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18/06/2019 | FRANCE | N°18/01677

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 18 juin 2019, 18/01677


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B





DU 18 JUIN 2019





N° RG 18/01677

N° Portalis DBV3-V-B7C-SHPY





AFFAIRE :



[R] [U]

[A] [U]

C/

[K] [P]

SA MMA IARD

MMA IARD Assurances Mutuelles





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Mars 2018 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 1

N° Section :

N° RG : 16/02235



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :





à :



-la SCP BUQUET- ROUSSEL-DE CARFORT,



-la SCP COURTAIGNE AVOCATS











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B

DU 18 JUIN 2019

N° RG 18/01677

N° Portalis DBV3-V-B7C-SHPY

AFFAIRE :

[R] [U]

[A] [U]

C/

[K] [P]

SA MMA IARD

MMA IARD Assurances Mutuelles

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Mars 2018 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 1

N° Section :

N° RG : 16/02235

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-la SCP BUQUET- ROUSSEL-DE CARFORT,

-la SCP COURTAIGNE AVOCATS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX HUIT JUIN DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [R] [U]

née le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 1] (ALGERIE)

de nationalité Algérienne

[Adresse 1]

[Localité 2]

Madame [A] [U]

née le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 1] (ALGERIE) (-)

de nationalité Algérienne

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentées par Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 - N° du dossier 5618

Me Ismail BENAISSI, avocat plaidant - barreau de PARIS, vestiaire : D0436

APPELANTES

****************

Monsieur [K] [P]

né le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 2]

SA MMA IARD

N° SIRET : 440 04 8 8 822

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

MMA IARD Assurances Mutuelles Société d'assurance mutuelle à cotisations fixes

N° SIRET : 775 65 2 1 266

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentés par Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - N° du dossier 019761

Me Philippe DEROUIN, avocat plaidant barreau de PARIS, vestiaire : J037

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 Avril 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Alain PALAU, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Alain PALAU, Président,

Madame Anne LELIEVRE, Conseiller,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

Vu le jugement du tribunal de grande instance de Versailles en date du 8 mars 2018 qui a statué ainsi :

Rejette la demande de Mme [R] [U] et Mme [A] [U].

Les condamne à payer à M. [K] [P] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les condamne aux dépens.

Vu la déclaration d'appel en date du 9 mars 2018 de Mmes [R] et [A] [U].

Vu les dernières conclusions en date du 12 février 2019 de Mmes [N] et [A] [U] qui demandent à la cour de :

Les déclarer recevables et fondés en leur appel.

Y faisant droit,

Infirmer la décision entreprise et statuant à nouveau.

Dire et juger que Maître [K] [P] a commis une faute professionnelle dans le cadre de sa qualité de conseil fiscal de Mmes [N] et [A] [U].

En conséquence condamner solidairement Maître [K] [P], la société MMA Iard Assurances Mutuelles, et la société MMA Iard (SA), à leur verser les sommes suivantes :

Au titre des préjudices financiers, une somme de 800.333 euros à Mme [A] [U] et u ne somme de 486.987 euros à [R] [U] outre anatocisme à compter des avis de mise en recouvrements.

Au titre des préjudices moraux, une somme de 50.000 euros à chacune.

Au titre des frais irrépétibles, une somme de 5.000 euros à chacune.

Elles sollicitent également leur condamnation aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Buquet-Roussel, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions en date du 4 septembre 2018 de M. [P] et des sociétés MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard qui demandent à la cour de :

Débouter les appelantes de toutes leurs prétentions ;

Confirmer le jugement entrepris

Les condamner aux dépens et à leur verser une indemnité de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu l'ordonnance de clôture du 14 février 2019.

**************************

Faits et moyens

La Sarl Hôtel [Établissement 1], ayant pour dirigeantes de droit et associées, Mmes [R] [U] et [A] [U] a fait l'objet d'une vérification fiscale de ses exercices clos de 2004 à 2007.

Ultérieurement, Mmes [N] et [A] [U] ont fait l'objet d'un examen contradictoire de leur situation personnelle.

Mme [A] [U] s'est vu adresser deux propositions de rectifications en date du 4 septembre 2008 pour la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2006 puis en date du 27 juillet 2009 pour l'année 2007 pour des montants respectifs comprenant le prélèvement social, la CSG, la CRDS ainsi que les intérêts et majoration de retard de 250.739 euros et 287.791 euros.

Elle a présenté plusieurs réclamations par l'intermédiaire de son avocat, M. [P], qui ont donné lieu à une décision de rejet en date du 28 janvier 2011.

Elle a saisi le tribunal administratif qui a rejeté sa contestation par décision du 21 septembre 2011.

Elle a interjeté appel de ce jugement et, par décision du 11 avril 2013, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours. Elle a ensuite formé un pourvoi contre cette décision et, par arrêt du 7 mai 2014, son recours a été déclaré non admis par le Conseil d'Etat.

Mme [R] [U] s'est vu adresser deux propositions de rectifications en date du 28 août 2008 pour la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, puis du 16 juillet 2009 pour l'année 2007 pour des montants respectifs comprenant le prélèvement social, la CSG, la CRDS ainsi que les intérêts et majoration de retard de 197.438 euros et 189.318 euros.

Elle a présenté une réclamation par l'intermédiaire de son avocat, M. [P], qui a donné lieu à une décision de rejet en date du 28 janvier 2011.

Elle a saisi le tribunal administratif qui a rejeté sa contestation par décision du 21 septembre 2011.

Elle a interjeté appel de ce jugement et, par décision du 11 avril 2013, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours. Elle a ensuite formé un pourvoi contre cette décision et, par arrêt du 7 mai 2014, son recours a été déclaré non admis par le Conseil d'Etat.

Par acte du 8 mars 2016, Mmes [U] ont fait assigner M. [P] devant le tribunal de grande instance de Nanterre qui a prononcé le jugement déféré.

Aux termes de leurs écritures précitées, Mmes [U] rappellent les propositions de rectification qui leur ont été adressées et les contestations et procédures juridiques et fiscales introduites par M. [P].

Elles précisent que leur litige avec l'administration fiscale est définitivement terminé et que le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la Sarl Hôtel [Établissement 1], le 14 octobre 2014, la procédure étant clôturée le 24 septembre 2015 pour insuffisance d'actif.

Elles indiquent que, jusqu'au 1er mars 2008, elles étaient cogérantes de la société, Mme [W] [V] épouse [Z] leur ayant alors succédé.

Elles reprochent au tribunal d'avoir considéré qu'aucune contestation de fond distincte de celle qui aurait pu être élevée dans l'intérêt de la société ne pouvait être soulevée et que seules des contestations de forme étaient susceptibles de remettre en cause les rectifications.

Elles lui reprochent également de n'avoir pas recherché quelles étaient les chances de succès de l'action perdue, sans préciser en quoi consistait la reconstitution du procès avorté.

Les appelantes retracent l'historique et l'origine des distributions retenues par l'administration fiscale à leur encontre et examinent donc le contrôle fiscal de la société Hôtel [Établissement 1].

Elles indiquent que celle-ci a fait l'objet d'une vérification de comptabilité pour les exercices clos les 30 juin 2005, 30 juin 2006 et 30 juin 2007 et que M. [P] était son conseil fiscal.

Elles relèvent que l'administration avait rejeté ses contestations, le 31 octobre 2008, en relevant que seule la nullité de la procédure était invoquée.

Elles soulignent qu'à la suite de la proposition de rectification de la société Hôtel [Établissement 1], il a été retenu des rectifications au titre des distributions en leur faveur et que M. [P] n'a pas répondu sur le fond du dossier, ce qui a entrainé l'acceptation tacite des rectifications alors qu'elles les contestent dans la mesure où elles ont entrainé des conséquences financières à leur encontre au niveau des revenus distribués sur le fondement notamment de l'article 109-1 du code général des impôts.

Elles en infèrent que M. [P] devait répondre sur le fond afin d'éviter ces conséquences financières.

Elles ajoutent qu'il ne les a pas informées de son choix de ne pas répondre au fond.

Elles rappellent qu'elles n'ont aucune compétence en matière juridique ou fiscale et affirment qu'il appartenait à M. [P] de répondre sur le fond et de leur demander toutes les informations, justificatifs et documents pour éviter les distributions retenues à leurs encontre par l'administration fiscale.

Elles indiquent qu'il ne l'a pas fait.

En réponse aux intimés, elles déclarent n'avoir pas pu récupérer la totalité de leurs dossiers, des pièces étant adressées à leur nouveau conseil le 6 juillet 2015, et font grief à M. [P] de ne pas les avoir informées qu'il n'envisageait pas de répondre au fond et de ne pas leur avoir expliqué ses motifs.

Elles indiquent qu'elles lui ont demandé, le 4 février 2015, en vain des explications sur les procédures administratives.

Elles ajoutent qu'il ne conteste pas ne pas avoir répondu sur le fond aux propositions rectificatives de l'administration fiscale.

Elles affirment que ces contestations étaient indispensables.

Elles estiment qu'il lui appartient de démontrer qu'il leur a demandé les pièces nécessaires pour obtenir les dégrèvements fiscaux.

Elles indiquent que l'expert-comptable de la société a démissionné le 20 novembre 2007 et contestent donc qu'il les a assistées à chaque étape de la procédure.

Elles déclarent lui avoir répondu et avoir saisi l'ordre des expert comptables qui leur a répondu par un courrier du 19 septembre 2011.

Elles soulignent que la première intervention de l'inspecteur des impôts pour le contrôle de la société [Établissement 1] a commencé le 18 octobre 2007 et qu'elles avaient cédé leurs parts sociales de société et démissionné de leurs fonctions de cogérantes le 1er octobre 2007.

Elles en concluent qu'elles ne pouvaient recevoir, répondre ou remettre des pièces comptables à l'inspecteur des impôts.

Elles font donc valoir que M. [P] et l'expert-comptable ne peuvent utilement prétendre les avoir assistées ainsi que la société ou avoir apporté leur concours à chaque étape de la procédure.

Elles soutiennent ainsi que M. [P] n'a «rien fait» durant le contrôle fiscal et plus précisément dans le cadre de la vérification de la comptabilité de la société qui a eu des conséquences sur leurs impositions personnelles.

Elles font également valoir qu'elles ne pouvaient lui communiquer la moindre critique ou observations sur la société [Établissement 1], seule sa nouvelle gérante en disposant.

Elles indiquent qu'il ne leur a jamais demandé des explications ou informations sur les impositions mentionnées dans la proposition de rectifications de la société dans le cadre des rectifications fiscales de leurs examens des situations personnelles.

Elles réitèrent que M. [P] n'a jamais développé la moindre argumentation sur le fond dans leur intérêt.

Elles lui font grief de ne pas avoir contacté la nouvelle gérante de la société [Établissement 1], voire les anciennes gérantes, pour avoir des explications et éventuellement des documents pour répondre aux rectifications qui leur ont été adressées.

Elles admettent qu'elles ont été poursuivies pour fraude fiscale selon citations du 5 août 2010 mais réitèrent que la responsabilité de M. [P] est établie dans la mesure où il n'a pas répondu aux rectifications de fond non seulement tant pour la société que pour elles.

Elles soulignent que, ainsi qu'en atteste leur conseil, «dans cette procédure pénale, seules existaient les pièces de forme de la procédure fiscale, et aucune pièce de fond, de contestation des redressements fiscaux' ».

Elles soutiennent qu'elles «pouvaient justifier toutes les rectifications de l'administration fiscale».

Elles invoquent donc une faute professionnelle de M. [P].

Elles rappellent qu'il est spécialiste en droit fiscal et qu'il a été leur conseil fiscal, préparant et rédigeant notamment toutes les réponses adressées à l'administration fiscale et les requêtes et mémoires devant les juridictions administratives.

Elles réitèrent qu'il a invoqué des arguments juridiques et fiscaux uniquement sur la forme, dans le cadre des irrégularités des procédures notamment sur le fondement de l'article L 16 du livre des procédures fiscales mais qu'il n'a développé aucun moyen de fond.

Elles soulignent que l'administration fiscale a donc considéré que les rectifications ont été acceptées tacitement par elles, ce qu'elles contestent formellement.

Elles réitèrent qu'elles lui ont fait confiance et relèvent que l'administration a constaté l'absence d'argumentation sur la motivation des rehaussements.

Elles soutiennent que le vérificateur s'est borné à prendre acte de ce que, faute de grief spécifique sur ce point, il n'avait pas à répondre plus amplement aux observations du contribuable.

Elles réfutent, invoquant la doctrine administrative et des arrêts du Conseil d'Etat, la thèse des intimés selon laquelle le seul fait que les rectifications aient été contestées même sans aucun motif particulier, exclut toute idée d'acceptation.

Elles excipent d'un arrêt du Conseil d'Etat du 22 décembre 1976 aux termes duquel le contribuable est considéré comme acceptant tacitement le rehaussement s'il ne présente pas d'observation sur le bien -fondé de celui-ci.

Elles affirment que l'administration s'est prévalue de l'absence de contestation au fond en prenant acte qu'aucune argumentation sur la motivation des rehaussements n'était apportée.

Elles en concluent que ces rectifications ont été acceptées tacitement par elles, à leurs insu.

Les appelantes soulignent la rigueur dans l'appréciation du devoir de conseil du professionnel du droit qui doit appeler en temps utile l'attention de son client sur toutes les conséquences juridiques, financières et fiscales de l'opération à laquelle il prête son attention.

Elles rappellent qu'il lui appartient de rapporter la preuve qu'il s'est acquitté de cette obligation et que la responsabilité de l'avocat est engagée par sa faute, même légère.

Elles affirment que, du fait des acceptations tacites par la faute de leur conseil, des rehaussements, elles ont subi des préjudices nés, actuels et certains.

Elles réitèrent qu'il appartenait à leur conseil de répondre aux propositions des rectifications qui leur ont été adressées et plus précisément sur les distributions invoquées par les inspecteurs des finances publiques sur les fondements des articles 109.1.1°, 109.1.2°, 110, et (117 pour la Sarl [Établissement 1]) du code général des impôts.

Elles estiment que leur préjudice ne constitue pas une perte de chance, mais un préjudice entièrement consommé, le redressement et les pénalités étant imputables à la faute de leur conseil.

Elles reprochent au tribunal d'avoir considéré, sans examiner le fond du dossier et les distributions invoquées, que les griefs, s'ils avaient été soulevés, n'auraient pu être retenus.

Elles rappellent que les textes précités sont précis et estiment qu'il appartenait à leur conseil d'y répondre.

Elles reprochent en outre au tribunal, se prévalant d'arrêts, de ne pas avoir recherché les chances de succès de l'action perdue et de ne pas avoir réellement reconstitué le procès.

Elles font valoir que M. [P] ne rapporte pas la preuve que les contestations de fond auraient été inefficaces alors qu'il doit mettre en pratique tous les moyens nécessaires à la réussite de l'action de son client et ainsi donner une chance à ce dernier de gagner.

Elles considèrent donc que, par son manquement à son obligation de conseil fiscal de procéder aux discussions sur le fond, qui sont nécessaires à la défense de leurs intérêts, il les a privées d'une possibilité certaine de gagner leur procès.

Elles ajoutent qu'il ne leur a pas demandé les pièces et documents indispensables pour contester les rectifications fiscales au fond.

Elles exposent leurs préjudices financiers.

Mme [A] [U] indique qu'elle est redevable de la somme de 704.835,64 euros.

Elle ajoute les sommes de 45.000 euros et de 50.497,36 euros déjà saisies et déduit la taxe d'habitation, étrangère à la procédure.

Mme [R] [U] fait état d'une dette de 486.791 euros soit une somme nette de 486.146 euros après déduction de la taxe d'habitation.

Elles invoquent des préjudices moraux, ayant été affectées par les fautes commises par M. [P] qui ont eu des répercussions directes sur leurs situations fiscales financières, et entrainé la vente de leurs bijoux de famille.

Aux termes de leurs écritures précitées, M. [P] et les sociétés MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard exposent qu'à l'occasion d'une visite domiciliaire de l'administration des impôts au siège de la société Hôtel [Établissement 1], en juin 2007, M. [P] a été appelé à assister cette société dans la vérification fiscale dont elle a été l'objet, ainsi que ses dirigeantes de droit et associées, Mmes [U], dans le contrôle de leurs situations personnelles qui s'en est suivi.

Ils exposent également que les appelantes ont exercé la profession de loueur en meublé à [Localité 5] pour des personnes en détresse, dans des appartements qu'elles ont acquis ou loués à titre principal, et que les conditions d'hébergement leur ont valu, ainsi qu'à leur père, véritable maître de l'affaire, un reportage où ils ont été qualifiés de « marchands de sommeil » et des poursuites pénales pour hébergement dans des conditions contraires à la dignité.

Ils exposent enfin que, pour permettre aux locataires de bénéficier d'aides sociales, Mmes [U] établissaient des certificats ou des factures au nom de « Résidence hôtelière [Établissement 1] » ou de l'Hôtel [Établissement 1], parfois avec le numéro Siret de la société, certaines de ces recettes étant perçues sur un compte commun à Mmes [U] et leur père M. [U] [U].

Ils indiquent qu'elles ont déclaré à l'administration des impôts une activité de loueur en meublé au titre des années 2005 et 2006 pour des montants relativement modestes, sans tenir de comptabilité, que la comptabilité de la société Hôtel [Établissement 1] était également incomplète et irrégulière et que la société n'a pas déclaré à l'administration des impôts les recettes de location d'appartements meublés dont Mmes [U] n'avaient déclaré qu'une partie.

Ils indiquent également que l'administration, ayant constaté un écart entre le montant des chiffres d'affaires déclarés tant par la société Hôtel [Établissement 1] que par Mmes [U] et les sommes versées par les organismes sociaux, a d'abord exercé son droit de communication puis a obtenu du juge des libertés et de la détention l'autorisation d'effectuer une visite domiciliaire dans les locaux de la société Hôtel [Établissement 1] et ceux de Mmes [U] et a entrepris, simultanément en octobre 2007, la vérification de comptabilité de la société Hôtel [Établissement 1] et de Mmes [U] ainsi que l'examen approfondi de la situation fiscale personnelle de chacune d'elles.

Ils déclarent que M. [P] et l'expert-comptable de la société les ont assistées.

Ils relatent les résultats des contrôles et affirment que Mmes [U] se sont abstenues de déférer aux demandes de l'administration voire de répondre aux courriers qui leur étaient adressés et d'en informer leur avocat.

Ils indiquent qu'elles l'ont ainsi laissé dans l'ignorance de la proposition de rectification du 4 septembre 2008 et ne l'ont alerté que lors de la mise en recouvrement des impositions et pénalités établies à leur encontre au titre des années 2005 et 2006, pour surseoir à leur paiement.

Ils précisent que les rectifications proposées tendaient principalement à tirer les conséquences de celles notifiées à la société Hôtel [Établissement 1], dont les bénéfices rehaussés ont été réputés distribués aux associées-gérantes qui les avaient appréhendés.

Ils ajoutent que le vérificateur a relevé certains crédits aux comptes bancaires de Mmes [U], non rattachables à l'activité de la société, qui étaient injustifiés et qu'il a considérés comme des revenus d'origine indéterminée.

Ils font valoir que M. [P] les a reçues à plusieurs reprises, sans obtenir plus de précision, et qu'il leur a exposé que le premier chef de rectification était la conséquence des vérifications de comptabilité des entreprises, de sorte qu'il n'y avait pas matière à contestation distincte sur le fond et que seuls des griefs de procédure pouvaient être utilement envisagés.

Ils relatent ses réclamations et demandes et le contentieux fiscal.

Ils ajoutent que, sa mission étant terminée, elles ont récupéré leurs dossiers le 30 octobre 2014, qu'elles ont été poursuivies pénalement pour fraude fiscale et que M. [P] les a orientées vers un confrère pénaliste.

Ils soutiennent que les appelantes doivent démontrer que le défaut d'accomplissement de la diligence invoquée « aurait pu avoir une influence quelconque sur l'issue du litige et le sort des redressements ».

Ils rappellent que le juge doit rechercher, par une reconstitution fictive, au vu des conclusions complémentaires et des pièces susceptibles d'enrichir le débat, s'il existait une chance raisonnable de succès de l'action.

Ils rappellent également qu'à supposer que l'abstention de l'avocat soit fautive, la réparation est subordonnée à « la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ».

Ils se prévalent des motifs du jugement.

Ils soulignent que le tribunal a relevé qu'elles ne précisaient pas en quoi elles les contestations au fond auraient pu consister et a considéré que les griefs n'auraient pu être retenus.

Ils font valoir que les appelantes « n'esquissent toujours pas en quoi aurait pu consister la contestation au fond des rectifications notifiées au titre des revenus réputés distribués à elles par la société Hôtel [Établissement 1] ».

Ils déclarent qu'elles ne présentent aucun argument ni aucune preuve de nature à écarter les constatations et faits avancés par le vérificateur fiscal.

Ils estiment qu'elles ne suggèrent pas en quoi et pourquoi elles auraient été, voire seraient encore, en mesure d'apporter d'autres éléments de défense que ceux qui ont été présentés par leur avocat et l'expert-comptable de la société à l'appui des observations de la société Hôtel [Établissement 1].

Ils soutiennent qu'une contestation sans preuve ou argument sérieux n'aurait eu aucune chance raisonnable de succès.

Ils ajoutent qu'en présentant tous les moyens de défense lors du contrôle de la société Hôtel [Établissement 1], ils ont limité les rectifications fiscales tant en matière d'impôt sur les sociétés pour la société Hôtel [Établissement 1] qu'en matière d'impôt sur le revenu pour les appelantes.

Ils réfutent donc toute faute de M. [P].

Ils soutiennent également qu'elles n'établissent pas l'existence d'une chance raisonnable de succès qui aurait été perdue.

Ils déclarent enfin, citant la doctrine administrative et des arrêts du Conseil d'Etat, que le seul fait que les rectifications aient été contestées, même sans aucun motif particulier, exclut toute idée d'acceptation.

Ils affirment que l'administration n'a jamais invoqué une acceptation tacite, le vérificateur s'étant borné à prendre acte de ce que, faute de grief spécifique sur ce point, il n'avait pas à répondre plus amplement aux observations du contribuable.

Ils réitèrent qu'elles n'avaient pas de moyen sérieux à l'appui d'une telle contestation.

****************************

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 1147 du code civil applicables en l'espèce, la responsabilité de M. [P] doit être examinée au regard de l'obligation de conseil et de l'obligation de moyens qui pèse sur l'avocat, tenu d'accomplir toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client ;

Considérant que l'avocat doit, à ce titre, réclamer à son client les pièces nécessaires ;

Considérant que Mmes [U] ont fait l'objet de redressements de leur imposition à la suite des rectifications appliquées à la société Hôtel [Établissement 1] ;

Considérant que M. [P] était le conseil tant de la société Hôtel [Établissement 1] que de Mmes [U] ;

Considérant que les appelantes sont donc fondées à invoquer des manquements commis par M. [P] dans son rôle d'avocat tant de la société que de Mmes [U] ;

Considérant, s'agissant de la société, que les droits établis par l'administration fiscale procèdent de l'exploitation d'informations recueillies à l'occasion d'une perquisition au siège de la société et auprès d'organismes sociaux ;

Considérant qu'il résulte d'une réponse aux observations du contribuable du 31 octobre 2008, que, conformément à la demande de M. [P], l'administration lui a adressé la copie des pièces obtenues en exécution de son droit de communication- au nombre de 760- et que les pièces comptables « saisies » ont été restituées à la société ;

Considérant que l'administration a accordé à M. [P] le délai supplémentaire sollicité ;

Considérant que M. [P] a contesté les redressements opérés en n'invoquant que des irrégularités de procédure ; qu'il n'a soulevé aucun moyen au fond ;

Mais considérant que cette seule absence de moyen au fond ne suffit pas à caractériser le manquement de l'avocat à ses obligations ;

Considérant qu'il appartient à Mmes [U] de rapporter la preuve que de tels moyens auraient pu être opposés à l'administration fiscale ;

Considérant qu'elles ne citent, dans leurs conclusions, aucun moyen susceptible d'être soulevé au fond ; qu'elles ne précisent pas la contestation que M. [P] aurait pu émettre sur le fond des redressements ; qu'elles ne procèdent à aucune analyse des causes du redressement ou des documents produits d'où il résulterait que M. [P] aurait pu contester au fond celui-ci ;

Considérant qu'elles ne démontrent donc nullement qu'il aurait pu utilement critiquer au fond les redressements opérés ;

Considérant qu'elles ne démontrent pas davantage que les documents qu'aurait dû, le cas échéant, réclamer M. [P] lui auraient permis de soulever de tels moyens ; qu'elles ne précisent pas quelles pièces comptables -ou autres- auraient pu être utilement invoquées ;

Considérant, en conséquence, qu'elles ne rapportent pas la preuve d'un manquement de sa part à ses obligations ;

Considérant, s'agissant de Mmes [U], que les rectifications opérées sont la conséquence de celles appliquées à la société ;

Considérant que M. [P] n'a invoqué que des irrégularités procédurales ;

Mais considérant que Mmes [U] ne précisent pas davantage les moyens au fond qui auraient dû être soulevés ; qu'elles n'indiquent pas en quoi aurait pu consister les moyens au fond qu'aurait dû invoquer M. [P] ;

Considérant qu'elles ne justifient donc pas d'un manquement de leur conseil ;

Considérant que les appelantes ne rapportent, dès lors, pas la preuve d'une faute de M. [P] ;

Considérant que leurs demandes formées à l'encontre des intimés seront donc rejetées ;

Considérant que le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que Mmes [U] devront payer une somme de 4.000 euros aux intimés au titre des frais irrépétibles exposés par eux ; que, compte tenu du sens du présent arrêt, leur demande sur le même fondement sera rejetée ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition ;

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant :

CONDAMNE in solidum Mmes [N] et [A] [U] à payer à M. [P], à la société MMA Iard Assurances Mutuelles et à la société MMA Iard la somme unique de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE les demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE in solidum Mmes [N] et [A] [U] aux dépens ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Monsieur Alain PALAU, président, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 18/01677
Date de la décision : 18/06/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 1A, arrêt n°18/01677 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-06-18;18.01677 ?
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