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01/10/2019 | FRANCE | N°16/05902

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 01 octobre 2019, 16/05902


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B





DU 01 OCTOBRE 2019







N° RG 16/05902

N° Portalis DBV3-V-B7A-Q4PR





AFFAIRE :



[V] [M] [L] [U]

C/

SCP '[C] [X], [S] [D], [A] [T] & [E] [C]'





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Février 2016 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 1<

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N° Section :

N° RG : 13/10884



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-la SCP PEREZ SITBON,



-Me Valérie LEGAL







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE PREMIER OCTOBRE DEUX MILLE DIX...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B

DU 01 OCTOBRE 2019

N° RG 16/05902

N° Portalis DBV3-V-B7A-Q4PR

AFFAIRE :

[V] [M] [L] [U]

C/

SCP '[C] [X], [S] [D], [A] [T] & [E] [C]'

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Février 2016 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 1

N° Section :

N° RG : 13/10884

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-la SCP PEREZ SITBON,

-Me Valérie LEGAL

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE PREMIER OCTOBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [V] [M] [L] [U]

né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 1]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Serge PEREZ de la SCP PEREZ SITBON, avocat postulant plaidant - barreau de PARIS, vestiaire : P0198

APPELANT

****************

SCP '[C] [X], [S] [D], [A] [T] & [E] [C]',

anciennement dénommée 'Gérard [Y], [C] [X], [S] [D] & [A] [T]', titulaire d'un office notarial

N° SIRET : [S]6

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Valérie LEGAL, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 274 - N° du dossier 160088

Me Gérard SALLABERRY substituant Me Thierry KUHN de la SCP KUHN, avocat plaidant - barreau de PARIS, vestiaire : P0090

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Juin 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Alain PALAU, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Alain PALAU, Président,

Madame Anne LELIEVRE, Conseiller,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

Par jugement du 18 février 2016, le tribunal de grande instance de Nanterre a statué ainsi':

-rejette l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Aquitaine,

-rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par la Scp [C] [X], [S] [D], [A] [T] et [E] [C],

-dit que la Scp [C] [X], [S] [D], [A] [T] et [E] [C] a commis des manquements à son obligation d'information et de conseil à l'égard de M. [U],

-condamne la Scp [C] [X], [S] [D], [A] [T] et [E] [C] à payer à M. [U] la somme de 22 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,

-déboute les parties du surplus de leurs demandes,

-condamne la Scp [C] [X], [S] [D], [A] [T] et [E] [C] à payer à M. [U] la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamne M. [U] à verser à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Aquitaine et à la société Cincinnatus, chacun, la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamne la Scp [C] [X], [S] [D], [A] [T] et [E][C] aux dépens,

-ordonne l'exécution provisoire.

Par déclaration du 28 juillet 2016, M. [U] a interjeté appel.

Par arrêt du 15 juin 2018, la cour d'appel de Versailles a statué ainsi':

-Constate le désistement d'appel de M. [U] à l'égard de la société Cincinnatus,

-Confirme le jugement en ce qu'il a dit que la Scp [C] [X], [S] [D], [A] [T] et [E] [C] a commis des manquements à son obligation d'information et de conseil à l'égard de M. [U] ;

-Dit que le préjudice subi par M. [U] est constitué par la perte d'une chance de n'avoir pas contracté,

-Ordonne la réouverture des débats sur la fixation du préjudice,

-Dit que M. [U] devra justifier du montant de la réduction fiscale prévue et du montant des avantages fiscaux obtenus,

-Dit qu'il devra indiquer s'il est toujours propriétaire des biens acquis et, dans le cas contraire, justifier du prix de vente,

-Dit qu'il devra préciser le montant des revenus locatifs perçus dans le cadre de l'opération,

-Dit que l'intimée présentera ses observations,

-Fixe au jeudi 15 novembre 2018 à 11 heures salle d'audience n°1, en formation de juge rapporteur, la réouverture des débats et au 11 octobre 2018 la clôture de l'instruction,

-Condamne M. [U] aux dépens exposés dans le cadre de l'appel interjeté à l'encontre de la société Cincinnatus,

-Réserve les autres dépens.

Les débats ont été reportés au 21 mars 2019 puis au 6 juin 2019, après révocation de l'ordonnance de clôture.

Dans ses dernières conclusions en date du 31 mai 2019, M. [U] demande à la cour de':

-Prendre acte de son désistement d'appel à l'égard de la société Cincinnatus ;

-Confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu la responsabilité de l'office notarial [C] [X]-[S] [D]-[A] [T] - [E] [C], notaires associés dans le préjudice subi par lui ;

-Infirmer le jugement en ce qu'il a limité à 22.000 euros le montant des dommages et intérêts qui lui ont été accordés ;

-Condamner l'office notarial [C] [X] -[S] [D]-[A] [T] - [E] [C] à lui payer la somme de 693.849 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 50.000 euros en réparation de son préjudice moral ;

-Débouter la Scp [C] [X] -[S] [D]-[A] [T] - [E] [C] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

-Condamner l'office notarial [C] [X] '[S] [D]-[A] [T] - [E] [C] à lui payer 15.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [U] rappelle que la cour a considéré que son préjudice était constitué par la perte d'une chance de n'avoir pas contracté et a ordonné la réouverture des débats sur la fixation du préjudice.

Il relate les circonstances de son acquisition.

En réponse au moyen tiré de son désistement, il déclare qu'il ne pouvait laisser dans la cause la société Cincinnatus et rappelle que la condamnation in solidum prononcée dans d'autres procédures opposant des acquéreurs à la société Cincinnatus et à la Scp notariale entraîne pour l'une ou l'autre des parties condamnées l'exigibilité de la totalité des sommes allouées.

Il en conclut qu'en cas de défaillance du conseil en gestion de patrimoine, l'étude notariale doit indemniser en totalité le préjudice subi, la condamnation in solidum n'entraînant pas le partage de l'indemnité due.

Il ajoute que ce partage aurait été illusoire, la société Orbateor ayant été radiée du registre du commerce et des sociétés le 19 septembre 2013.

Il expose que si les investisseurs avaient été informés que l'acquisition qui leur était proposée était en réalité mise en 'uvre par un groupe qui ne disposait pas d'un permis de construire susceptible de faire espérer la mise en 'uvre des travaux dans les délais annoncés, ils n'auraient pas souscrit à cet investissement et se seraient tournés vers des investissements plus sûrs.

Il conteste le raisonnement du tribunal au motif que toute défiscalisation n'a d'intérêt que si elle est vraisemblable dans son principe et qu'elle procure à l'investisseur un avantage.

Il déclare que l'avantage était constitué par l'acquisition, en échange d'une défiscalisation partielle des travaux de réhabilitation, d'un bien immobilier de qualité, susceptible de générer rapidement des loyers à compter du 1er juillet 2006 et constituant un actif patrimonial procurant un complément de revenu pour la retraite future de l'investisseur.

Il estime qu'il lui aurait été préférable de payer des impôts alors qu'il a «'gaspillé'» une somme totale de 437.258 euros sans aucune contrepartie.

Il considère que l'objectif premier des investisseurs est d'améliorer à moyen terme leur situation financière et non de s'endetter lourdement en vain comme c'est le cas en l'espèce.

Il soutient en outre que la plupart des préjudices invoqués par lui ne s'analysent pas comme une simple perte de chance mais comme des pertes nettes puisque les circonstances de l'opération litigieuse excluaient d'office toute possibilité pour les investisseurs d'aboutir au résultat escompté.

Il réitère que s'il avait été informé des précautions à prendre et des risques ainsi que de l'absence de permis de permis de construire susceptible de faire espérer la mise en 'uvre des travaux, dont le notaire connaissait la nécessité impérative, dans les délais annoncés, il n'aurait pas souscrit à cet investissement et se serait tourné vers des produits plus sûrs.

Il déclare que la Cour de cassation a clairement, dans les affaires concernant la société Financière Barbatre, considéré que tous les professionnels intervenant dans ce type d'opération devaient être condamnés à réparer l'entier préjudice des investisseurs et excipe d'arrêts de la cour d'appel de Versailles dont l'un en date du 24 mars 2017.

Il indique que, dans celui-ci, la cour a précisé que ces sommes auraient pu être investies autrement et procurer un rendement de 2% et a uniquement soustrait la valeur résiduelle du lot et les dégrèvements fiscaux dont avaient bénéficié les investisseurs.

Il rappelle que, médecin anesthésiste, il utilisait les fruits de son travail pour procéder aux investissements envisagés, n'étant pas contraint de procéder à ces acquisitions dans l'urgence.

S'agissant de sa perte foncière et immobilière, il indique avoir versé une somme de 30.000 euros (hors frais d'acquisition) pour laquelle il a emprunté 38.130 euros pour l'achat de deux lots qui ne sont pas habitables et qui n'ont à ce jour aucune valeur.

Il ajoute qu'il a déboursé la somme de 271.450,15 euros pour des travaux de reconstruction et d'aménagement qui n'ont pas été réalisés et ne le seront jamais.

Il en infère que ces sommes- 309.580 euros- ont été payées en pure perte, le bien ayant été vendu au prix de 60.000 euros le 10 février 2016.

Il précise que ce prix a été encaissé par le Crédit agricole, banque prêteuse, et qu'il a dû débourser une somme complémentaire de 112.601,25 euros le 6 janvier 2016 et de 110.872,23 euros le 10 février 2016 pour apurer tous ses emprunts bancaires par anticipation.

Il conclut qu'en intégrant le prix de vente du bien et l'apport personnel qu'il a dû effectuer, il a payé la somme de 283.797 euros, outre les intérêts réglés depuis 2004, pour rembourser le solde de son emprunt pour travaux et de son emprunt immobilier.

Il précise que les comptes de la banque établissent ses versements soit 283.797 euros et 381,30 euros et 1.700,48 euros (paiement d'indemnités pour remboursement anticipé).

S'agissant de sa perte financière, il fait valoir que les sommes empruntées placées à un taux de 2% auraient pu générer un revenu minimal de 6.191 euros par an pendant 15 ans soit 92.874 euros.

Il rappelle que la cour a, à plusieurs reprises, accepté le principe et le montant de cette indemnisation.

Il fait valoir qu'à partir du moment où il a emprunté ces fonds, ceux-ci sont devenus siens et qu'il aurait pu les investir à sa guise plutôt que les immobiliser pendant 15 ans.

S'agissant des intérêts d'emprunts, il soutient qu'il a payé avec ses deniers personnels des intérêts qui auraient dû l'être par des loyers- qu'il n'a pas perçus- en remboursement d'un emprunt qui n'a pas répondu à sa fonction essentielle, le financement des travaux.

Il les chiffre à 15.093,86 euros pour le prêt relatif à l'acquisition immobilière et à 96.166,96 euros pour le prêt pour travaux soit un total de 111.260,82 euros.

Il fait valoir que, placées à 2% sur 15 ans, ces sommes auraient généré 33.378 euros.

Il affirme, en réponse à l'intimée, que ces intérêts ont été payés en pure perte, de même que le capital qui n'a donné lieu à aucune contrepartie sur le plan immobilier.

Il ajoute que les loyers, après avoir permis de financer le remboursement de l'emprunt destiné aux travaux, étaient censés constituer un revenu pour lui et plus tard un complément de retraite annuellement réindexé.

S'agissant des avantages fiscaux, il affirme que dans la mesure où la société Cincinnatus n'a pas finalisé cette opération, il ne dispose pas de l'étude dont d'autres clients de la société ont pu faire état et, en outre, qu'il ne parvient pas à récupérer sa déclaration fiscale de 2004 qui comporte la mention de la réduction d'impôts afférente aux travaux qu'il a inutilement financés.

Il indique que M. [H] et les époux [V], autres investisseurs, ont bénéficié d'un abattement équivalent à 69,83% et à 62,94% soit une moyenne de 66% des travaux.

Il applique ce taux et en infère à un abattement fiscal de 179.157 euros.

Il réitère ne pouvoir retrouver l'étude initiale mais estime fondée son estimation, supérieure à la réalité au vu d'une étude de la société Cincinnatus.

S'agissant des loyers impayés, il chiffre à 77.550 euros les loyers perdus et à 95.000 euros les loyers qu'il aurait dû percevoir au cours des dix années à venir.

Il précise qu'il n'a perçu que deux trimestres de loyers soit 4.500 euros ttc et qu'il n'a reçu aucune somme de la part du liquidateur.

Il ajoute les frais d'avocat et un préjudice moral important du fait des difficultés auxquelles il est confronté depuis plus de 10 ans.

Il précise à cet égard qu'il est demeuré dans l'incertitude durant 15 ans, qu'il a dû engager une procédure judiciaire et qu'il est profondément affecté par la situation.

Dans ses dernières conclusions en date du 28 mai 2019, la société civile professionnelle " [C] [X], [S] [D], [A] [T] & [E] [C] " anciennement dénommée " [P] [Y] [C] [X], [S] [D] & [A] [T] " demande à la cour de :

-Dire et juger que la somme à retenir au titre du poste de « Perte foncière et immobilière'» est celle de 285 879 euros ;

-Dire et juger que M. [U] ne saurait prétendre concernant le prétendu poste « Perte financière'» à une somme quelconque à ce titre ;

-L'en débouter purement et simplement ;

-Dire et juger que M. [U] ne saurait être recevable et bien fondé à soutenir que les intérêts qu'il aurait acquittés et qu'il chiffre à la somme de 111 260€,82 euros seraient constitutifs d'un préjudice dès lors qu'il ne s'agissait pas de fonds propres ;

-Le débouter en conséquence de ladite demande ;

-Dire et juger, concernant les postes relatifs aux loyers passés et à venir, qu'il est radicalement irrecevable à présenter des demandes à ce titre ;

-Le débouter en conséquence desdites demandes ;

-Dire et juger que M. [U] ne démontre nullement subir un « préjudice moral » ;

-Le débouter en conséquence de sa demande de 50 000 euros formée à ce titre ;

Et si la cour venait à considérer qu'il est bien fondé à présenter une demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

-Dire et juger que la procédure s'est inutilement prolongée par le fait de M. [U] en raison de sa carence à fournir les documents nécessaires à la fixation de l'assiette de son préjudice ;

-Fixer alors la somme réclamée par lui au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à de justes proportions ;

-Fixer à un pourcentage maximum de 20% la perte de la chance de ne pas contracter dont il a été victime du fait des manquements de l'office notarial concluant ;

-Statuer ce que de droit sur les dépens.

La Scp rappelle la procédure et observe qu'en raison d'une erreur de choix d'interlocuteur imputable à M. [U] - qui a assigné la société Cincinnatus et non la société Orbeator-, elle se retrouve seule condamnée à l'indemniser alors même que le tribunal a reconnu que sa responsabilité est moindre.

Elle relate les faits.

Elle relève que M. [U] sollicite le paiement d'une somme totale de 758 849 euros et rappelle les préjudices invoqués.

Elle observe, en réponse à son argumentation fondée sur deux arrêts de cette cour, qu'il réclame l'indemnisation de la totalité du préjudice invoqué alors que seule une perte de chance a été retenue et qu'alors, la société Cincinnatus a été condamnée in solidum avec la SCP.

Elle souligne que, dans ses arrêts précités, la cour a stigmatisé sur trois pages les manquements de ladite société et rappelle qu'en l'espèce, elle ne peut statuer sur la responsabilité du conseil en gestion de patrimoine en raison du désistement d'appel de M. [U] qui a reconnu avoir confondu les sociétés Cincinnatus et Orbeator.

Elle estime qu'il serait inique, compte tenu du nombre d'intervenants dans toute opération de défiscalisation susceptibles d'avoir engagé leur responsabilité professionnelle, de lui faire supporter seule les conséquences financières dommageables de l'échec de l'opération au motif qu'il s'est trompé d'interlocuteur ce qui l'a privé d'un débiteur dont la responsabilité n'aurait pu qu'être constatée.

Elle demande à la cour, dans le cadre de l'appréciation du pourcentage de la perte de chance qui lui est imputable, de prendre en compte cette situation.

Elle fait valoir qu'en prenant comme paramètre de référence au titre de la perte de chance, le pourcentage global précédemment retenu par la cour dans les dossiers [V] et [H] invoqués, soit 60%, une réduction de moitié pourrait apparaître comme équitable dans la mesure où il la seconde moitié aurait été mise à la charge du conseil en gestion de patrimoine concerné si celui-ci avait été utilement attrait en la cause par lui.

Elle en infère à la limitation de sa condamnation à verser un pourcentage de 30% de l'assiette des préjudices arrêtée par la cour mais soutient, au vu de l'argumentation adoptée par la cour dans son arrêt en date du 15 juin 2018 pour retenir ses manquements, que ce pourcentage serait trop élevé et, compte tenu de l'importance des rôles respectivement joués dans cette opération par ces deux professionnels, qu'un pourcentage de 20% mis à sa charge constituerait un pourcentage maximum «'de responsabilité dans la perte de la chance de ne pas contracter'».

La Scp reprend les préjudices invoqués.

S'agissant du poste «'Perte foncière et immobilière'», elle fait valoir que M. [U] ne peut, en tout état de cause, prétendre que les biens auraient dû avoir, « in fine « une « (') valeur marchande au moins équivalente à l'addition du prix de vente et du montant des travaux et des frais.'»

Elle rappelle que tout investissement immobilier comporte sa part d'aléas.

Elle relève qu'un bien peut être revendu à perte, notamment lorsque les travaux engagés ont été d'un coût trop important au regard de la consistance du bien, de sa situation et/ou de l'attrait qu'il présente.

Elle ajoute qu'il fait référence au coût total de l'opération au regard des emprunts contractés et remboursés et qu'il y ajoute les sommes acquittées au titre des remboursements anticipés des prêts, soit 381,30 euros et 1.700,48 euros.

Elle lui fait grief de retenir une somme de 309.'580 euros qui représenterait la valeur marchande minimale qu'auraient dû avoir les biens.

S'agissant du poste «'Perte financière'», elle estime que la demande aboutirait à ce qu'il obtienne la rémunération pendant 15 ans de fonds qui n'étaient nullement des fonds propres mais qui lui avaient été intégralement prêtés par la banque pour financer l'opération et conclut donc à son rejet.

S'agissant du poste'«'Intérêts d'emprunts acquittés'», elle affirme que les chiffres avancés par lui ne sont pas établis et souligne que, du fait de l'échec de l'opération, il a réalisé de « l'épargne forcée'».

Elle déclare qu'en acquittant les échéances des prêts, il a certes réglé des intérêts au taux de 2% mais que ses règlements lui ont permis de constituer un capital.

Elle estime qu'il n'aurait pu prétendre au remboursement des intérêts acquittés par lui, soit la somme de 111'260, 82 euros, que si cette somme avait été injectée par lui dans l'opération sur ses fonds propres.

S'agissant du poste «'Avantages fiscaux'», l'intimée rappelle que la cour lui a demandé de justifier de la réduction fiscale prévue et du montant des avantages fiscaux obtenus.

Elle lui fait grief de déclarer se trouver dans l'incapacité de déférer à cette double demande.

Elle «'l'imagine très mal'» avoir souscrit à cette opération sans avoir pu disposer de la moindre projection économique et fiscale de celle-ci et estime que le changement de conseil en gestion de patrimoine est sans incidence, son interlocuteur étant le même.

Elle en infère qu'il refuse de produire cette étude.

Elle conteste, de même, qu'il ne puisse fournir les documents officiels attestant des avantages fiscaux par lui retirés de l'opération.

Elle critique son raisonnement transposé d'espèces précédentes dans la mesure où le montant des travaux est déductible de la masse imposable et qu'on ignore celle de M. [U] pour les exercices fiscaux concernés et en conséquence son taux d'imposition.

Elle n'exclut donc pas qu'il ait bénéficié d'un abattement fiscal supérieur à celui invoqué.

S'agissant du poste «'Loyers impayés'», elle fait valoir, citant l'arrêt initial, que son préjudice est constitué par la perte d'une chance de n'avoir pas contracté et rappelle la décision de la cour dans les arrêts [H] et [V].

Elle ajoute que la Scp ne s'est pas immiscée dans la conclusion du bail, qu'il n'envisage nullement que les locaux concernés auraient pu connaître des périodes de vacance locative et qu'il ne prend pas en considération l'imposition de ces revenus fonciers.

S'agissant du poste'«'Loyers à venir'», elle réitère ses développements précédents et ajoute qu'il se prévaut d'un préjudice locatif pour les 10 années à venir alors qu'il a revendu les biens en février 2016.

S'agissant du poste «'Frais annexes'», elle fait valoir qu'il ne précise pas le montant des frais d'avocats payés afin de défendre les intérêts «'des demandeurs'» vis-à-vis du liquidateur- qui ont été partagés.

S'agissant du poste «'Préjudice moral'», elle estime son montant exorbitant, rappelle le préjudice invoqué et rappelle que la cour a jugé que ses manquements avaient entraîné pour lui une chance de ne pas réaliser l'opération.

Elle en conclut qu'elle ne peut indemniser la privation des appartements et des revenus locatifs que ceux-ci auraient pu générer mais seulement la perte d'une chance de ne pas acquérir ces biens.

S'agissant des frais irrépétibles, elle fait valoir que la procédure s'est prolongée par le fait de M. [U] qui s'est abstenu et persiste à s'abstenir de verser aux débats les documents nécessaires à la cour pour statuer, la contraignant à ordonner la réouverture des débats.

****************************

Sur la perte de chance

Considérant que le préjudice de M. [U] est constitué par la perte d'une chance de ne pas avoir procédé à son acquisition';

Considérant que la Scp notariale a été déclarée responsable de ce préjudice'; qu'elle est donc tenue de le réparer';

Considérant que M. [U] n'a pas commis de faute ayant contribué à la réalisation de son dommage';

Considérant que la faute qui lui est reprochée a pour conséquence de priver la Scp d'un recours contre les éventuels co-auteurs du dommage';

Considérant que cette faute est sans incidence sur l'importance de la perte de chance qu'il a subie du fait de la faute de la Scp'; qu'elle ne peut donc être prise en considération pour apprécier celle-ci';

Considérant que M. [U] disposait de revenus dont une partie importante était assujettie à la tranche maximale d'imposition'; qu'il n'avait pas perçu, toutefois, de revenus exceptionnels durant l'année de l'acquisition du bien justifiant, à ses yeux, un tel achat';

Considérant, également, que l'opération n'avait pas pour seul objectif la défiscalisation, le bilan réalisé faisant état, notamment, de revenus nets procurés par le bail';

Considérant qu'au regard de ces éléments, la perte de chance de ne pas contracter causée par la faute de la Scp notariale sera fixée à 60%';

Sur les préjudices

Considérant que la perte financière subie doit être appréhendée dans sa globalité';

Considérant que M. [U] a emprunté à la banque les sommes de 38.130 euros et 271.450,15 euros remboursables in fine soit 309.580 euros';

Considérant que M. [U] a payé à la CRCAM, en remboursement des prêts qui lui ont été consentis, début 2016, la somme de 283.797 euros outre celles de 381,30 euros et de 1.700, 48 euros au titre de l'indemnité pour remboursement anticipé soit une somme totale de 285.878,78 euros'étant précisé que la banque a également perçu le produit de la vente du bien, 60.000 euros';

Considérant qu'il justifie également s'être acquitté d'intérêts jusqu'au remboursement anticipé des crédits pour un montant total de 111.260,82 euros'; que ces intérêts ont été payés par lui, soit par ses fonds propres'; qu'ils constituent la contrepartie de la mise à sa disposition du capital susvisé';'que celui-ci n'a permis que de financer l'opération'litigieuse ; que ces intérêts n'ont donc pas permis à M. [U] de se constituer un capital propre par de «'l'épargne forcée'»'; que leur règlement fait partie de son préjudice

Considérant que l'opération lui a donc coûté la somme totale de 397.138 euros'; que cette somme qu'il a payée en raison de son acquisition constitue un préjudice causé par la faute de l'intimée';

Considérant que ces sommes ont été versées par lui'; que, quelle que soit leur origine, ces fonds lui appartenaient donc'; que son préjudice est, dès lors, également constitué par l'impossibilité pour lui de les placer'; qu'un taux de 2% l'an sera retenu et sera calculé sur la durée du prêt'; qu'au regard du montant versé à la banque- 397.138 euros- une somme de 119.141 euros sera donc prise en compte';

Considérant que le préjudice de M. [U] consiste en la perte d'une chance de ne pas avoir acquis le bien';

Considérant qu'il ne peut donc réclamer le paiement de sommes qui n'auraient été perçues que s'il avait acquis celui-ci';

Considérant que ses demandes au titre des loyers qu'il aurait perçus si l'opération avait été menée à bien seront, en conséquence, rejetées';

Considérant que sa perte s'élève donc à la somme de 516.279 euros';

Considérant que doivent être déduites les sommes dont il a bénéficié';

Considérant que le prix de revente du bien a été perçu par la banque et déduit des sommes dont M. [U] était redevable';

Considérant que M. [U] n'a pu verser aux débats les documents fiscaux mentionnant le montant de la déduction fiscale dont il a bénéficié'; qu'il ne dispose pas de l'étude établie par la société'Orbateor ;

Considérant, toutefois, qu'il résulte d'arrêts prononcés par cette cour relatifs à des opérations identiques que des investisseurs se trouvant dans une situation fiscale semblable ont bénéficié de taux de déduction fiscale, sur les travaux, de 69,83% et de 62,94% soit d'un taux moyen de 66%';

Considérant qu'aucun élément ne permet de considérer que M. [U] a, en réalité, bénéficié d'un taux plus important'; qu'au contraire, une étude réalisée par la société Cincinnatus à l'occasion d'un autre investissement fait état, au vu de sa situation, d'un avantage fiscal égal à 59,55%';

Considérant que le taux de 66% sera donc retenu ;

Considérant que l'abattement fiscal dont il a bénéficié s'élève ainsi, au regard du montant de travaux, à 179.157 euros';

Considérant que M. [U] a perçu une somme de 4.500 euros au titre des loyers'; qu'il a déclaré sa créance du chef des loyers postérieurs mais n'a pas été désintéressé';

Considérant que son préjudice financier s'élève donc à la somme de 332.622 euros';

Considérant qu'il a, ainsi, perdu une chance égale à 60% de ne pas perdre la somme de 332.622 euros';

Considérant que la Scp intimée devra dès lors lui payer la somme de 199.573 euros';

Considérant que M. [U] ne rapporte pas la preuve d'un préjudice moral subi du fait de la faute de la Scp';

Sur les autres demandes

Considérant que le jugement sera donc partiellement infirmé';

Considérant que la Scp notariale devra payer à M. [U] la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par lui en cause d'appel';

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition ;

Vu l'arrêt du 15 juin 2018,

INFIRME le jugement en ce qu'il a condamné la Scp [C] [X], [S] [D], [A] [T] et [E] [C] à payer à M. [U] la somme de 22 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,

Statuant de nouveau de ce chef':

CONDAMNE la Scp [C] [X] -[S] [D]-[A] [T] - [E] [C] à payer à M. [U] la somme de 199.573 euros à titre de dommages et intérêts,

Y ajoutant':

CONDAMNE la Scp [C] [X] -[S] [D]-[A] [T] - [E] [C] à payer à M. [U] la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE les demandes plus ample sou contraires,

CONDAMNE la Scp [C] [X] '[S] [D]-[A] [T] - [E] [C] aux dépens exposés dans le cadre de l'appel dirigé à son encontre';

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Monsieur Alain PALAU, président, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 16/05902
Date de la décision : 01/10/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 1A, arrêt n°16/05902 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-10-01;16.05902 ?
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