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30/10/2019 | FRANCE | N°16/01318

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 30 octobre 2019, 16/01318


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80A



15e chambre



ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE





DU 30 OCTOBRE 2019





N° RG 16/01318





AFFAIRE :





[V] [O]





C/





SAS Métro CASH & CARRY FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Mars 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de nanterre

Section :

Commerce

N° RG : 14/01607





Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :





Me Karine MARTIN-STAUDOHAR



Me Hubert RIBEREAU GAYON





le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TRENTE OCTOBRE DEUX MILLE DIX NEUF,



La cour d'appel de Versailles...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 30 OCTOBRE 2019

N° RG 16/01318

AFFAIRE :

[V] [O]

C/

SAS Métro CASH & CARRY FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Mars 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de nanterre

Section : Commerce

N° RG : 14/01607

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Karine MARTIN-STAUDOHAR

Me Hubert RIBEREAU GAYON

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE OCTOBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [V] [O]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]

né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 6] (Maroc), de nationalité marocaine

comparant en personne, assisté de Me Karine MARTIN-STAUDOHAR, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 256

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2016/006917 du 07/11/2016 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de VERSAILLES)

APPELANT

****************

SAS MÉTRO FRANCE anciennement dénommée SAS CASH & CARRY FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 7]

N° SIRET : 399 315 613

représentée par Me Hubert RIBEREAU GAYON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1499

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 juillet 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Maryse LESAULT, Présidente chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Maryse LESAULT, Présidente,

Madame Isabelle VENDRYES, Présidente,

Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Carine DJELLAL,

FAITS ET PROCÉDURE,

Monsieur [V] [O] (ci-après M. [O]) a été embauché par la société Métro Cash & Carry France devenue Métro France en contrat à durée indéterminée le 29 janvier 2007 en qualité de vendeur qualifié statut employé.

Affecté initialement au rayon Marée, il a été affecté au rayon Fruits et Légumes à compter de mars 2008.

Il percevait un salaire d'un montant de 1 762,23 euros bruts sur treize mois, outre une pause payée à hauteur de 88,17 euros par mois, soit un salaire mensuel brut de 1 997,25 euros en moyenne sur douze mois.

La convention collective applicable est celle du commerce de gros et de détail à prédominance alimentaire.

M. [O] a été en arrêt de travail pour maladie du 4 au 19 avril 2008, puis pour accident de travail du 7 mai au 17 juin 2008, puis pour maladie du 17 octobre 2008 jusqu'à son licenciement intervenu en décembre 2009.

Le médecin du travail a examiné M. [O] les 13 et 27 octobre 2009. A l'issue de la seconde visite, le médecin du travail a déclaré M. [O] inapte définitivement à son poste de travail.

Par courrier du 20 novembre 2009, la société l'a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est déroulé le 3 décembre 2009.

La société Métro Cash & Carry France a notifié par courrier du 7 décembre 2009 à M. [O] son licenciement pour impossibilité de reclassement après inaptitude régulièrement déclarée par le médecin du travail.

Postérieurement au licenciement, M. [O] a sollicité la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) afin de prendre en charge son arrêt maladie au titre d'une maladie professionnelle, ce qui a été refusé.

M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes le 11 mai 2012 afin que soit prononcé la nullité du licenciement dont il a fait l'objet et faire condamner l'employeur à son obligation de sécurité.

Par jugement du 17 mars 2016, le Conseil de prud'hommes de Nanterre a :

- reconnu la régularité du licenciement de M. [O] pour inaptitude,

- débouté M. [O] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société Métro Cash & Carry France de sa demande reconventionnelle de 1.500 euros,

- condamné M. [O] aux dépens.

Par déclaration du 29 mars 2016, enregistrée le 30 mars 2016, M. [O] a interjeté appel de la totalité du jugement.

Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, M. [O], appelant, demande à la cour de :

- le dire recevable et bien fondé en son appel, demandes fins et conclusions,

- infirmer le jugement du 17 mars 2016 dans toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- dire que son licenciement, en date du 7 décembre 2009 est nul,

En conséquence de quoi :

- condamner la société Métro Cash & Carry France à lui verser les sommes suivantes :

- 29 958,75 euros au titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement soit 15 mois de salaires,

- 3 994,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 399,45 euros au titre des congés payés y afférents,

A titre subsidiaire,

- dire son licenciement en date du 7 décembre 2009, sans cause réelle et sérieuse pour violation des articles L. 4121-1, l. 4121-2 et l. 1226-2 du Code du travail,

En conséquence de quoi :

- condamner la société Métro Cash & Carry France à lui verser les sommes suivantes :

-29 958,75 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse soit 15 mois de salaires,

-3 994,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

-399,45 euros au titre des congés payés y afférents,

En tout état de cause,

- condamner la société Métro Cash & Carry France à lui verser la somme de 50 000 euros au titre de dommages et intérêts pour manquement à ses obligations au titre des articles L. 4121-1, l. 4121-2 et l. 1151-1 du Code du travail,

- condamner la société Métro Cash & Carry France à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonner la capitalisation des intérêts à compter de l'introduction de la demande au titre de l'article 1154 du Code civil,

- condamner la société Métro Cash & Carry France aux entiers dépens, outre la somme de 35 euros au titre de la contribution juridique,

- dire et juger qu'en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir les sommes relevant du droit proportionnel prévu à l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 seront remis à la charge du défendeur et s'ajouteront aux dépens.

Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, la société Métro France France France France, intimée, demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de prud'hommes de Nanterre du 17 mars 2017,

- débouter M. [O] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [O] à lui verser la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner M. [O] aux dépens.

MOTIFS,

M. [O] a fait l'objet d'un licenciement pour impossibilité de le reclasser suite à la déclaration de son inaptitude par la médecine du travail. La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige lui a été notifiée le 7 décembre 2009 dans les termes suivants :

« A la suite de notre entretien préalable en vue d'une éventuelle mesure de licenciement qui a eu lieu le 3 décembre 2009 à 12 heures et au cours duquel vous ne vous êtes pas fait assister, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier en raison de l'inaptitude définitive à votre poste de travail et l'impossibilité de vous reclasser dans l'entreprise.

En effet, le médecin du travail a formulé le 27 octobre 2009 l'avis suivant :

« A la suite du premier entretien effectué le 13 octobre dernier, deuxième examen ce jour dans le cadre de l'article R. 4624-31 du Code du travail. Après étude du poste et des conditions de travail dans l'entreprise, le salarié est inapte définitivement à son poste et à tout emploi dans l'entrepôt de [Localité 7]. Un autre poste dans un autre entrepôt proche de son domicile pourrait être envisagé ».

Compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et après examen et recherches approfondies, il s'avère qu'aucun poste adapté n'est actuellement disponible dans l'entreprise. Nous avons en effet recherché au niveau de tous les entrepôts de Métro CCF, toute solution de reclassement correspondant à vos aptitudes, y compris au sein des services centraux, alors même que vous nous avez indiqué, lors de nos différents entretiens, n'être mobile que sur les entrepôts de [Localité 10], [Localité 5] et [Localité 8].

Par conséquent, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement".

1- Sur la nullité du licenciement en raison du harcèlement moral cause de l'inaptitude

M. [O] soutient avoir subi des agissements répétés de harcèlement moral lors de sa mutation au sein du service fruits et légumes, en janvier 2008 qui ont dégradé ses conditions de travail et à terme ont altéré sa santé physique et mentale, jusqu'à le rendre inapte à son poste.

La société Métro France soutient que M. [O] ne justifie ni du harcèlement moral qu'il invoque, ni du lien de causalité avec son licenciement, comme l'exige la Cour de cassation.

Sur ce,

Il est rappelé par les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de ces dispositions est nulle (article L. 1152-3 du code du travail).

Comme énoncé par les dispositions de l'article L. 1154-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'application notamment de l'article L.1152-1, il appartient au salarié d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, et au vu de ces mêmes éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La cour rappelle que les agissements constitutifs de harcèlement moral ne peuvent résulter simplement d'un stress, d'une anxiété, d'un surmenage, d'un conflit personnel, de contrainte de gestion, mais doivent être la conséquence d'une véritable volonté réitérée se manifestant par des éléments identifiables et portant atteinte à la dignité de la personne en créant un environnement hostile, dégradant, humiliant et offensant. Il peuvent être survenus sur une courte période.

En l'espèce, M. [O] allègue avoir subi les agissements de harcèlement moral suivants à compter de son affectation au rayon fruits et légumes en février 2008 :

- Modification de son secteur d'activité sans justification,

- Surveillance accrue de la part de son employeur,

- Menace de licenciement,

- Conditions de travail explicitement vexatoires et difficilement supportables par le fait d'être constamment surveillé par le directeur.

Il convient d'examiner chacune de ses allégations.

- Sur la modification de son secteur d'activité sans justification

M. [O] allègue que le changement de rayon constitue un premier agissement constitutif du harcèlement moral.

La société Métro France indique que l'affectation mentionnée à son contrat de travail est expressément indicative et que le salarié n'a pas changé de fonctions lors de son changement d'affectation.

Sur ce,

Le contrat de travail conclu entre M. [O] et la société Métro France stipule en son article 3 :

"- A la conclusion du contrat le collaborateur sera affecté au service/Rayon : Marée.

- Cette affectation est mentionnée à titre indicatif et pourra être modifiée ultérieurement dans le cadre du pouvoir de direction de l'employeur sans qu'il s'agisse d'une modification du présent contrat de travail" (pièce appelant n° 1).

Le changement d'affectation de M. [O] d'un rayon à l'autre était prévu dès l'origine par le contrat de travail conclu le 29 janvier 2007 et se justifie par l'exercice du pouvoir de direction propre à l'employeur. Ce pouvoir de direction, autorisant le changement d'affectation du salarié, n'impose pas à l'employeur de justifier sa décision auprès du salarié.

Le changement des conditions de travail n'impose pas de requérir l'accord du salarié, à la différence d'une modification d'un élément substantiel du contrat de travail.

Le changement de rayon de M. [O] se justifie par un élément objectif étranger à tout harcèlement, à savoir le pouvoir de direction de l'employeur.

- Sur la surveillance accrue de la part de son employeur

M. [O] soutient que la société Métro France a opéré une surveillance accrue en lui demandant de justifier une absence et en faisant procéder à un contrôle médical durant un arrêt de travail.

La société Métro France soutient que l'envoi d'un courrier rappelant les règles de justification des absences ne constitue pas un acte de harcèlement moral, pas plus que le contrôle médical des arrêts de travail, qui est un droit pour l'employeur en contrepartie du maintien du salaire.

Sur ce,

M. [O] produit le courrier envoyé par la société le 17 avril 2008, lui demandant de justifier de son absence depuis le 14 avril 2008 (pièce appelant n° 5).

M. [O] était en arrêt de travail du 14 avril 2008 au 19 avril 2008 (pièce appelant n° 4). Il ne justifie pas avoir à tout le moins informé son employeur de la prolongation de son arrêt de travail ni lui avoir transmis son avis de prolongation d'arrêt de travail.

Dans ces conditions, l'employeur pouvait légitimement adresser un courrier à son salarié pour connaître les raisons de son absence et lui rappeler les règles en matière de justification d'absence.

S'agissant de la contre-visite médicale, la société Métro France a mandaté un médecin pour procéder au contrôle médical de M. [O] alors qu'il était en arrêt de travail du 21 novembre 2008 au 21 décembre 2008. Le médecin a conclu que l'arrêt de travail était médicalement justifié à la date de son contrôle le 2 décembre 2008 (pièce appelant n° 12).

La faculté de l'employeur de faire procéder à une contre-visite est ouverte lorsque l'employeur est tenu à une obligation d'assurer une indemnisation complémentaire de la maladie.

Le maintien de salaire est prévu par la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001 (article 7-4 et article 6 de l'annexe I employé).

Il n'est pas allégué que la société Métro France ait fait procéder à de multiples contre-visites durant la relation contractuelle, dont la multiplicité aurait pu laisser présumer l'existence d'un harcèlement.

La société Métro France, qui pratique le maintien de salaire (pièce appelant n° 2), était en droit de faire procéder à une contre-visite de son salarié par un médecin.

Ces faits ne font pas présumer l'existence d'un harcèlement moral.

- Sur la menace de licenciement

M. [O] soutient que le comportement de l'employeur était délétère dans la mesure où il a tenté de le licencier pour absence injustifiée en avril 2008, alors que le demandeur était en arrêt maladie.

La société Métro France conteste ces faits.

Sur ce,

M. [O] ne produit aucun élément de preuve au soutien de cette allégation, dont la réalité est contestée par la société.

- Conditions de travail explicitement vexatoires et difficilement supportables par le fait d'être constamment surveillé par le directeur

M. [O] fait état de propos racistes tenus par sa hiérarchie à son encontre, ainsi que de suggestion de son employeur qu'il vienne travailler en dépit d'un accident du travail.

La société conteste ces faits et indique que M. [O] ne produit aucun élément de preuve.

Sur ce,

M. [O] produit ses arrêts de travail du 7 mai 2008 au 2 juin 2008 pour accident du travail en raison d'un écrasement du pied. La date indiquée de l'accident du travail est le 2 mai 2018 (pièce appelant n° 8).

M. [O] ne produit toutefois aucun élément de preuve des déclarations de sa hiérarchie qui l'aurait incité à travailler en dépit de sa blessure.

Les propos racistes allégués ne sont étayés par aucune pièce et sont contestés par la société Métro France.

Ces faits non étayés ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

M. [O] a adressé deux courriers à son employeur pour se plaindre de la dégradation de ses conditions de travail. La société Métro France allègue ne pas avoir reçu le premier courrier daté du 23 février 2009 et l'appelant ne produit pas l'avis de réception signé contrairement à ses autres courriers (pièce appelant n° 15).

Le salarié a ensuite adressé un courrier le 24 août 2009, demandant à la direction "de faire une enquête suivant ce j'ai subi comme harcellement au sein de l'entreprise depuis qu'on a changé mon poste en poissonerie pour me mettre au rayon fruits et légumes en février 2008" (pièce appelant n° 17). Ce courrier a bien été reçu par l'employeur qui n'a toutefois eu aucune réaction.

Cette absence de réaction de l'employeur à la dénonciation d'un harcèlement moral, élément isolé, ne saurait faire présumer l'existence d'un harcèlement moral qui suppose des agissements répétés.

M. [O] produit de nombreux éléments sur sa situation médicale qui attestent de la réalité de la dégradation de son état de santé (troubles digestifs, troubles du sommeil, troubles de l'appétit, anxiété, syndrome anxio dépressif).

Toutefois, la cour considère en l'état des explications et des pièces fournies, que la matérialité d'éléments de faits précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, cause de la dégradation de son état de santé, n'est pas démontrée.

Pour ce motif, le salarié sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral.

2- Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [O] fait valoir l'existence d'un manquement à l'obligation de sécurité dont les conséquences sont désastreuses, puisqu'il souffre encore aujourd'hui de dépression suite au harcèlement moral dont il a été victime au sein de la société Métro France, de sorte que son inaptitude a été provoquée par un manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur, et ne peut donc pas justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

M. [O] indique que la fiche d'inaptitude du 27 octobre 2008, indique uniquement qu'il est inapte définitivement à son poste au sein de l'entrepôt de [Localité 7]. M. [O] soutient que l'employeur aurait pu respecter les préconisations du médecin du travail, en cherchant réellement un poste au sein des autres entrepôts de la société.

La société Métro France soutient que juridiquement, M. [O] a tort : le harcèlement moral n'a pas pour effet de priver de cause réelle et sérieuse le licenciement pour impossibilité de reclassement après une inaptitude régulièrement constatée. Elle indique que le raisonnement soutenu par M. [O] suppose que le harcèlement moral soit établi, or ce dernier n'a pas été harcelé moralement.

La société Métro France indique avoir satisfait à son obligation de reclassement, tous les entrepôts ayant été sollicités et tous ayant répondu négativement.

Sur ce,

- Sur l'inaptitude causée par le harcèlement résultant du manquement à l'obligation de sécurité

Un salarié licencié en raison de son inaptitude constatée par le médecin du travail et de l'impossibilité de le reclasser peut solliciter la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse en invoquant l'irrégularité de la procédure de licenciement (absence d'avis d'inaptitude, absence de recherche de reclassement, etc.).

Il peut solliciter la nullité de son licenciement en démontrant que son inaptitude résulte d'un harcèlement moral en application de l'article L. 1152-3 du code du travail.

M. [O] sollicite la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que son harcèlement moral résulte d'un manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur, qui est donc la cause de l'inaptitude.

Or, ce moyen ne saurait constituer une cause de requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, la réalité de l'inaptitude n'étant pas contestée.

Par ailleurs, comme il a été développé précédemment, le harcèlement moral n'est pas caractérisé. L'argument est donc inopérant.

- Sur l'obligation de reclassement

L'article L. 1226-2 du code du travail, dans sa version applicable au litige, institue une obligation de reclassement à la charge de l'employeur lorsque le salarié a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail.

Le médecin du travail a déclaré dans son avis d'inaptitude que M. [O] était "inapte à son poste et à tout emploi dans l'entrepôt de [Localité 7]. Un autre poste dans un autre entrepôt proche de son domicile pourrait être envisagé" (pièce appelant n° 20).

Il ressort d'un courrier de la société du 2 novembre 2009 que M. [O] lui aurait indiqué que sa mobilité géographique concernait les entrepôts de [Localité 10], [Localité 5] et [Localité 9] (pièce appelant n° 21).

La société Métro France justifie avoir interrogé les trois entrepôts concernés sur leurs postes disponibles mais leur réponse a été négative (pièce intimée n° 11).

La société Métro France justifie avoir interrogé plus de quatre-vingt entrepôts situés sur l'ensemble du territoire français, qui ont tous indiqué n'avoir aucun poste disponible (pièce intimée n° 12).

La société Métro France justifie ainsi avoir rempli son obligation de recherche de reclassement.

En conséquence, le jugement sera confirmé sur ce point.

3- Sur le manquement à l'obligation de sécurité

M. [O] soutient que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité qui l'obligeait à prendre des mesures pour assurer sa sécurité et protéger sa santé physique et mentale. Suite à son alerte, l'employeur aurait dû diligenter une enquête ou prendre des mesures pour mettre un terme aux comportements anormaux de certains responsables. Il ajoute que le fait qu'il ait été victime de harcèlement moral au travail constitue un manquement à l'obligation de sécurité de la société.

La société reproche à M. [O] de réclamer 50 000 euros au titre du harcèlement moral alors qu'il n'y a pas de harcèlement moral, qu'en tout état de cause, cette demande est totalement disproportionnée, dès lors qu'elle représente plus de 25 mois de salaire, et enfin que M. [O] ne produit aucun élément de nature à justifier de son préjudice et de son montant.

Sur ce,

En vertu des dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l'employeur est tenu envers son salarié à une obligation de sécurité impliquant de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité et sa santé physique et mentale.

Il appartient à l'employeur de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral (article L. 1152-4 du code du travail).

L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte de l'article L. 4121-1 du code du travail, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.

M. [O] a alerté la société Métro France à deux reprises de la dégradation de ses conditions de travail et du harcèlement dont il s'estimait victime.

Si la société indique ne pas avoir reçu le premier courrier du 23 février 2009, dont M. [O] ne produit pas l'avis de réception (pièce appelant n° 15), la société a toutefois bien reçu le second courrier du 24 août 2009, dans lequel le salarié demandait à la direction "de faire une enquête suivant ce j'ai subi comme harcellement au sein de l'entreprise depuis qu'on a changé mon poste en poissonerie pour me mettre au rayon fruits et légumes en février 2008" (pièce appelant n° 17).

La société Métro France n'a pas réagi à ce courrier, n'a pas répondu au salarié et n'a mis en place aucune mesure, telle qu'une enquête.

La société, informée de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, n'a donc pris aucune mesure immédiate propres à le faire cesser.

L'absence totale de réaction de la société Métro France à la dénonciation d'un harcèlement moral par son salarié constitue un manquement à son obligation d'assurer la sécurité de ce salarié, peu important que le harcèlement moral soit ou non effectivement caractérisé.

La dégradation de l'état de santé de M. [O] est prouvée par les documents médicaux produits (pièces appelant n° 7, 11, 18, 19) et, bien que le harcèlement moral ne soit pas ici caractérisé, l'absence de réaction de l'employeur à la dénonciation de ce que le salarié percevait être du harcèlement moral a nécessairement impacté le salarié dont l'état de santé était déjà fragilisé.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [O] de sa demande de dommages et intérêts et il lui sera alloué la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice résultant de la violation de l'obligation de sécurité de l'employeur.

4- Sur les demandes accessoires

Il sera statué sur les dépens et frais irrépétibles dans les termes du dispositif.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a :

- débouté M. [V] [O] de sa demande au titre de la violation de l'obligation de sécurité,

- débouté M. [V] [O] de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de la capitalisation des intérêts et des dépens,

- condamné M. [O] aux dépens,

Statuant à nouveau sur les chefs du jugement infirmés,

CONDAMNE la société Métro France à verser à M. [V] [O] la somme de 2 000 euros au titre de la violation de l'obligation de sécurité,

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus depuis un an à compter de l'introduction de la demande,

CONDAMNE la société Métro France à verser à M. [V] [O] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles par application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Métro France aux dépens,

DÉBOUTE M. [V] [O] de sa demande de condamnation de la société Métro France au versement de la somme de 35 euros au titre de la contribution juridique,

- Prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Madame Maryse LESAULT, Présidente et par Madame Carine DJELLAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 16/01318
Date de la décision : 30/10/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 15, arrêt n°16/01318 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-10-30;16.01318 ?
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