes accessoires :

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a assorti ces condamnations des intérêts légaux et ordonné la remise, sous astreinte, de bulletins de paie rectifiés. Il sera en revanche, infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de capitalisation des intérêts celle-ci étant applicable dès lors que les conditions de l'article 1343-2 du code civil sont réunies.

Sur la demande au titre des faits de harcèlement moral antérieurs au 14 février 2018 :

L'employeur soutient que la salariée ne rapporte aucune preuve objective des faits qu'elle prétend dénoncer, de sorte que le jugement doit être infirmé. Il souligne que si la salariée produit une main courante et une plainte déposée par l'intéressée et faisant état de ce que M. [H] l'aurait menacée de mort à plusieurs reprises, aucune preuve matérielle ne permet de corroborer ses affirmations, étant précisé que ces plaintes n'ont fait l'objet d'aucune suite judiciaire. Il conteste la portée probante des éléments produits par la salariée. L'employeur soutient également avoir satisfait à son obligation de sécurité en soulignant que Mme [F] a bénéficié d'une formation pour 'prévenir et maîtriser les situations conflictuelles'.

La salariée sollicite la somme de 18 399,84 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité caractérisé par l'absence de mise en place des mesures de prévention ou de réparation nécessaires pour mettre fin au harcèlement qu'elle a subi.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016 applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le 28 novembre 2013 Mme [F] a déposé une main courante auprès des services de police de [Localité 6], dans laquelle elle indique avoir eu des altercations avec M. [H] et qu'une nouvelle altercation a eu lieu le 28 novembre 2013.

Elle a affirmé que :

- en 2010 M. [H] lui a demandé de changer de trottoir si elle le croisait sinon cela se passerait mal pour elle ;

- le 6 juin 2012, il l'a insultée devant un agent de la médecine du travail ;

- le 23 novembre 2013, il s'est avancé vers elle en simulant un geste violent de vouloir mettre un coup de tête, sans suite quelconque. Elle a précisé que lors de chacune des altercations son chef était présent et lui demandait de se calmer. Elle a ajouté que l'agresseur n'hésitait pas à justifier son comportement, à dire qu'il n'aimait pas les femmes et qu'elles lui volaient son travail.

Le 16 novembre 2015, Mme [F] a déposé plainte auprès des services de gendarmerie [Localité 7] en expliquant que M. [H] lui faisait des menaces de mort, son pouce sous la gorge et qu'il lui avait dit discrètement, sans que personne n'entende, qu'il allait lui 'défoncer la gueule'. Mme [F] a saisi le CHSCT de l'incident en expliquant que le 12 novembre 2015 M. [H] lui a fait un signe d'égorgement et lui a dit 'je vais te défoncer'. Elle ajoute 'je ne peux plus de travailler dans ces conditions, c'est du harcèlement moral il est hors de question que je lui fasse voir que j'ai peur de lui, il me semble qu'à mon âge ce serait un comble mais je n'en peux plus de travailler dans ces conditions d'où ma décision de porter plainte'. Toutefois aucun témoin des faits n'a pu corroborer les déclarations de Mme [F].

L'attitude agressive de M. [H] à l'égard de Mme [F] est confirmée par l'attestation de M. [C] qui évoque un comportement misogyne, méprisant et insultant. Ce témoin ajoute que le chef d'équipe ne prend jamais en compte les remarques et les remontées d'information de Mme [F], lui préférant les dires de M. [H] qui inspire des peurs de représailles. De son côté, M. [I] atteste que les relations de M. [H] étaient agressives à l'égard de Mme [F] et que ce salarié avait un comportement misogyne qui se trouvait décuplé à l'égard de Mme [F]. Ce témoin souligne que malgré plusieurs tentatives auprès du chef d'équipe, rien n'a été fait pour protéger Mme [F], ce qui laissait à penser que M. [H] était protégé malgré son comportement qui dépassait les bornes.

Aucun élément ne permet d'écarter la valeur probante de ses attestations, qui rapportent des éléments suffisamment pertinents et seront donc retenues.

Mme [F] verse également aux débats 'le procès-verbal de la réunion extraordinaire sur le comportement dangereux de M. [H] (enquête CHSCT du 3 août 2015)', le CHSCT ayant été saisi par un courrier de M. [D], délégué syndical CGT, de faits de harcèlement moral, et le CHSCT ayant émis un droit d'alerte relatif au 'comportement agressif, violent impulsif et dangereux de M. [H]'. Le procès-verbal rapporte un certain nombre d'accusations de comportement agressif ou violent à l'égard d'autres salariés ou de clients, ainsi que de propos racistes : 'méfie-toi de ce syndicat, il est composé que d'arabes et même la direction est rebeux. On doit se serrer les coudes entre portugais'. Il est plus particulièrement indiqué : 'Il nous a été rapporté un soir par plusieurs témoins que Monsieur [H] aurait tenu des propos déconvenus sur madame [F] et Mme [X]. Nous citons : 'tu n'es qu'une pute, une salope, je vais t'exploser la tête, tu as de la chance d'être une femme, vous n'êtes que des fouteuses de merde'.

Si l'employeur souligne l'absence de suite donnée par le CHSCT aux faits évoqués lors de cette réunion, il ne justifie pas, malgré les obligations mises à sa charge par les articles L. 4221-1 et L.4221-2 du code du travail, avoir procédé à une évaluation de la situation ni procédé à une enquête pour déterminer les mesures à prendre.

L'ensemble de ces éléments permet d'établir la réalité de faits d'agressions verbales et d'expression misogyne de la part de M. [H].

Une déclaration d'accident du travail, avec réserves, a été faite par l'employeur à la suite des faits du 13 novembre 2015. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure a reconnu le caractère professionnel de l'accident du travail de Mme [F]. Par ailleurs les certificats médicaux produits par la salariée démontrent qu'à la suite de cet accident elle a été en arrêt de travail pour dépression. Le lien entre l'agression et l'arrêt maladie doit donc être retenu.

Il a été retenu ci-dessus, qu'au terme de l'arrêt de travail, et afin de prévenir ou limiter les contacts avec M. [H], l'employeur a procédé à la modification unilatérale du contrat de travail de Mme [F]. Il convient en particulier de relever que, alors que la réalité du comportement agressif et misogyne de M. [H] est démontré, l'employeur a choisi, sous le couvert de protéger la victime, de procéder au déplacement de cette dernière et de modifier unilatéralement son contrat de travail.

Les éléments décrits ci-dessus, pris dans leur ensemble et compte-tenu des éléments médicaux versés aux débats, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral. Il appartient dès lors à l'employeur de démontrer que ses décisions reposent sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En premier lieu, aucune justification du comportement agressif et misogyne de M. [H] ne peut être retenue. Il en va de même pour l'inertie de l'employeur, dès lors qu'il résulte clairement des éléments ci-dessus que les agissements de ce salarié étaient connus, et donc tolérés, faute de mesure adoptée pour y mettre fin.

En second lieu, l'employeur n'explique pas pour quelle raison la prévention des contacts entre l'auteur du harcèlement et sa victime l'a conduite à choisir de procéder au déplacement de celle-ci, à la modification unilatérale de son contrat de travail, avec réduction de sa rémunération. En procédant de cette façon, l'employeur bien loin de mettre un terme à la situation de harcèlement en prolongeait et en aggravait les effets. En outre, il manifestait ainsi publiquement que, sous le couvert de traitement d'une situation de harcèlement, la victime pouvait voir ses conditions de travail se dégrader ou son avenir professionnel dans l'entreprise compromis.

Il apparaît ainsi que la société ne rapporte pas la preuve que les décisions qu'elle a prises sont justifiées par des faits objectifs extérieurs à tout harcèlement, de sorte que la société a bien manqué à son obligation de sécurité.

Le préjudice subi par la salariée doit être fixé à la somme de 15 000 euros et le jugement sera infirmé en conséquence.

Sur l'obligation de sécurité postérieurement au jugement du 14 février 2018 :

La salariée sollicite la somme de 18 399,84 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité caractérisé par son exposition au danger à l'origine de son accident de travail après le jugement rendu le 14 février 2018 et au non-respect des prescriptions de la médecine du travail.

La société, qui estime n'avoir commis aucun manquement, conclut au rejet de cette demande.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

A la suite du jugement du conseil de prud'hommes, la société a décidé d'affecter à nouveau Mme [F] au service de nuit. Les avis émis par la médecine du travail les 3 mai et 28 août 2018

relèvent l'aptitude la salariée avec aménagement de poste, l'absence de contre-indication médicale avec un travail de nuit, mais soulignent que la salariée ne doit pas avoir de lien fonctionnel avec la personne mise en cause dans l'accident du travail de novembre 2015, c'est-à-dire avec M. [H].

Dans une lettre du 9 février 2016, avant qu'il ne décide de l'affectation de Mme [F] en service de jour, l'employeur relevait que, même avec un service de nuit aménagé, l'exclusion de tout croisement notamment en points d'arrêt, en gare, en ligne ou autre terminus avec M. [H], ne pouvait être garantie.

En conséquence, en décidant de la réaffectation de Mme [F] en service de nuit, sans justifier avoir pris toutes les mesures pour éviter tout lien fonctionnel avec M. [H], l'employeur a méconnu les prescriptions de la médecine du travail et, en toute connaissance de cause, pris le risque d'un renouvellement des faits à l'origine de l'accident du travail.

De surcroît, M. [V], chef d'équipe de la société Ceobus, atteste qu'en début de l'année 2018, la direction de Ceobus (M. [M]) a réuni l'ensemble des agents de maîtrise pour leur annoncer que Mme [F] avait gagné son procès, qu'elle risquait de faire des émules, qu'il fallait être vigilant et faire remonter la moindre information. Manifestement cette réunion n'avait pas pour objet de mettre en place les conditions nécessaires à la prévention du harcèlement moral dont Mme [F] avait été victime, mais, bien au contraire créait un climat de défiance à son égard susceptible de nuire à sa reprise du travail après le succès de son action devant les premiers juges.

Il apparaît ainsi que l'employeur a effectivement manqué à son obligation de sécurité, telle qu'elle est définie par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et le préjudice qui en résulte doit être évalué à 7 000 euros.

Sur les intérêts légaux :

Les créances indemnitaires portent intérêt au taux légal à compter de ce jour, conformément à l'article 1236-2 du code civil. Les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

L'employeur qui succombe doit supporter les dépens, lesquels ne comprennent pas les frais d'exécution qui ne sont pas visés à l'article 695 du code de procédure civile et dont le sort est réglé par le code des procédures civiles d'exécution.

Il paraît inéquitable de laisser à la charge de la salariée l'intégralité des sommes avancées par elle et non comprise dans les dépens. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a alloué une indemnité de 1 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile. Il lui sera alloué en outre la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise le 14 février 2018, sauf en ce qu'il a fixé à 12 000 euros les dommages-intérêts au titre du harcèlement moral,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Ceobus à payer à Mme [F] les sommes suivantes, avec les intérêts légaux à compter de ce jour :

- 15 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral,

- 7 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Condamne la société Ceobus aux dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Philippe FLORES, Président et par Madame LECLERC, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21e chambre
Numéro d'arrêt : 18/01565
Date de la décision : 06/02/2020

Références :

Cour d'appel de Versailles 21, arrêt n°18/01565 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-02-06;18.01565 ?
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