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27/11/2019 | FRANCE | N°16/05684

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 27 novembre 2019, 16/05684


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



15e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE





DU 27 NOVEMBRE 2019



N° RG 16/05684



AFFAIRE :



[N] [D]





C/





SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL prise en la personne de ses représentants légaux

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Octobre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOUR

T

N° Section : Encadrement

N° RG : F 14/01977



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :





Me Philippe SOUCHON



Me Mélina PEDROLETTI



Me Franck LAFON





le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 27 NOVEMBRE 2019

N° RG 16/05684

AFFAIRE :

[N] [D]

C/

SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL prise en la personne de ses représentants légaux

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Octobre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : Encadrement

N° RG : F 14/01977

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Philippe SOUCHON

Me Mélina PEDROLETTI

Me Franck LAFON

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SEPT NOVEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant, fixé au 06 novembre 2019 puis prorogé au 20 novembre 2019 puis au 27 novembre 2019, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [N] [D]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1975 à ALLEMAGNE, de nationalité Française

Représenté par Me Philippe SOUCHON de la SCP SOUCHON CATTE LOUIS PLAINGUET, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000061

APPELANT

****************

SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL

[Adresse 2]

[Localité 2]

N° SIRET : 502 432 875

Représenté par Me Mélina PEDROLETTI, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : V 626 et par Me Stéphanie KUBLER de la SCP PEROL RAYMOND KHANNA ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0312

Société BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS venant aux droits et obligations de la société DTP

[Adresse 3]

[Localité 3]

N° SIRET : 407 985 308

Représenté par Me Franck LAFON, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 et par Me Pascal BATHMANABANE de la SELARL Pech de Laclause - Bathmanabane & Associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J086

INTIMÉES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 septembre 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Jean-Yves PINOY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Maryse LESAULT, Présidente,

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Carine DJELLAL et Madame Mathilde SARRON, greffier stagiaire,

FAITS ET PROCÉDURE,

M. [N] [D] (ci-après M. [D]) a été embauché suivant un contrat à durée indéterminée dans le groupe Bouygues Construction à compter du 14 novembre 2005.

A compter du ler mai 2010, M. [D] est affecté au sein de la filiale DTP en qualité de cadre études de prix, avec le béné'ce d'une reprise d'ancienneté groupe.

Le ler août 2014 M. [D] acceptait une nouvelle affectation au sein de la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL elle même filiale du groupe Bouygues Construction, afin d'exercer ses fonctions dans le cadre d'une expatriation au Gabon.

Par un courriel du 06 octobre 2014, M. [D] était informé par la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL qu'il était mis un terme à sa période probatoire et qu'en conséquence il était remis à la disposition de la société DTP.

De retour aussitôt en France avec sa famille M. [D] était dispensé d'activité mais payé par la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL jusqu'au 30 octobre 2014.

M. [D] était réintégré au sein de la société DTP à compter du ler novembre 2014 sans affectation.

Un poste à pourvoir au Tchad lui était rapidement proposé. Sans retour sur cette proposition, la société DTP le mettait en demeure par lettre du 10 novembre 2014 de justifier son absence.

Par lettre du 17 novembre 2014, la société DTP renouvelait sa demande auprès de M. [D], lui demandant de retourner signé le contrat de travail concernant sa réintégration et de répondre sur l'expatriation au Tchad.

Suite à une ultime mise en demeure le 4 décembre 2014, restée sans réponse, la société DTP a convoqué [D] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour le 12 janvier 2015.

M. [D] ne s'étant pas présenté à cet entretien, il s'est vu notifier son licenciement pour absence injustifiée constitutive d'une faute grave par lettre du 19 janvier 2015.

C'est dans ces circonstances que le 26 novembre 2014, M. [D] a saisi le Conseil de prud'hommes aux fins de voir reconnaître le caractère abusif de la rupture anticipée du contrat d'expatriation et du licenciement et de solliciter diverses sommes à ce titre.

Par jugement du 13 octobre 2016, le conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt a :

- dit et jugé que le licenciement de M. [D] par la société DTP est motivé par une cause réelle et sérieuse ;

- dit et jugé que la rupture anticipée du contrat de travail de M. [D] par SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL ne repose sur aucune base juridique ;

- dit et jugé qu'à l'issue de cette rupture M. [D] a bien été réintégré par la société DTP ;

- condamné en conséquence la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL à verser à M. [D] la somme de 50 000,00 euros tous préjudices confondus ;

- condamné la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL à verser à M. [D] la somme de l 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [D] de l'intégralité de ses autres demandes ;

- condamné la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL aux entiers dépens.

Par déclaration du 19 décembre 2016, M. [D] a interjeté appel de l'intégralité du jugement.

Par dernières conclusions déposées au greffe, M. [D], appelant, demande à la cour de :

- dire et juger M. [D] recevable et bien fondé en son appel ;

- dire et juger la rupture anticipée du contrat d'expatriation abusive ;

- dire et juger que le licenciement est sans cause réelle ni sérieuse ;

- dire et juger que le licenciement est survenu dans des circonstances brutales et vexatoires ;

En conséquence

- infirmer partiellement les dispositions du jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt en date du 13 octobre 2016 ;

Et statuant à nouveau

- condamner la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL à verser à M. [D] la somme de 341 371, 24 euros, à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée abusive de son contrat d'expatriation ;

- condamner la SAS Bouygues Travaux Publics à verser à M. [D] les sommes de :

- 170 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice issu des circonstances vexatoires du licenciement ;

- 21 427, 71 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 2 142, 77 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- 27 770, 16 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

- les intérêts de droit relatifs aux salaires et accessoires de salaires à compter de l'introduction de la demande ;

- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour remise de documents sociaux erronés ;

- ordonner la remise des documents sociaux et bulletins de paie rectifiés et conformes à la décision à intervenir, ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

- condamner solidairement la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL et la SAS Bouygues Travaux Publics à verser à M. [D] la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité relative aux frais irrépétibles de première instance ;

- condamner solidairement la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL et la SAS BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS à verser à M. [D] la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité relative aux frais irrépétibles d'appel ;

- condamner solidairement la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL et la SAS BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS aux entiers dépens de la procédure.

Par dernières conclusions déposées au greffe, la société BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS (venant aux droits et obligations de la société DTP), intimée, demande à la cour de :

- recevoir la société BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS (venant aux droits et obligations de la société DTP) en ses conclusions ;

- l'y déclarer bien fondée ;

En conséquence :

- confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de [Localité 4] en date du 13 octobre 2016 en ce qu'il a débouté M. [D] de l'intégralité de ses demandes à l'égard de la société BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS ;

Y ajoutant :

- débouter M. [D] de sa demande de condamnation de la société BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS au règlement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel ;

- condamner M. [D] à régler à la société BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Franck Lafon, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions déposées au greffe, la société Echangeur International, intimée, demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 13 octobre 2016 par le Conseil de Prud'hommes de Boulogne Billancourt en ce qu'il a condamné la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL à verser à M. [D] les sommes de 50 000,00 euros tout préjudice confondu et de 1 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Ce faisant,

- dire et juger que c'est légitimement et régulièrement que la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL a mis un terme à la période d'adaptation conventionnelle dite période probatoire de trois mois de M. [D], ce qui a emporté sa réintégration au sein de la société DTP à effet du 1er novembre 2014,

- dire et juger que M. [D] a été engagé par la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL suivant contrat à durée indéterminée, et non suivant contrat à durée déterminée d'une durée fixe de quatre ans,

- dire et juger que la demande de M. [D] est sans aucun fondement juridique, les dispositions de l'article L.1243-4 du Code du Travail ne lui étant pas applicables,

- débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [D] à verser à la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL une somme de 1 000 euros u titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 3 juillet 2019.

Pour plus ample exposé des moyens et prétention des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS,

1- Sur le licenciement pour faute grave

Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, la société BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS venant aux droits de la société DTP reproche au salarié son absence à son poste de travail à compter du 1er novembre 2014.

En application de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. La faute grave s'entend d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de l'existence d'une faute grave.

A titre liminaire, il convient de rappeler que la datation des faits dans la lettre de licenciement n'est pas nécessaire et qu'il suffit que le grief soit matériellement vérifiable.

Il est reproché au salarié de ne s'être pas présenté à son poste de travail, au siège de la société, à compter du 1er novembre 2014 dans les termes suivants la lettre de licenciement du 19 janvier 2015, qui fixe les limites du litige, s'agissant du motif de la rupture : « [...] Pour toutes ces raisons et après réflexion, nous avons décidé de procéder à votre licenciement pour absence injustifiée constitutive d'une faute grave privative des indemnités de licenciement et de préavis ».

L'article L. 1231-5 du Code du travail, prévoit que : "Lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein."

Ce texte est d'interprétation stricte et il est relevé que si les sociétés DTP et ECHANGEUR INTERNATIONAL font toutes deux partie du Groupe BOUYGUES CONSTRUCTION elles ne sont ni société mère ni filiale entre elles, la société mère étant BOUYGUES CONSTRUCTION uniquement, de sorte que ce texte n'a pas vocation à s'appliquer.

Les rapports tripartites entre M. [D], la société DTP et la société ECHANGEUR INTERNATIONAL s'analysent en un prêt de main d'oeuvre à but non lucratif par une convention de mise a disposition pour laquelle le salarié M. [D] a donné son accord afin d'exercer ses fonctions dans le cadre d'une expatriation au Gabon auprès d'ECHANGEUR international.

Une durée de 4 ans de cette mise a disposition a été définie par les parties.

Une période probatoire "d'usage" de trois mois a été appliquée dans le cadre de la mise à disposition de M. [D], laquelle diffère d'une période d 'essai dès lors que si elle s'avère non concluante, le contrat de travail n'est pas rompu et le salarié doit réintégrer son poste d'origine.

La mise a disposition ne constitue pas en elle-même une modification du contrat de travail puisque le contrat de travail initial n'est ni rompu, ni suspendu.

La société DTP justifie aux débats avoir à l'issue d'une période probatoire de trois mois de M. [D] au sein d'ECHANGEUR INTERNATIONAL, réintégré ce dernier à compter du 1er novembre 2014, en lui procurant un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein.

Préalablement à cette réintégration, des échanges sont intervenus entre la société DTP et M. [D] afin de déterminer les modalités de sa réintégration :

A la suite d'un entretien qui s'est déroulé au siège de la société le 29 octobre 2014 avec M. [V], Directeur des Ressources Humaines de la société DTP, il a été remis à M. [D] un avenant à son contrat de travail formalisant cette réintégration et son affectation au sein de la Direction Routes et Terrassements Afrique lui procurant un nouvel emploi.

L'article L. 8241-2 du code du travail prévoit "qu'à l'issue de sa mise à disposition, le salarié retrouve son poste de travail ou un poste équivalent dans l'entreprise prêteuse sans que l'évolution de sa carrière ou de sa rémunération ne soit affectée par la période de prêt".

Il n'est pas justifié par les pièces produites aux débats devant la cour, d'une quelconque rupture conventionnelle proposée à M. [D], ni de « menaces » de réintégration au sein d'un pays dangereux .

Malgré cette réintégration conforme à la fin de sa période probatoire au sein d'ECHANGEUR INTERNATIONAL et dans un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions au sein de DTP , il est établi que M. [D] ne s'est pas présenté à son poste de travail, au siège de la société à compter du 1er novembre 2014 et la société DTP est ensuite restée sans nouvelle de celui-ci.

La société DTP justifie ainsi s'être trouvée contrainte de lui adresser, le 10 novembre 2014, une première mise en demeure de justifier son absence à son poste de travail.

Elle a reçu, le 12 novembre 2014, un courrier de M. [D] daté du 5 novembre 2014, lui indiquant son refus de signer l'avenant à son contrat de travail remis par la société DTP qui correspondait, selon ses termes à « un placard dirigé vers la sortie ».

Par lettre du 17 novembre 2014, le Directeur des Ressources Humaines de la société DTP a répondu à M. [D] et lui a demandé de prendre contact avec lui dès que possible afin de lui remettre son avenant signé matérialisant sa rédintégration à l'issue du prêt de main d'oeuvre à but non lucratif.

La cour constate que M. [D] n'a alors plus donné aucune nouvelle à son employeur, en dépit d'une ultime mise en demeure en date du 4 décembre 2014 et n'a jamais retourné l'exemplaire signé de l'avenant à contrat de travail matérialisant sa réintégration, ni fourni à son employeur de justificatif de son absence à son poste et ne s'est pas davantage tenu à la disposition de la société DTP.

Par courrier bien ultérieur du 24 décembre 2014, M. [D] a écrit à la société DTP :

"Quoiqu'il en soit, je ne suis plus votre salarié et ce depuis le 1er juillet 2014, date à laquelle vous avez rompu mon contrat de travail.

Suite à mon rapatriement forcé et la communication des documents sociaux, j'ai bien pris acte que je suis également licencié de la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL.

Vous pouvez donc vous dispenser d'une procédure de licenciement factice pour la forme".

Une telle affirmation de M. [D] est erronée puisque selon les termes de la loi, le contrat initial n'est ni rompu, ni suspendu dans le cadre d'un prêt de main d'oeuvre et face à l'absence injustifiée de son salarié dès le 1er novembre 2014, l'employeur n'avait pas d'autre alternative que de le convoquer à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement.

Il se déduit de ces circonstances que M. [D] a, de façon intentionnelle, refusé de se tenir à la disposition de la société DTP à compter du 1er novembre 2014 et de fournir le moindre justificatif d'absence, en dépit des mises en demeure qui lui ont été adressées à cette fin par son employeur.

A aucun moment il n'a contesté les termes de sa nouvelle affectation lui procurant un nouvel emploi conforme et compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions, et le contenu de sa lettre adressée à son employeur le 24 décembre 2014 démontre qu'il n'entendait en réalité pas reprendre d'activité professionnelle au sein de la société DTP en dépit de son contrat de travail, en se plaçant en toute connaissance de cause en absence injustifiée à compter du 1er novembre 2014.

Il ne produit devant la cour aucun justificatif de son absence à compter du 1er novembre 2014 et ne fournit pas davantage d'explication à cette situation outre le fait qu'il se considère à tort plus salarié depuis le 1er juillet 2014 et ce en dépit de sa réintégration conforme au prêt de main d'oeuvre après une période probatoire non fructueuse, par son refus délibéré de signer un avenant à son contrat de travail avec la société DTP du fait d'une affectation qui ne lui a pas convenu au Tchad.

Il prétend seulement aujourd'hui que la clause de mobilité prévue à son contrat de travail était imprécise et que la mutation proposée, dans un lieu particulièrement dangereux, ne pouvait qu'être refusée.

La cour relève cependant que M. [D] n'a jamais contesté ni le lieu ni les modalités de sa nouvelle affectation conforme à son contrat de travail et constate à la lecture de ses propres courriers, qu'il n'a jamais exprimé un quelconque refus de mutation au Tchad, mais a seulement opposé un refus explicite de conclure tout avenant avec la société DTP.

La cour constate que la clause de mobilité prévue à l'avenant actant sa réintégration demeure identique à son contrat de travail initial et demeure rédigée de manière claire et précise, elle indique que la mobilité du salarié pourrait s'exercer « dans l'ensemble des départements français et pays dans lesquels DTP Terrassement possède des implantations à ce jour ».

S'agissant du Tchad, la société DTP justifie aux débats avoir régulièrement exercé une activité de travaux et une activité commerciale dans ce pays depuis de nombreuses années au travers d'une succursale, ce que ne pouvait pas ignorer M. [D] pour avoir précédemment exercé en son sein, avant sa mise à disposition de trois mois, en sa qualité de Cadre Etudes de prix auprès de la Division Route et Terrassement Afrique (« RTA »).

Concernant encore son affectation, il est établi par les pièces produites qu'elle devait se réaliser non pas à N'Djamena mais à Sahr, au sud du Tchad sur le chantier de la route Sarh-Kyabé, laquelle n'est pas classée en zone rouge par le Ministère des affaires étrangères et où la société DTP comptait au mois de novembre 2014, une dizaine de collaborateurs expatriés travaillant déjà sur le chantier.

Enfin, le salarié, qui ne justifie d'aucune activité à compter du 1er novembre 2014, n'a pas adressé de certificats médicaux et de justificatifs de son absence et n'a pas répondu aux demandes d'explication de son employeur envoyées notamment en courriers recommandés, tenant ainsi ce dernier dans l'ignorance de sa situation et de ses intentions quant à une reprise effective de son travail. Il ne peut donc être ni considéré que M. [D] s'est tenu à la disposition de la société, ni reproché à celle-ci de l'avoir affecté sur une zone prétendument dangereuse en vertu d'une clause de mobilité qui ne serait ni claire ni précise à ses yeux.

L'absence injustifiée de M. [D] à compter du 1er novembre 2014, constitue une violation grave des obligations résultant du contrat de travail rendant impossible son maintien dans l'entreprise, étant rappelé qu'il occupait un poste en qualité de cadre études de prix, qui implique de fortes responsabilités.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a estimé le licenciement pour faute grave bien fondé.

2- Sur les dommages et intérêts pour rupture brutale du contrat de travail par la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL

M. [D] invoque les dispositions de l'article L.1243-4 du Code du Travail sur l'indemnisation d'un salarié dont le contrat à durée déterminée a été rompu avant son terme, hors des cas prévus par le texte, et sollicite des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat.

Il soutient que "le mécanisme d'indemnisation" visé par l'article L.1243-4 du Code du Travail doit être transposé à tout contrat dont la durée est déterminée.

Or, la cour relève en premier lieu que le contrat de M. [D] n'était pas à durée déterminée de quatre ans, mais à durée indéterminée son contrat initial dans le cadre du prêt de main d'oeuvre dont il a fait l'objet, n'ayant jamais été rompu.

L'article L.1243-4 du Code du Travail figure uniquement au Titre IV (Contrat à durée déterminée) du Livre II (Contrat de travail) du code du travail alors même que la « rupture du contrat à durée indéterminée » est traitée au Titre III du Livre II (Contrat de travail) du même code et n'a donc pas vocation à être appliqué.

Le 06 octobre 2014 M. [D], a reçu un courriel de la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL l'informant de la fin de sa période probatoire et de ce qu'il allait en conséquence être remis à la disposition de la société DTP.

La SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL a ensuite organisé le retour de M. [D] après seulement quelques semaines dans l'exercice de sa fonction. La SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL utilise comme fondement de la rupture la fin d'une période probatoire et fait valoir que cette période probatoire correspond à une période d'essai permettant à chacune des parties de rompre le contrat qui les lie avec un retour « garanti » à la société ( DTP) employant M. [D] précédemment.

M. [D] se prévaut à ce titre des dispositions de l'article L. 1231-5 du Code du travail à l'égard de la société DTP.

Ce texte dispose que : "Lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein".

La cour rappelle que ce texte ne s'applique que dans les rapports entre une société mère et une filiale et ne peut s'appliquer en l'absence de participation financière et de position dominante d'une société à l'égard de l'autre ce qui est la cas de la société DTP et de la société ECHANGEUR INTERNATIONAL.

Si les sociétés DTP et ECHANGEUR INTERNATIONAL font partie du même Groupe BOUYGUES, il n'existe aucun rapport de contrôle de l'une sur l'autre.

En outre, l'affectation de M. [D] au sein de COLAS Gabon n'a nullement été organisée par la société DTP mais par ECHANGEUR INTERNATIONAL dans le cadre d'un prêt de main d'oeuvre.

C'est la société ECHANGEUR INTERNATIONAL qui a organisé son affectation au sein de COLAS Gabon, filiale du Groupe COLAS.

Les dispositions de l'article L. 1231-5 du Code du travail ne peuvent en conséquence davantage s'appliquer.

S'agissant des usages applicables au sein du Groupe, la société BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS et la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL soutiennent chacune que la réintégration de M. [D] au sein des effectifs de la société DTP n'est que la conséquence des usages en vigueur au sein du Groupe BOUYGUES en fin de période probatoire.

Elles indiquent qu'en cas de mise à disposition d'un collaborateur auprès d'une autre structure du Groupe, il est prévu une période probatoire de trois mois pour les cadres et qu'en cas d'échec de cette période probatoire, le salarié réintègre sa structure d'origine à des conditions équivalentes à celles qui précédaient sa mutation.

Elles soutiennent qu'à la suite de la fin de sa mission au sein de COLAS Gabon, consécutive à la cessation de son affectation après période probatoire de trois mois, conformément aux usages du Groupe, M. [D] a été réintégré au sein de la structure dans laquelle il travaillait préalablement à mise à disposition, la société DTP.

M. [D] a été informé de cette situation par émail de la Direction des Ressources Humaines de COLAS le 6 octobre 2014, dont il a pris acte le jour même.

La cour retient que les éléments contractuels entre les parties sont les « conditions générales du contrat de travail » daté du 21 mars 2014 et les « conditions particulières au contrat de travail » daté du 1er août 2014 et relève qu'aucun de ces deux documents contractuels, signés par chacune des parties, ne fait cependant pas mention d'une « période probatoire ».

Au paragraphe 5 des conditions particulières du contrat de travail il est au contraire fait mention sous le titre « période d'essai », que celle-ci est « sans objet ».

Aucun document présenté tant par la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL que par la Société BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS (anciennement DTP) ne fait ainsi état d'une quelconque période probatoire permettant de mettre fin quasi instantanément au contrat de travail liant les parties.

Or, si la période probatoire demeure facultative en matière de prêt de main d'oeuvre, elle doit faire l'objet au moins d'un accord exprès du salarié pour allonger ou raccourcir la durée de sa mise à disposition

Il est ainsi retenu de ce qui précède que si M. [D] a bien été réintégré à son retour par la société DTP, le terme mis brutalement à son contrat d'expatriation par la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL ne repose sur aucune période probatoire consentie par M [D] et ouvre droit dans son principe à l'octroi de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice qu'il appartient au salarié de démontrer.

M. [D] sollicite à ce titre une somme de 321 371,24 euros correspondant à la rémunération qu'il aurait perçu sur la période du 1er novembre 2014 au 1er août 2018.

M [D] ne tient toutefois pas compte dans le calcul de son préjudice de sa réintégration à la disposition de la société DTP à effet du 1er novembre 2014 à des conditions équivalentes à celles qui précédaient sa mutation auprès de la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL.

Il ne fait pas davantage la démonstration d'une différence de salaire entre ce qu'il percevait au sein de la société SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL et ce qu'il aurait du percevoir au sein de la Société DTP à des conditions équivalentes à celles précédant sa mise à disposition au sein de la SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL.

Or, il est établi que M. [D] est resté au sein de la société ECHANGEUR INTERNATIONAL du 1er août 2014 au 31 octobre 2014, soit durant 3 mois et a été immédiatement réintégré au sein de la société DTP à effet du 1er novembre 2014.

S'agissant du préjudice lié au déménagement de ses effets personnels, M. [D] indique qu'un conteneur les transportant n'était pas encore arrivé en Afrique alors qu'il était déjà de retour en France le 6 octobre 2014.

Il reproche à la société ECHANGEUR INTERNATIONAL de n'avoir pas respecté ses engagements, et d'être responsable de la destruction de ses effets personnels.

Il est cependant relevé que conformément à ses engagements, la société ECHANGEUR INTERNATIONAL a pris en charge le transport des effets personnels et de la voiture de M. [D] depuis la France vers le Gabon.

Sur le devis de la société SEEGMULLER produit aux débats, M. [D] n'a fait que transporter une partie de ses effets personnels, l'essentiel étant destiné à un garde meuble au Bourget, et à une adresse en France à [Localité 5] (86500).

A ce titre, la société ECHANGEUR INTERNATIONAL justifie s'être acquittée d'une facture de 6 599,60 euros.

Alors que sa livraison était prévue le 9 octobre 2014, il est également établi que le conteneur est finalement resté sur le bateau pour retourner en France, comme indiqué sur la facture, puisque M. [D] est revenu en France prématurément le 6 octobre 2014.

Le conteneur devait arriver au Havre le 14 novembre 2014, la société SEEGMULLER est ensuite restée sans nouvelle de M. [D], malgré ses tentatives de le joindre et en a informé la société ECHANGEUR INTERNATIONAL par courriel du 13 novembre 2014, laquelle lui a ensuite confirmé les numéros pour joindre M. [D] y compris sur son téléphone portable.

Toujours sans réponse de M. [D] le 19 novembre 2014, la société SEEGMULLER a du confirmer à la société ECHANGEUR INTERNATIONAL qu'elle faisait livrer son conteneur à leur garde meuble.

Elle a indiqué également lui transmettre les frais pour la récupération de la voiture de M. [D] que ce dernier n'est pas venu récupérer.

Si la société ECHANGEUR INTERNATIONAL était bien redevable des frais de transport du Gabon vers la France, elle ne l'était pas des frais de garde à compter du 14 novembre 2014, bien que ceux-ci lui aient été facturés à hauteur de 33 386,80 euros pour la période du 14 novembre 2014 au 29 avril 2015 et qu'elle s'en soit acquittée.

M. [D] invoque enfin un préjudice moral lié au déménagement de sa famille au Gabon, qu'il présente comme une obligation ayant été source de stress pour lui et les siens.

Il est cependant relevé que c'est M. [D] qui a contacté la société ECHANGEUR INTERNATIONAL en 2012 en vue de son expatriation dans le cadre d'un prêt de main d'oeuvre, s'est vu informer dès la mi-septembre 2014 de ce qu'il était mis fin "à une période probatoire" et sa remise à disposition de la société DTP.

La cour retient de toutes les circonstances qui précèdent que M. [D] ne fait ainsi pas la démonstration d'un préjudice qui résulterait pour lui d'une rupture brutale de sa mise à disposition au sein de la société SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL alors qu'il a été réintégré au sein de la société DTP à compter du 1er novembre 2014, ni de frais restés à sa charge, alors même qu'il a ignoré les relances du transporteur et de la société ECHANGEUR INTERNATIONAL pour venir récupérer ses effets personnels à compter du 14 novembre 2014 et jusqu'au 29 avril 2015, contraignant celle-ci à s'acquitter d'une somme complémentaire de 33 386,80 euros au titre de frais de garde.

Le jugement déféré est dès lors infirmé et M. [D] débouté de ses demandes de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier et moral consécutif à la rupture brutale de sa mise à disposition auprès avec la société SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL, en dépit de sa réintégration à effet du 1er novembre 2014 au sein de la société DTP devenue BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS.

3- Sur les demandes accessoires

M. [D] qui succombe en toutes ses prétentions, sera tenu aux dépens de première instance et d'appel, condamné à payer à la société SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL et à la Société BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS la somme de 1 000, 00 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile et débouté de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

La COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a alloué à M. [N] [D] 50 000,00 euros de dommages et intérêts en réparation d'une rupture brutale de son contrat de travail avec la Société SNC ECHANCHEUR INTERNATIONAL,

Statuant à nouveau sur ce chef,

DÉBOUTE M. [D] de ses demandes de dommages et intérêts,

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [N] [D] à payer à chacune des société SNC ECHANGEUR INTERNATIONAL et BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS la somme de :

- 1 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

LE DÉBOUTE de sa demande formée sur le même fondement,

CONDAMNE M. [N] [D] aux dépens de première instance et d'appel.

- Prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Madame Maryse LESAULT, Présidente et par Madame Carine DJELLAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 16/05684
Date de la décision : 27/11/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 15, arrêt n°16/05684 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-11-27;16.05684 ?
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